Un entretien extraordinairement révélateur du président sortant de la CSC. Qui en dit plus long sur la position du sommet syndical que bien des analyses. Nous avons placé les pasdages commentés en italiques grasses.
1. Naturellement, la CSC est sans surprise un syndicat « responsable », orienté entièrement vers la « concertation », et ne passe à l’action qu’à contre-cœur, quand c’est devenu inévitable !
2. Les actions organisées le sont avant tout pour canaliser la base, elles ne sont pas organisées pour gagner !
3. Il reproche plus au gouvernement sa méthode (à la hussarde, à l’image de Van Quick) que le fond de son programme (qui comprend des mesures « acceptables »)!
4.En ignorant la concertation et en ne respectant pas les traditions, le gouvernement favorise la gauche (syndicale) qui peut alors déborder l’appareil !
5.Les organisations syndicales sont un intermédiaire (un « filtre ») entre les travailleurs et les décideurs, qui peuvent accompagner et amortir (« arrondir les angles ») les politiques mises en œuvre.
6.LC est fier de son bilan de « concertateur » en chef. Il ne remet, par exemple, pas en cause le pacte des générations (qui a été « amélioré » !) ou la « norme salariale » (qui a été « appliquée » !)
7.Face à l’hégémonie du néo-libéralisme, le syndicalisme doit évoluer (mais dans quel sens ? Manifestement encore plus vers un « syndicalisme de service » car la société s’est « individualisée » !) !
8.La droite n’est pas nécessairement hostile aux syndicats car elle est pragmatique, comme l’Open-VLD (c’est pas le parti de Van Quick, cela ?) !
9.La CSC a beaucoup de membres qui font rentrer de l’argent dans les caisses (cotisations). Heureux !
10.La CSC est très différente de la FGTB (ah oui, les élections sociales approchent…) !
11. LC part à la retraite mais garde pas mal de mandats. Cumul, vous avez dit cumul ?
12.LC sous-estime l’impact du et de la politique. C’est pourtant les partis de la coalition gouvernementale qui imposent la régression sociale !
Luc Cortebeeck: La N-VA a fait son succès grâce à une idée simpliste
Vincent Rocour (LLB)
Mis en ligne le 24/12/2011
Luc Cortebeeck ne quitte pas le syndicalisme. Mais cède la fonction de président de la CSC, le plus grand syndicat du pays. Il vante les vertus de la concertation à un moment où elle est mise à mal.
Entretien
Dans quelques semaines, Luc Cortebeeck aura 62 ans. Et quarante années de carrière derrière lui. Soit largement les conditions pour pouvoir prétendre à une pension anticipée - malgré les restrictions du gouvernement. Luc Cortebeek prend donc sa pension anticipée. Mais il va continuer à servir le syndicalisme - comme vice-président de la Confédération syndicale internationale - et le mouvement ouvrier chrétien - comme président de Solidarité mondiale, une ONG active dans la Coopération au développement. Avec le sentiment du devoir bien accompli. Luc Cortebeeck est entré à la CSC en 1972 et en est devenu le président en 1999.
Vous partez à un drôle de moment. La manière dont le gouvernement met en œuvre son programme a provoqué en quelques jours une grève dans la fonction publique. Les affiliés ont réagi au quart de tour. Cela vous a surpris ?
