Une hiérarchisation du financier international

13 October, 2009

La banque suisse UBS et le fisc américain ont signé un accord ce 19 août 2009, qui met fin momentanément à l'affaire de fraude fiscale qui les opposait. Il permet à la banque d'échapper à un procès. Cependant, UBS doit transmettre les noms de quelque 4.450 titulaires de comptes de contribuables américains soupçonnés de fraude fiscale. Ces données seront transmises par la voie officielle de l'entraide administrative. Les autorités helvétiques ont ainsi légalisé le nouveau rapport de forces et le fisc américain a obtenu l'aval de celles-ci pour enquêter sur d'autres banques suisses. L'accord définit la taille des mailles du filet avec lequel le fisc américain va partir à la pêche aux fraudeurs.

UBS, cheval de Troie du fisc US

L'accord de février, par lequel la banque UBS a d'abord accepté, au mépris du droit helvétique, de livrer à la justice américaine le nom d'environ 250 clients qu'elle a aidés à échapper au fisc US n'avait pas arrêté la justice américaine. A peine l'accord était-il signé que celle-ci avait exigé que UBS livre l'identité de quelque 52 000 clients américains titulaires de "comptes secrets illégaux". Le nouvel accord suspend ces exigences.

UBS, qui s'était déjà acquittée en février d'une amende de 780 millions de dollars et qui avait communiqué à la justice américaine environ 250 noms de titulaires de comptes, ne devra pas payer de pénalités supplémentaires. L'administration US n'a en effet pas intérêt à tuer un cheval de Troie qui l'a jusqu'à présent si bien servi et surtout qui peut lui être encore très utile, vu la grande dépendance d'UBS vis à vis du marché américain. On doit ainsi s'attendre à de nouvelles attaques étasuniennes contre la place financière suisse

L'action de l'administration étasunienne contre cette banque helvétique est l'utilisation d'une opération contre l'évasion fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les règles de fonctionnement du système bancaire mondial.

La réponse positive d'UBS, ainsi que sa légitimation par les autorités de contrôle helvétiques, placent l'administration américaine dans une position qui lui permet de formuler des nouvelles exigences. La souveraineté américaine se définit ainsi, non seulement, comme capacité à poser l'exception, mais à en faire la base sur laquelle se reconstruit un nouvel ordre juridique

Cette nouvelle souveraineté américaine s'inscrit dans une réorganisation du système financier international qui, à travers la lutte contre la fraude fiscale, distingue les « paradis fiscaux », dont la Suisse ferait partie, des centres « offshore », comme, par exemple, les places financières des Caraïbes. Entièrement contrôlées par les autorités étasuniennes, ces dernières pourraient conserver toutes leurs activités, au détriment de leurs concurrents négativement labellisés.

La lutte contre la « fraude fiscale »

Dirigé contre la « fraude fiscale », le G20 d'avril 2009 a été l'instrument d'une hiérarchisation accrue du système financier international. L'essentiel a porté sur « la lutte contre les paradis fiscaux ». L'action s'est fondée à partir de trois listes établies par l'OCDE. La première, la liste noire ne comprenait que quatre pays n'ayant aucun rapport de force au niveau international. La deuxième, la liste grise, qui contenait les pays « ayant des efforts à faire en matière de coopération fiscale », incluait la Suisse et le Luxembourg. La troisième, la liste blanche, celle des pays coopératifs comprenait le Royaume-Uni, qui, avec la City possède un des principaux centres offshore du monde, ainsi que quatre de ses «territoires dépendants»: Jersey, Guernesey, l’Ile de Man et les Iles Vierges. Les Etats-Unis en font évidemment partie et cela sans aucune note désignant les pratiques opaques d’Etats tels que le Delaware ou le Wyoming.

L'offensive s’est focalisée sur le secret bancaire, présenté comme étant le moyen privilégié de l’évasion fiscale. Lors de leur déclaration finale, les pays du G20 ont même affirmé que «l'ère du secret bancaire est terminée».

Les « trusts »

Cependant, actuellement, la moitié du marché offshore se concentre dans les trusts, des créations juridiques anglo-saxonnes, qui ne nécessitent pas de secret bancaire pour pouvoir se mettre à l’abri du fisc. Ce n’est plus un marché de la discrétion bancaire, mais celui des techniques juridiques en ingénierie fiscale. Ainsi, l’évasion fiscale s’est déplacée progressivement vers ces structures légales. Les trusts sont devenus le principal outil de la soustraction fiscale, le substitut le plus efficace au secret bancaire.

