La Wallonie vue de Reyers (RTBF)
Passé la commune de Rhode-Saint-Genèse (nom admirable),
le voyageur qui, parti de Bruxelles, se dirige vers le sud,
franchit le fil invisible de la frontière linguistique et,
immanquablement, au milieu de la rue, en plein « centre du pays » ,
arrive dans le « sud du pays » . Lui prend-il l'idée de
filer à l'ouest vers les clochers de Tournai
où viennent s'enrouler les brises de France:
il sera encore au « sud du pays »;
décide-t-il derechef de rebrousser chemin
vers l'est, où Liège, tapie en sa vallée campe face
à la Germanie: rien n'y fera, il sera toujours au sud du pays.
(Pierre-René Mélon)
Dans La Revue Nouvelle de juin 2002, sous le titre À Bruxelles, les problèmes communautaires deviennent des problèmes sociaux, Pierre Ansay et Pol Zimmer évoquent les relations avec la Wallonie en ces termes: « En outre, la capacité de solidarité des Wallons pour "leurs frères" bruxellois [les guillemets sont de la R.N.] pourrait s'avérer parcimonieuse, vu le déficit structurel constaté en Wallonie entre les recettes et les dépenses de sécurité sociale, et l'hostilité à peine dissimulée d'une partie importante du monde intellectuel et universitaire, des acteurs politiques et culturels wallons, qui confondent les structures institutionnelles mises en place dans la capitale et le sort réservé au peuple de Bruxelles, sans cesse appauvri. » Personne ne confond, le « peuple de Bruxelles » dont parle Pierre Ansay, et le fait que la société bruxelloise peine (comme la RTBF) à reconnaître la Wallonie. Ce que nous appelons « société bruxelloise » vise aussi bien des Bruxellois que des Wallons et en tout cas pas le peuple de Bruxelles. Mais cette « Bruxelles » , si sensible au fait que les Wallons détesteraient cette ville, voit-elle son rôle de frein à la reconnaissance de la Wallonie? Deux faits récents.
L'interview de Bernard Landry le 9 juillet 2001 à la RTBF
Le 9 juillet 2001 au Journal Télévisé, Fabienne Vande Meerssche interroge le Premier Ministre québécois Bernard Landry en visite en Wallonie. Les questions ont été les suivantes -
FABIENNE VANDE MEERSSCHE Vous considérez que la Belgique est en quelque sorte un modèle institutionnel dont le Québec pourrait s'inspirer? [B.Landry: « Il faut des adaptions nécessaires d'un pays à l'autre mais ce que vous faites ici comporte pour nous beaucoup d'inspiration au niveau de la Belgique mais au niveau de l'Europe aussi... la question nationale du Québec n'est pas réglée. »] F V M - Quels seraient, au niveau de la Belgique, les éléments qui vous inspireraient le mieux? [B.Landry -« Ca bouge tandis que la question institutionnelle au Canada est bloquée.(...)] F V M - - C'est aussi le fruit de ce que l'on appelle le compromis à la belge qui a marqué toute notre histoire politique. Est-il exportable? [B.Landry: « Je crois qu'entre gens de bonne foi, c'est possible [•••]Il y a beaucoup de choses qui nous fascinent dans ce que vous faites. »] F V M - Notamment, la sauvegarde des nations malgré l'union ce qui semble faire défaut au Canada où le dialogue n'est pas harmonieux entre les communautés? [B.Landry « (...). Il faut imaginer des contrepoids pour préserver les caractéristiques des groupes d'humains qui forment les nations, les langues, les cultures (...) »] F V M-- Vous voulez un Québec souverain. Pourquoi souverain et pas indépendant? [B.Landry: « Le mot souverain est plus approprié. (...) »] .
Ce qui frappe dans ce dialogue, c'est que le « modèle » sans cesse évoqué est celui par lequel la Flandre et la Wallonie ont passé des compromis nécessaires mais qui sont tous attribués à la Belgique (indistinctement), en oubliant que la réussite « belge » est - fatalement! -une entente entre deux éléments - Flandre et Wallonie - mais qui ne sont pas nommés. Pourquoi? La question se pose d'autant plus que l'interlocuteur de FVM est là en vue d'évoquer un problème de nationalités différentes justement. Les questions de FVM. ne peuvent être posées que parce qu'il y a une Flandre et une Wallonie et la solution qui fait « modèle » est justement, certes, une entente entre Flandre et Wallonie, mais qui les distingue l'une de l'autre, ce qui a d'ailleurs longtemps poussé les unitaristes belges à considérer que le fédéralisme n'était que du séparatisme. Maintenant que ces deux grandes composantes sont reconnues, on présente les choses un peu comme si rien n'avait émergé, comme si rien ne s'était passé et comme si l'on était retourné à la Belgique « normale » . Alors que l'État a été profondément transformé.
