Quand Paul-Henry Gendebien s'adresse à la Flandre

Toudi mensuel n°72, septembre-octobre 2006

Introduction de TOUDI. Pendant toute l'année scolaire 2005-2006, la classe politique wallonne a été, de Francorchamps à Charleroi, clouée au pilori, via des médias de plus en plus DHisés et qui seraient – paraît-il - aux ordres du PS... Soit. En certains cas, elle le méritait, ne serait-ce que par sa manière de communiquer.

Le problème, c'est qu'à un moment donné, on ne fait plus guère de différence, dans cette mise en cause, entre la classe politique et la Wallonie ou les Wallons eux-mêmes. Si, en effet, Charleroi et la Wallonie sont des sociétés civiles qui ont perdu toute autonomie à l'égard du politique et du PS en particulier, on ne voit plus ce que la Wallonie et les Wallons auraient encore à dire de significatif à quiconque. C'est ainsi que l'on cherche à nous disqualifier. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des Bruxellois, avec qui nous désirions sincèrement échanger, mais qui estimaient que notre disqualification était justifiée.

Ils approuvaient en gros les propos que nous allons lire et dont l'auteur se dit sur la même longueur d'onde que les critiques émises en Flandre (et à Bruxelles ajouterions-nous: le texte est paru sous la forme d'interview dans KNACK, 8 juin 2006).

Le PS n’est pas le remède mais le Mal

Les socialistes wallons ont kidnappé le fédéralisme et en ont abusé, uniquement pour renforcer leur propre pouvoir ».

Paul-Henry Gendebien, intellectuel de premier plan au sein du Mouvement wallon et président du Rassemblement Wallonie France (RWF), un petit parti politique qui préconise le rattachement de la Wallonie et de Bruxelles à la France, porte un jugement sévère sur le socialisme wallon.

Comme il sied à l'un des descendants de l'une des grandes familles de politciens de notre pays, l’ex-parlementaire Paul-Henri Gendebien est un modèle de courtoisie et de raffinement. Mais en dépit de son nom de famille, étroitement lié à la naissance de l’État belge, ce leader cultivé et un peu excentrique du Mouvement wallon regarde depuis longtemps vers Paris. « Tout au long du 20e siècle, on a essayé de sauver la Belgique. Soit via des raisonnements intellectuels, à l’instar du grand Pirenne, soit via des réformes de l’État. Mais à l'instar d'autres héritiers des terres de l’Empire autrichien, nous ne parviendrons pas à la sauver », affirme Paul-Henri Gendebien, avant même qu’il ne soit confortablement installé à la table du hall de l’hôtel bruxellois Le Méridien. « La Belgique, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, trois pays issus de la défaite. Trois constructions artificielles qui, l’une après l’autre, ont essayé d’appliquer le fédéralisme. La Yougoslavie en 1945, la Tchécoslovaquie en 1968 et nous à partir des années 1970. Mais c’était toujours too little, too late. Il n’y avait pas de fondement national à ces constructions fédérales. La Yougoslavie et la Tchécoslovaquie appartiennent dès maintenant à l’histoire. La Belgique suivra sous peu le même chemin ».

Son dernier livre, intitulé : La Belgique, le dernier quart d’heure ?, est un pamphlet sur la fin prochaine de la Belgique. Mais bien que son minuscule parti ne récolte qu’un à deux pour cent des voix en Wallonie et à Bruxelles, l’influence de la pensée rattachiste de Gendebien s’étend bien au-delà de sa propre sphère d’influence. Même le chef de file libéral Jean Gol, à la fin de sa vie, s’était fait à l’idée d’un rattachement à la France.

D’après Gendebien, la Belgique, qui n’est plus depuis longtemps un projet viable, va vers une fin rapide. « La séparation est inévitable et nécessaire », selon Gendebien. Deux phénomènes accélèreront cette issue dont on ne peut douter. Le radicalisme des nationalistes flamands de ce côté-ci de la frontière linguistique, et la faillite des élites politiques wallonnes de l’autre côté.

