Les mémoires d’André de Staercke au regard d’un intermittent saltimbanque passionné de critique historique.
André de Staercke étant un fervent des lettres latines, nous commencerons donc l’analyse de ses Mémoires par une citation latine qu’il aurait apprécié.
Bis repetita placent (Ce qui se reproduit enchante les hommes).
Pourquoi cette citation et pas une autre ? Parce qu’en deux ans, deux livres « souverains » ont enchanté les fervents de l’histoire. Le premier : Pour l’Histoire de Léopold III en 2001 et le deuxième les Mémoires d’André de Staercke en 2003, tous deux aux éditions Racine. Toudi a rendu compte du livre Pour l’Histoire dans ses numéros 42 - 43, 44, 47 – 48. Par son plaidoyer pro domo, Léopold III a traité l’Histoire par le côté accessoire, tandis que par son envergure fulgurante, André de Staercke a définitivement rangé Léopold III… aux accessoires de l’histoire (Roi lamentable p. 247).
Les deux écrits, aussi opposés qu’instructifs, nous confirment que les miroirs de l’histoire dans lesquels ils n’ont de cesse de se mirer tous les deux, peuvent être aussi déformants que ceux d’un champ de foire. A certains moments, lorsqu’ils sont en présence l’un de l’autre, Léopold et de Staercke cela vire même à la foire d’empoigne (Entretien de Berne en avril 1949). Forts de leur assurance, pour ne pas dire de leur prétention, qui autorise quelques croche- pieds à leur destin, ils livrent non seulement leur savoir-faire, mais surtout leur savoir-être. En matière strictement littéraire, Pour l’Histoire est royalement (!) terne, tandis que les Mémoires affichent un royal panache ! Si l’on ajoute à cela la manière avec laquelle ces deux « souverains » ont assumé leurs responsabilités, on est en droit d’écrire qu’il est des hommes qui auraient pu être rois, tandis que des rois ont eu difficile à être des hommes ! Le plaisir du lecteur est de décrypter ces écrits dans ce qu’il découvre. La tâche de l’historien est de décrypter le passé à la lumière du présent. Léopold III sera certainement plus illustre que de Staercke, mais de Staercke restera pour avoir le mieux illustré Léopold
Introduction de Jean Stengers
Comme nous allons le démontrer, Jean Stengers introduit avec beaucoup trop de complaisance les écrits d’André de Staercke. « Après son retour de l’exode, il (de Staercke) fut pris dans un premier temps dans le mouvement d’idées qui se préoccupait du renouveau politique de la Belgique : il fut choisi par le comte Lippens comme secrétaire de son Comité d’Etudes pour le Réforme de l’Etat. » (C.E.R.E) (p. 8). En fait, ce renouveau politique de la Belgique vise ni plus ni moins à trouver pour le pays une place dans « l’Ordre Nouveau ». Par ailleurs, de Staercke n’est pas l’homme à se laisser « choisir », il choisit en connaissance de cause. Il ne fut pas secrétaire du C.E.R.E. mais son rapporteur général (L’An 40 p. 208 Ed. Crisp Gotovitch et Gérard-Libois).
Ce comité propose l’établissement d’un « nouveau » gouvernement en Belgique sous l’occupation, gouvernement « libéré » du suffrage universel et du régime des partis, un exécutif fort et stable s’appuyant sur une représentation des grands corps sociaux et surtout sur un renforcement de l’autorité royale. Par rapport à d’autres personnalités qui, à la même époque, préconisent une politique de présence « d’un moindre mal », le C.E.R.E. préconise non pas le mal des moindres (!), mais le bien des extrêmes. Pour J. Stengers, tout cela émanait « d’excellents patriotes » (p. 8). Que dire de ceux qui, au même moment, rejoignent l’Angleterre et des autres qui commencent à résister ? Si, ceux-là sont « d’excellent patriotes », comment qualifier ceux-ci ? « L’année suivante, en 1941, le vent avait tourné » écrit Stengers en page 9.
En l’occurrence, le vent à bon dos pour lui faire endosser un changement d’orientation politique dont de Staercke fait partie. Pour les plus lucides de cette élite dont l’ambition ne peut se situer que dans les allées du pouvoir ; en 1940 ce sont les allées des Allemands, en 1941 il vaut mieux prendre les allées des Anglais, et en mars 1942, de Staercke et d’autres voguent vers l’Angleterre. Stengers poursuit en présentant la brochure « La Vraie Belgique » à laquelle de Staercke a participé en tant que seule réplique à « La Belgique Loyale » alors qu’il y en eut plusieurs. De plus, « La Vraie Belgique » ne défend pas « avec énergie » (p. 9) uniquement le gouvernement de Londres, mais préconise l’union des Belges autour du souverain car l’attitude du gouvernement de Londres n’est pas inconciliable avec celle du roi, publie « La Vraie Belgique ».
Stengers en vient à la régence : « Le prince ignorait tout de la chose publique » ose-t-il écrire à la page 9. Jusqu’en 1940, le prince Charles participe à toutes les manifestations avec la famille royale. « Léopold avait besoin de sa mère et de moi » suite à la mort de la reine Astrid. « Nous avons dû faire, à la place du roi, la représentation de l’Etat » (Le Prince Charles m’a dit L.G.Bricmont-Barre p. 113). De même, le 15 septembre à la mobilisation, il est nommé Colonel de Cavalerie (Mémoires 1912-1940 P.d’Ydewalle p. 200 Ed. Racine). Pendant la campagne des 18 jours en 1940, le prince Charles est resté dans l’entourage immédiat de Léopold III (Le dossier Léopold III M.Brélaz p. 92-96 Ed. antipodes). Pendant toute la guerre, il est informé de tout ce qui se passe à Londres, Bruxelles et ailleurs par l’entremise de R.Goffinet, son officier d’ordonnance (Léopold III Ed. Complexe Dujardin, Dumoulin, Van den Wijngaerde p. 189).
