Scènes 32, 33, 34
François Simon - Jamais je n'inviterai les rattachistes à s'aligner sur le fédéralisme!
L'indépendantiste - Tu es fou ‑! Les jeux sont faits. Tu n'as qu'un mot à dire‑: ils te suivront.
François Simon - Changeons les cartes. Mettons-nous d'accord‑: ensemble, indépendantistes et rattachistes, unissons nos voix et nous l'emportons haut la main.
L'indépendantiste - Tu sais bien qu'il y a eu des entrevues, des réunions avant le Congrès. Des accords secrets. Tu sais très bien qu'après le premier vote, nous avons promis de nous rallier au fédéralisme. C'était fait d'avance. Tu ne peux par renier ta parole. Qu'est-ce qui te prend ‑? Moi aussi, je me résigne.
François Simon - Je ne veux plus entendre parler de cette Belgique. D'une soi-disant entente avec les Flamands dans une sorte de bricolage d'Etat fédéral. Jamais ‑
L'indépendantiste - Ca existe, les Etats fédéraux, tu as entendu Dehousse ‑!
François Simon - Tu auras toujours les Flamands sur ta route. Toujours, tu vivras sur la comparaison. Ils ne cesseront de comparer. Tu te lèveras le matin, tu liras ton journal, tu écouteras la radio‑: pèlerinage, fête nationale, anciens pauvres, nouveaux riches, la cigale et la fourmi, humiliation, chantage, arrogance, tu vivras dans le pays le plus faux d'Europe occidentale. Belgique clochemerle ‑!
L'indépendantiste - Tu dois prendre la Belgique au sérieux. Nous donnerons un vrai visage à ce pays de faussaires. La vérité est dans le faux. Va à la tribune et crie leur‑: "Oui, vous ne rêvez pas, la Wallonie existe. Aujourd'hui, c'est un rêve en couleurs, mais ce rêve deviendra réalité". Tu dois y croire avant même qu'elle n'existe ‑!
François Simon - Nous allons porter un coup mortel aux rattachistes. Ils ne méritent pas qu'on les fasse trébucher sur le seuil de l'Histoire.
L'indépendantiste - Le premier vote est fini, fini ‑! Aligne-toi sur le fédéralisme. Un jour, nous vivrons dans un pays libre, ensemble, ceux qui sont nés ici, ceux qui viendront d'ailleurs. Il faut s'arracher d'abord à l'Etat unitaire, s'arracher, puis s'enraciner. Chaque chose en son temps.
François Simon - Tu me tues.
L'indépendantiste - Respecte les accords‑: nous devons emporter une majorité absolue, absolue, tu comprends. Une majorité relative ne produirait qu'un effet mineur, tout serait à recommencer. Il faut sortir d'ici avec une formidable image d'unité. On nous lance assez à la figure que nous ne sommes pas Wallons, qu'il y a des Borains, des Liégeois, des Ardennais, que nous ne sommes pas un peuple, que nous voulons nous replier, etc. Un jour, nous serons une nation, c'est comme si c'était fait. Indépendante.
François Simon - Tu es plus fou que moi.
Cette scène a pu se passer dans une ambiance d'isolement total.
Noir.
Pleins feux sur François Simon qui monte à la tribune.
Scène 33
François Simon - Mesdames, Messieurs, vous venez de marquer avec puissance l'importance prise en Wallonie par le courant rattachiste. C'est une manifestation qui aura des répercussions profondes.
Mais je viens vous demander le même sacrifice que celui que je m'impose à moi-même.
Nous allons tenter une toute dernière expérience avec cette conviction absolue que cette expérience sera négative.
55% parmi vous croient qu'il est possible de trouver rapidement une solution dans le cadre belge, par les voies constitutionnelles. Ils ont un bandeau sur les yeux. Mais je vous demande de tenter cette dernière expérience et de vous rallier au fédéralisme.
Salle - Applaudissements.
Président Merlot - Et voici Monsieur Van Belle.
François Van Belle - Le porte-parole du rattachisme vient de vous déclarer qu'il serait utile de faire un pas en arrière.
Un pas qui rapprocherait les extrêmes sur une solution susceptible de réaliser l'unanimité.
Cette solution ne peut être que le fédéralisme.
Moi, j'ai défendu l'indépendance totale, mais je considérerai comme un véritable succès que le Congrès se prononce pour le fédéralisme.
Qu'est-ce qui compte maintenant‑? Faire l'unité. Etre unis dans la lutte.
Ainsi puissent se souvenir les générations futures que nous aurons été, ce soir d'octobre 45, des femmes et des hommes de bonne volonté‑! (Applaudissements).
Président Merlot - Je passe la parole à Monsieur Dehousse.
Fernand Dehousse reprend la parole jouant d'un ton proche de la dramatisation - Il y a vingt ans que j'appartiens au mouvement wallon et je peux dire que je lui ai donné le meilleur de moi-même. Je suis convaincu qu'un vote comme celui qui vient d'avoir lieu est une catastrophe pour le mouvement et qu'il risque de le désorganiser pendant de très longues années, étant donné les répercussions qu'il aura.
Je ne suis pas un homme politique et je ne possède pas de secrets politiques. Je ne veux pas jouer au petit malin, mais je puis vous affirmer que - de par certaines fréquentations que j'ai des assemblées internationales - un vote comme celui qui vient d'être émis est catastrophique au point de vue des idées. Je vous en donne ma parole d'honneur.