Dans votre livre, vous critiquez sans ménagement un certain mode de gestion socialiste qui aurait conduit la Wallonie au bord du gouffre.

Oui, et si je devais écrire ce livre aujourd'hui, je serais encore plus sévère dans mon réquisitoire. Nous sommes confrontés ici à un mal qui n’est pas propre à Charleroi, mais qui se manifeste partout en Wallonie et qui pose des questions fondamentales. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas bien dans la démocratie wallonne ? Existe-t-il encore encore une certaine forme de socialisme wallon ? La Wallonie mérite-t-elle d’exister en tant qu’entité politique autonome ? Et quand on voit combien peu la Wallonie a réussi après un quart de siècle de fédéralisme, la réponse à cette dernière question ne peut être que négative.

Utopistes comme nous l’étions, nous avions espéré, nous les régionalistes de la première heure, que la Wallonie, grâce au transfert de compétences et avec l’aide de l’Europe, aurait développé un modèle socioéconomique spécifique. Et que cela aurait permis de faire face au désastre économique qu’elle avait subi. Mais 25 années de fédéralisme n’ont généré que déboires économiques et impuissance politique.

Le président du PS Elio Di Rupo a condamné les pratiques révélées à Charleroi. Mais étant donné que seuls quelques individus y seraient impliqués, nous devons tous rester « hypersereins ».

Eh bien!, je ne le crois pas. Nous devons aussi avoir le courage de nous pencher sur les problèmes structurels, et il s’agit en premier lieu d’examiner le système politique en Wallonie, une sorte d’oligarchie de partis politiques, qui accaparent tout le pouvoir.

Est-ce que cela n’est pas également vrai en Flandre ?

Gendebien : En Flandre, il y a une « civil society », un « middenveld » (consensus) organisé, qui est autonome et qui n’a pas besoin de l'aide de l'État pour survivre ou tout simplement pour exister. En Wallonie, la société toute entière est dépendante de la politique. Rien ne peut réussir en Wallonie, sans la bénédiction de cette superstructure administrative et politique.

Qui est dominée par le PS ?

Gendebien : C’est exact. Même si le PS ne recueille en Wallonie que 30 à 35 pour cent des voix, le PS fait la pluie et le beau temps à tout moment et en tout lieu. Les autres partis démocratiques font à peine mine de résister, de peur d’être rejetés lors de la formation d'un gouvernement ultérieur. Alors que, en unissant leurs forces, ils auraient pu établir un cordon sanitaire autour du PS, ce qui aurait sans doute été une bonne affaire pour la Wallonie. Mais je crains qu’il ne soit trop tard pour cela.

En une génération, le socialisme wallon a sombré dans l’abus de pouvoir et le populisme, selon vos dires. Qu’entendez-vous par là concrètement ?

Gendebien : Les socialistes wallons ont kidnappé le fédéralisme et en ont abusé, uniquement pour renforcer leur propre pouvoir. Des secteurs entiers du Mouvement wallon, tout comme certains socialistes wallons, considéraient le fédéralisme comme un moyen pour surmonter la crise industrielle en Wallonie. Progressivement, cet objectif a été relégué au second plan et à ce jour, seule compte la mainmise sur le pouvoir.

Le PS a pu parvenir à son actuelle position dominante en créant entre autres tout une flopée de services administratifs en grande partie incompétents et politisés. La Flandre et les Pays-Bas ont seulement découvert la pollution au cadmium dans la Meuse plusieurs mois après que le mal ait été provoqué. Donc, ou bien l’administration wallonne est incompétente ou bien elle est corrompue, ou bien c’est un mélange des deux. Mais grâce à cette administration, le PS contrôle toute la société wallonne.

Le système fonctionne donc effectivement ?