Et Stengers poursuit : « il devait être instruit des éléments fondamentaux de nos institutions » (p. 9). Rien de moins ! Cette présentation minimaliste du prince Charles n’est produite que pour valoriser au maximum de Staercke qui bien qu’imbu de ses qualités, n’en demandait certainement pas tant ! On arrive ainsi à l’entrée en scène d’un mentor et de son élève : « On possède une sorte de devoir qu’il (le prince Charles) rédigea laborieusement pour son mentor » (p. 9). Précisons quand même que ce mentor est le cadet de 10 ans du prince Charles et qu’il connaît mieux les cabinets ministériels que les palais royaux. On aimerait donc avoir une référence précise de ce « devoir » et l’on voit difficilement le prince Charles dans l’exercice d’un devoir laborieux sous la dictée de son secrétaire élevé au rang de mentor !
Si mentor il y a, c’est Stengers qui en a subi l’influence pour écrire pareilles sornettes. Le comble est atteint lorsque Stengers proclame : « de Staercke enseigne également au Régent les usages de la monarchie constitutionnelle » (p. 11). Depuis plus de 40 ans, le prince Charles baigne quotidiennement dans les « usages de la monarchie constitutionnelle » alors que de Staerke vient d’y entrer ! A partir de la préparation d’une visite au Pape, Stengers en fait une leçon d’un maître à son élève (p. 11). Il oublie que le prince Charles pendant les années précédant sa régence a rencontré plus de rois et de chefs d’Etat qu’André de Staercke n’en avait rencontrés. M. Dujardin seul, et non Dujardin-Dumoulin, dans le chapitre du livre « Léopold III » Ed. Complexe, intitulé : « L’impossible réconciliation » n’insinue en rien que le Régent aurait évoqué avec le Pape l’abdication de son frère, il écrit p. 242 : « …la rumeur selon laquelle le régent est allé voir le Pape afin qu’il recommande au P.S.C. de ne pas trop s’engager pour le roi, n’a rien arrangé. Or si Charles a bien été reçu à Rome, on ne sait pas s’il a formulé une telle demande ». C’est tout différent de ce que Stengers avance inconsidérément.
Après ce faux pas vis-à-vis de ses confrères historiens, Stengers opère vis-à-vis du Régent un virage à 360°. Jusque là, il l’avait traité d’ignorant de la chose publique et des usages de la monarchie constitutionnelle, d’élève laborieux sans éducation politique, soudain le voilà possédé des « qualités de finesse politique puisque pendant sa régence il ne commettra aucun impair » (p. 12). Comprenne qui pourra, à moins que ces nouvelles qualités ne soient dues qu’à son « mentor » A.de Staercke ! Plus loin, J.Stengers résume l’affaire Poulet uniquement à l’approche du Père Claeys-Boüart auprès de de Staercke. L’élément principal est venu des révélations de Germaine Poulet parvenues au Régent et comme toute la presse s’en est emparée, cela devient une affaire d’Etat (Dans la mêlée du XXe siècle R.Poulet – J.M.Delaunois Ed. De Krijger p. 259).
En présentant comme il le fait l’activité d’André de Staercke, J.Stengers n’en décrit qu’une facette. A.de Staercke séduit tout le monde : le roi Baudouin, P.-H.Spaak, Clinton, Pam Harriman, W.Churchill, D.Bruce, D.Cooper, etc. Il réussit tout ce qu’il entreprend. Ce faisant, il s’agit plus d’un couplet à la gloire d’une vedette que d’une présentation d’une personnalité. L’intelligence remarquable de l’un a ébloui la vision de l’autre. Les réflexions philosophiques et religieuses de de Staercke dont J.Stengers publie quelques extraits, sont présentées en tant qu’ « émotions profondes », « textes d’un chrétien ému », etc. alors qu’elles ne dépassent pas le niveau Saint-Sulpicien ! (p. 18 à 20).
De même, en ce qui concerne l’homosexualité de de Staercke, Stengers, pour nous en informer, utilise des termes qui font sourire : « Cet homme qui s’abîmait passionnément dans la prière, s’abîmait aussi sans retenue dans le péché. L’auteur (des vers de de Staerke) y parle des plaisirs, des rencontres nocturnes, se laissant emporter par ses tendances sexuelles particulières. » (p. 21). A l’époque, l’homosexualité est une déviation contre nature, elle ne peut s’afficher ouvertement. La deuxième partie de sa vie, de Saercke la passe en tant que représentant de la Belgique à l’O.T.A.N. pour laquelle il avait été chargé de trouver une devise latine. Il choisit : « Animus in consulendo liber », « Un esprit libre dans la consultation ». Malheureusement, il n’a pas suivit sa devise puisqu’il s’est immédiatement et durablement inscrit dans un suivisme total vis-à-vis des Américains.
Sa carrière à l’O.T.A.N. se termine prématurément. En cause, la défense d’un principe qu’il juge grandiose et qui n’est qu’un gaminerie à laquelle « les grands hommes » n’échappent pas. Suite à la loi linguistique qui exige que tous les agents du département des affaires étrangères prouvent par un examen leur connaissance des deux langues nationale, de Saercke qui s’était investi grand maître de tous, s’est senti outragé d’être traité en élève et a refusé l’examen, se réclamant de son appartenance à la Flandre puisque né à Gand. Gand était un des bastions des fransquillons dont de Staercke faisait partie, et il ne s’était jamais impliqué dans le mouvement flamand. Se réclamer d’une origine flamande pour éviter un examen, alors qu’il use du français en permanence depuis des années, c’est un retour aux sources tout à fait abusif. La fin de l’introduction est affligeante. Sur plus d’une demi-page, c’est un concert de louanges de de Saercke pour Salazar que Stengers reproduit tel quel en y ajoutant : « qu’il y avait en lui (Salazar) tant de vertus et de rectitude » (p. 24). Les Portugais ont apprécié pendant quarante ans « sa rectitude »… en dictature !
