Histoire du mouvement wallon sous forme synthétique (partielle)

Paru sous le titre :"Un mouvement wallon? Plutôt une société qui se conquiert" pour rendre compte de l' "'Encyclopédie du mouvement wallon "
Toudi mensuel n°41, septembre-octobre 2001

Le troisième tome de l'Encyclopédie du mouvement wallon (EMW) ne déçoit nullement. Cette fois, le mouvement wallon tient son « écrit » sans lequel, selon Hannah Arendt un événement n'a pas vraiment lieu.

L'ouvrage en trois tomes et près de 2000 pages, format Encyclopédie, contient 6000 biographies et une centaine d'articles de fond mais aussi des centaines d'autres articles sur des mouvements, revues, journaux, comités, colloques, journées etc. L'index des noms doit reprend d'ailleurs bien plus de 6.000 noms (sans doute au moins 8.000).

L'intérêt des articles sur des thèmes généraux: Enghien

Il faut se pencher aussi sur les articles généraux comme « Accords Schreurs-Couvreur ». L'auteur de ces lignes l'avoue: l'article « Enghien » du premier tome lui avait échappé. Or il est d'une importance non négligeable et complète celui que TOUDI avait publié en 1988: Fourons: le fond du problème est à Enghien . On sait que lors de la fixation de la frontière linguistique en 1932, un recensement dégagea une majorité de personnes parlant le flamand, ce qui entraînait pour Enghien sa réunion à la Flandre (les lois de 1932 s'exprimaient comme cela: Flandre, Wallonie, Bruxelles). L'émotion fut considérable et les rebondissements de l'affaire très complexes (avec même des marches flamandes sur Enghien), jusqu'à la guerre. Le recensement de 1947 fit tomber le nombre de Flamands d'Enghien à 14%, décision qui n'empêcha pas le Conseil communal de la Ville de garder le bilinguisme des annonces au public. Et qui fait qu'Enghien, tout en faisant partie de la Wallonie, est une commune à facilités.

En 1988, TOUDI, se fondant sur l'ouvrage de Ladrière, Meynaud et Perin La décision politique en Belgique (CRISP, Bruxelles, 1995), montrait le lien entre cette affaire d'Enghien d'avant la 2e guerre mondiale et les Fourons. Lors des discussions du Centre Harmel, préalable au clichage de la frontière linguistique, les délégués wallons acceptèrent la réunion des Fourons à la région de langue néerlandaise, sentant que les Flamands étaient traumatisés par l'affaire d'Enghien où ils avaient « perdu ». C'est le refus des villages qui précipita la crise durant l'année 1962 où l'on vit la majorité des parlementaires wallons s'opposer aux parlementaires flamands ceux-ci l'emportant par leur nombre. Mais ce qu'apporte de neuf l'Encyclopédie, c'est la mention d'autres communes comme Biévène, Flobecq, Eupen elle-même ainsi que quatre des six communes actuelles de l'entité « Fourons » (Teuven Mouland, Fourons-St-Pierre et Remersdael). Ces communes rédigèrent des pétitions refusant de dépendre administrativement de provinces flamandes et de remplir des documents en flamand.

En 1962, l'opposition des Fourons à la Flandre avaient des précédents. Certes,, en tant que wallon ou francophone, il n'y a pas à se plaindre puisque depuis des siècles la frontière linguistique a progressé en faveur des parlers romans, et surtout à Bruxelles. Mais dans le contexte d'une Belgique dominée par la Flandre, certaines situations sont injustes comme les Fourons.

La problématique des recensements linguistiques

En outre, le professeur Lévy montre bien, à l'article « Recensement », que la seule langue qui était prise en compte du côté roman ou wallon ne fut jamais que le français, à l'exclusion du wallon. À plusieurs reprises, en 1910 et 1920, on demanda que le wallon ou d'autres dialectes soient aussi recensés mais cela fut toujours rejeté par les flamands craignant que l'on n'assimile le flamand à un patois. La langue parlée en Flandre fut communément nommée « flamand » , le terme englobant un usage dialectal ou non de cette langue, alors que wallon et français ont toujours été nettement distingués en Wallonie.