Jospin sifflé par les Bruxellois à Lille à cause du mot « wallon »
L'incident de Lille le 7 mars de cette année est emblématique. Ce jour-là devant 15.000 personnes, le Premier Ministre français Jospin salue Élio Di Rupo président , dit-il, « du Parti socialiste wallon » . Aussitôt, à cause de ce seul mot - « wallon » -, il est interrompu par de puissantes et grossières huées venant de militants PS bruxellois. Cette hostilité est réelle mais, elle, elle ne procède d'aucune « confusion » . Chacun est conscient en Wallonie que le discours antiwallon est le fait de toute la Belgique francophone et que des Wallons y excellent. N'empêche que la position d'apparente extériorité de Bruxelles vis-à-vis de la Wallonie, n'est en rien faite pour rectifier ce discours. À Lille, ce sont bien des Bruxellois qui huent la reconnaissance par la France (Jospin dirige encore le gouvernement français), du fait wallon devant 15.000 personnes. Réaction renvoyant à une occultation fréquente de la Wallonie: toutes les associations en Wallonie et à Bruxelles - partis, syndicats, enseignement, presse, culture, ligue des familles, Infor-Jeunes, Mouvements de jeunesse, Églises, Laïcité etc. - qui comportent très normalement un nombre de Bruxellois équivalents à la proportion des Bruxellois francophones par rapport aux Wallons c'est-à-dire 20 % en moyenne, s'interdisent de se nommer « wallonnes » et d'avoir une politique wallonne à travers les mille influences quotidiennes qu'elles exercent à partir de ou sous le poids d'un grande ville comme Bruxelles. Dans Le Soir du 9 mars suivant le meeting de Jospin, Bénédicte Vaes rapporte l'incident des huées bruxelloises mais avalise la réaction bruxelloise en l'imputant aux incompréhensions françaises de la Belgique. Elle écrit en effet: « le président du PS wallon (comme on dit en France) (...) » . La Bruxelloise Fabienne Vande Meerssche, l'Anversoise Bénédicte Vaes sont sympathiques en elles-mêmes, mais s'adressent à un public à 80 % wallon de manière étrange: la première ignore la Wallonie face à un Premier Ministre Québécois venu saluer la Wallonie (Landry rencontre Van Cau. quelques heures après) et, la deuxième désapprouve l'usage du mot « wallon » par un Premier Ministre français comme une « erreur » (française!)...
Un contentieux quasiment séculaire
Le contentieux entre la radiodiffusion belge et la Wallonie est ancien. Peu de temps après que le premier émetteur se soit installé à Bruxelles en novembre 1923, Auguste Buisseret dénoncera dans le journal wallon La Barricade « ce nouveau jouet aux mains des centralisateurs bruxellois » . Du côté wallon, on songe d'emblée à créer une radio wallonne et le premier journal parlé de Théo Fleischman émis de Bruxelles le 1er novembre 1926 renforce le sentiment de cette nécessité. La création de l'INR en 1930, puis l'imposition de cahiers de charges très lourds aux nombreuses radios privées et indépendantes wallonnes va les supprimer de fait. En 1932 se crée une ASBL en faveur d'une radio « pour la Wallonie, par la Wallonie, en Wallonie » . Colloques, propositions de lois, action de certains ministres, pression des mouvements wallons depuis près de 80 ans, ne semblent pas avoir donné satisfaction aux revendications wallonnes portant principalement sur le rejet de la confusion entre intérêts francophones et wallons comme le disait un rapport de René Dupriez dans les années 30 sous les auspices de l'Assemblée wallonne 1 . La seule chose que le mouvement wallon ait obtenue, c'est la création de centres régionaux à Liège, Charleroi, Namur et Mons, tant pour la radio que la télévision, tant pour la diffusion que la production. Mais, politiquement, c'est toujours le Centre bruxellois qui garde la prépondérance sur les autres et qui régit le journal télévisé dans une optique très belgicaine (« Le Centre RTBF-Bruxelles est la dernière poubelle du belgicanisme » a dit JM Dehousse en 1998,). Cependant, ce journal semble s'ouvrir peu à peu à une optique wallonne, évidemment très timidement. Nous allons voir comment, avant de noter cependant que la Flandre n'est nullement mieux lotie que la Wallonie à la RTBF.
Vu de Flandre (?), vu de Wallonie (?): l'antiphrase ertébéenne
L'émission « Vu de Flandre » au JT le samedi soir, donne une image ironique de la Flandre à partir d'anecdotes où les Flamands sont le plus souvent ridiculisés. Le ton de l'émission ne fait pas de doute: ce n'est pas un « vu de Flandre » , mais une Flandre vue par la RTBF et même « vue de Bruxelles » . Comme la Wallonie à la RTBF est également « vue de Bruxelles » et traitée comme une réalité un peu extérieure. La langue de la RTBF est une langue française dont personne n'use en Wallonie (ni à Bruxelles!), stratégie de la distinction. Certes, des efforts sont faits depuis quelques années. Les critiques wallonnes émises depuis 1923 commenceraient-elles à porter leur fruit? Il faut voir cela de près.