Quitte à passer pour un impertinent, cette introduction, dernier écrit de Stengers, nous fait penser à cette phrase de de Gaulle : « La vieillesse est un naufrage ». Après cette introduction de J.Stengers, Madame Ginette Kurgan – Van Hentenryck, professeur à l’université de Bruxelles, spécialiste d’histoire économique et sociale et des relations internationales de la Belgique au XIXe et XXe siècles, se charge d’une présentation de 9 pages qui reprend d’une façon moins exaltée les mêmes thèmes que ceux de J.Stengers. Au sujet de la participation de de Staercke au C.E.R.E. celui-ci, d’après elle : « a pour mission d’étudier la transformation du régime au lendemain de la paix » (p. 26). Elle oublie de préciser que cette paix ne s’inscrit que dans une Europe sous l’hégémonie de l’Allemagne. A l’encontre de J.Stengers, au sujet de « l’amitié profonde » (p. 27) de de Staercke avec Salazar, Madame Kurgan – Van Hentenryck prend soin de préciser que celui-ci est « une personnalité plutôt controversée dans les démocraties occidentales » (p. 27). Elle reprend le terme « d’éminence grise » du prince Régent pour situer de Staercke dans son rôle de secrétaire alors que ce poste est clair pour tout le monde. Le terme « d’éminence grise » veut dire occulte et secret, ce qui n’est pas le cas. Après l’incident linguistique qui l’oppose au ministre Van Elslande, elle signale l’entrée de de Staercke dans le monde des affaires internationales jusqu'à fréquenter un certain Donald Rumsfeld. Elle termine sa présentation par l’historique des archives de de Staercke. Fort de ces deux présentations de l’itinéraire de de Staercke, on peut s’autoriser à le situer sur l’échiquier politique dans l’idéologie de la droite-extrême, sociologiquement il appartient à la noblesse mais sans titre nobiliaire, intellectuellement très qualifié et religieusement très mystique. Cet ensemble l’amène à soigner son personnage souverainement préoccupé de déployer la facette la plus séduisante de ses capacités au jour le jour, la nuit lui appartient pour régner à un autre étage !
Mémoires
Pour introduire ses mémoires, de Staercke n’y va pas avec le dos de la cuiller ! Il déclare clairement « qu’il appréciera les hommes et leurs actes, il ne sera pas sans parti », et pour ses accusateurs : « le tonnerre du mépris » (p. 39). Deux énormes pavés dans la mare de ceux qui écrivent l’Histoire. En effet, à l’encontre de tous ceux-là, mémorialistes et historiens qui ne se nourrissent que «d’OBJECTIVITE », alors qu’ils ne produisent que leur vue personnelle, il s’avère que s’il ne reste qu’un adepte du parler vrai sur l’histoire, ce sera André de Staercke !
Chapitre I. D’un caractère et de quelques faits
En quatorze pages, dans ce chapitre, de Staercke met en pièces la personnalité statufiée de Léopold III. Il nous informe brillamment sur le caractère de cet homme confronté à ce qu’il nomme : «des temps injustes » (p. 41), la guerre de 40. Jusque-là, les temps justes (!) semblent très solides entre la monarchie, le gouvernement et la démocratie. Mais la confrontation, guerre de 40 et caractère du Roi, montre un homme « nouveau » qui ne manifeste pas une valeur égale aux circonstances. La salve de de Staercke touche en pleine cible. « Ce qui fit Churchill défit Léopold III » (p. 41)…et André de Staercke puisque lors de événements de 40, il n’était pas avec Churchill mais avec Léopold III à qui il remet le 24 décembre 40 les travaux du C.E.R.E. qui préconisent une nouvelle organisation du pays sous hégémonie allemande. Mais à l’encontre de Léopold III, ce qui fit le de Staercke de 40, il le défit en 1942. Après avoir fréquenté Léopold III, il fréquentera Churchill, non pas en 40 mais en 1943, à tel point que celui-ci souhaitera qu’il devienne son gendre. Ô « vent » salutaire qui le portera de la collaboration de 40 à la libération de 44! Etudiant la disproportion entre l’immense prestige acquis par Léopold III avant 40 et sa détérioration après 40, de Staercke y trouve la clef dans l’origine allemande de Léopold III.
Si nous l’avons suivi dans la partie convaincante de l’analyse caractérielle de Léopold III (p. 42), nous ne le suivons absolument pas dans ce cas-ci. Léopold III n’est pas le produit de son origine allemande mais bien de son éducation belge. Ses fautes, ses manquements, ses abus sont dus à sa formation dans son milieu familial. Adulé dès sa naissance par sa mère et amoindri par son père (voir L’éducation d’un prince G.Kirschen Ed. Hatier), il se forge une cuirasse du suffisance qu’il exerce dès l’adolescence sur son frère et sa sœur. Devenu roi, cette cuirasse lui sert de refuge à sa timidité, qui produit des audaces maladroites et des obstinations malencontreuses. Cela fait dire au baron Goffinet : « Sire, vous confondez la volonté et l’entêtement. L’entêtement n’est que la caricature de la volonté. » (p. 45).
Un ensemble exceptionnel d’éléments favorables ; crédit de son père, souvenir d’une reine adorée, admiration pour sa personne, etc. Tout cela, malgré un sommet de popularité après la capitulation, s’étiole au fil du temps parce que dans le grand jeu qui se déroule sur la carte du monde, bien qu’il dispose comme on l’a démontré d’un Roi de cœur, il joue… un petit cœur, la plus mauvaise carte. « Un grand cœur, certes, il ne l’eut point » (p. 45) assène de Staercke en conclusion. Tant que le jeu reste dans les dimensions réduites : constitution, gouvernement, parlement, malgré quelques mauvais pas hors desquels de grands serviteurs de l’Etat le sortent, Richard, Spaak, et que les circonstances ne soulèvent pas trop de vagues, Léopold III peut faire illusion avec sa haute conception de sa fonction. Mais dès que le champ s’élargit aux dimensions d’un champ de bataille où le feu vient de tous les côtés, Léopold III « fut trop petit pour ce qu’il voulut faire » (p. 46). Son auréole entretenue par une grandiloquence surfaite n’était pas à la mesure de ses capacités à l’opposé de son père. Bien qu’en toute circonstance, il se réclame de son exemple. Cela restera au niveau de l’incantation.