De même, ce sont les Flamands qui demandèrent que l'on pose la question de l'emploi de plusieurs langues, considérant, selon Paul Lévy, qu'ils étaient les seuls dans ce cas (allemand, flamand, français). Le premier recensement linguistique eut lieu en 1842, le dernier en 1947. Mais les Wallons rejetèrent celui de 1930, les Flamands celui de 1947, de sorte qu'il y eut consensus pour rejeter le recensement linguistique. Paul Lévy insiste sur le fait qu'il n'y eut pas renvoi du volet linguistique par 183 bourgmestres flamands des communes autour de Bruxelles en 1960 (le recensement linguistique étant déjà supprimé alors), mais refus de remplir des formulaires parce qu'ils étaient bilingues.

La Wallonie ne se définit linguistiquement qu'en second rang, mais la division du pays sur la base des langues est très ancienne, plus ancienne que la Belgique: le fait était connu depuis les Ducs de Bourgogne au moins 1. En outre, comme l'écrivit La décision politique en Belgique dès 1965, le fait de tracer une ligne définitive fixant les territoires de la Flandre et de la Wallonie (ainsi que de Bruxelles et de la petite région de langue allemande), établissaient deux des trois éléments de l'État classique, à savoir la population et le territoire. Mettre en place deux éléments sur trois incite à produire le troisième, le Pouvoir politique correspondant aux deux autres.

Lorsqu'on lit l'EMW, on s'étonne qu'aujourd'hui tant de monde croit que cette transformation du pays est due aux politiciens, la Belgique étant parfois perçue comme plus « neutre » , sa mention plus légitime et moins politique! ( plus « légale »!).

Je suis content que l'on ait repris dans l'EMW mon article « Gouvernement wallon » . Car il me semble établir que les événements de 1950 ont été si graves qu'ils ont mené des responsables à envisager la sécession.

Les divers « Congrès wallons » de 1890 à 1973

Sur les Congrès on a en quelques pages une étude de ces rassemblements commencés en 1890, qui regroupèrent en 1912 un majorité de parlementaires élus en Wallonie 2 . C'est surtout après la Deuxième guerre que l'on vit apparaître un « Congrès national wallon » . Le premier, celui de Liège est le plus connu, (20 et 21 octobre). Il se prononça finalement à l'unanimité pour une forme très confédéraliste de fédéralisme. On estime maintenant que ce Congrès était représentatif. Les Congrès nationaux wallons se tinrent ensuite à Charleroi (1946), Namur (1947), Bruxelles (1948), Liège (1949), Charleroi (1950), Charleroi (1953), Charleroi (1957), Liège (1959). Le Congrès de mars 1950 est important: André Renard y apporte l'adhésion de la FGTB de Liège au mouvement wallon. Si, d'après Paul Delforge, le Congrès de Charleroi en 1953 est un succès, il n'en va pas de même du Congrès de 1957 ni de celui de 1959, le dernier. Mais à la fin de l'années suivante, c'est la grande grève puis la création du MPW. qui va tenir à nouveau des congrès (statutaires), de 1961 à 1973, parallèlement à d'autres comme ceux du Mouvement libéral wallon ou de Rénovation wallonne et alors que le Rassemblement wallon s'implante pour les années 70 dans le paysage politique.

Avant les Congrès de 1945 à 1959, il y eut ceux des années 1890 puis de 1905, 1906, 1912 et 1913 qui préfigurent l'assemblée wallonne d'après la Grande guerre. Plus ou moins parlement officieux, elle se réunit jusqu'en 1940, mais Destrée rompt dès 1923. Ensuite se met en place une Ligue d'action wallonne de Liège qui organise elle aussi des Congrès intéressant tout le pays wallon puis qui est relayée par la Concentration wallonne.

Depuis plus de 110 ans, des Wallons qui mettent sur pied des « Congrès » et qui explicitement ou implicitement se veulent représentatifs de la Wallonie.

Alors que dans d'autres mouvements nationalitaires, ce à quoi l'on vise, ce sont des rassemblements de masse (en Irlande ou en Flandre par exemple).