Le trust est un véhicule de droit anglo-saxon, qui permet à une personne fortunée de se dessaisir de sa fortune, afin de ne pas en apparaître comme le propriétaire aux yeux du fisc 1. S’il est «discrétionnaire et irrévocable», la banque qui ouvre le compte peut ne pas exiger l’identité du bénéficiaire. Une personne qui a constitué un tel trust à l’étranger n’est nullement taxée, car elle n’est plus considérée comme propriétaire de ses biens. Quant au bénéficiaire du trust, qui est en principe imposable, son identité n’est pas exigée lors de l’ouverture du compte.

Les îles de Jersey et Guernesey, toutes deux territoires britanniques, sont des juridictions spécialisées dans la constitution des trusts. C'est également le cas du Delaware et des Caraïbes, qui servent de refuge à l’argent « gris » en provenance des Etats-Unis, ainsi que de Miami, qui accueille aux USA les capitaux latino-américains qui veulent échapper au fisc de leur pays. Singapour, en traitant des fortunes asiatiques ou européennes, a la même fonction.

Les grandes banques suisses se sont également lancées dans le marché des trusts. Elles exigent peu d’informations sur les ayants droit économiques de trusts « discrétionnaires et irrévocables », mais elles conservent l’identité du constituant du trust. Les banques anglo-saxonnes pratiquent un usage encore moins contraignant, en ne retenant que des informations sur le contractant, le « trustee », la société de gestion et d’administration du trust. Ce qui leur permet, dans les faits, obtenir une une opacité complète de la personne désirant échapper au fisc. Elles arrivent ainsi à une confidentialité encore plus grande, sans secret bancaire au sens formel du terme.

Ainsi, les juridictions anglo-saxonnes disposent d'un avantage substantiel sur la Suisse en cas de disparition du secret bancaire : l’opacité de leurs trusts est plus complète.

Une réorganisation du système financier

Il s'agit en fait d'une réorganisation du système financier international aux dépends de la Suisse, l'une des principales places financières mondiales. Les choses sont apparues clairement à travers l'affaire UBS.

Les Etats-Unis et leur satellite des Caraïbes ainsi que les centres offshores sous pavillon britannique, contrôlent chacun un marché de l’«argent gris», presque égal à celui de la Suisse. Suite à l'offensive étasunienne, la Suisse, qui détient encore 27% du marché du marché de l’épargne mondiale, gérée hors du pays de résidence, pourrait rapidement abandonner le terrain à ses concurrents principaux : le Royaume-Uni et ses îles Anglo-Normandes, l’île de Man et Dublin qui traitent 24% de ces capitaux, ainsi que New York, Miami, les Caraïbes et Panama qui détiennent 19% des 7300 milliards de dollars placés hors frontières. La moitié de cette somme ne serait pas déclarée.

La Suisse a ouvert une brèche dans son secret bancaire. Elle a abandonné la distinction entre fraude et évasion fiscales et consenti à l’échange de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes, concrètes des administrations fiscales de pays tiers, comme dans l'affaire UBS. Cependant, il n'a jamais été question, par exemple, d'inclure sur cette liste des Etats américains comme le Delaware dont les LLC (Limited Liabilities Compagnies) sont soustraites à toute forme d’imposition.

Placée dans le contexte de la crise financière, cette opération, sous hégémonie étasunienne, « de lutte contre la fraude fiscale », apparaît bien comme une tentative de la part des USA de réorganiser le système financier international à leur avantage. Afin de lutter contre le déclin du dollar, il s'agit d'attirer les capitaux dans leur zone économique, dans les centres offshores étasuniens et anglo-saxons, en indiquant que, là bas, les plus aisés auront toujours la possibilité de faire appel à l'ingénierie fiscale des trusts afin d'échapper à l'impôt.

[Jean-Claude Paye est l'auteur de La fin de l'Etat de droit. La Dispute.]

Voir aussi un article qui développe d'autres aspects de la question présentée ici par Jean-Claude Paye sur le blog de Pierre Verhas: La Vraie fausse fin des paradis fiscaux

  1. 1. La personne qui constitue le trust, c'est à dire une société, une mise "en commun" peut le faire au profit de lui-même sous forme de rente ou d'un membre de sa famille, l'avantage c'est qu'il disparaît complètement derrière le trust.