Communauté française/Wallonie: une confusion malsaine
Lettre ouverte au Gouvernement wallon
Novembre 2009
Madame, Monsieur le Ministre,
Vous venez de boucler les Budgets de la Région Wallonne et de la Communauté Wallonie-Bruxelles.
A première vue, la Région Wallonne participe pour environ 200 millions au refinancement de la Communauté Wallonie-Bruxelles.
Loin de nous l’idée de contester le refinancement de l’Enseignement, et des autres matières relevant des compétences de la Communauté . Mais où est la participation de la Région de Bruxelles ? Si la Wallonie est la seule à contribuer, la Communauté Wallonie-Bruxelles n’est donc plus un espace de solidarité mais un espace de transferts unilatéraux.
Les prévisions budgétaires pour les années à venir ne présagent pas d’une amélioration de la situation . Il ne s’agit donc pas d’un financement ponctuel mais bien structurel et permanent, sans que la Wallonie ne puisse jamais, en contrepartie, maîtriser des leviers aussi importants que l’ enseignement, notamment.
La Communauté Wallonie-Bruxelles sera, de par son mode de financement, toujours exsangue, et risque de coûter toujours plus cher à la Région Wallonne.
Vous aviez promis une nouvelle gouvernance impliquant un maximum de transparence.
Nous constatons que cette politique de transferts est au contraire plutôt occulte.
Cette confusion entre Région et Communauté a pour conséquence de nier la Wallonie qui, dans cette situation de crise, a au contraire besoin de maîtriser tous ses leviers, comme nous l’avons encore demandé récemment dans notre « Livre blanc » 1 .
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer , Madame, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération,
Jean LOUVET
Président du Mouvement du Manifeste Wallon,
Au nom des signataires et adhérents 2
Note de la rédaction
La revue TOUDI a déjà fait part de son inquiétude concernant l'interprétation exacte à donner au projet de Fédération Wallonie-Bruxelles à l'occasion d'un article publié par Rudy Demotte dans le journal METRO en mai 2009 3. Il est évident que la tournure prise par la gouvernance wallonne ne peut satisfaire les Wallons. Cette Fédération consiste en une absorption de la Wallonie par la Communauté française. Et à un transfert des moyens de la Région wallonne à la Communauté française sans aucune contrepartie de la Région bruxelloise. Celle-ci, par la voie de ses dirigeants clame quasi tous les jours que la Région bruxelloise doit être absolument refinancée et que ce refinancement ne peut que servir les intérêts de la Flandre et de la Wallonie. Ce n'est nullement évident. On fait aussi valoir que la Région wallonne en aidant l'enseignement de toute la Communauté s'aide elle-même, notamment en soulignant que beaucoup d'étudiants wallons suivent les cours des hautes écoles bruxelloises. C'est exact mais ce n'est pas un très bon argument.
Prenons par exemple le cas de l'IHECS (Institut des hautes études en communications sociales). Cette haute école était d'abord sise à Tournai. On l'a transférée à Mons et de là à Bruxelles. Il y a là quelque chose d'exemplaire. Si la Région bruxelloise peut faire valoir que son intérêt est celui du pays tout entier, c'est en raison du fait que, par le jeu de l'Etat unitaire (et encore après), un nombre maximum de richesses matérielles et culturelles s'y sont concentrées.
La centralisation bruxelloise
Or, on a pu montrer (Michel Quévit et Pierre Lebrun, notamment), que la gestion lointaine de l'économie wallonne à Bruxelles avait été l'une des causes du déclin wallon. A l'époque la Wallonie n'était rien politiquement et le seul Etat qui existait, c'était l'Etat belge. Qui s'est centralisé comme on le sait avec les conséquences que l'on sait. Si la Wallonie doit, symboliquement, financièrement, politiquement, "aider Bruxelles" (ce qui est le point de vue de Charles Picqué), "dans son intérêt", c'est sans doute à cause de ce mouvement de centralisation qui place effectivement certains intérêts de la Wallonie à Bruxelles (par exemple en termes d'emplois). Mais à force d' "aider Bruxelles", la Wallonie (à raison déjà de 8 milliards anciens annuels pour l'enseignement, comme on vient de l'apprendre), ne fera que renforcer ce mouvement de centralisation qui l'a mise mal en point.
Qui, comme le dit, Jean Louvet, la nie.
