Maystadt, "prisonnier de la peur de perdre le pouvoir" (et qui dit le contraire de la vérité)

Selon "La Revue Nouvelle" en... 1989
République n°37, mai 1996
8 January, 2009

La Nouvelle Gazette "analyse" la dette publique et en rend responsables les politiciens des années 70. Or, le vrai dérapage budgétaire date d'après 77. Et l'Etat belge s'endette car il est incapable d'imposer vraiment les revenus élevés, appelés à contribuer à l'intérêt général d'une manière qui rencontre les leurs (les intérêts de l'argent prêté). Le journal reprend les clichés: "Nous avons trop bien vécu etc." Stupide. Le patrimoine des 5 % les plus riches passe de 6.800 milliards de FB en 82 à 16.000 en 92, tandis que la dette bondit de 2000 milliards à 8000 sur la même période. On emprunte pour payer les intérêts d'une dette s'autoalimentant sans dépense supplémentaire. Maystadt, ministre du Budget (81-85), des affaires économiques (85-88), vice Premier et ministre des finances depuis 88, accepte ces données! Or, dès 1974, il est conseiller important au cabinet d'Alfred Califice, ministre-clef de Tindemans de 74 à 77. La Nouvelle Gazette fixe le dérapage de la dette en 70. Mais, jusqu'en 77, en pourcentage du PNB, la dette s'amenuise (INS, 1945-1992, Bulletin de la Banque nationale, 10/1994). La dette s'est mise à croître vraiment dangereusement au moment où Maystadt entre au gouvernement fédéral. Il n'y a pas là un lien de cause à effet, mais... Mais on demande à Maystadt s'il en veut aux "auteurs" du "dérapage" des années 70 (qui est bien plus tardif). Il répond avec assurance: "Nous serons quelques uns à avoir consacré toute notre carrière à tenter de réparer les conséquences du dérapage des années 70."! (La Nouvelle Gazette du 9 mai). En 88, Maystadt fit voter une réforme fiscale qui, en une année, représenta 90 milliards de moins-value pour l'Etat, en faveur surtout des revenus supérieurs à 1.500.000 F qui empochèrent le tiers de la réforme, 30 milliards. Maystadt fit alors éditer une brochure qui vantait tous les bienfaits de la réforme, sauf... les 30 milliards. En 87, J.Schoonbroodt estimait que le premier gouvernement Martens-Gol (81-85), exonérant les gens achetant des actions, avaient coûté 140 milliards à l'Etat dont le ministre du budget était ... Maystadt.

Voici le texte de La Revue Nouvelle:

En 1981, il [Maystadt] fit clairement le choix de la coalition libérale conservatrice (...) Peut-être un jour saura-t-on si ce choix fut guidé par ses seules ambitions ou s'il fut invité à le faire par les dirigeants du MOC. En tout cas, l'expérience libérale-conservatrice ne pouvait réussir que si, du côté wallon, il y avait un pendant à Jean-Luc Dehaene ["Moc" flamand, NDLR]. Il assuma ce rôle jusqu'au bout, prisonnier peut-être de sa peur de perdre le pouvoir. A une émission dominicale "Faire le Point", la question est naturellement venue:"Vous revendiquez-vous du MOC?" La réponse n'aurait pas été reniée par un jésuite: "Je suis mutualiste"... Ce qui n'engage pas à grand chose quand on sait que tous les Belges sont affiliés à une mutuelle.

Voulait-il dire militant mutualiste? On peut en douter. Dans son livre Ecouter puis décider, il dénonce la trop grande influence des lobbies dans le pays et il cite explicitement les électriciens et les mutualités. Plusieurs fois, ses déclarations en matière de sécurité sociale se firent l'écho de l'inconscient de la coalition chrétienne-libérale. C'est lui qui déclara devant les caméras de la télévision que l'Etat ne serait bientôt plus à même de payer les pensions dans un délai d'un an. Gaffe magistrale dans un contexte où la campagne des sociétés d'assurances commerciales battait son plein pour promouvoir des plans de pension complémentaire. Et plusieurs de ses déclarations en matière de santé indiquent clairement qu'il n'allait pas chercher son inspiration dans les couloirs des organisations sociales. Sans doute son passage dans les universités américaines lui a appris à se méfier des lobbies sans faire de distinction entre les sociaux et les autres.

Année après année, dossier après dossier, il confirma son choix pour Martens et pour le gouvernement qui gouverne. Lors de la dévaluation, il était ministre du budget et ne broncha pas devant les différents trains de pouvoirs spéciaux et de mesures dites d'accompagnement. Il laissa Guy Verhofstadt couler son plan d'expansion du potentiel scientifique et le remplacer par des incitants fiscaux aux entreprises. Fidèle compagnon de Wilfried Martens et de Jean Gol, il les accompagna dans toutes leurs aventures, sauf la dernière qui se termina à Fouron [chute du gouvernement à l'automne 87, NDLR].

Ni enfant terrible, ni frein aux innovations néolibérales, il parut aussi insensible qu'un sphinx au courroux qui se développait sensiblement dans les milieux chrétiens progressistes face à la recomposition conservatrice de la société: dérégulation des prix, privatisation, austérité sociale, valorisation du capital à risque, de l'argent dans toutes ses formes, réforme fiscale. Il fut même un bon élève de la coalition en présentant un projet de loi "mammouth" qui visait à promouvoir les zones d'emplois, les options sur actions et les rémunérations participatives. Et lorsqu'après les mesures d'austérité prises lors du conclave de Val Duchesse, il s'est agi de renégocier les charges de la dette publique, Philippe Maystadt se rangea plus derrière les thèses de Marc Eyskens que derrière celles de François Martou[A l'époque où il prêchait la résurrection du Christ aux congrès du MOC, Martou était un peu moins à droite qu'aujourd'hui, NDLR]. Nommé ministre des Finances de l'actuelle coalition, il s'attacha à faire passer avec le regard bienveillant des socialistes une réforme fiscale d'une médiocrité sans pareille.

Pour la vendre une fois de plus à l'opinion publique, il publia avec sa secrétaire d'Etat Madame Demeester, une brochure de vulgarisation cachant les plantureux bénéfices des détenteurs de revenus de plus d'un million et demi. Dame! Ils ne représentent que 3% des contribuables, mais ils empochent tout de même dans cette opération 30 milliards, le tiers de la réforme. Quelques jours après, La Libre Belgique publiant un sondage trimestriel sur la personnalité des hommes politiques, titrait que Philippe Maystadt touchait les dividendes de la réforme. Malgré cette complicité avec les milieux les plus conservateurs du pays pendant une bonne partie de sa carrière, Philippe Maystadt garde un capital de confiance important dans les milieux progressistes...

La Revue Nouvelle, mai 89, pp. 116-117. .

(Depuis ces lignes de 89, sept années se sont écoulées. Le destin de cet ultra-conservateur, avide de pouvoir - d'autant plus qu'il n'en paraît rien - semble fixé. Son "capital de confiance dans les milieux progressistes" a-t-il cependant disparu? Il est tragique pour Charleroi et la Wallonie d'avoir encore à poser cette question.)