Analyse des JT du 26 mai 2002 au 9 juin suivant
Sur ces 15 jours, 307 sujets ont été traités, soit une vingtaine par jour. Nous y avons repéré 68 séquences que nous appellerions « identitaires » dans la mesure où, à l'occasion d'événements sportifs, politiques et culturels, il y a été intensément question de notre « ici » qu'il soit belge ou wallon. Sur les 68 sujets de ce type, 42 concernent la Belgique dans des compétitions sportives à l'étranger en football ou tennis. Le mot « wallon » n'y est pas prononcé une seule fois, même si on pouvait envisager qu'il aurait pu l'être, mais passons... Certains Journaux Télévisés consacrent le plus clair de leur temps à célébrer ces victoires belges, multipliant les séquences dans toutes les régions qui mettent en évidence l'expression populaire du sentiment national belge, parfois même relié (comme le 4 juin) au multiculturalisme illustré par les diverses origines d'élèves invités à regarder le match dans une école primaire(c'est présenté comme « éducatif » ).
a. quand le mot « wallon » est-il admis?
Le mot « wallon » étant l'objet d'un réel ostracisme dès qu'il est question du sport, pouvait-on espérer qu'il soit admis pour les réalités culturelles, politiques, économiques concernant plus particulièrement la Wallonie? Sur les 28 sujets qui peuvent correspondre à la définition que nous venons de donner, il arrive quand même six fois que la Wallonie soit nommée à la RTBF. C'est quand il s'agit du pouvoir politique wallon exerçant ses compétences. On peut même dire que les ministres wallons sont assez souvent présents dans les JT, non seulement en quantité mais en qualité (interviews fréquentes, présence dans les studios du Premier Ministre wallon comme le 29 mai 2002 suite à l'accord sur les mesures fiscales prises en Wallonie etc.). Ces six séquences sur 28 de celles qui nous restent seront à peu près les seules cependant où il sera nettement question de Wallonie. Encore que les réalisations de la FN de Liège en matière d'armes policières sont présentées comme un produit « belge » . La RTBF n'use des mots « wallon » et « Wallonie » (et plutôt « Région wallonne » ) que lorsqu'il y a nécessité juridico-politique à le faire. On s'en apercevra le 7 juillet suivant lors du lancement d'Ariane 5 baptisée pourtant « Ville de Charleroi » . Il s'agit d'économie et d'entreprises wallonnes mais - parce qu'aucun ministre wallon n'est présent? - toute la séquence est présentée comme une séquence belge. En l'absence de leurs ministres, les citoyens de Wallonie redeviennent des « Belges » ou des « Francophones belges » . Il en va de même lors de la remise du prix d'interprétation masculine à Olivier Gourmet. Seule l'envoyée spéciale à Cannes parlera d'un acteur wallon. Mais pour le reste, les réalisateurs du film, l'acteur, le film lui-même, tout cela est belge. Pour le ministre de la Communauté française Richard Miller également (sauf un communiqué dans la presse écrite parlant de la fierté de « tous les Francophones, wallons et bruxellois » ). En revanche, à la mort de la Princesse de Rhéty, le 7 juin, sa vie est évoquée avec la présence, en arrière-plan durant un laps de temps significatif, d'un slogan antiléopoldiste « Les Femmes de Wallonie ne veulent pas de Lily Baels « .
b. quand donc la Wallonie est-elle nommée?
La Wallonie n'est donc vraiment dite à la RTBF que lorsque cela s'impose sur le plan juridico-politique. Il arrive en outre, c'est vrai, que la Wallonie soit nommée, lorsque, assez rarement, la précision spatiale ou géographique l'exige .L'incident avec le film des Dardenne est significatif, car les films de ces deux auteurs (certes réticents eux aussi face à l'identité wallonne mais qui furent à deux doigts de signer le Manifeste pour la culture wallonne), s'enracinent dans la réalité wallonne. Ce à quoi, lorsqu'on le fait valoir, la RTBF rétorque que leur carte d'identité est belge. Ce que les Dardenne disent eux-mêmes (Paris-Match du 5 juin): « On a une carte d'identité belge, point. » On est donc toujours dans le juridique, l'institutionnel, les cadres abstraits et déterminés, la lettre plus que l'esprit. Le code et non la vie.
