Une galerie d'art en Ardenne et une revue d'art

Toudi mensuel n°24, janvier 2000

Balthus, Bellmer, Picasso, c'est l'exposition actuellement présentée à la galerie La Louve à Louftémont-Léglise, entre Arlon et Neufchâteau, au mitan de la forêt d'Anlier. Celle-ci fait suite à une exposition consacrée à Bram Bogart! Quelle mouche nous a piqués pour fonder une société-galerie-d'art dont le but est de montrer et de vendre dans un bled, des artistes cotés internationalement et archi-connus?

Et pourquoi pas? Les autoroutes se trouvent à proximité; Neufchâteau est à une heure quinze minutes de Liège; une heure de Namur; quarante-cinq minutes de Luxembourg; une heure de Metz; une heure trente minutes de Bruxelles et quarante minutes de Sedan, deux heures de Reims! L'Europe n'est pas seulement un slogan fabriqué pour nous faire avaler toutes les couleuvres, boeuf aux hormones et liberté des marchés... c'est, depuis la préhistoire, mais oui!, une réalité que les hommes ont inventée avec leur tête et... leurs pieds, par nécessité et par curiosité de l'ailleurs. En outre, dans ce domaine des galeries d'art, la Wallonie est à la traîne d'autres régions - j'oubliais Trêves qui est à une heure de route; et à cette heure, tout le monde voyage, loisirs aidant comme vous le savez, et ma foi!, découvrir notre lieu, cette splendide forêt d'Anlier, ce n'est pas plus mal que de se taper les fesses sur un banc du Sablon à Bruxelles (il n'y en a plus) et de se payer un café à cent cinquante balles!

Et puis quoi, pourquoi ne pas ouvrir le public à l'Art moderne, de 1900 à 1970, avant l'Art contemporain? Le Cubisme du début du siècle n'a pas encore été digéré par la mentalité et Bram Bogart, un classique vivant par exemple, est considéré par certains élites culturelles d'ici - quand elles le connaissent - comme un peintre d'avant-garde! En effet, si cette galerie fut fondée en vue de commerce par des loups (de Louftémont) - faut bien payer l'investissement qui n'est pas léger - son but est aussi didactique: voir ici, de visu, un vrai Picasso, un vrai Balthus, un vrai Bellmer, et comprendre que l'Art avec un grand A , comme la Littérature avec un grand L, n'est pas un domaine réservé à certains lieux, à une certaine classe.

Certes, pour le galeriste, c'est dur Arthur, de dénicher des oeuvres pareilles et surtout de pouvoir les exposer, mais quel défi! D'autres ont les tripes qui se nouent... la jalousie, ça existe en Wallonie! Les artistes du coin que nous attendions en premier nous boudent alors que nous présentons aussi des artistes vivants de la Grande Région tels Daniel Seret de Durbuy; Serge Poliart du Centre; Michel Ciparisse de Namur; les photographes Patrice Gallet d'Orval et Daniel Michiels de Bérismenil/Laroche; et des «étrangers», le styliste en meubles Olivier Cindroz de Lausanne, le peintre et sculpteur Philippe Aini de Bordeaux mais habitant Evreux dans l'Eure.

Nous fonctionnons sans subsides, la foi chevillée au coeur et les dettes au cul, convaincus que notre politique du rare et de la qualité incontestable, ici, dans ce bout de Wallonie forestière finira par attirer, non pas les foules, y a des mariages princiers pour ça!, mais les curieux, les amateurs... C'est déjà un peu le cas, ceci dit sans forfanterie. L'Art part en campagne! a titré Le Soir, à notre propos. Beaucoup d'artistes ne vivent-ils pas retirés? Rimbaud, notre cousin ardennais, habitait Roche, un patelin perdu près de Charleville. L'information culturelle innerve chaque mini-région... Que la culture leur donne confiance en elles, en éveillant leur curiosité, en leur donnant le goût du beau et l'appétit de créer. Rien d'autre.

Guy Denis, écrivain et galeriste

La galerie édite une revue d'art Les feuillets de la Louve qui en est son quatrième numéro. Cette revue traite du marché de l'art et conduit depuis son premier numéro une initiation à l'art moderne et contemporain de manière très didactique et claire; elle présente aussi chaque exposition de la galerie, chaque artiste et le programme des expositions futures (450 FB/l'an).

À ce propos, je ne voudrais pas manquer d'attirer l'attention sur le premier artiste régional présenté par la galerie, Daniel Seret qui expose présentement Au Romain, 19, Ninane à 6941 Heyd (Durbuy) des oeuvres étranges sous la non moins étrange appellation Le Spetin, terme wallon propre à la Famenne qui désigne «une chose» informe qui enveloppe et emporte les enfants méchants. Seret s'attelle depuis des années à lier création artistique et action socioculturelle liée à la peinture. Son style construit de fluidités très colorées, est à ranger dans la lignée de Van Velde. Il a présenté à La Louve une exposition intitulée Mise en boîte, dont un grand coffret contenant dix oeuvres relatant l'histoire du monde...