Je regrette de ne pouvoir m'expliquer avec une totale liberté, mais dans ce domaine, il y a bien des choses qu'on ne peut dire. Ni l'Angleterre ni les pays anglo-saxons n'admettront le vote que nous venons d'émettre. Mais vous allez voter pour le fédéralisme! Un millier de mains se lèvent, je les vois, je le sais, je les saisis comme les appels décidés d'un peuple en marche. Dans un instant, vous n'applaudirez pas au résultat final, je le devine, mais je lirai dans vos yeux la lumière d'un jour nouveau qui se lève. (Applaudissements).
Président Merlot - Aucune majorité réelle n'a donc pu être enregistrée ‑! Mais l'assemblée veut trouver une unité d'action.
Il faut donc former une commission des résolutions qui devra, demain, proposer au Congrès la voie du devoir à tous les Wallons.
Faites-nous confiance jusqu'à demain.
Qu'en pense l'Assemblée ‑?
Qu'en pense l'Assemblée ‑?
(Silence)
On vient de vous inviter de différents côtés à vous rallier au fédéralisme.
Nul plus que moi ne s'en réjouit, car j'ai tout de même bien le droit de trahir ma conviction. Nous finirons par nous entendre. Expliquons-nous. Je ne veux pas avoir l'air de subtiliser un vote ‑! Je demande à l'assemblée d'adopter donc la motion du fédéralisme et de charger la Commission des résolutions de faire, pour demain, des propositions concrètes.
Les uns et les autres ont fait les pas qu'il fallait. Est-ce bien compris‑‑?
Le fédéraliste - J'estime que, dans un but d'unité, le devoir - j'insiste - de tous les congressistes est de proclamer le fédéralisme, uniquement en levant sa carte de congressiste, et manifestons ainsi notre accord‑: l'unité, l'unité dans l'action ‑!
Salle - (Applaudissements)
Président Merlot - En présence des marques d'approbation que donne le Congrès, je mets aux voix la proposition, celle qui vient d'être précisée.
Que ceux qui sont partisans lèvent la main ‑!
La résolution mise aux voix à main levée, est adoptée à l'unanimité, moins 12 voix.
Les débats reprendront demain, merci à tous.
Scène 34
La salle se vide.
Restent quelques personnes qui se regroupent, assises, debout, appuyées contre la scène.
Martha - Vous avez l'air désolée du résultat final.
Thèrèse‑- On en a vu d'autres pendant la guerre.
Martha - C'est fait, il ne faut plus discuter. C'est bien.
Le "Belge"‑- Qu'on vote tous pour le fédéralisme, c'était une consigne.
LE "FRANCAIS"‑- Un compromis misérable; enfin nous avons obtenu beaucoup de voix pour le rattachement à la France.
Le "Belge"‑- En définitive, qui vous dit que la France a besoin de nous‑? Je n'ai cessé de vous le répéter pendant nos réunions clandestines de Wallonie libre.
Le Borain‑- Purgez la France de sa moitié pétainiste, et nous verrons.
Sur la scène. Quelqu'un monte sur la scène et imite les orateurs.
Le "Français" très emphatique - Je jure fidélité à la Constitution du peuple belge.
Le fédéraliste - Ne riez pas. Pour les hommes politiques qui sont là parmi nous, c'est une situation impossible.
Le "Belge"‑- Nous devons rester dans le cadre de la loi. Ou alors, faites un coup d'Etat ‑!
Sur la scène. Le "Français", très mélo - Donnez-nous du temps.
On va travailler pour vous.
Ma parole d'honneur.
L'ARDENNAIS - On n'a pas respecté le deuxième vote. (Il montre le bulletin jaune). Et ça ‑? On ne s'en est pas servi. On a changé les règles du jeu.
Le fédéraliste - Pour les idées, on peut voter à main levée, c'est démocratique.
L'ARDENNAIS - On a voté pour quoi en définitive‑?
Le fédéraliste - Pour le fédéralisme‑! C'est un outil, il faut l'affiner, s'en servir.
L'ARDENNAIS - On a plutôt voté pour une commission qui va s'occuper du fédéralisme. Qui va choisir les membres de cette commission‑?
On nous a demandé notre avis‑?
Le "Belge"‑- C'est trop complexe. Il faut une commission avec des experts.
Fédéralisme à deux, à trois, à deux et demi‑?
Sur la scène. Le Français, mystérieux - Les murs ont des oreilles.
Faites-nous confiance.
Je ne peux pas tout vous dire.
L'ARDENNAIS - C'est un chèque en blanc.
Le fédéraliste - Merlot est sincère‑: il est pour le fédéralisme. C'est un homme politique, partagé, ambigu mais sincère.
Thèrèse ‑- Il rêve.
L'indépendantiste - Il rêve, c'est ça, il rêve d'une synthèse entre Wallonie et Belgique.
Le Fédéraliste - Les rattachistes vont perdre la flamme, vous verrez.
Le "Français" - Jamais‑!
Le "Belge"‑- Il faut passer du plan militant au plan parlementaire‑: la bataille est là désormais. Avec patience, sang-froid et ténacité.
Le Borain - A condition que le peuple exerce une pression constante‑! Il faut que des centaines de milliers de Wallons nous épaulent de toute leur énergie‑! Nous serons les pèlerins du dimanche, les pèlerins du week-end, les pèlerins de chaque jour.
L'indépendantiste - Vous verrez, les Flamands seront encore des dizaines de mille à s'agiter dans l'ombre‑: ils feront à nouveau retentir les rues et les vieilles cités flamandes de leurs cris de ralliement gutturaux et de leurs invocations antifrançaises‑!
Le fédéraliste - Raison de plus pour nous rapprocher des vrais fédéralistes flamands‑!
L'indépendantiste - Nous avons tiré un coup de canon à blanc‑!
Thèrèse‑- C'est un coup de semonce.
Ils sortent.
Noir dans la salle.