C'est sur la base de tels rassemblements que Hroch mesure la progression des nationalismes des petites nations selon trois phases A - développement purement culturel, littéraire ou folklorique, sans répercussions au plan politique; B - pionniers et militants de l' « idée nationale » , premiers pas de la campagne politique à l'appui de cette idée; C - les programmes nationalistes obtiennent l'adhésion des masses 3 . Les exemples de Hroch pour l'Irlande: 250.000 personnes au rassemblement du 15 août 1843 sur la colline de Tara puis un million de prévues le 8 octobre suivant mais le gouvernement interdit la réunion. Carpinelli applique cela à la Flandre et estime que l'adhésion des masses flamands au nationalisme a lieu dans l'entre-deux-guerres.

La Wallonie rentre apparemment mal dans ces grilles. Les sondeurs s'en donnent à coeur joie pour montrer que le sentiment d'appartenance wallon est faible quand il est exclusif (10 à 20%), plus fort quand il se combine avec le sentiment belge (50%) 4. À la RTBF, lorsque vous parlez de film « wallon » , on vous rétorque que légalement, c'est « belge » qu'on doit dire, position de Serge Govaert dans des débats à l'université de Mons ou Arguments (la carte d'identité de Jean Louvet mentionne qu'il est belge). En outre, les irrédentistes nient toute culture, toute histoire, toute nation de Wallonie. Et on veut bien concéder, si l'on reprend les Congrès wallons tels que nous les avons énumérés ci-dessus, que le sentiment belge se mêle au sentiment wallon tandis que beaucoup de ces Congrès font apparaître un sentiment francophile, irrédentiste ou réunionniste..

Mais l'histoire de ces congrès est révélatrice d'une progression. Les Congrès wallons sont d'abord (1890 et suivants), des Congrès de défense de la langue française. Les choses changent en 1905 et 1912 où l'autonomie de la Wallonie est prônée avec adoption de symboles nationaux. En 1912 et 1913, la majorité des parlementaires wallons sont présents 5. Une certaine historiographie décrit ces congrès comme limités aux cercles intellectuels. mais la Lettre au Roi de Destrée fut publiée in extenso dans des journaux de grande diffusion à Liège et Charleroi. On peut penser que l'entre-deux-guerres marque le pas pour le mouvement wallon, car il y a un certain ralentissement par rapport à 1912 ou 1913. Mais la rupture avec l'Assemblée wallonne est évidente. En 1945, à Liège, les survivants de cette Assemblée veulent encore être wallons dans une Belgique inchangée, organisant diverses mesures de protection des minorités, ils se font huer. En 1945, la part francophile, irrédentiste et réunioniste atteint un sommet avec 46 % pour la solution de réunion à la France, les deux solutions autonomistes, l'une radicale (indépendance), l'autre modérée (autonomie dans une Confédération), obtiennent le reste des suffrages (53%) et la majorité absolue. la solution de l'autonomie (modérée), fait ensuite l'unanimité. D'autres congrès suivent: 1946, 1947, 1948, 1949 et 1950. En 1950, la lutte contre Léopold III revêt une dimension nationale wallonne évidente même si elle est liée à un combat de la gauche socialiste, communiste et libérale (il n'y a jamais d'événements purs). Ce qui fait songer au meeting irlandais cité par Hroch, c'est non pas que ces événements n'eurent pas lieu mais qu'il fut interdit d'en parler très longtemps.

Et durant les grèves de 1960-1961, le ralliement des masses à l'idée wallonne est évident, ce que confirment: le succès du pétitionnement wallon de 1963, le retour au fédéralisme des socialistes wallons à la fin ces années 60, les victoires du rassemblement wallon dans les années 70 (1971 et 1974), la régionalisation définitive de 1980, embryon d'État wallon, les mobilisations culturelles (Manifeste pour la culture wallonne de 1983, reflet d'une orientation de la culture), la mobilisation sur la sidérurgie (en 1982 notamment), les votes en faveur de José Happart (1984, 1989, 1994), la menace de réunir le Parlement wallon en septembre 1991 pour passer outre une interdiction de vente d'armes par le gouvernement fédéral, la régionalisation partielle de la Communauté française, la prise de pouvoir par Guy Spitaels en Wallonie (1992).