L'esprit - mais belge! - est évidemment, lui, bien plus favorisé et Luc et Jean-Pierre Dardenne en savent quelque chose qui furent parmi les premiers à écrire au « Soir » lors de la mort du roi en août 1993, pour dire leur admiration de son point de vue antiraciste. Disons que la Belgique se voit favorisée à travers une culture décrite le plus souvent comme belge et francophone, à travers les élans populaires lors de résultats sportifs, par l'attention - extrême - portée à tout ce qui touche de près ou de loin à la famille royale, élément central de « notre » imaginaire national. La Wallonie ne bénéficie de ce type de traitement que rarement au JT1, par exemple le jour des Fêtes de Wallonie qui, elles, ont bien fini par s'imposer. Mais là aussi parce que la RTBF rivée à ses codes politiques est prise à son propre piège: les Fêtes de Wallonie, c'est officiel... Sinon, la spontanéité populaire n'est exprimable qu'en conformité avec le passe port.
La Wallonie humaine éliminée
Les JT tendent donc à évacuer le plus souvent une Wallonie humaine, sensible, populaire. Lors de la présentation du Contrat d'Avenir du gouvernement wallon à Seneffe, devant plus d'un millier de personnes convoquées par la CSC et la FGTB, le 19 mars dernier, le sentiment wallon était palpable à chaque instant. Comme quelques semaines auparavant lors du Congrès annuel de la Fédération wallonne de l'agriculture à Gembloux le 13 février. Ces deux événements ou des événements semblables ne prennent généralement pas place au JT. On peut se demander pourquoi et si l'on ne touche pas là une sorte de limite de la télévision peut-être incapable de rendre compte de tels rassemblements disons côté foule plutôt que côté leaders ou notables.
La VRT cependant, adresse de nombreux clins d'yeux à ses téléspectateurs flamands et ses animateurs peuvent remplir tout un stade à Anvers en quelques dizaines de minutes, simplement en y convoquant les habitants, séance tenante. On n'a jamais vu cela à la RTBF. Significatives sont les réponses faites par les responsables quand constate cette l'absence de la Wallonie à la télé: ils citent le folklore, Région-soir... soit la Wallonie mais avec un statut subalterne. Celui qui lui est assigné? Contradictoire d'expressions populaires du sentiment wallon qui seraient politiquement significatives?
La RTBF à Namur?
La RTBF-Bruxelles au fond s'est identifiée, à travers les codes qui sont les siens, à ce qui fut autrefois la concentration des différents pouvoirs en Belgique autour du parc de Bruxelles: Palais Royal, Grande Administration et Gouvernement, Haute Banque.
Si la Wallonie avec ses villes moins importantes, ses régions rurales et industrielles, est en un sens une « province » face à une métropole (moyenne, il est vrai), elle est aussi le pays sans lequel Bruxelles n'existerait pas ni la RTBF. Mais celle-ci n'en tient compte qu'à travers les ministres wallons, parce que, dans ce cas, une lourde évolution s'est produite qui installe institutionnellement la Wallonie comme réalité étatique incontournable. Un peu de réalité wallonne perce alors l'étanchéité belgicaine des cloisons ertébéennes. Si l'on compte à partir de 1923, il a fallu près d'un siècle et des bouleversements institutionnels majeurs pour que la Wallonie occupe un rang réel quoique encore secondaire. Et, de plus, non la Wallonie humaine mais la Wallonie politiquement codée (la « Région wallonne » ).
Il y a dans la localisation de la RTBF, quelque chose qui facilite son ancrage sociologique, historique, politique dans un espace qui l'incite à nous rester un peu étrangère. L'installation de la RTBF à Namur, dont on est logiquement amené à faire l'hypothèse ne serait-elle pas plus qu'un changement de lieu mais un utile renversement de perspectives? Passer du statut d' « observatoire » du « Sud-du-pays » à un autre statut - pas si facile à imaginer et à construire mais qui pourrait faire que la télévision des Wallons devienne vraiment leur télévision?
Le discours des JT n'est pas le « discours antiwallon » que j'avais relevé dans la presse écrite pour la période allant de 1983 à 1998, mais le statut subalterne assigné à la Wallonie sur les antennes de la RTBF fait de toute parole politique sur la Wallonie - sauf si elle émane des officiels de la Région - une parole qui n'apparaît pas tout à fait comme normale - comme « légitime » diraient les sociologues.
Quittons la sociologie. Adressons-nous aux Dardenne (à la RTBF...). Voilà des privilégiés. Mais si l'on évoque la Wallonie, ils ont ces mots : »Nous avons une carte d'identité blege. Point. »
Et une pierre à la place du cœur ?
- 1. Pour tout ceci, voir l'article Radiodiffusion dans Encyclopédie du mouvement wallon, Tome III, Institut Destrée, Charleroi, 2001, pp.1328-1333.