Wynendaele, la capitulation, le prisonnier de Laeken, Saint-Wolfgang, de Staercke décrit ces événements et ces conséquences, dans lesquelles Léopold III est le centre, de la page 47 à 55. D’une plume extraordinairement flamboyante qu’il accompagne d’une avalanche d’arguments, il amène Léopold III dans un coin du ring de l’Histoire, labouré de coups imparables, pour l’achever par un direct décisif : « De nombreuses personnes se fiaient à la sagesse du Roi. Elles ne pouvaient se fier qu’à cela. Leur espoir fut déçu parce qu’il était bâti sur le vide. » (p. 55). La guerre de 40 et ses suites, sont donc une tragédie en trois actes pour Léopold III. Au premier acte, sur le théâtre des opérations, il veut à tout prix être l’acteur principal, mais le metteur en scène, Adolf, l’a piégé, connaissant ses faiblesses. Il le force ensuite à jouer pendant quatre ans en coulisse où son rôle est maladroit et désordonné avant de l’emmener chez lui… d’un château l’autre ! Au deuxième acte, Léopold III, de châtelain forcé, est libéré et devient… aubergiste (!) inhospitalier et doit s’exiler au Reposoir. Au troisième et dernier acte, après cinq ans de second rôle, il remonte sur scène mais manque de souffle et ne tiendra que huit jours. Après une dernière scène tragi-comique, il s’en ira définitivement vivre, amer et revanchard à « l’ombre » proche… morne plaine. Rideau !
Chapitre II : La mission De Kinder
Pierlot, Saak, Delfosse, De Schrijver, Gutt, De Vleeschauwer, Balthazar, Tschoffen, Hoste, décident de Londres le 29 juillet 1943 d’envoyer un mémorandum au Roi par l’entremise d’un envoyé spécial ; François De Kinder. Ce mémorandum est daté : Londres, le 20 novembre 1943. Démarche prématurée, maladroite, intempestive qui coûte la vie à De Kinder et fige Léopold III dans ses positions. Comment admettre que pas un seul de ces ministres qui ont fréquenté Léopold III pendant des années n’ait empêché cette démarche qui s’avèrera catastrophique ? Sachant que, malgré les divers contacts précédents qui étaient arrivés à destination pour reprendre contact avec Léopold III en pays occupé, celui-ci n’y avait jamais répondu (p. 57). Même de Staercke par ailleurs si perspicace s’y est laissé prendre ! « On pouvait admettre qu’ils fussent restés sans réponse » écrit de Staercke. Cela étant, pourquoi alors ce mémorandum beaucoup plus élaboré et mal présenté aurait-il brusquement changé quoi que ce soit à la position de non-réponse dans laquelle Léopold III s’était installé depuis trois ans ? « Mais le gouvernement estimait que la situation militaire de plus en plus favorable ne lui permettait pas d’attendre davantage pour établir un rapport direct. » (p. 57). Là est l’erreur, compte tenu du lieu différent Londres – Bruxelles et surtout de la personne très différente. Il aurait mieux valu rester patient car, en politique, il ne faut jamais élever son impatience en stratégie.
La situation militaire de plus en plus favorable est vue d’Angleterre. A Laeken, on en n’est pas là. Léopold III et son entourage rédigent au même moment « Le Testament Politique » dans lequel on peut lire : « Rien ne permet de certifier que nous sommes proches de la cessation des hostilités en Europe ou de libération du territoire national. » (Annexe 14 p. 224 Pour l’Histoire Léopold III Ed. Racine). Les deux textes s’ignorent malheureusement, mais ils existent et motivent les comportements totalement opposés. Le gouvernement ne lira ce testament qu’en septembre 44. Léopold III lit en janvier 44 : « La victoire des alliés est certaine, la Belgique sera donc bientôt libérée. » (2e phrase du mémorandum p. 131. Rapport de la commission d’information 1947). La distance entre ces deux conceptions dépasse la largeur de la Manche (!), elle est égale à un océan qui s’élargit au fur et à mesure de la lecture du mémorandum par Léopold III. Le gouvernement communique : « …les idées essentielles qui doivent dominer la politique du pays, …fidélité totale à la constitution, …la collaboration …approbation de votre majesté, entourage du Roi …conseiller au Roi de s’en séparer …etc. …etc. ». Tout est du même tonneau et Léopold III doit s’en abreuver jusqu’à la lie ! Presque chaque phrase de ce texte ne peut que faire vomir Léopold III.
Il l’interprète comme le pire réquisitoire venant de politiciens en sursis qui à ses yeux se sont complètement déconsidérés et sont les derniers à lui conseiller quoi que ce soit. De plus, le ton de la missive est inacceptable parce que outrageusement comminatoire. La perfection dans tout ce qu’il faut ne plus écrire à un souverain tel que lui. Aussi, à ces donneurs de leçon de lèse-majesté, il met au point une tactique digne de Machiavel. Il embarque le cardinal Van Roey qui sert d’intermédiaire avec le gouvernement dans une vraie-fausse réconciliation qu’il fera en définitive dépendre des évènements (p. 69). Dans le même temps qu’il confirme au cardinal qu’il désire une réconciliation publique avec le gouvernement, il écrit dans son testament politique : « Le prestige de la couronne et l’honneur du pays s’opposent à ce que les auteurs de ces discours (mai 1940) exercent quelque autorité que ce soit en Belgique libérée. » (p. 69).Ce qui fait écrire à de Staercke : « Il trompait le cardinal sur ses intentions et il leurrait les ministres qui souhaitaient le sauver. » (p. 69).
Que les ministres souhaitaient ainsi sauver Léopold III, nous nous permettons d’en douter. Eux se sont sauvés et c’est tant mieux ! Mais de la lecture attentive du mémorandum, il ressort clairement qu’ils veulent plus avoir dans le futur un Léopold III à leur botte que de le sauver présentement alors qu’il est sous la botte des allemands ! « Eux, (les ministres) désiraient terminer le conflit »…à leur avantage. Mais cela de Staercke ne l’écrit pas. Et pour cause ! Quoi qu’il en soit, on n’envoie pas une admonestation de ce type à un type comme Léopold III. L’anathème, pour reprendre le terme de de Staercke (p. 69) jeté sur le gouvernement par Léopold III, répond à l’admonestation du gouvernement au même Léopold III mais cela de Staercke ne veut pas le voir.