Un bilan du mouvement wallon

On est aujourd'hui dans le désenchantement: l'autonomie a été substantiellement acquise, au-delà des espoirs de 1945. Désenchantement classique d'un mouvement qui a abouti mais avec d'autres raisons:

1) Maintien de l'État belge. Malgré les progrès considérables de l'autonomie en quelque sorte pratique de la Wallonie, l'État belge, même dépouillé, reste un élément central: monarchie, impulsion décisive du gouvernement fédéral pour les impôts, la politique étrangère, les rapports avec l'Europe, les questions éthiques, sentiment national accompagnant « nos » sportifs etc.. Toute réforme même voulue entraîne des désenchantements, le regret de ce qui fut avant. Dans la mesure où l'État belge survit, les nostalgiques de l'ancien système unitaire y trouvent des raisons de refuser l'esprit des réformes. la RTBF selon Jacques Dubois, n'est pas dans l'esprit du fédéralisme pourtant devenu important à la suite de longues procédures démocratiques. Certains, même s'ils se défendent d'être unitaristes, ne voient les réalités qu'à travers des lunettes belgicaine.

2) La Communauté française Gérant essentiellement la culture et l'école, pour les Wallons mais aussi pour les Bruxellois francophones, bien que privée du pouvoir de taxation, cette Communauté, bien que son « parlement » ne soit pas élu directement comme tel, bien qu'elle soit le niveau de pouvoir le moins populaire, freine la progression de la conscience et de la citoyenneté wallonne. Les réalités wallonnes sont encore ignorées dans ses écoles. Sa RTBF investit dans le belge: tennis, foot mémoires bâclées de Léopold III, suscitent des émissions spéciales du journal télévisé. Les événements de la conscience wallonne - l'anniversaire de 1950 en l'an 2000 par exemple - rien.. Tout ce qui relève de la culture, de l'enseignement et des médias, ce par quoi un pays est amené à se nommer, passe nécessairement sous les fourches caudines de la Communauté et de sa raison d'être sociale qui est de regrouper Wallons et Bruxellois francophones. Cette sorte d'État tend à niveler les différences. Comme la seule différence qui lui pose problème est l'identité wallonne, elle est éliminée, Bruxelles étant une ville, n'ayant pas à se faire valoir comme nation dans le cadre d'une Communauté qui ignore les seuls « déviants » de son ressort, les Wallons, mêmes s'ils forment 80 à 90% de cette Communauté. En outre « Communauté française de Belgique » est une manière de se désigner compatible avec l'ancien unitarisme belge et sauvegarde le rôle central d'une Ville comme Bruxelles qui croit et fait croire qu'elle le serait encore.

Même chez les plus radicaux de la confédération belge, ou de la réunion à la France, l'enjeu « Bruxelles » est toujours considéré, « toutes choses restant égales par ailleurs » . On oublie que Bruxelles a perdu 200.000 habitants depuis 1970, que Bruxelles garde son poids parce qu'elle a été la capitale d'un État jacobin puis d'un État qui n'est devenu fédéral au sens fort que dans les années 1990, donc depuis peu de temps. Un État qui a réprimé toutes les tendances centrifuges pendant 171 ans et dont certains ressortissants continuent vivre dans le même esprit, malgré l'échec rencontré.

Une grande partie de la population active se concentre toujours à Bruxelles durant la semaine (100.000 navetteurs wallons, 240.000 Flamands et 200.000 Bruxellois habitants des 19 communes). Ce phénomène en fait le centre maintenu du pays. Il suffit d'écouter le radioguidage de la RTBF le matin pour s'en rendre compte: toute circulation automobile belge semble n'avoir de destination que Bruxelles.

Cette impression en, partie fondée seulement s'explique par le maintien de nombre d'administrations liées à l'État central et la poursuite du rôle simplement symbolique (mais déclinant) de Bruxelles: les médias importants, presque deux universités francophones et d'autres centres universitaires, hautes écoles, Parlement fédéral, Palais royal,, Grands musées, théâtres à quoi s'ajoutent des institutions centrales européennes et les institutions centrales de la Flandre. La Flandre joue un rôle dans le maintien de la centralité bruxelloise. En y installant son Pouvoir, elle continuait à rêver que Bruxelles pourrait être reconquise. Le nationalisme flamand n'est pas identique au nationalisme wallon, notamment pare qu'il dispose de plus de moyens. La Flandre a investi des centaines de millions dans les Fourons et leurs 4.000 habitants; elle a encore bien plus investi à Bruxelles mais la reflamandisation a échoué.

