Scènes 28, 29, 30, 31
François Simon (suite) - Je sais que certains esprits qui se prétendent supérieurs affirmeront que nous versons ici dans un panneau dangereux, que ce sont les Allemands eux-mêmes qui se sont faits les auteurs de cette manoeuvre afin de nous diviser.
Mais la division était faite. Ceux qui avaient trahi sur les champs de bataille avaient pratiquement déchiré le pacte de solidarité, à tel point que l'existence de la Belgique n'est plus possible. C'est là que la rupture s'est faite.
Non, les Flamands, en adoptant cette position, n'ont pas servi les plans de l'ennemi, mais ils ont servi leurs propres intérêts.
A peine rentrés au pays, ils se sont jetés sur tous les leviers de commande abandonnés par leurs camarades wallons.
Ils se sont jetés, comme la pauvreté sur le monde, dans les organismes de collaboration et de pillage, alors que la Wallonie se jetait, elle, à corps perdu, dans la Résistance ‑!
C'est la Wallonie qui, sur les champs de bataille, a sauvé l'honneur de la Belgique ‑!
La solution du fédéralisme, je la repousse parce qu'elle se situe infiniment trop loin dans le temps.
J'ai une déclaration à faire et j'ai la conviction que j'interpréterai les sentiments unanimes du Congrès en disant ceci‑: nous avons mis un demi-siècle pour descendre, allant de malheur en misère et de misère en malheur jusqu'au fond de l'abîme. Il faut que l'on sache que ce n'est pas en cinquante ans, pas même en cinquante jours mais en une seule fois, si c'est nécessaire que nous remonterons, que nous bondirons vers les cimes ‑!
J'ai perdu toute illusion en ce qui concerne la possibilité d'une solution sur le plan belge.
J'ai la conviction profonde que la réunion de la Wallonie avec la France est une possibilité aujourd'hui, et aujourd'hui seulement‑!
La France, quoi qu'on dise, nous attend pour l'aider à remonter le courant ‑!
Certains disent‑: "Vous serez en France des citoyens de seconde zone."
C'est possible, mais il y a une certitude que plus personne ne peut nier puisque vous êtes ici, c'est qu'en Belgique nous sommes, non pas des citoyens de seconde zone, mais des citoyens de trente-sixième ordre ‑! (Applaudissements)
Y a-t-il un exemple d'un peuple réellement mal traité par la France‑?
Voyez les Corses, les Bretons, les Alsaciens‑!
Voyez l'Alsace-Lorraine ‑! N'a t-elle pas pleuré des larmes de douleur à l'idée qu'elle ne pourrait plus redevenir française, il y a cinquante ou soixante ans ‑?
Je sais bien que ceux d'entre vous qui sont fédéralistes le sont uniquement parce qu'ils ne croient pas à la possibilité d'une solution favorable aux voeux qu'ils ont au fond du coeur.
Je vous demande à tous, sur cette position sentimentale, d'affirmer avec force votre volonté de redevenir des Français ‑!
(Acclamé debout)
Scène 29
Président Merlot - Mesdames, Messieurs, des interruptions injustifiées se font jour à tout instant. Des personnes s'animent. Vous vous en rendez compte comme moi, nous risquons de sombrer dans une situation difficile dont les conséquences seraient nécessairement regrettables. Soixante journalistes belges et étrangers nous écoutent. Un manque absolu du sens de la libre discussion gagne certains congressistes. Cela ne nous grandit pas.
On peut concevoir qu'après avoir tenté ce tour de force qui consiste à laisser exposer librement à cette tribune toutes les opinions dans la recherche de la bonne solution à nos maux, la situation se complique encore par la discussion des méthodes de votation proposées.
Il ne s'agit pas de savoir par avance si l'une ou l'autre motion aura la majorité mais uniquement de dégager une puissante, très puissante majorité.
Je donne la parole aux orateurs qui vont défendre la dernière thèse‑: l'idée de l'indépendance de la Wallonie. Voici Monsieur François Van Belle.
François Van Belle - Mesdames, Messieurs, lorsque la Wallonie libre s'est constituée, elle s'est donné des déclarations fondamentales et, comme premier point, elle a inscrit "La Wallonie appartient aux Wallons, à eux seuls ‑!".
Si le fédéralisme a l'avantage de pouvoir résoudre aux trois cinquièmes les grands problèmes qui se posent en Wallonie, il y aura toujours les deux cinquièmes de ces problèmes les plus importants qui ne seront pas résolus.
Je prétends que la thèse de l'indépendance que je défends permet de résoudre tous ces problèmes.
La Wallonie ne se laissera pas coloniser par qui que ce soit.
Je suis partisans de l'indépendance de la Wallonie dans le cadre d'Etats démocratiques.
La Wallonie ne serait bientôt plus qu'une annexe de la France. J'aime mieux que la Wallonie soit une annexe de la France qu'une annexe de la Flandre‑! (Applaudissements très vifs)
La Wallonie pourra lutter et travailler, prenant conscience de ses possibilités. Elle aura à sa disposition les ports français, les ports hollandais et aussi flamands qui seront bien contents de se mettre au service de la Wallonie.
Voilà ce que n'ont pas encore compris ces Wallons qui restent pour une Belgique quand même et malgré tout.
Si je dois lutter, si je dois me battre, je préfère me battre pour une solution radicale que pour une solution "middelmate".