S’il avait fallu absolument : « reprendre des relations pour envisager de commun accord l’avenir » (p. 57), on aurait dû soumettre ce texte à quelques personnes en Belgique plus à même de juger de son opportunité avant de le faire parvenir à Léopold III. Il n’en manque pas : P.Struye, Ch.de Visscher, J.Pholien, A. Devèze, etc. L’impatience du gouvernement de Londres coûte cher: De Kinder fusillé, Léopold fustigé ! Un désastre. Dans ce chapitre de Staercke n’admet aucune erreur du gouvernement et charge à fond Léopold III. Il faut se rappeler son introduction : «Il est difficile d’être sans parti est c’est encore être objectif que de le reconnaître. » (p. 39). En l’occurrence, ce parti est une erreur.
Chapitre III : Le Testament Politique
Ce qui est devenu le « Testament Politique » dont de Staecke s’attribue l’appellation (p. 89) est à l’origine intitulé et signé par Léopold III le 25 janvier 1944 : « Mémoire écrit pour être remis personnellement et confidentiellement à M. H.Pierlot. (Pour l’Histoire Léopold III Ed. Racine p. 224). Si le titre est changé par de Staercke, les destinataires changent également. En août 44 sur ordre de Léopold III, de sa captivité en Allemagne, Léopold III informe le Grand Maréchal de la Cour de sa : « Volonté pour que le Testament Politique soit remis aux autorités belges et alliées et qu’il soit connu de la Nation. » (Capelle R. Dix-huit ans auprès de Léopold III p. 276 Ed. Fayard). La remise du document de dix-huit pages s’effectue en septembre 44 par tous les préposés, Jamar et Cornil pour les politiques et le comte Cornet de Ways Ruart pour les alliés, mais personne pour la Nation. Pourquoi ?
Parce que « la note royale » risquait de détruire tous les efforts du gouvernement pour régler heureusement tout ce qu’il (H.Pierlot) avait accepté d’appeler « le conflit des devoirs de 1940 » écrit de Staecke p. 75. Il aurait pu spécifier : « la fausse note royale » qu’il stigmatise comme : « les armes de la vengeance » (p. 75). Ce qui n’est pas le cas. En effet, comme on l’a vu précédemment le Testament Politique est écrit en réplique au mémorandum de 43 du gouvernement de Londres. A la lecture du Testament Politique en septembre 44, Pierlot et Spaak peuvent avoir les mêmes sentiments que ceux de Léopold en janvier 44 à la lecture du mémorandum : « L’amertume d’avoir été trompés, l’indignation d’être si injustement et si arbitrairement traités. » comme l’écrit de Staercke p. 75. La seule différence, mais elle est d’importance, c’est que Léopold III a entretenu ces sentiments jusqu’en janvier 44 dans le même temps que le gouvernement, sur base de renseignements partiels, a cru au désir de Léopold III d’une réconciliation publique (voir chapitre II p. 68).
Malentendu, quand tu nous tiens ! Wynendaele n’est pas loin ! Réaction personnelle de Léopold III, certes. Il ne tient aucun compte de l’évolution des hommes et des évènements. En cela de Staercke a raison d’écrire : « La consternation – de Pierlot et de Staercke – devant tant d’aveuglement et d’inconscience. » (p. 75). Le gouvernement veut tenir la note royale pour nulle et non avenue. Mais le silence n’est pas l’apanage de l’entourage royal. Les ordres du roi répondent aux désirs de l’entourage de la reine Elisabeth. Les fuites se colportent « de salon en salon et de cocktail en cocktail ». La reine Elisabeth laisse filer la note à Londres chez Churchill par l’entremise du grand maréchal de la Cour, M. le comte Cornet de Ways Ruart, ce qui lui coûtera sa place en mars 1945. Le régent et le gouvernement le renvoient pour indélicatesse. Ne pouvant faire de même avec la reine Elisabeth qualifiée par de Staercke en tant que : « personne impulsive et d’un grand charme, mais sans aucun sens politique » (p. 87) celle-ci, « avec cet esprit de sarcasme qui est si souvent la force des faibles » prend les devants et écrit au régent que « pour échapper au camp de concentration, elle prenait le maquis ». Elle « s’exila » dans une confortable villa du Zoute ! (p. 87).
Après cette péripétie familiale digne d’un roman-photo, le gouvernement en accord avec le régent décide de poursuivre la politique d’apaisement et considère le document comme inexistant. Profitons du fait que Léopold III soit en Autriche pour faire…l’autruche ! Ces évènements sur lesquels de Staercke s’étend longuement lui apparaissent comme un complot contre le gouvernement dans le seul but de lui nuire pour « rendre la position de M. Pierlot et de ses collègues impossible » (p. 76). Que veut dire pratiquement « rendre la position de Pierlot et de ses collègues impossible » ? Pétition de principe assez étonnante de la part d’un homme qui se veut d’une intelligence supérieure ! Le Testament Politique est une réplique au mémorandum ni plus, ni moins. L’entourage obéit aux ordres du roi et fait parvenir le document à qui de droit. De Staercke veut y voir un complot qui n’existe pas. La thèse de de Staercke ne tient pas à la lecture de ce qu’il écrit p. 75 : « Dévoiler tout (rendre le testament public) et y insister eût sans doute livré le roi à ses critiques dont il ne se serait pas relevé. »
Par l’effet prodigieux de l’esprit de de Staercke le même document aurait rendu dans le même temps la position de Pierlot et de ses collègues impossible et livré le roi à des critiques dont il ne se serait pas relevé ! Contradiction, quand tu nous tiens ! La conclusion de de Staecke est tout aussi erronée : « Le note royale et l’usage qu’on en fit eurent une influence décisive sur les évènements. » (p. 89). Comment un document « considéré comme inexistant » (p. 78) peut-il avoir une influence décisive sur les évènements ? Durant la question royale de 1945 à 1950, seul Spaak y fit en partie référence. La seule influence s’est exercée sur les personnes qui l’ont lue – une dizaine. Si par « influence décisive » de Staercke veut dire l’abdication de Léopold III, elle revient au peuple wallon en 1950. De Staercke détourne le Testament Politique de son origine pour faire de Léopold III l’ennemi public numéro un. En septembre 44, il amplifie son importance pour établir le génie malfaisant de Léopold III qui se veut l’adversaire du gouvernement de Londres en proposant des réformes de son cru pour l’après-guerre pour affirmer son autorité. Léopold III chausse ses bottes royales dans le même temps que le gouvernement le veut à sa botte.