Gendebien : Oh que oui! Pensez aussi à la RTBF, le service public francophone de radiotélévision où le PS détient au sein du conseil d’administration la majorité absolue. Un instrument du pouvoir fantastique évidemment.

La presse écrite tente également le plus souvent de ménager le PS avec le plus grand soin. Regardez ce qu’on a écrit sur Bernard Anselme (le bourgmestre PS de Namur, qui a attribué une quantité anormalement élevée de marchés publics au bureau où siégeait sa compagne, NDLR). Le premier jour, il y a un grand scandale. Le deuxième jour, il n’y a plus rien. Alors que les faits sont particulièrement graves. Mais les journaux francophones survivent grâce à des subventions accordées par la Communauté française. On nomme des journalistes qui appartiennent à des journaux importants après qu’ils aient été « chaudement recommandés » par des ténors politiques. Il y a une chape de plomb sur la société wallonne. Entre temps, sur le plan de l’emploi, la Wallonie fonctionne aussi bien, ou plutôt aussi mal, que certaines régions de Pologne, situées à l’est de Varsovie bien entendu.

Votre conclusion, c’est que le PS n’est pas la solution, mais bien une partie du problème, comme on le dit assez souvent en Flandre.

Gendebien : Le PS n’est pas le remède mais bien le mal, c’est ainsi que je l’ai formulé dans mon livre. Je suis d’accord avec presque toutes les critiques qui paraissent dans la presse flamande sur la classe politique wallonne. La plupart des politiques wallons poussent des cris d’horreur à la lecture des journaux flamands, mais ils ont tort, car ce qui y est écrit, c'est la réalité. La Wallonie est un mélange de république bananière et de monarchie d’opérette. La Wallonie combine les dysfonctionnements de la Moldavie sous Leonid Brejnev, de la République Centrafricaine quelques années après son indépendance et de la province d’Agrigente en Sicile. Je n’exagère pas, vous savez. Il faudrait aller jeter un coup d’?il au Borinage ou à Charleroi – c’est terrifiant.

Et le grand drame, c’est que, mis à part l’extrême droite, il n’y a pas d’alternative. Des petits partis démocratiques comme le RWF sont totalement ignorés durant les campagnes électorales. On ne m’invite jamais, mais alors jamais, à un débat télévisé.

Qu’est-il advenu du grand rêve de l’ex-président du PSC Gérard Deprez, à savoir briser le pouvoir du PS au moyen d’une alliance de centre droit entre démocrates chrétiens et libéraux ?

Gendebien : Louis Michel a tordu le cou à ce rêve. Ivre de pouvoir, il a pensé qu’il allait pouvoir venir à bout du CDH au moyen d’une offre publique d’achat. Ainsi, il a poussé Joëlle Milquet droit dans les bras d’Élio Di Rupo. C’est d’ailleurs une mauvaise chose pour Milquet, car le CDH recule dans les sondages. Comment pourrait-il en être autrement, le CDH semble bien la cinquième roue du chariot socialistte? Hé oui. En Allemagne de l’Est, il y avait aussi, sur le papier, un système avec plusieurs partis, n’est-ce pas ? Une sorte de partage du pouvoir théorique, alors qu’en réalité, cela ne représentait rien du tout.

La Wallonie n’est pas différente de ce point de vue. Seulement, ici, le pouvoir se pare d’une certaine bonhomie, bien que celle-ci soit également souvent illusoire. Typique à cet égard est la manière paternaliste avec laquelle des potentats socialistes tutoient tout le monde, même ceux qu’ils ne connaissent ni d’Ève ni d’Adam. Celui qui vient les voir, doit bien sûr être un socialiste ou le deviendra sous peu. Mais le populisme suscite le populisme. À Charleroi, les électeurs votent un jour pour le PS de Jean-Claude Van Cauwenberghe, un autre jour pour le Front National de Daniel Féret.

