Un témoignage wallon sur les bombardements de villes allemandes

Toudi mensuel n°54-55, avril-mai 2003

Les Allemands qui à Coventry inaugurèrent l'emploi de vagues d'avions déversant des tonnes de bombes, au début de 1941. Mais les Américains perfectionnèrent la technique envoyant en une seule fois 800 avions porteurs d'engins de cinq à dix tonnes. Ces bombardements aveugles furent meurtriers : à Berlin en mai 1944, 50.000 victimes, à Dresde en février 1945, 200.000 et 300.000 après les explosions atomiques au Japon. La barbarie d'Adolphe Hitler nous a fait trop facilement accepter ces crimes. Fallait-il imposer à l'Irak les souffrances endurées lors des deux guerres du Golfe ? Bombardements moins meurtriers que ceux imposés à l'Allemagne ?

On comprend peut-être mieux, en n'oubliant pas plus ces crimes que ceux du nazisme, l'attitude allemande face à la guerre d'Irak. Et même au-delà, l'attitude des Européens du continent qui savent depuis bien plus longtemps que le 11 septembre 2001, ce que c'est que d'être bombardé: Guernica, Amsterdam, Hanovre, Dresde. Et les Chinois, les Japonais, les bombardés d'Algérie, d'Égypte, de Russie, les massacres de l'Afrique, notamment par Léopold II dont Jean Stengers dit qu'ils furent les plus féroces après les Espagnols en Amérique du Sud...

Dans ce texte inédit, notre ami Eugène Brognet qui comme tous les soldats wallons fut maintenu prisonnier en Allemagne, insoumis de bout en bout, antinazi sans condition, évolue peu à peu vers la sympathie à l'égard du peuple allemand. Au point d'avoir été invité en Allemagne lors du 50e anniversaire du bombardement de Dresde en raison des services que, libéré, il rendit à la population locale. Sa connaissance parfaite de l'allemand l'aida à organiser les secours. Il se met en scène dans ce récit en s'appelant Stéphane et écrit sur ces bombardements opérés au phosphore dès 1943 à Hanovre, alors qu'il est encore prisonnier de guerre:

« Lors des premiers bombardements, qualifiés de « terrorangriffe » par la presse allemande, des tracts furent répandus sur le Reich par l'aviation alliée. Il semblait donc que Hanovre serait la première d'une longue série (...) Le 8 octobre 1943, la RAF [commença le bombardement de Hanovre] Voici l'enfer ! C'est le diable déchaîné ! Der teufel loos ! En un mot, l'anéantissement de centaines de maisons. En quelques secondes, de nombreuses vies humaines se consument. Et cela dure des heures. Après chaque tapis de bombes, les survivants s'étonnent d'avoir échappé au cataclysme. La seule question qu'ils se posent est de savoir s'ils vont avoir mal. Que dire des victimes, aspergées de phosphore, qui hurlent interminablement avant de connaître, enfin, la mort ? Il est impossible de leur porter secours.

Les bombes ont réduit au silence les sirènes chargées d'annoncer la fin du danger. Stéphane et ses compagnons sortent peu à peu, des tranchées qui les abritent. Dehors, un ouragan de fumée suffocante, porteur de matériaux enflammés, attise l'incendie qui dévore la ville. Hanovre gémit, craque, ronfle tel un gigantesque brasier. De temps à autre, une trouée dévoile des flammes montant à des hauteurs incroyables.

Les sapeurs pompiers venus des villes environnantes sont bloqués à l'entrée de Hanovre. Il en sort des groupes de gens au visage noirci, le mouchoir sur la bouche . En passant, ils crient :

- Hannover brändt wie die höle...

Deux jours plus tard, les camions viendront chercher les prisonniers pour le déblaiement. En attendant, il a fallu restaurer le kommando en partie détruit.

D'autres prisonniers, dont ceux de Hannomag, trouvent refuge dans la salle plus ou moins retapée où loge Stéphane. Tout le monde occupe l'espace restreint qu'occupaient les premiers venus. Les lits sont remplacés par de la paille jetée à même le sol. Bientôt les rats viendront la nuit tenir compagnie aux dormeurs. Ils arrachent parfois un morceau de peau à celui qui s'éveille en les bousculant.

Le 10 octobre, soit deux jours après la « Terror Angrift », les prisonniers sont embarqués dans des remorques ? Ils vont travailler au komando « Churchill ».

La ville brûle toujours. Sous la fumée corrosive, des ruines s'échappe une chaleur de fournaise. Partout, on trouve des tas de décombres. Les traces noires des projections de phosphore marquent les murs de façades des maisons incendiées. Çà et là des pans de murs rongés par le feu s 'écroulent. Dans les ruines des bombes à retardement poursuivent leur travail de mort.

Le 8 octobre, les rayons du soleil faisaient encore briller les ors de la coupole de l'Hôtel de Ville. Une ville dont le souverains furent d'origine britannique jusqu'en 1917. Le fait donna à espérer que les bombardiers anglais épargneraient Hanovre. Aujourd'hui cet espoir se présente sous forme de ruine. Les silhouettes des maisons calcinées dessinent d'immenses croix sur le ciel meurtrier ( ...) Bientôt la neige recouvre les moignons de la ville mutilée. Alors, le froid s'ajoute à la détresse de tous ceux qui sont obligés d'y séjourner. »

(Eugène Brognet, L'étoile blanche, manuscrit inédit, Soignies, mars 1996, pp 79-82)