Chapitre IV : Le retour du gouvernement Pierlot. L’établissement de la Régence
Suivant ses sympathies ou ses antipathies, de Staercke distribue des coups d’encensoir ou des coups de patte aussi exagérés les uns que les autres. Du général Van Strydonck, chargé de la mission militaire après la libération : « On sait le goût des militaires pour la politique. Il y est aussi grand que leur incompétence. » (p. 99). Churchill, ancien chef de l’amirauté, le général de Gaulle, Eisenhower, etc. auraient apprécié ! Tschoffen, ce cheval de retour qui laboure les allées de n’importe quel pouvoir ; en 1940 il fait la lèche à l’Ordre Nouveau et à Léopold III, en 1943 il se pourlèche à Londres, a droit à un lamentable cirage de botte. « Dans tout ce qu’il entreprenait, il apportait la sûreté du coup d’œil. » (p. 99). La sûreté de ce coup d’œil est à géographie variable ! Le baron Van Zuylen, directeur général de la politique avant la guerre, inspirateur et complice de la politique de Laeken pendant l’occupation, le baron Edmont Carton de Wiart, ancien secrétaire de Léopold II, tous deux coupables de ne pas avoir eu « la sûreté du coup d’œil » (!) sont exclus du pouvoir pour être trop désireux de servir : « toute forme de pouvoir pourvu qu’il fût établi ». De Staercke a la mémoire courte sur son propre itinéraire !Après avoir réglé le compte des deux barons, il règle son compte… au comte de Lichtervelde qu’il renvoi à ses études historiques parce que pendant l’occupation, il a pris le chemin de la finance, « bien rémunéré » par le comte de Launoit (p. 103). Barons collabos et comte corrompu, la noblesse en prend plein le blason. A l’encontre de Léopold III, sollicité comme son frère pour échapper à la déportation, le prince Charles réussit à s’évader du palais de Bruxelles surveillé par la Gestapo et réussit à se cacher près de Spa jusqu’à la libération. Ces deux exploits réussissent : « avec un goût du mystère et une habileté de héros de roman policier, lecture dont il était fort amateur » (p. 105). C’est le début d’un itinéraire qui mènera le prince Charles à un parcours sans faute jusqu’à la fin de la régence. De Staercke n’en souligne pas suffisamment l’importance. En effet, à partir de là, Charles est en rupture avec sa mère, son frère et l’entourage royal. Il rompt avec l’attitude de Léopold qui a refusé de répondre aux sollicitations du gouvernement de Londres de quitter Laeken avant le débarquement. Il se dégage ainsi du sentiment d’infériorité : « qui lui faisait perdre tous ses moyens devant son frère » (p. 109).
Son père, « mari faible, abandonna l’éducation de ses enfants entre les mains de sa femme » (p. 109) qui « avait reporté toute son affection sur son fils aîné » (p. 108). Celle-ci : « ne pouvait concevoir que Charles put réussir là ou Léopold avait échoué » (p. 108). Quant à l’entourage : « il régnait entre elle (la reine Elisabeth) et eux le confiance qui vient d’une manière de penser et d’agir semblable. Je dirais presque d’une vieille complicité mise à l’épreuve sous l’occupation allemande. » (p. 110). Il en résulte que : « L’opposition à la régence naquit immédiatement. Elle trouve des alliés dans l’aristocratie du Quartier Léopold qui a des idées comme des bulles de savon, fragiles, dérisoires et multiples. » (p. 110). Au Quartier Léopold, pas de quartier pour Charles!
Le comte d’Aspremont-Linden et le comte Capelle-Robert sont les meneurs de « Cabales, d’intrigues, de menées, basses, sourdes, secrètes » (p. 110). Cette engeance composite de parentèle royale dévaluée et de débris d’aristocrates remisés récolteront une défaite pour avoir cru trop vite à une facile victoire. Le gouvernement Pierlot, dès son retour, doit régulariser les accords passés à Londres au sujet de l’uranium du Congo, entre les Etats-Unis la Grande-Bretagne et la Belgique. « Après une courte discussion, le conseil des ministres approuva l’exposé nécessairement sibyllin qui venait de lui être fait ainsi que la convention conclue. » (p. 115). Cet uranium est essentiel à la production de la bombe atomique et sa vente aux alliés fait l’objet de nombreuses tractations pendant toute la guerre entre le gouvernement belge et les gouvernements anglais et américains. Les accords sont conclus pour que le minerai « ne tombe pas entre les mains de puissances étrangères qui pourraient en faire un usage contraire aux intérêts de l’humanité » écrit de Staercke p. 115. Hiroshima et Nagasaki font donc partie de « intérêts de l’humanité » !!!
Le 19 septembre 1944, grand séance solennelle au Parlement : « Ce fut une grande séance… les premières pulsations du cœur d’un petit pays qui revenait à la vie. » (p. 119). Il omet de spécifier… à la vie… parlementaire ! La vie ne s’était quand même pas arrêtée de 1940 à 1944 parce que le Parlement ne s’était pas réuni. Dans les pages suivantes, de Staercke se déchaîne avec grande classe et suave volupté : « en ce qui concerne l’attitude de l’église à l’égard du gouvernement belge de 1940 à 1944 (p. 120 à 124).