La place de la Wallonie est dans le cadre d'une fédération d'Etats démocratiques qui comprendra tout l'Occident‑: les Etats-Unis d'Europe dans lesquels notre peuple aura les mêmes droits que tous les autres peuples.
L'exemple de la Suède et de la Norvège est là. Deux peuples qui vivaient ensemble se sont séparés par compréhension mutuelle. Quand vous déposerez votre bulletin dans l'urne, vous voterez avec moi pour une Wallonie indépendante et libre‑!
Scène 30
Président Merlot - Mesdames, messieurs, après avoir voté, il nous faudra désigner - à moins de faire confiance au bureau - des délégués pour former la Commission des résolutions.
Je pense, maintenant que le calme est un peu revenu, que la méthode qui est préconisée par le Comité organisateur est la bonne. Pourquoi certains d'entre vous s'effraient-ils de ce que l'on fasse voter, même sentimentalement, sur l'une des quatre motions‑? Depuis des mois, toute la propagande, toutes les délibérations ont eu le courage et l'audace d'affirmer que dans tous les mouvements wallons, quatre solutions étaient surtout préconisées particulièrement.
Nous avons su écouter ici, parfois un peu troublés et un peu décontenancés, certaines affirmations qui ne nous plaisaient pas beaucoup. Mais nous sommes partisans de la liberté et de la libre discussion. Pourquoi n'accepterions-nous pas de détacher un des quatre carrés de cette carte pointillée et de l'introduire dans l'urne ‑? Enfin, lorsque le premier vote aura été acquis, pourquoi ne pas admettre, comme l'avait pensé le Comité organisateur un second tour de scrutin qui permettrait des repliements et des regroupements favorables à l'unité wallonne‑?
Il faut savoir raisonner et travailler pratiquement.
La politique est l'art des possibilités. Nous sommes ici, aujourd'hui, au sens élevé du terme, une assemblée politique librement réunie usant des droits constitutionnels. Si nous voulons faire oeuvre politique, nous devons tenir compte de possibilités.
Par conséquent, je vous invite à décider vous-mêmes que vous autorisez le président à déclarer tout de suite l'ouverture du premier tour de scrutin.
Nous formerons la Commission des résolutions et ceux qui avaient l'espoir de parler aujourd'hui encore pourront le faire demain; d'autres voudront bien renoncer à la parole et tâcher de se consoler en laissant le vieux parlementaire que je suis leur dire que les meilleurs discours sont souvent les discours rentrés. (Rires)
Je vous demande, chers amis, si vous êtes d'accord avec le bureau pour passer immédiatement au vote (oui ‑! oui ‑! de toutes parts)
Expliquons-nous maintenant sur la façon de voter.
Le bulletin du premier vote est le bulletin rouge. Il faut en détacher une des quatre parties pointillées et la déposer dans l'urne. Vous garderez précieusement les trois autres de façon à assurer le secret du vote.
Nous attendrons les résultats du dépouillement. Puis, nous passerons dans un délai très court au second scrutin. Les dispositions sont prises pour que tout cela se fasse rapidement. Les choses iront donc très vite et nous pourrons nous séparer pour nous revoir demain et faire de la bonne besogne pour le plus grand bien de la Wallonie.
Le Fédéraliste - On aurait dû prévoir un isoloir. (rires)
Le Belge - Je n'ai rien à cacher, vous connaissez mes idées. (Rires)
L'indépendantiste - Votez bien.
Les collecteurs de bulletins passent, recueillent les bulletins rouges pliés en quatre.
Rires, excitation.
Quelqu'un applaudit.
Noir.
Entracte.
Scène 31
Le président Merlot réapparaît avec un papier en main.
Silence total.
PRESIDENT Merlot - Mesdames, Messieurs, voici les résultats du premier vote‑:
1048 congressistes ont pris part au scrutin et les votes se répartissent comme suit‑:
Pour la motion n°‑1
(maintien de la structure unitaire de la Belgique)‑: 17 voix.
Pour la motion n°‑2
(autonomie dans le cadre de la Belgique ou fédéralisme)‑: 391 voix.
Pour la motion n°‑3
(indépendance complète de la Wallonie)‑: 154 voix.
Pour la motion n°‑4
(réunion à la France)‑: 486 voix.
(Applaudissements)
Je suppose que c'est l'ensemble du résultat que vous applaudissez. S'il est exact que nous sommes tenus de confronter nos idées pour une bonne solution, je ne vois pas pourquoi il y a approbation, alors qu'il y a une telle différence entre les chiffres et qu'aucune des solutions n'obtient la majorité absolue qui aurait été de 525 voix.
Avant de passer au second vote, pour le Congrès, pour la Wallonie, je vous demande de faire oeuvre de réflexion et de maturité.
On disait tout à l'heure que nous étions à un tournant et qu'il s'agissait de savoir le prendre. Tous ensemble redescendons dans nos consciences, pensons à l'avenir de la Wallonie. Pensons à la servir de façon pratique.
Quelques membres de l'assemblée ont demandé à faire des communications entre les deux scrutins.
L'indépendantiste - Mesdames, Messieurs, nous avons libéré notre conscience. Nous avons proclamé notre droit à la sécession quand nous le jugerons bon.
Après cet acte de foi, nous avons à prendre une position réaliste, modérée.
Je vous engage à vous rallier au fédéralisme.
Salle - (protestations)
Le "Belge"‑- Non‑!
Le "Français" - Jamais‑!