À cet égard, beaucoup de Flamands se sont réveillés. Certains spécialistes de l'aménagement du territoire doutent que les grandes villes flamandes toléreront longtemps que les fonctions politiques de la Flandre soient concentrées en dehors de chez elles. Pour ce qui concerne les institutions européennes, certains pays désireraient obtenir certaines parts du Pouvoir bruxellois.

L'emplacement de Bruxelles la met physiquement à distance de la Wallonie, ce qui engendre une distance sociologique. Une certaine faiblesse du sentiment d'appartenance wallon s'explique par là: les relais ordinaires d'un sentiment d'appartenance (école, médias, culture), lui sont hostiles à la Wallonie. À Bruxelles, pense Jacques Dubois, du fait du petit nombre de ceux qui y produisent quotidiennement l'information à proximité des grands centres décisionnels politiques (sauf Parlement et gouvernement wallons), et culturels se crée « un champ restreint, dense, relativement replié sur lui-même et ayant tendance à surévaluer ce qui se passe dans son orbite aux dépens de ce qui lui est extérieur » 6 Du fait de ces positions, s'entretient « l'image d'une Wallonie ringarde, mi-ruralo-patoisante et mi-métallo-décadente, ne méritant mas l'attention de ceux que fascine le seul chic moderniste « 7.

3) Wallonie en Europe. Plus positivement, la région wallonne fait maintenant partie d'un groupe des sept Région s européennes décrites officiellement dans le cadre européen:

- soit comme Régions « à pouvoir législatif »; soit « constitutionnellement fortes » ; soit « quasi-étatiques » ; soit « souveraines » , ce dernier mot étant de JC Van Cauwenberghe à Barcelone en novembre 2000.

Mais cette dynamique est neuve, différente de la pure et simple « Europe des régions » attractive pour des pays avec difficultés nationales: le Québec qui a rendu visite à la Wallonie en juillet dernier, l'opinion publique en est mal informée, mais il est clair qu'on a là un nouveau moteur de l'affirmation wallonne, différent de tous ceux qui ont précédés.

Peut-on détacher le mouvement wallon de la Wallonie?

On pourrait se poser la question (positivement d'ailleurs!), de la place d'un article comme « Immigration ». Or c'est un des articles les plus riches qui se termine par le rappel de la phrase de conclusion du manifeste pour la culture wallonne: « Sont de Wallonie ceux qui vivent travaillent dans l'espace wallon » . le nationalisme wallon se définit concrètement et dans ses principes comme inclusif et civique. L' immigration a été l'un des thèmes les plus importants de la formation d'une conscience wallonne: de nombreux immigrés sont des militants wallons importante ou exercent des responsabilités de premier plan dans les syndicats par exemple.

Ou de la place d'un article comme « Résistance ». Elle est résistance à l'Occupant et aussi à l'idéologie nazie. Mais le nombre très élevé de militants wallons engagés dans la Résistance militaire ou intellectuelle est tel qu'on pourrait confondre résistance et mouvement wallon. La résistance en Wallonie certes bien plus dense en Wallonie qu'en Flandre l'a probablement été plus aussi qu'en France.

La revendication d'une radio puis d'une télé wallonnes est aussi ancienne que ces médias. Le problème reste entier. La RTBF est la télévision de la Communauté française soi-disant « Wallonie-Bruxelles » , correction qui n'a strictement rien changé ou si peu que pas.

Il y a tout ce qui est en rapport à la langue (langues régionales comme picard, wallon ou gaumais ou la langue française).

Il est aussi question de tout ce qui a secoué la population: démographie, politique étrangère (avant la deuxième guerre mondiale), chrétiens et Wallonie, problèmes économiques, communistes, socialistes, libéraux et Wallonie, l'agriculture de Wallonie, Europe, colonisation... Dans les biographies il y de nombreux écrivains, musiciens, peintres, sculpteurs, chercheurs dont chaque discipline et en rapport à la Wallonie. Certaines biographies sont éloquentes à cet égard. Des gens sont morts pour la Wallonie, beaucoup se sont imposés d'immenses sacrifices. Toutes les classes sociales sont ici représentées et malgré le machisme de jadis et d'aujourd'hui, on trouve de nombreuses femmes, déjà même avant 1914.