Mgr Micara, nonce apostolique à Bruxelles, « ondulation permanente » (p. 102) « ballerine religieuse » (p. 124) personnifie cette duplicité cléricale : « Si Dieu est pour les faibles, on ne peut compter sur l’Eglise que quand on est fort. » (p. 124). Si, depuis son retour de Londres jusqu’à sa démission, Pierlot n’a pas pu s’offrir beaucoup de plaisir, il s’en est offert un grandiose avec Micara lorsque celui-ci s’avisa de revenir à son poste. Il le laissa s’empêtrer dans ses « minauderies et ses frous-frous » (p. 120). L’installation de la Régence, vote et cérémonie est décrite dans des termes dithyrambiques qui détonnent du style plus corsé utilisé jusque là. Il devient ouvertement déplaisant lorsqu’il présente le Prince Charles comme un élève laborieux, un assisté diurne et nocturne par un aréopage de grands maîtres. Sans eux, le Régent serait « perdu et éperdu » (p. 126), « comme un naufragé à une épave » (p. 127) ... « désir de lui venir en aide » (p. 126)... Cette forme de présentation d’un Régent inférieur, inapte et presque nullard ne viendrait-elle pas de l’idée que de Staercke se fait de son rôle auprès du Régent ? Elle ne cadre en aucun cas avec le portrait que le même de Staercke donne du Prince Charles au chapitre suivant (p. 193 et suivantes).
Chapitre V : Le gouvernement Pierlot après la libération
Avant de détailler : « l’ampleur de la tâche qui attendait le premier gouvernement du Régent » de Staercke s’attache à décrypter la personnalité d’H.Pierlot. A ce jour, c’est le portrait le plus complet parce que le plus humain. Cet homme a dû se séparer d’un roi alors qu’il est profondément monarchiste et s’est vu rejeté par ses « amis » chrétiens alors qu’il est tout aussi profondément catholique. En plus, pour faits de guerre, plusieurs morts dans sa proche famille. Pierlot subit « une campagne ignoble »… « Le plus grand journal catholique belge, La Libre Belgique, Se signala par une violence qui fit moins de mal à M. Pierlot que de honte à la charité chrétienne. » (p. 138). L’attitude de H.Pierlot est décrite sans flagornerie, ni suffisance. Si le Régent a sauvé adroitement la monarchie, on doit reconnaître que Pierlot a solidement défendu la démocratie.L’opération Gutt permet à de Staercke de dénoncer l’attitude du clergé vis-àvis de l’argent qui : « N’avait pas d’odeur pour ces pieux fraudeurs. » (p. 147). Les cinquante pages suivantes alternent les opérations militaires des alliés avec les opérations politiques du gouvernement, les unes tout aussi précaires que les autres. Ravitailler 36 divisions sur des distances de plus en plus longues, tout en ouvrant de nouveaux fronts pour les alliés, et trouver un mode de fonctionnement unioniste sans paralysie de fonctionnement pour le gouvernement. Ce parallélisme bien décrit n’est à l’avantage d’aucun protagoniste. Les V1 et les V2 font leur apparition, les opérations militaires, à l’exception de quelques endroits, stagnent, jusqu’au moment où l’offensive Von Rundstedt surprend tout le monde. La situation intérieure n’échappe pas aux : « Plaisirs, profits, vengeances, haines. » (p.152). La première cible, un peu facile, ce sont les communistes, qui d’un côté sont pour la première fois au gouvernement et sont « respectueux des formes et du protocole » (p. 155) et de l’autre côté « risquaient de détruire toute l’économie du système « parce que leur journal, Le Drapeau Rouge, rendait le gouvernement responsable d’un état de fait créé par la guerre. » (p. 156). De Staercke condamne une pratique que tous les partis exerçaient à l’époque.
Au sujet des nombreuses composantes de la résistance, « pour contrôler ce qui s’était fait sans lui, il (le gouvernement) accepta ce qui existait » (p. 159), c’est-à-dire des groupes armés aux objectifs totalement opposés. Ces groupes s’opposèrent tous au gouvernement mais en ordre dispersé. Chacun défend sa chapelle et en fin de grenouillage de bénitier, l’archiprêtre Pierlot remet l’église au milieu du village ! Ces diverses péripéties sont décrites avec verves en y mêlant autant de discours moralisateur que d’analyse relativement pertinente. De Staercke excelle dans la description de certains protagonistes : Marteaux, Dipsy, Lalmand, le général Gérard, Demany sont croqués, comme le meilleur des caricaturistes peut le faire. Février 1945 marque la fin de la vie ministérielle de H.Pierlot et de le début de la vie « régence » de de Staercke. Avant d’accepter la fonction de secrétaire du Régent il déploie une plume « princière » en hommage au baron Goffinet. Pendant trente ans, celui-ci avait été pour Charles de Belgique, un complément de qualité pour combler les manques fondamentaux que Charles avait dû subir de son entourage familial. Ses vues pertinentes sur la politique à suivre à la libération servirent la dynastie comme un maître au delà de sa fonction de serviteur.
De Staercke fut nommé secrétaire du Régent, mais ne prit jamais la place de Goffinet qui mourut peu après. Ce vide fut catastrophique pour Charles après sa régence. De la même plume qu’il utilise pour le baron Goffinet, il termine ce chapitre par le portrait du Régent. Avant lui, celui-ci n’avait été décrit que sous des traits aussi partiels que partiaux. Sensible, drôle et attachant, il nous fait entrer dans la cathédrale de la connaissance d’une personnalité sous-estimée qui fut égale à son titre. Ce qui ne fut pas le cas de son frère. Pour le régent, de Staercke entonne les grandes orgues de l’amitié, lucide et solide à l’opposé de l’aveuglement et de la servitude.
Chapitre VI : Le gouvernement Van Acker et les entretiens de Saint-Wolfgang
« Ceux qui ont vu certaines choses de près n’ont plus trop d’illusions sur l’institution monarchique dans notre pays. » (p. 200). Tous ceux qui ont écrit sur ces évènements n’ont jamais été jusque là. Léopold III seul était mis en cause, jamais la monarchie. A son avis, au plus près vous avez été du roi, au plus loin vous voudrez qu’il s’éloigne. Après avoir décrit l’itinéraire gris, puis blanchâtre de 40 à 45 d’Achile Van Acker devenu Premier ministre qui peut agir grâce à : « la peine que le gouvernement précédent s’était donnée » (p. 203), il s’ouvre ce qui devient pour la Belgique le tonneau des Danaïdes: la question royale. Soulignons en passant que si la Belgique avait été une république il n’y aurait pas eu de Question Royale ! Poursuivant ses coups de pattes, de Staercke ne se prive pas de déboutonner impudiquement le cardinal Van Roey le traitant de : « piètre politique, conservatisme sacerdotal, lourdes responsabilités, « vomissements » de ses contradicteurs » (p .204). Ensuite ce sont les : « mouches qui ne cessent de bourdonner, la peste des Etats », le comte Capelle qui croit son heure… revenue et le baron Van Zuylen, profanateur du gouvernement de Londres.
