Vive la République !

Toudi mensuel n°72, septembre-octobre 2006

Béatrice Delvaux dans Le Soir du 6 septembre 2006 a pris position pour une monarchie honorifique (et ce n’est pas neuf que ce journal s’exprime en ce sens). Le problème en politique, c’est quand on dit les choses et dans un certain sens. Que la monarchie ait été conçue comme purement honorifique, c’est bien cela qu’envisageait le Congrès national de 1830-1831 et la bourgeoisie francophone belge. Mais elle a été rapidement dépassée par Léopold Ier et la bourgeoisie financière très vite hégémonique qui a richement doté le Roi en en faisant le top-manager (extraordinairement bien rétribué), du Royaume naissant1. Le soir même, l’émission Questions à la Une, se retranchant prudemment derrière l’avis des seuls Flamands – quand on attaque le roi, mieux vaut prendre ses précautions - en remettait une couche. On a le sentiment que cette fois, pour la monarchie, c’est le commencement de la fin.

La monarchie belge fut plus que constitutionnelle

La monarchie s’est donc hissée à un niveau de pouvoir qui en a longtemps fait la pièce centrale, politiquement parlé du système belge2. Sans cela, la question royale n’aurait pas à ce point déchiré le pays en 1940-1950. Les coups que le pays wallon a portés à la monarchie à ce moment-là ont été vraiment décisifs. On devrait savoir que si Baudouin Ier n’a pas débarqué le Gouvernement de Gaston Eyskens durant l’été « congolais » de 1960, c’est parce que Théo Lefèvre a rappelé durement à Baudouin Ier ce qu’avait eu comme conséquences l’entêtement de son père à s’opposer à divers gouvernements. « Puis-je supplier le Roi de se faire redire comment la crise de la Monarchie, qui s’est terminée aussi douloureusement en 1950, a débuté dans les années 1930. », écrit-il.3 Le lendemain de cette lettre datée du 4 août, le Roi fait pression malgré tout sur Eyskens qui demande conseil à Hubert Pierlot qui lui conseille de « résister »4 . Finalement, le Gouvernement accepte de démissionner parce qu’ « il n’a plus la confiance du roi »5, ce qui nous semble assez étranger à l’esprit d’une monarchie constitutionnelle (la confiance que le Gouvernement doit requérir est celle du Parlement). Mais il ne veut pas non plus du Gouvernement que Baudouin Ier (ou son père ?), veut mettre en place : un gouvernement d’affaires avec Spaak et Van Zeeland.

Or, il est important de voir que la monarchie de l’époque – celle de Baudouin 1er justement – était déjà jugée en quelque sorte ornementale : un ouvrage aussi fondamental que La décision politique en Belgique qui date de 1965 l’écrit (le rôle du roi n’est que « formel »). Mais ce livre l’écrit en sachant que ce n’est pas vrai, que le roi demeure une pièce qui compte. Le fait que l’on dise aujourd’hui que l‘on va mettre sur pied une monarchie seulement honorifique et qu’on l’affirme sans y mettre aucune forme, signifie que tout a changé. On va d’ailleurs sans doute supprimer le dernier rôle politique clair qui semble rester au roi, à savoir son influence dans la formation des gouvernements, cette fonction pouvant être assumée par une personnalité qui pourrait être désignée en fonction de certaines règles comme c’est le cas au Danemark, où il s’agit d’un secrétaire d’Etat sui generis désigné par le Parlement6.

Le roi atteint dans son pouvoir réel et symbolique

Au total, au cœur de ce processus, c’est tant la réalité du pouvoir du roi que son prestige qui sont atteints, tant son pouvoir réel que son pouvoir symbolique. Il aurait été déjà un peu difficile d’imaginer, toutes choses restant égales par ailleurs, que quelqu’un comme le Prince Philippe qui n’apparaît pas comme très malin, contribuerait à faire l’unité du pays. Mais en plus, il parle tellement mal le néerlandais (et le français ?), que cela devient difficile de croire qu’il n’est ni wallon (ou francophone), ni flamand : la monarchie sera donc abaissée dans le texte constitutionnel lui-même et elle a perdu un autre pan plus informel de sa légitimité, car elle est identifiée clairement comme non neutre.

Tiédeur des dirigeants wallons

Jusqu’où les politiciens wallons continueront-ils à révérer ce symbole jamais très favorable à la Wallonie (la monarchie a toujours su que sa principale garantie – jadis ! -, c’était le conservatisme catholique flamand) ? Jusques à quand, ces Wallons qui nous dirigent vont-ils révérer un système royal qui n’a certes jamais servi à rien à la Wallonie sur le plan économique, mais dont on chercherait en vain la moindre trace d’inquiétude publique sur le sujet ? Ni la moindre trace de rappel de l’équité qui aurait dû présider à la gouverne du pays dans les années 60 et 70 par exemple, quand la Wallonie roulait à l’abîme ? Cette monarchie qui est même contre la mentalité de cette société marquée par son orientation laïque et socialiste ?