D'une certaine façon, tout ce que nous venons de signaler pourrait être jugé comme « ne faisant pas partie » du « Mouvement wallon », le féminisme par exemple ou la culture.

Dans l'article consacré à « Wallonie Écologie » notre ami Donat Carlier croit devoir dire que ce mouvement ne fait pas partie du Mouvement wallon. Ce qui est unique dans les 2000 pages de l'Encyclopédie. S'il fallait suivre cette logique, on devrait pratiquement réduire l'EMW à 100 pages voire même à néant! Car il n'y a jamais rien de « purement » wallon. On peut le vérifier sur n'importe quel article: même « Wallonie libre » pourrait être considéré comme mouvement de résistance avant d'être un mouvement wallon.

Une vision dépassée depuis le Manifeste pour la culture wallonne

Avec la Manifeste pour la culture wallonne dont l'un des promoteurs, Michel Quévit soulignait, lors de sa parution que bien de ses signataires s'avéraient être étrangers au « mouvement wallon » classique, ce que l'on appelle le « Mouvement wallon » opère tout un saut qualitatif (ce texte n'est pas dans cette Encyclopédie qui a dû se tenir à la période définie: 1880- 1980). Ce texte est au-delà même du mouvement wallon. C'est à l'occasion de cette remarque de Donat Carlier que notre conviction s'est approfondie. Rien, en Wallonie, ne peut être étranger à la Wallonie. Il n'y a là rien de totalitaire. Les sociétés modernes sont complexes et tout ce qui est humain a toujours été complexe. Une complexité d'ailleurs rationnelle, sociologique, vérifiable. Rien de Wallonie n'est étranger à la Wallonie. Observation que les thuriféraires du système belge s'évertuent à renverser pour voir « surtout » le mouvement ouvrier dans le MPW, « surtout » la culture universelle chez Jean Louvet, etc.

Par la séparation qu'il opère - fait unique, rappelons-le - entre « Wallonie Écologie » et le mouvement wallon, Donat Carlier pose un geste qui rejoint certaines négations. Il suffit d'entendre les médias pour s'en rendre compte. Si le Gouvernement de Namur, le Parlement de Namur, si les mouvements qui ont explicitement lutté pour l'autonomie de la Wallonie ne peuvent être délestés de leur caractéristique wallonne, il n'en va pas du tout de même du reste. Dans un dialogue avec une journaliste de la RTBF, à la mort de Philippe Léotard, voulant rappeler que cet acteur avait été l'acteur principal du film de Thierry Michel « Hiver '60 » je m'entendis signifier qu'il s'agissait d'un film belge. Quand je rétorquai « wallon » , on m'opposa que, la Wallonie faisant partie de la Belgique, le film était « légalement belge ». Ce n'est pas qu'anecdotique, Serge Govaert dans la controverse qu'il avait provoquée avec Le Monde Diplomatique (où il niait l'existence d'une culture wallonne) fit remarquer par deux fois que Jean Louvet ayant une carte d'identité de belge était belge. De la même manière on accole parfois l'épithète de « wallon » à ceux qui se sont voulus tels explicitement dans leur vie, mais pas aux autres. La RTBF et les médias en général excellent ainsi à confiner la Wallonie à la seule réalité politique voire même la seule réalité administrative (le Tour de la « Région wallonne » est-il une course à travers notre pays, ou est-il organisé par JC Van Cauwenberghe). Mais derrière les mots il y a les choses.

Si Élio Di Rupo propose que les bourgmestres soient choisis parmi ceux qui, dans la majorité formée, ont eu le plus de voix, et cherche à se rendre populaire sur un enjeu wallon, il fait semblant de considérer comme un enjeu belge, alors que cela ne relève que du parlement wallon. Il en arrive même à contredire le Premier Ministre wallon. Il propose que ce soit le Sénat qui accorde éventuellement le droit de vote à tous les étrangers aux élections communales alors que dans ce domaine la Wallonie est compétente. Le même avait déclaré en 1999 qu'il fallait sauver la Wallonie pour sauver la Belgique, indiquant par là que la Wallonie ne peut être un objectif en soi, mais qu'il convient de le subordonner à quelque chose d'autre et de plus important.