Cela fait un petit moment qu’on sent la tension monter. C’est pour cela qu’on avait organisé une concentration des affiliés le 15 novembre et une grande manifestation, le 2 décembre. On voulait canaliser les rancœurs.Mais on ne pouvait pas prévoir que le gouvernement et le ministre des Pensions commettraient autant d’erreurs. Avec le menu qu’ils nous ont servi, il était évident qu’on allait avoir des problèmes. Je ne comprends pas comme on a pu laisser monsieur Van Quickenborne avancer comme il l’a fait. Sans égard pour les interlocuteurs sociaux. Sans calendrier pour la concertation. J’ai travaillé 40 ans dans le syndicalisme. Je n’ai jamais vécu cela. Même durant la période des pouvoirs spéciaux dans les années 80, il y avait des contacts avec les employeurs, avec les syndicats.Chaque fois qu’un nouveau gouvernement s’installe, il tente de s’imposer, d’imprimer sa marque. C’est normal. Mais là, c’est vraiment exagéré. Au début, les médias et les experts saluaient le programme du gouvernement. Ils disaient que les syndicats menaient une guerre de retard. Puis on a entendu monter la plainte des pilotes, des cheminots, des magistrats, des journalistes Et c’est devenu le chaos. Le gouvernement a refusé la concertation. Les affiliés l’ont compris. Ils nous ont alors doublés par leur gauche. Il faut ramener les syndicats dans le jeu. Et ne pas exagérer. Car il y a, dans le programme du gouvernement, des mesures qui sont acceptables. Mais il y a aussi des situations inacceptables. Si le gouvernement avait consulté les interlocuteurs sociaux, on aurait évité les erreurs techniques, les maladresses, les injustices.
Le combat syndical contre les mesures visant à retarder le départ à la retraite en 2005 n’a-t-il pas finalement rendu un mauvais service aux travailleurs ? Maintenant le gouvernement est obligé de faire vite pour rattraper le retard…
Ils ont mis combien de jours pour la réforme de l’Etat ? Et maintenant, ils disent : la réforme des pensions, c’est urgent. Ce n’est pas seulement une mesure budgétaire. Cela répond aussi à une stratégie néolibérale. Ils veulent organiser la société sans le filtre des organisations syndicales.
Les syndicats n’ont-ils quand même pas une responsabilité. En 2005, le chef de service d’études de la CSC à l’époque, Gilbert De Swert, écrivait un livre “Les 50 mensonges sur la fin de carrière”… N’aurait-il pas dû écrire un livre expliquant pourquoi les travailleurs devaient se préparer à travailler plus longtemps ?
Gilbert De Swert voulait simplement équilibrer le débat. Parce qu’à l’époque on n’entendait que des experts qui allaient tous dans le même sens. Mais la CSC a pris ses responsabilités. On a travaillé tout l’été. On s’est souvent réuni au "16" et à la résidence du Lambermont, avec le Premier ministre Guy Verhofstadt et les vice-Premiers, avec Pieter Timmermans de la FEB et Karel Van Eetvelt de l’Unizo, avec Xavier Verboven de la FGTB. On a fait du bon travail. Mais à un moment, Verhofstadt a eu un problème avec sa base. Dans la presse, on disait qu’il se concertait trop avec les syndicats. Cela a braqué son parti. Qui a relevé ses exigences. Pour nous, cela n’allait plus. Nous étions pourtant tout près d’un accord. Après, heureusement, on a pu arrondir les angles. Pas pour le plaisir. Mais simplement parce qu’une série de mesures n’étaient pas praticables. Exactement comme maintenant.
Un dossier comme l’harmonisation du statut ouvrier/employé par exemple n’est toujours pas réglé. La concertation sociale n’est-elle pas plutôt un frein aux réformes ?
Je ne pense pas. L’absence de solution dans le dossier ouvriers/employés, c’est ma grande frustration. Si j’ai manqué un élément, c’est bien celui-là, malgré toute l’énergie que j’ai dépensé à tenter de le résoudre. Mais durant ma présidence, beaucoup de réformes ont été menées à bien. On a mis en place le système du crédit-temps, que le gouvernement est en train de détricoter et qu’il reconstruira sûrement ensuite, on a amélioré le pacte des générations, on a appliqué la norme salariale, on a trouvé un accord sur la présence des syndicats dans les PME, on a relevé le salaire minimum, on a obtenu la liaison des allocations sociales au bien-être, on a imaginé des mesures anti-crise qui ont été louées à l’étranger. Tout cela grâce à la concertation sociale. Et l’on croit qu’on peut aujourd’hui se passer des interlocuteurs sociaux ?
A l’étranger, les réformes sont plus rapides… Est-ce parce que les syndicats belges sont trop influents ?
