Repli: affirmation d'identité émise à plus de 20 kilomètres de la capitale
Exemple: le «repli» wallon. La province relève-t-elle la tête face à la capitale, la Région décide-t-elle d'affirmer son destin qu'elle est aussitôt assimilée à la vague refluante, à la troupe en déroute, à l'animal apeuré: c'est le repli.
Ce repli, loin de la chaleur bienfaisante de la capitale, est nécessairement frileux, car le salut est autour du feu de camp national. Alentour, c'est la nuit, l'inconnu, les bêtes malfaisantes qui rôdent, l'étranger!
D'où l'importance de la situation géographique d'une capitale sur la psychologie du peuple: la capitale doit être au milieu, car le milieu est réputé juste; il est le contrepoids des forces centrifuges, le lieu magique où les contraires s'annulent, où convergent les points de force; il est le noeud, l'axe, le moyeu, le centre, le foyer d'où émane toute vie; il est l'âtre national, le foyer d'où émane toute vie; il est l'âtre national où tout citoyen peut venir se réchauffer des frilosités régionales. Or, l'âtre n'est ni au grenier ni à la cave, ni au nord ni au sud, il est au centre. S'éloigner du centre magique se «replier», c'est courir l'aventure, aller au devant de graves dangers.
Deux corollaires découlent de ce constat:
1. Le repli s'accentue à proportion de l'éloignement du centre (le repli liégeois est plus replié que le repli wallon);
2. Bruxelles ne peut se replier.
Bruxelles l'irrépliable, a donc bien de la chance d'être au «centre du pays». Washington, elle, a beau se grimer de noir, elle passera toujours pour une ville de la côte est, snobée par les gens du sud et de l'ouest. Le cas américain n'est pas le plus grave. Qui dira jamais le chagrin des capitales des bords de mer repoussées aux confins du pays par un centre désertique ou une arrière-pays inconfortable: elles semblent tourner le dos à leur peuple. Si Madrid force le respect sur son plateau aride, si Rome fut assez sage pour fuir les ardeurs délétères de la côte, si Berlin, la Prussienne, repositionne l'Allemagne vers son nouveau centre de gravité oriental (Bonn faisait terriblement plouc les pieds dans le Rhin), Vienne, par contre, a l'air tout égarée dans son coin d'Autriche sans Hongrie, Kinshasa semble n'attendre qu'une occasion pour passer de l'autre côté du fleuve, Copenhague est bien seule sur son île et Londres, ma foi, redevient de plus en plus la capitale de l'Angleterre ce qui est bien peu de chose somme toute. Il est certain que dans les salons de Hampstead Heath et de Saint John's Wood on doit parler de repli gallois et de frilosité écossaise.
La Flandre, nation en quête d'État, a choisi comme capitale une ville complètement excentrique, une ville qui n'est même pas située sur son territoire et où le «flamandais» n'est pratiqué que par environ 15% des habitants: Bruxelles.
Aveuglement fatal! Le souci d'une reconnaissance internationale et le désir jamais assouvi de faire la nique à ce qui parle français ont présidé à ce choix absurde. Ce choix, qui tient de l'orgueil froissé et du pied-de-nez, est celui de la revanche. Bruxelles peut être la capitale de la Belgique et de l'Europe, car elle est le lieu où les contraires s'attirent et se repoussent; Bruxelles ne peut pas être la capitale de la Flandre, car il est simplement trop tard.
Que dit notre boule de cristal? Quand la Belgique en sera réduite à Dix-Neuf communes étonnées, l'Europe restera fidèle; elle invitera les unitaristes à l'accepter comme capitale; elle priera aussi la Flandre d'être raisonnable, c'est-à-dire de vider les lieux et de se choisir une belle capitale historique sur son propre territoire.
Je propose Gand.
La ville-matrice de la Flandre c'est Gand (Anvers est trop excentrique pour faire une capitale raisonnable). Le choix de Gand eut été plus judicieux que Bruxelles, plus conforme à l'histoire et à l'identité flamandes. Choisir Gand, c'eut été opter pour l'affirmation paisible d'une identité évidente parce que séculaire, parce que trempée dans le sang et les larmes. C'était sans doute trop demander à des Flamands revanchards et bornés.
En désignant Bruxelles comme capitale, la Flandre a choisi une capitale-bastion, a choisi le combat. Elle a oublié qu'on n'est jamais chez soi dans un camp retranché, qu'on ne vit pas en paix sur un créneau assiégé.
En désignant Bruxelles comme capitale, la Flandre a choisi le repli sur un passé à jamais révolu. Comme la vague se jette sur la côte rocheuse en prétendant la dévorer, la Flandre se jette avec panache et inconscience sur son passé (la Grande Flandre, d'Anvers à Boulogne-sur-mer!)... et s'y fracasse. Le Bruxelles des Flamands, c'est le village d'Astérix installé dans le camp romain de Pëtibonum. Un Astérix ans Obélix (mais avec une idée fixe): un Astérix querelleur, sans humour, complexé par sa petite taille et, faut-il le préciser, sans potion magique.
Bruxelles est le dernier endroit des Gaules où le combat contre les Romains n'est pas encore achevé.
Extrait de Petit glossaire de la sous-France, talus d'approche, 7060 Soignies (BP 36, M.Bourdain)