Tant que l'on considérera la Wallonie seulement comme une formule administrative et non, du fait de sa culture et son histoire singulières, comme une forme de vie humaine, le voeu du « mouvement wallon » ne sera pas réalisé. Bien que beaucoup p hésitent à appeler la Wallonie nation, c'est cependant le mot qui conviendrait. L'Écosse est considérée comme une nation depuis belle lurette et n'a reconquis (partiellement) l'appareil étatique correspondant que depuis peu. Le terme « nation » correspondrait le mieux à l'ouverture sur le monde - jusqu'à nouvel ordre, l'échelon le plus élevé politiquement des rencontres humaines c'est l'échelon international et non interrégionnal. Le terme nation convient le mieux à ce que démontre l'Encyclopédie du mouvement wallon, à savoir que mouvement wallon est si complexe, si diversifié qu'il embrasse tout le terrain sociétal. Qu'il n'est donc plus seulement le mouvement wallon.

Cette prétention écologiste visant à séparer l'écologie du mouvement wallon, vient de ses prétentions totalisantes: répondre aux problèmes démographiques, politiques, sociaux, environnementaux, voire psychologiques et familiaux (les États-généraux de l'écologie ont abordé tous les sujets). L'écologie a raison d'avoir cette prétention puisqu'elle est politique mais la Wallonie est, aussi politique. Elle relève de cette activité humaine qui fait de l'homme un homme en le faisant citoyen.. Certains peuvent se déclarer « citoyens du monde », mais en prétendant se passer de tout enracinement, ils nient une donnée justement universelle de l'existence humaine, donnée qu'on retrouve partout et chez les déracinés eux-mêmes (qui soufrent de l'absence d'ancrage: Jean Ladrière parlait du « privilège de la langue maternelle » , les écoles d'interprètes savent qu'un garçon ou une fille qui n'a pas de langue première est incapable de maîtriser les langues étrangères).

La Constitution républicaine de l'an I développe une phénoménologie de l'être humain - être français ou habiter la France en y travaillant, en y étant marié, en y possédant quelque chose, en nourrissant un vieillard, en élevant un orphelin - et la qualité de citoyen. Cette équation ne vaut que pour les entités souveraines à la fois juridiquement (l ' « État ») et culturellement ou sociologiquement (la « nation »). Tant que la Wallonie ne sera pas nation, on nous subordonnera à autre chose sans nous demander notre avis et sans que nous puissions choisir les ouvertures dont nous déciderions (formule également proposée par Jacques Dubois), parmi lesquelles s'imposent l'Europe et la Francophonie. C'est seulement comme nation que la Wallonie surmontera son provincialisme et s'arrachera au repli. Ceux qui nous en empêchent savent ce qu'ils font, mais nous pourrions leur demander ce qu'ils prétendent sauvegarder ainsi? Ce n'est pas toujours pour la Belgique! C'est parfois seulement, (pour citer à nouveau Jacques Dubois), pour garder un certain statut social en Belgique que l'ion croit lié à la fréquentation des centres décisionnels les plus importants. Ce qui devient même de plus en plus faux.

L'avenir et le pouvoir sont en Wallonie et ceux qui en doutent à Bruxelles se trompent. Aux démocrates wallons de faire en sorte que ce pouvoir et cet avenir soient meilleurs que le passé belge qui fut souvent d'une terrifiante noirceur et qui reste d'une bêtise plombée, notamment dans la négation du passé wallon comme du passé dynastique et colonial.


  1. 1. Albert Henry, Histoire des mots Wallon et Wallonie, Institut Destrée, Charleroi, 1990, p. 30, notamment.
  2. 2. Voir José Fontaine, L'historiographie erronée du mouvement wallon, in République, n°12, juin 1993. Calcul effectué dans la note 16).
  3. 3. Giovanni Carpinelli, L'idée nationale, ses fondements ses avatars, n° 38-39, TOUDI annuel).
  4. 4. JC Van Cauwenberghe, Oser être wallon, Quorum, Gerpinnes, 1998, pp. 29-44 (article de P. Frognier).
  5. 5. José Fontaine, art. cit.
  6. 6. Jacques Dubois, Réalité wallonne et médias in Oser être wallon, p. 62.
  7. 7. Ibidem, p. 63.