Nous pensons que cela peut être le calcul de la particratie francophone qui ne raisonne qu'en terme d'espace francophone. Mais si trop d'énergies wallonnes sont utilisées, objectivement, en vue de soutenir cet ancien mouvement de centralisation (qui se poursuit aujourd'hui), c'est comme si le fédéralisme ne servait déjà plus à la Wallonie, mais à bâtir seulement une Belgique francophone, dont la Wallonie serait condamnée à n'être plus que la banlieue sans âme. Jamais les militants wallons n'ont dit que l'intérêt de Charleroi, de Liège, de Tournai, de l'Ardenne (etc.), représentaient "l'intérêt du pays tout entier". Et en un sens, cela peut sembler moins vrai effectivement étant donné la configuration qu'a donnée au territoire belge la centralisation excessive opérée sous l'égide de l'Etat unitaire qui fait que la Wallonie a un intérêt à soutenir Bruxelles.
Mais à pousser cette logique jusqu'au bout on aboutit (on aboutirait et même sans doute on aboutira), à une Wallonie complètement polarisée par Bruxelles et qui ne sera plus que son arrière-pays touristique. C'est vrai aussi sur le plan symbolique. Des gens comme le Professeur Thisse, Rudy Aernoudt nous disent par exemple que la Wallonie a intérêt à se lier à Bruxelles qui la fait connaître internationalement, vu la notoriété mondiale de Bruxelles. Encore que cette notoriété serait à relativiser, elle ne nous arrange pas en tant que Wallons. La richesse de Bruxelles, la notoriété de Bruxelles sont comme la richesse et la notoriété des étoiles qui mettent leurs satellites en orbite, leur enlevant toute vie propre, ou comme ces trous noirs de l'espace qui absorbent tout ce qui passe à leur portée.
Namur menacée comme capitale wallonne
Paul Piret, attentif observateur de la politique wallonne a bien vu - sur le plan institutionnel -, que le fait de proclamer une Fédération Wallonie-Bruxelles, laissait en fait la Région bruxelloise à l'écart de celle-ci, ce qui - mais ceci pas seulement sur le plan institutionnel - est le meilleur indice du fait que la Wallonie risque de disparaître en tant qu'entité fédérée distincte, alors que Bruxelles et la Flandre subsisteraient! 4
Quelle magnifique conclusion pour des bureaucrates de partis qui n'ont jamais eu en tête que l'intérêt supérieur du parti, non du pays dont ils sont les représentants démocratiques. La menace plane sur Namur qu'elle perde son statut de capitale de la Wallonie. On le démentira. Mais qu'est-ce que serait la capitale d'une Région asservie à l'intérêt d'une autre Région et, selon ce que l'on dit, dans son intérêt? Une Région qui trouve son intérêt dans une autre (le contraire n'étant pas vrai), c'est une Région qui n'a pas d'intérêt propre, donc qui n'a pas d'intérêt du tout au sens courant de l'expression. Namur ne serait, elle non plus, qu'une capitale sans intérêt. Et tout ce qui vit en Wallonie
Il est enfin révoltant que l'on baptise toute cette opération du beau mot de "solidarité" qui mériterait d'être utilisé en d'autres circonstances. Il ne s'agit pas en effet de solidarité mais de soumission à des impératifs surtout politiques et particratiques et de la soumission à un système de partis qui veut tout ignorer des réalités régionales. Y compris la réalité régionale bruxelloise d'ailleurs. La solidarité avec Bruxelles, telle que la voit le Gouvernement wallon, c'est l'entrée de la Wallonie par ses forces propres (et notamment son budget et son poids politique), dans une logique de centralisation belge très ancienne qui signifie à terme la déstructuration économique, morale et culturelle de la Wallonie.
Nous avons eu tort, bien tort de soutenir l'Olivier à Namur qui regarde la Wallonie avec les yeux du capitalisme qui nous a détruits et qui épouse la même logique que la Belgique unitaire sous le faux-semblant de l'autonomie.
On n'a pas besoin du FDF en Wallonie, il siège déjà au gouvernement wallon.
Voir aussi:
Pour l'expression "repli wallon" que l'on ne va pas manquer d'utiliser comme d'habitude: Repli: affirmation d'identité émise à plus de 20 kilomètres de la capitale
Pour la façon dont certaines élites francophones continuent à percevoir la Wallonie: numéros spéciaux
Sur l'attitude des Wallons face à la Communauté Rejet de la Communauté française par la Wallonie (CLEO 1989), autres enquêtes
Sur le Deuxième Manifeste wallon (2003) et son retentissement: Le retentissement du deuxième Manifeste wallon (*)
L'avis de C.Defoy La communauté coûte trop cher à une Wallonie qui n'en tire rien
Tout le débat à travers une diversité de prises de positions Mouvement du Manifeste wallon;
- 1. Pour ce qui est de l'enseignement voir 3. Pourquoi et comment il faut régionaliser l'enseignement
- 2. Voir leurs noms ici: Livre Blanc pour la Wallonie (*)
- 3. Wallonie, Bruxelles: deux régions "claires et distinctes"
- 4. Communauté-Région confusion?