Élio Di Rupo a quand même essayé de renouveler son parti et, par ce biais, de donner peut-être un nouvel élan à la Wallonie.

Gendebien : Comment quelqu’un comme Élio Di Rupo pourrait-il faire la chasse aux parvenus de son parti ? Il est lui-même un produit de la machine socialiste. Di Rupo est incontestablement un homme intelligent, mais je pense qu’il n'a pas assez de bagage politique pour mener à bien toutes les missions qui lui incombent.

Est-ce que d’autres seraient bien capables d’y arriver ? N’est-ce pas tout simplement trop pour un seul homme ?

Gendebien : Comparez Élio Di Rupo avec Guy Spitaels. Spitaels était craint et respecté au sein de son parti. Il semble bien que Di Rupo soit seulement craint au sein de son parti. En cumulant la présidence du parti avec la fonction de Ministre-président de la Région Wallonne, il s’expose à un danger énorme, à savoir d’échouer sur tous les fronts. Perdre les élections communales ne serait pas ce qu’il y a de pire. Non, ce qui est plus sérieux, c’est que l’opération que l’on appelle à tort au PS « rénovation » ne soit rien d’autre que le fait de changer les gens à la tête des fédérations. On ne touche pas aux structures. Et le soi-disant plan Marshall ? C’est un truc publicitaire. Je suis un économiste et je suis l’évolution de la Wallonie depuis de nombreuses années. Je trouve qu’il est incompréhensible que les pères spirituels du Plan Marshall n’aient tiré aucune leçon de l’échec du programme Objectif 1 de l’Union Européenne pour le Hainaut.

Si Élio Di Rupo persévère dans cette voie, le temps n’est plus loin où on le confrontera avec la question de savoir pourquoi il n’a pas fait plus d’efforts pour le redressement économique de la Wallonie. Car si le Plan Marshall échoue aussi, alors que faire ?

Qu’est-ce qui aurait dû être fait ?

Gendebien : Pour commencer, il aurait fallu faire un inventaire des pratiques qui ont eu cours durant les 25 dernières années. Le Parlement wallon aurait dû mettre sur pied une commission parlementaire d’enquête pour examiner ce qui a été fait dans le Hainaut avec les milliards européens. Mais cela laisse supposer un certain degré d’indépendance chez les parlementaires wallons. Et la plupart n’ont ni l'envergure intellectuelle ni l'envergure politique.

Le parlementaire Alain Destexhe (MR) a bien osé mettre en doute le consensus politique concernant le redressement économique wallon et on ne lui a pas publiquement coupé la tête pour cela.

Gendebien : Je suis loin d’être d’accord avec lui sur tous les sujets. Il est encore beaucoup trop belge pour ce qui me concerne. Mais je dois admettre que c’est un homme courageux. Il a eu le culot de dire tout haut ce que beaucoup disaient tout bas. Nous avons besoin non pas d’un, mais de dix Destexhe en Wallonie. Du reste, c’est encore Jean Gol à l’époque qui a déniché Alain Destexhe à Liège.

Une nouvelle génération d’hommes politiques wallons devrait se manifester qui s’attaquent aux vrais problèmes. Et ça ne signifie pas monter sur ses ergots quand les Flamands sont une fois de plus de mauvaise humeur, et pour le reste tenter à tout prix de conserver la Belgique. Non, cette nouvelle génération devrait commencer par reconnaître en toute franchise la faillite de notre système institutionnel fédéral. Le fédéralisme belge est un fiasco. L’État belge est contesté, affaibli et inadapté, tant pour la Flandre que pour la Wallonie. Mettons nous donc, comme les Tchèques et les Slovaques en 1992, autour de la table et tentons de fermer boutique en toute civilité.

Est-ce que la Wallonie peut se tirer d’affaire sans la Belgique ?

