Vers la bipolarisation en Wallonie
Avant de nous pencher à nouveau sur l'évolution du paysage politique wallon, il nous faut aussi rappeler que celle-ci est aussi influencée, ne serait-ce que par la subsistance d'un cadre politique fédéral, par les évolutions que connaissent les paysages politiques bruxellois et wallons. Il faut aussi noter que le mouvement de bipolarisation que nous allons évoquer se retrouve aussi dans d'autres pays européens, les dernières élections législatives françaises étant, ce sens, assez remarquables.
La bipolarisation d'avant la Wallonie autonome
Ainsi donc, par-delà les changements de noms de certains partis politiques, de l'agitation déclenchées par d'éventuelles alliances ou coalitions privilégiées, il n'en demeure pas moins que la vie politique wallonne connaît depuis les années 80 une évolution, une mutation assez profonde. Depuis la création de l'État belge, on pourrait dire que la Wallonie a connu un nombre limité mais étendues dans le temps de périodes politiques, la création en 1885 du Parti Ouvrier Belge (POB) pouvant être considéré comme un événement charnière. Auparavant, sous un régime parlementaire élu au suffrage censitaire, le système politique est bipolaire, d'un coté, le Parti Libéral, de l'autre le Parti Catholique, ces deux partis se disputant les suffrages de quelques dizaines de milliers d'électeurs, les libéraux étant dominants. Le POB, bien que la présence wallonne fut faible lors de son congrès fondateur, aura des mandataires dans certaines communes du sillon industriel avant même l'introduction d'une dose de suffrage universel masculin en 1894-95. A partir de ce moment et jusqu'à ce jour, le POB puis le PS devient le parti dominant en Wallonie, ce qui signifie pas qu'il est majoritaire ou même le premier parti dans toutes les sous-régions de Wallonie. Toutefois, c'est à partir de cette date qu'il consolida et assura sa base électorale, qu'est le contrôle du pouvoir communal, plus précisément du collège des Bourgmestres et Echevins. L'introduction du scrutin proportionnel en 1900, afin d'éviter la disparition du Parti Libéral, ne change en rien le caractère clairement bipolarisé du système politique entre le POB et ses alliés libéraux et le Parti Catholique. Le « pôle » progressiste remportant une nette majorité en suffrages et en sièges de toutes les élections législatives précédant la première guerre mondiale. Le suffrage universel masculin conquis en 1919, va voir le système passer de la bipolarisation à une multipolarisation mais avec un parti dominant qui reste le POB puis le PSB. Cet aspect multipolaire s'explique par le rôle du Parti Libéral qui, durant l'entre-deux-guerres s'allia avec le Parti Catholique représentant alors clairement la droite ou le conservatisme. De 1945 à 1958, les libéraux pencheront à nouveau plutôt pour le PSB, puis effectueront un nouveau virage à droite qui les fera gouverner en priorité avec le PSC et ce jusqu'en 1988. L'aspect multipolaire est renforcé par l'apparition de nouveaux partis qui réussiront à s'implanter de manière plus ou moins longue comme le PC, le RW et ECOLO 1. Ces trois partis qui se voulaient plus « radicaux » que le PS réussirent à entamer sa dominance en Wallonie, mais pas à réellement la mettre en danger.
Composition sociologique du PS et mutations ouvrières
Les changements économiques et sociaux qu'a connu la Wallonie depuis les années 60, en particulier le désormais faible poids des secteurs du charbon, de l'acier, du verre, vont entraîner une nouvelle évolution de la vie politique wallonne vers un nouveau mouvement de bipolarisation, cette évolution étant assez sensible depuis 1988. Les libéraux, essentiellement depuis le retour à la présidence de Louis Michel, se sont recentrés, ce recentrage ayant permis d'aboutir, il y a quelques mois, à la mise en place d'un grand pôle « libéralo-conservateur » sous la forme du Mouvement Réformateur (MR). De son coté, essentiellement depuis l'arrivée à sa tête d'Elio Di Rupo, le PS pose divers jalons en vue de la constitution d'un pôle « progressiste » où il serait l'élément moteur voire l'élément clé. Dès ses origines, le PS fut aussi un parti où étaient présentes, et pas uniquement au niveau de ses dirigeants, la lower middle-class (employés divers, instituteurs, etc.) et la middle middle-class (intellectuels, avocats, etc.). De ce fait, il a pu négocier progressivement l'abandon d'un certain « ouvriérisme » ou radicalité de discours au profit d'un progressisme répondant mieux à son nouvel électorat où dominent les cols blancs. Cette évolution fut accélérée par son effritement électoral constant qui, entre 1987 et 1999, le vit passer de 44% à environ 30% des suffrages wallons. Dans ce contexte de bipolarisation, l'alliance entre PS et PRL en 1999 n'est donc guère surprenante, elle leur permet en effet d'accélérer ce mouvement en marginalisant le PSC.