Ils nous prennent pour des simplets

L’éditorial de Béatrice Delvaux dans Le Soir du 6 septembre a un aspect qui a peut-être échappé à son auteur (ou bien elle l’a machiavéliquement mis en avant ?). Elle écrit en effet que le problème essentiel pour le pays c’est de savoir s’il doit rester uni ou non, pas de savoir s’il doit avoir un roi ou non. Elle poursuit : « Dans une telle configuration politique, et face à un peuple qui tient émotionnellement et affectivement à sa monarchie, le rôle des rois des belges est évident à définir : il doit être réduit au minimum tout simplement. Le système idéal et le plus pérenne pour empêcher les contestations et éviter d’en rajouter aux divisions déjà présentes en Belgique, est ce qu’il est de coutume d’appeler la monarchie protocolaire. » C’est curieux parce que, d’habitude, la monarchie est représentée comme ce qui fait l’unité du pays. Somme toute, ici, on considère (non sans raisons), que la monarchie crée des divisions, et donc défait l’unité du pays. Notons par parenthèse que la monarchie a souvent, effectivement, défait l’unité. Or, il existe maints auteurs (André Molitor, Pierre Wigny par exemple), qui veulent bien admettre que le système républicain est ce qui convient le mieux à la démocratie, mais qui font valoir qu’en Belgique une monarchie est nécessaire en raison de la dualité nationale du pays. Mais, aujourd’hui, non seulement on admet que le roi ne fait plus l’unité, mais qu’en plus il relève de l’une de ces dualités : c’est un francophone nous disent les Flamands.

Alors pourquoi garde-t-on le roi ? Parce que le peuple y tient émotionnellement ! Ce peuple qui peut justement réagir contre le roi s’il garde un rôle politique alors qu’un rôle politique (dit à juste titre Béatrice Delvaux), « c’est l’affaire des élus, qui peuvent, eux, être sanctionnés ou plébiscités à chaque scrutin. » Mais ce roi en quelque sorte neutralisé, présent là pour l’affectivité et l’émotion, ce serait un peu celui que proposaient nos amis Wynants et Hachez7, un roi qui selon Théo Hachez ne servirait plus qu’à « emballer les foules et les couques de Dinant »8. Un roi dont Béatrice Delvaux dépeint le destin comme « tragique », car, exposé constamment au contrôle public, comme n’importe quel homme politique, il n’a cependant rien à dire. C’est même, ajoute-t-elle, un fardeau, qu’il serait légitime de refuser. Mais elle le dit pour le roi.

Et le peuple ? Ce qui est quand même ennuyeux, c’est qu’on veuille bien considérer le « peuple » comme la collectivité des citoyens quand on aperçoit le danger qu’il y a à ce que le roi garde un vrai pouvoir politique. Mais par ailleurs, on l’envisage aussi comme pure affectivité ou « émotionalité », pour ce qui est de son désir de roi. Et une pure affectivité d’enfant gâté infligeant au malheureux roi un « destin tragique » qu’il doit bien assumer à la façon des clowns tristes. Ainsi même, on met, comme je l’ai déjà écrit souvent, le peuple et le roi en abîme : après 1950 il est impossible de savoir ce que le peuple (belge), pense, car les Wallons et les Flamands se divisant souvent, il est impossible de les consulter par voie référendaire, le secret du « peuple » renvoyant donc ainsi au secret dans lequel le roi (non honorifique), exerce son pouvoir9.

La proposition de Béatrice Delvaux et Théo Hachez, c’est une autre mise en abîme qui va du roi pot de fleur au peuple immature, non citoyen, demandeur d’ « emballement » comme les « couques de Dinant ». Une mise en abîme qui va d’un destin « tragique » (le roi réduit à un pot de fleur, pour des raisons générales, mais aussi parce que finalement un peu bébête, c’est cela la raison en partie), au destin d’un peuple finalement bête aussi. Surtout les Wallons qui sont des électeurs élisant des « branquignols… » et qui contraignent ainsi le pauvre Philippe à un « destin tragique ». Mais à qui est tout de même épargné le destin des chômeurs de Wallonie, ce chômage provoqué par l’injuste répartition des forces dans ce pays et la faiblesse à la Résistance de nos dirigeants « wallons » actuels (qui parfois n’assument la direction de la Wallonie qu’avec des pieds de plomb, autre destin tragique ?).

La République, ce serait plus clair, plus mature, plus citoyen et la Wallonie y gagnerait, mais pas elle seulement. Nos dirigeants ne s’intéressent-ils vraiment plus qu’aux « vrais problèmes des gens », fuyant comme la peste la citoyenneté de ceux qu’ils appellent des « gens ». Et à qui ils pensent – avec trop d’intellectuels – qu’ils ont vraiment besoin encore, en 2006, d’un fantoche.

On aurait besoin d’avoir des chefs qui nous estiment, pas de gens qui semblent honteux d’être des hommes politiques.

  1. 1. Francis Biesmans, Comment Léopold Ier vit sa fortune faire des petits in Les faces cachées de la Dynastie belge, TOUDI spécial, n° 42-43, janvier 2001.
  2. 2. Jean Stengers, L'Action du Roi en Belgique depuis 1831, Duculot, Gembloux, 1992
  3. 3. Luc De Vos, Emmanuel Gérard, Jules Gérard-Libois, Philippe Raxhon, Les secrets de l’affaire Lumumba, Racine, Bruxelles, 2005, p. 532.
  4. 4. Ibidem, p.533.
  5. 5. Ibidem, p.537.
  6. 6. Raymond Fusillier, Les monarchies parlementaires en Europe, EO, Paris, 1960.
  7. 7. Dans le numéro de mars-avril 2002 que nous avions mis fortement en cause dans TOUDI, juin 2002 en raison de l’inculture historique de Wynants et du mépris des gens ordinaires qu’il y manifestait.
  8. 8. Or une couque de Dinant ne doit pas être emballée, elle ne devient mangeable que grâce à l’humidité de l’air ambiant.
  9. 9. Mise en abîme de la Belgique et de la monarchie, in Le Citoyen déclassé, in Contradictions, n° 77, pp. 123-136.