Gendebien : Sur le plan purement économique, la Belgique n’aide pas la Wallonie à progresser. En matière de protection sociale, elle l'aide effectivement, et c’est pour cette raison que la classe politique wallonne s’accroche à la Belgique. La politique wallonne survit grâce à la rente belge, qui est perçue chaque année sur le capital de la Flandre. Qu’il s’agisse maintenant de six, huit ou dix milliards d’Euros, cela n'a pas d'importance. Il s’agit de toute manière d’un montant très élevé, qui permet à la politique wallonne de continuer à nourir son clientélisme et à garder le rapport de force qui est le sien. Apparemment sans aucune prospective, car on ne semble pas comprendre que la Wallonie est en train de glisser vers l'abîme. Si nous persévérons dans cette voie, la Wallonie se trouvera un beau jour les mains vides devant la Flandre qui aura décidé de se séparer. Nous devons nous préparer à cette éventualité.

À écouter certains politiques francophones, cela n’a pas d’importance si la Belgique disparaît. L’Europe viendra bien nous sauver. Une totale illusion évidemment. D’autres prétendent que la Belgique peut continuer à exister sans la Flandre. Impensable. Bruxelles et la Wallonie ne donnent aucun signe de cohésion nationale, ne sont pas viables sur le plan économique et sont pratiquement sans importance sur le plan géopolitique. « La petite Belgique » connaîtrait les mêmes maux que la Belgique actuelle. Pire encore : il s’agirait d’un mauvais clone. Et tout le monde sait que les animaux clonés vivent peu de temps et ne peuvent pas se reproduire. Non, notre proposition de rattachement à la France n’est pas si sotte que cela.

Les Flamands jugeraient-ils encore intéressante l’indépendance de la Flandre si cela implique que la puissante France s'étende aussi près de ses frontières?

Gendebien : La Flandre a toujours eu, en fait, déjà depuis le Moyen Âge, des liens privilégiés avec la France. On pourrait dire que, comme la France était la fille aînée de l’Église, la Flandre était la fille aînée de la France. Le Comte de Flandre était le numéro deux dans le Royaume de France. Sur le plan historique, il y a donc beaucoup plus de points de convergence que de points de friction entre la République Française et la future République de Flandre.

Vous rendez compte aussi de l'atmosphère d’angoisse qui existerait en Wallonie. Des gens qui n’osent pas vendre la mèche, de peur de ne pas obtenir un emploi ou un logement social.

Gendebien : Je l’observe également au sein de mon propre parti au moment de la formation des listes électorales. Certains candidats laissent tomber au dernier moment parce qu’ils subissent des pressions. D’autres ne veulent pas figurer sur la liste parce que leur fils ou leur beau-frère attend une nomination. La journaliste de la RTBF qui réalisa le retentissant reportage sur Marcinelle (le reportage dans lequel furent révélées les tripotages financiers de l’échevin PS Lucien Cariat, qui a entre-temps été exclu du parti, NDLR) a dit ce qui suit à ce propos. Pour ce reportage, elle était retournée pour la première fois à Charleroi depuis quinze ans. Deux choses l’ont frappée : l’énorme paupérisation et la grande peur des gens.

Les personnes qui viennent témoigner à la télévision des m?urs politiques corrompues en Wallonie, le font systématiquement la voix déformée et le visage masqué. Nous ne vivons certes pas dans une dictature où les gens sont enfermés dans des asiles psychiatriques. Mais cela n’est pas du tout nécessaire. Les gens ont tellement peur qu’ils la bouclent d’eux-mêmes.

Les affaires, combinées avec la stagnation économique de la Wallonie, constituent la meilleure preuve de ce que la Wallonie n’est pas en mesure de conjurer ses propres démons. Et qu’elle devra être intégrée dans un véritable État, même si celui-ci n’est pas parfait. Des accidents de l’histoire ont permis que la Wallonie soit une enfant abandonnée de la Nation française. Je suis quant à moi convaincu que seule la France est en mesure de réaliser le redressement économique et politique de la Wallonie.