Le PSC devenu CDH au centre-gauche, les Écolos dans le pôle de gauche
En effet, privé de participation au pouvoir, le PSC devait se repositionner « idéologiquement » sur l'échiquier politique wallon. Une fuite en avant vers la droite, non seulement était périlleuse vu la présence dans ce champ du PRL-FDF-MCC, mais surtout ne correspondait guère aux convictions des ses principaux dirigeants et membres. La transformation du PSC en CDH confirme son passage du centre vers le centre-gauche, il espère ainsi jouer un rôle forcément central dans la constitution de tout pôle progressiste, évitant probablement par là le sort de la défunte DC italienne qui implosa en divers partis rejoignant soit l'Olivier, soit le maison berlusconienne. Reste donc ECOLO, refusant toute bipolarisation qui mettrait en danger son « indépendance » , ce parti, après le psychodrame assez grotesque que fut la démission de son secrétariat fédéral, se retrouve dans une situation délicate. Bien qu'elle fut perceptible depuis longtemps, ECOLO n'a pris aucune réelle initiative pour accompagner ce mouvement de bipolarisation, s'abritant derrière le traditionnel discours du « ni droite, ni gauche, mais différent » . Evidemment, en politique, si l'on ne veut pas subir les événements, il faut les provoquer, c'est ce que, en politique habile, Elio Di Rupo a fait le premier mai dernier.
Il nous semble donc, qu'en bout de course, le mouvement de bipolarisation de la vie politique wallonne ne pourra être arrêté, à l'avenir, il y aura bien d'un coté un pôle voire un parti « libéralo-conservateur » et un pôle « progressiste » . Le premier est déjà quasi constitué avec le MR, dans les prochaines années, c'est l'articulation du pole progressiste qui va être déterminée. Nul doute qu' ECOLO en fera partie, tant pis pour le rejet quasi viscéral du PS existant parmi nombreux de ses membres ou dirigeants, le PS sera dominant au sein ce pôle, mais, ce qui reste incertain à l'heure actuelle, c'est la force de cette dominance.
Le PS ne sera jamais plus aussi dominant qu'avant 1970
Il est fort improbable qu'apparaisse un seul parti progressiste rassemblant PS, CDH et ECOLO, par contre, à l'image de l'Olivier italien, on peut imaginer un rassemblement de divers partis conservant leur existence propre et spécifique. Ainsi en Italie, à coté de l'ex PCI, devenu DS, il y a la Marguerite qui est une confédération de divers partis tels le Parti Démocrate, le Parti Populaire, etc. Le candidat Premier Ministre de l'Olivier lors des dernières élections, Francesco Rutelli, provenait d'ailleurs des rangs de la Marguerite. Dans le cadre wallon, le PS est l'équivalent des DS, son leadership sera assuré si le CDH et ECOLO s'associe à lui de manière séparée. Par contre, sa dominance, en terme de suffrages voire de sièges lors des élections fédérales et régionales à venir, pourrait être mise en danger s'il existait une alliance ou une confédération entre ces deux partis, chose dans l'ordre du possible quand on connaît la forte présence de personnes issues du monde chrétien au sein d'ECOLO. Dans ce contexte, l'appel d'Élio Di Rupo aux Ecolos se comprend évidemment beaucoup mieux car il sait parfaitement que le PS seul n'occupera plus jamais une dominance aussi écrasante de la vie politique wallonne que par le passé. La forme finale du mouvement de bipolarisation dépend donc de l'attitude future d'ECOLO et du CDH, les échéances électorales approchant, ces deux partis devront prendre une initiative, sinon il est probable que le prochain gouvernement wallon sera une coalition PS-MR, ces deux partis pouvant alors renforcer le mouvement de bipolarisation dont ils escomptent être les grands bénéficiaires notamment par le biais d'une réforme électorale tant au niveau régional que communal 2.
- 1. Il faut aussi évidemment évoquer Léon Degrelle et son parti REX, mais celui-ci ne réussit pas à s'implanter durablement dans la vie politique wallonne après un succès relatif en 1936. La même constatation peut être étendue à l'extrême droite populiste actuelle tel le FN qui connut son quart d'heure de célébrité en 1994. AGIR puis le Bloc wallon, le Front Nouveau, le Front Régional Wallon étant électoralement négligeables.
- 2. Pour les élections communales, le changement de mode de scrutin nécessite un vote aux 2/3 du parlement .