Madeleine Bourdouxhe, évidemment ("Sous le pont Mirabeau")
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
(Apollinaire, Le Pont Mirabeau)
Madeleine Bourdouxhe, l'un des plus importants écrivains de Wallonie, n'a que peu publié. Signalons le roman: La femme de Gilles (Espace Nord,) et ce court récit Sous le Pont Mirabeau (idem). On y parle de l'exode en 1940, d'une jeune femme qui vient d'accoucher (le bébé est né le 9 mai) et qui se retrouve au fin fond de la France comme tant d'autres en ce tragique printemps.
Mille éléments rappellent la vie à son état brut: une jeune accouchée et son enfant qu'elle nourrit tant bien que mal avec l'aide des soldats rencontrés, au départ, et de Français tout au long de l'évacuation. La Vie, ici, est, dans sa fragilité, sa féminité, opposée (subtilement) à la guerre, « masculine » (si l'on veut), même si les soldats rencontrés sont d'une profonde et authentique douceur. Au début de l'exode, elle est portée dans sa chambre en civière par trois soldats. En haut, elle propose de marcher. Un soldat prend l'enfant: « Le troisième soldat, qui ouvrait la marche, se penche et prend l'enfant. Il le tient sur ses deux bras presque étendus, comme font les hommes. Le tournant est passé, ils rabaissent la civière. Une toute petite chambre, au lit très haut qui rejoint presque le plafond très bas. Un soldat prend la femme dans ses bras, la porte vers le lit, bute, y tombe presque, avec elle. Ils rient tous quatre (...) Une toute petite chambre, très pauvre, très propre, très dénudée, une femme, un nouveau-né, trois soldats. Ca fait drôle. » (p.21). Pas une seule privauté. Plus tard, la jeune femme sent ses plaies d'accouchée se rouvrir, du sang couler entre ses jambes. Puis c'est la Cathédrale de Chartres et « sa beauté déchirante » (p.36), des jeunes qui fuient avec des « visages ambigus où la vie est irrésolue ». Les réfugiés sont parfois bombardés, mitraillés et la jeune femme souhaite: « Si je dois mourir avec mon enfant dans cette guerre, que ce soit tuée par la foudre véritable du ciel... » Il y a mille notations sur la « douce » France.
Dans Espace-Nord, chaque livre est suivi d'une étude. Celle de Marie-Julie Hanoulle est belle. Elle pense que M.Bourdouxhe est dans une position d'indifférence à l'égard de ce qui arrive (à elle aussi, ce n'est pas « égoïste »), que son récit est distant des choses à la manière du nouveau roman. Tendance typique de la « belgitude ». Même pour ceux qui sont nés après la guerre, le récit d'une mère, jeune femme comme M.Bourdouxhe en 1940, la connaissance, simplement, de cette tragédie infirment l'interprétation de M-J Hanoulle. Mais aussi le texte même. M.Bourdouxhe rêve en Corrèze « de belles nuits humaines où l'on ferait encore l'amour » (p.43) et, évoque au bout de la France, « une immense bande de terre qui va de la Meuse à Marseille » (p.52). Cela « déchire » autant que Chartres. Pour M-J Hanoulle, le titre repris à Apollinaire n'est pas là par hasard. Or, dans ce poème, Apollinaire dit aussi - cet aspect a-t-il échappé à la commentatrice? - que « l'Espérance est violente ».
M.Bourdouxhe Sous le Pont Mirabeau, Espace-Nord, Bruxelles, 1996 (environ 200 F).