Pendant les trois mois qui précèdent le libération de Léopold III : « les thèses qui devaient miner le pays pendant des années » s’affrontent (p. 208) agrémentées « des conseils » des diplomates de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Malgré cela, « Le dispositif du retour fut minutieusement réglé » (p. 212). Délégation, itinéraire, réception, discours jusqu’au « camion de trois tonnes pour les bagages et éventuellement pour les vivres » (p. 211). On alla même se documenter sur le précédent de 1831 pour la procédure de la fin de la Régence. La thèse du complot politicien contre Léopold III est anéantie. Mais avant ce retour, il y en a un autre, celui des survivants des camps de concentrations qui « causa un choc terrible » (p. 212). De Staercke fait intervenir d’une façon importante cet événement dans la Question Royale. Malheureusement, tout ce dispositif s’écroule, en cause : « Le défaut de jugement et l’obstination du Roi qui se conduit comme s’il était maître de la situation, alors qu’il importait de la rétablir. » (p. 217). En une phase rigoureuse et pertinente, de Staercke résume les 20 pages dans lesquelles il détaille les faits, gestes, humeurs, espoirs et déceptions, entre les visiteurs et le visité de Saint-Wolfgang.
« De maladresse en irritation, dès le début des visites et des conversations, ce fut un désastre » (p. 226 – 227). « Il me semblait, écrit de Staercke, que la Question Royale avait été jouée et perdue à ses débuts. » (p. 227). « C’étaient celles d’un homme (Léopold III) dont les sentiments s’étaient arrêtés en mai 1940 et que l’exil, en l’écartant du cours de évènements, l’avait maintenu dans une intransigeance artificielle. » (p. 228). Le Régent, A.Van Acker et les ministres venus faire rapport au Roi sur la situation en Belgique et des difficultés de son retour se heurte à un homme fermé, entouré, non pas de conseillés mais de larbins persuadés que la raison du Roi est la raison suprême. Il est évident que le Roi est totalement surpris par tout ce qu’il entend. On lui parle d’un autre monde auquel il ne veut pas accéder parce que pour y prendre pied il devrait faire des concessions qu’il juge inacceptables.
Pendant plusieurs jours, l’Auberge du Cheval Blanc n’est plus la vedette d’une opérette, encore que…, mais le centre d’une… « guerre royale » : polémiques, intrigues, réconciliations, cordialité, illusions, manœuvres dilatoires, tout y passe de chaque côté du front ! Jusqu’au jour où des minauderies de l’opérette de Franz Lehar on est passé à la mort du cygne dans le ballet du Lac des cygnes de Tchaïkovsky. De Staercke en décrit toutes les péripéties. A l’inverse des précédents témoins de l’affaire royale, il est le premier à nous faire vivre heure par heure les entretiens de Saint-Wolfgang. Témoignage unique. De retour à Bruxelles, chacun s’installe dans son espace géopolitique (p. 245). La rage des uns s’affronte à la passion des autres.
Conclusion
« L’aventure de ce roi lamentable » (p. 247). Pourquoi une telle condamnation ! Parce que, pour de Staercke, personnalité capable, intelligente, efficace qui a dû s’employer pour faire carrière se trouver face à quelqu’un qui a tout reçu dans son berceau mais se montre incapable de remplir son rôle… c’est lamentable. Surnommé « Le Mandarin » par ceux qui l’envient il s’est muni de titres universitaires, il fait partie de la noblesse, il est un lettré divertissant et un politique influent. A l’opposé de la phrase mise en exergue à son livre : « Tout cela a passé comme une ombre », lui n’a pas passé comme une ombre. Ses mémoires le prouvent clairement, Bruxelles – Londres – Bruxelles – Saint-Wolfgang – OTAN – New-York ; rapporteur, chef de cabinet, secrétaire, ambassadeur, ce sont des postes phares du pouvoir où il n’a pas manqué de briller. Ce qu’il a recherché toutes sa vie. Ses dîners en ville sont minutieusement préparés en fonction des convives pour éblouir la galerie. Vis-à-vis des puissants du moment, il manœuvre avec habileté pour ne pas subir leur « ombre ». S’il fut fidèle en amitié – le Régent – Spaak – Pierlot – ce fut une fidélité dans « l’ombre » ! Jamais il ne les défendit publiquement de son vivant avant la publication de ses mémoiresIl n’y a pas d’énigme de Staercke, c’est un homme de pouvoir qui connaît sa valeur et a du flair pour la faire valoir en sachant se placer à la bonne place et en y déployant une intelligence de tous les instants. Son érudition bien ciblée fait le reste. Si personne n’est indispensable, comme disent ceux dont on pourrait se dispenser, les Mémoires sur la Régence et la Question Royale sont les plus indispensables écrits sur le sujet. Pour en terminer avec les rapports entre Léopold et Charles, la correspondance entre les deux frères peu avant leur disparition, publiée en fin de volume (p. 363 – 366) est effrayante. Le texte de Léopold III est tout autant idiot dans son analyse que ridicule dans ses accusations. La réponse de Charles sur les conseils de de Staercke est envers et contre tout fraternelle malgré « qu’au moment où vous tendez la main, on vous demande une inconcevable et injuste rétractation de la plus valable période de votre vie » (p. 365). Les deux… faux frères royaux ont parcouru des chemins particulièrement surprenants, ils méritent une étude critique à leur démesure. S’il faut les caricaturer d’un trait, on peut écrire de Léopold qu’il n’a été ni fantasque ni génial à l’encontre de Charles qui a été génial durant sa régence puis fantasque après celle-ci.
Suite Les mémoires d'André de Staercke
P.S. : Les portraits de la deuxième partie du livre auraient dû faire l’objet d’une édition différente.