Aux Pays-Bas, la FNV, la Fédération néerlandaise du mouvement syndical, a implosé. Il n’y a plus d’action syndicale d’ensemble - le niveau interprofessionnel chez nous - qui s’intéresse à la Sécurité sociale, à la solidarité entre tous les travailleurs. Les syndicats professionnels ont désormais le champ libre. C’est du corporatisme. Je suis d’accord pour dire que le syndicalisme doit évoluer. Mais il ne doit pas devenir ce qu’il est devenu aux Pays-Bas. Chez nos voisins, le gouvernement et les employeurs ne savent plus à qui parler. Ils sont perdus. Mais bon, le courant de pensée néolibéral est pour le moment au sommet de la vague. On a déjà connu cela. Dans les années 70 après la crise pétrolière, puis dans les années 80 avec Reagan, puis en 1993 avec le Plan global, et en 2005, avec le Pacte des générations. C’est tous les dix ans que cela vient. On est dans une nouvelle vague. Il y a beaucoup de partis libéraux. Ou beaucoup de libéraux dans les partis.
Comment expliquez-vous qu’en Flandre, le taux de syndicalisme soit toujours l’un des plus élevés au monde alors que les partis hostiles aux thèses syndicales (Vlaams Belang, Open VLD, N-VA) récoltent autant de voix ?
L’Open VLD n’est pas vraiment hostile aux syndicats. Il est pragmatique. Et les gens ont voté pour la N-VA sans vraiment connaître son programme socio-économique. La N-VA a fait son succès grâce à une idée simpliste : celle de croire qu’en dressant un mur entre la Flandre et la Wallonie, cela irait mieux, parce que la Flandre a des moyens. A force d’être martelé, le message est passé. Y compris chez nos membres. Mais maintenant le masque est tombé. La N-VA dit que les mesures du gouvernement ne sont pas assez dures. Les gens commencent à comprendre. En tout cas, nous, nous ne nous affaiblissons pas. Nous avons encore gagné des membres, un peu en Flandre, et beaucoup à Bruxelles et en Wallonie - grâce à une économie plus dynamique. Et la relève est là. La CSC compte 280 000 affiliés de moins de 25 ans. Les gens sont là. Ils payent leur cotisation. Ce n’est pas rien.
Vous dites que le syndicalisme doit évoluer. Dans quel sens ?
Le syndicalisme est né à l’époque de l’industrialisation. Mais maintenant l’économie est mixte. Les services ont pris une part prépondérante. Le syndicalisme doit mieux en tenir compte. Et puis, les gens ont changé. La société s’est individualisée. Les syndicats doivent mieux répondre aux besoins des affiliés, à leurs questions.
Quels ont été vos rapports avec la FGTB ? Il y a eu des hauts et des bas, non ?
Nous travaillons bien ensemble. Mais nous sommes des organisations vraiment différentes. Dans nos objectifs. Dans la manière de travailler. Dans notre organisation interne. Et ces différences se marquent évidemment plus dans les moments difficiles. Ce qui a toujours compté dans les actions que nous avons menées, c’était le résultat au profit des gens. Pas le bénéficie que l’on pouvait en tirer dans les médias.
Qu’est-ce que vous allez faire maintenant que vous accédez à la retraite ?
Je garde mes mandats au niveau international, à l’OIT, à la CSI, à Solidarité mondiale. Je resterai aussi en contact avec la CSC. Mais je ne serai plus celui qui est là tout le temps, celui qu’on appelle jour et nuit, durant le week-end, durant les vacances. Même quand je n’étais plus là, j’étais encore là. Et j’ai vécu cela pendant douze ans. Durant ma présidence, j’ai vu défiler 5 présidents de la FGTB, 5 présidents de la FEB, 5 ministres de l’Emploi, 4 Premiers ministres. Tout le monde a changé. Sauf les présidents des mutuelles. Et le Roi.
Vous n’avez pas pensé faire de la politique, comme l’ex-secrétaire général de la CSC Josly Piette ?
Entre Josly Piette et moi, il y avait une différence : il n’avait pas promis à sa femme qu’il ne ferait jamais de politique. Moi bien. J’ai le sentiment qu’on peut davantage changer la société dans un syndicat que dans un parti.