Dans votre livre, vous n’êtes également pas tendre pour les partis traditionnels flamands. La Flandre n’a en fait pas besoin d’un parti fasciste pour avoir un comportement fasciste, d’après vous

Gendebien : La Wallonie ne se conduit pas comme il faut. Mais les déclarations du Ministre-résident flamand Yves Leterme (CD&V) dépassent vraiment les bornes. La solidarité avec les francophones est ressentie comme le fait de devoir se promener avec un sac à dos rempli de cailloux ? Si le ministre de la Coopération au Développement Armand De Decker disait quelque chose d’analogue à propos des Congolais, on le traiterait de fasciste et il serait exclu du gouvernement fédéral. Mais du fait que Leterme deviendra peut-être Premier ministre, on le ménage.

Je pense d’ailleurs que Leterme, dans l’intérêt de sa carrière, ne souhaitera pas devenir Premier ministre. Quand il se rase le matin, il ne rêve pas de perdre son temps avec des querelles interminables, dont on ne peut tirer aucune gloire et qui servent uniquement à prolonger l’agonie du régime belge qui est en phase terminale.

Non, quand il se rase le matin, Leterme rêve d’un avenir beaucoup plus intéressant pour lui-même. Alors il se voit parmi les autres chefs d’État et de gouvernement européens, en tant que président de la République flamande. Et pourquoi pas ? La Slovénie et la Lituanie y siègent aussi et ceux-là pèsent beaucoup moins lourd sur le plan économique que la Flandre.

Que voit Di Rupo quand il se regarde dans la glace le matin ?

Gendebien : Principalement un miroir brisé. Si lui rêve encore de s’installer dans le fauteuil du Premier ministre, alors il est en tout cas le seul à le faire. Mais d’après moi, il s’agit simplement d’une astuce publicitaire destinée à éblouir l’opinion publique. Regardez donc quel homme formidable nous avons en Wallonie. Un beau jour, il peut devenir premier ministre ! Même si Di Rupo n’y croit plus lui-même, ces hypoothèses lui sont favorables, car elles renforcent la dévotion de la population à son égard.

Les Grecs et les Romains de l’Antiquité adoraient des idoles. Mais cela ne leur a pas permis de sauver leur civilisation. La Wallonie a fait de Di Rupo son idole. L’ange salvateur qui tirera la Wallonie du marasme. Mais qui d’une manière ou d’une autre oublie toujours les chiffres (rire). De même Albert II et par extension toute la famille royale sont adulés de cette façon en Wallonie. Mais ceux qui pensent qu’ensemble, Élio Di Rupo et Albert II vont maintenir la Belgique, prennent des vessies pour des lanternes. Le fait est que ce sont les dernières cartouches que le régime belge puisse encore tirer.

« Le pays fout le camp » c'est une citation du Ministre-Président bruxellois Charles Picqué, reprise dans votre livre. Des grands formats politiques francophones semblent pessimistes quant à l’avenir du pays. Pourquoi votre mouvement rattachiste compte-t-il si peu d’adeptes ?

Gendebien : Parce que beaucoup de politiques préfèrent quand même endormir leurs électeurs plutôt que de leur dire la vérité. La plupart des hommes politiques francophones comprennent à quel point la construction de l’État belge est devenue fragile. Entre quatre yeux, certains me disent que j’ai tort – tort parce que j’ai raison trop tôt. Mais une fois que ce sera arrivé, beaucoup parmi eux se précipiteront dans notre camp (rire) et prétendront qu’en fait ils ont toujours été d’accord avec nous. En 1945, la Belgique comptait également 10 millions de résistants. C’est le cours ordinaire de la vie. La victoire compte beaucoup de pères, la défaite aucun.

Paul-Henry Gendebien, «La Belgique, le dernier quart d’heure ? », Editions Labor.

(Traduction, Michel Faucq)