Force et paradoxe du sentiment wallon

Toudi mensuel n°49-50, septembre-octobre 2002

Bernadette Bawin, Liliane Voyé, Karel Dobbelaere, Mark Elchardus ont dirigé le livre Belge toujours édité par la De Boeck et la Fondation Roi Baudouin (Bruxelles, 2001). On peut suspecter une partie des commanditaires de cet ouvrage (en 1992, le journal République avait montré que la version française d'un ouvrage semblable (auteurs et éditeur) différait de sa version flamande, certains chiffres de sa version française, peu probants pour l'unitarisme belge, ayant été supprimés alors que sa version flamande les avait repris sans problèmes). Mais ce livre est instructif (la leçon donnée en 92 nous semble avoir été retenue). R.Doutrelepont, Jaak Billiet et M.Vandenkeere y écrivent le dernier chapitre intitulé Profils identitaires en Belgique.

Un enracinement très profond et vérifiable

À une question ouverte (il n'y a pas de choix à faire entre un éventail de réponses pré-données), sur le sentiment d'appartenance primordial, beaucoup répondent autre chose que les appartenances « géopolitiques » (Belgique, Wallonie, Europe, monde entier). Cette question ouverte est « Parmi tous les groupes auxquels vous appartenez, quel est celui qui a le plus d'importance pour vous? » Certaines personnes n'accordent aucune prééminence à un groupe ou même ne citent aucun groupe d'appartenance même pas l'Europe ou « le monde entier ». Attitude fréquente chez les personnes qui ont une instruction supérieure et attitude très fréquente aussi, surtout chez les électeurs écolos, mais pas tous.

Une autre question (fermée) est posée comme suit « Vous arrive-t-il de vous sentir ...Belge, Wallon, Flamand jamais, rarement, de temps en temps, souvent, très souvent, toujours ? » 44,6 % des Wallons répondent « tout le temps » 1 et « très souvent » wallon et 44,2 % des Flamands flamand. On peut répondre pour d'autres niveaux et la réponse « Belge » (« Belge très souvent ou toujours ») correspond à 43,9% chez les Wallons et 35% chez les Flamands. Il y aurait égalité du sentiment wallon et belge...

Pour ce qui est de l'appartenance « forte », 38,9 % des Wallons se sentent « fortement » wallons et 39,8% fortement belges. Pour les Flamands il y a 48,9% de « fortement flamands » et 28% de « fortement belges » . Les Flamands se sentiraient plus fortement flamands, mais pas dans des proportions écrasantes par rapport aux Wallons. En Wallonie - mais seulement là - il n'y a pas beaucoup de différences entre les sentiments d'appartenance chez les personnes d'origine étrangère ou d'origine wallonne. La conclusion la plus significative des auteurs est celle-ci:

« Aussi bien en Wallonie qu'en Flandre ou à Bruxelles, les identités géopolitiques de la majorité de la population ne sont pas en concurrence mais complémentaires. Pour le dire en d'autres mots et de façon plus imagée, plus un Wallon se sent wallon plus il se sent aussi belge, francophone et de sa commune. De même et de façon plus étonnante peut-être, plus un Flamand se sent flamand plus il se sent également néerlandophone, belge, de sa commune etc. »

De nombreuses autres enquêtes depuis une quinzaine d'années le confirment ces résultats (et notamment les enquêtes du CLEO de 1989 à 1997: la revue annuelle TOUDI n° 4 a publié les deux premières). Le système politique fédéral actuel correspondrait donc à des sentiments très enracinés.

Des nuances à apporter

1) Cette corrélation entre sentiment belge, wallon (ou flamand), communal est plus forte en Wallonie (27%) qu'en Flandre (22%); 2) Le fait de se sentir belge n'empêche pas qu'on veuille des choses différentes: il suffit d'observer les résultats des élections, les attitudes vis-à-vis des étrangers, de la régionalisation de la Sécu. etc.; 3) Toutes ces enquêtes ne posent pas la question de la réunion à la France Mais la force du sentiment wallon n'en serait pas démentie.

Le sentiment que la mise en place d'une Wallonie autonome (d'une Flandre etc.) relève de la « politique » (et pas « des gens »), peut se fonder sur le fait qu'à la question ouverte sur les sentiments d'appartenance qui comptent, on répond d'abord des choses comme sa famille, son quartier, tel ou tel groupe d'amis, donc une réponse peu politique. N'en irait-il pas de même ailleurs?

Il y a une comparaison (réellement possible) entre des sondages sur les sentiments d'appartenance concurrents au Québec, en Écosse, en Catalogne et en Wallonie. Le Québec et l'Écosse se rapprochent en ce qui concerne la préférence donnée au sentiment québécois et écossais qui écrase tout, la Wallonie et la Catalogne se ressemblent en ce qu'il y a une égalité entre les sentiments d'appartenance à la Belgique et à la Wallonie ou à l'Espagne et la Catalogne 2 Mais au Québec et en Écosse, il y a des forces politiques importantes qui prônent l'indépendance. Alors que, en Catalogne, en Wallonie (mais aussi en Flandre), l'objectif d'une indépendance totale et immédiate n'est pas mise en avant par une force politique qui compte.

En Wallonie, l'indépendantisme progressif semble la bonne option: c'est celle de cette revue. Dans la réalité non des sentiments mais de l'histoire - parfois sous la poussée flamande, parfois sous la poussée wallonne au cours des cent ans écoulés - l'État belge se vide d'ailleurs peu à peu de ses compétences du côté de l'Europe et du côté de la Flandre et de la Wallonie.


  1. 1. Pour ceci qui peut étonner voir Un mariage chez les prisonniers de guerre wallons en 1940-1955
  2. 2. Chiffres à la fin du livre de Stéphane Paquin, La revanche des petites nations, vlb, Montréal, 2001 et dans JC Van Cauwenberghe, Oser être wallon, Quorum, Ottignies, 1998 (article d'AP Frognier).