Victoire du PQ et indépendance du Québec
La plupart des médias de langue française ont annoncé la victoire du parti québécois aux élections du mardi 4 septembre 2012 en titrant « victoire des séparatistes », terme péjoratif qui désigne les partisans du Québec libre pour reprendre une autre façon de parler de cela qui avait été assumée par le général de Gaulle en 1967. C'est l'occasion de revenir au moins sur cette question des référendums sur la souveraineté du Québec.
Le référendum raté de 1980 et le volé de 1995
Le 20 mai 1980 le gouvernement du Québec présidé par René Lévesque pose la question de la souveraineté. 40,44% des Québécois répondent OUI, 59,56% répondent NON. Mais dès 1980, une majorité de Québécois francophones répondent OUI. Le 30 octobre 1995 le Gouvernnement du Québec sous la présidence de Jacques Parizeau posa à nouveau la question de la souveraineté. Cette fois 60% des Québécois francophones répondirent OUI et l'ensemble des Québécois votèrent OUI à 49,42% des voix, le NON l'emportant à une très faible majorité de 50,58% des voix, 58.000 voix en chiffres absolus. « Il est connu » écrit l'encyclopédie Wikipédia « que le gouvernement fédéral du Canada a dépensé plus de 30 millions de dollars durant la campagne référendaire afin de favoriser son option, le fédéralisme. Par l'entremise de ses ministères, agences et sociétés d'état, le fédéral a entre autres organisé des rassemblements publics, acheté des espaces publicitaires afin qu'ils ne soient pas disponibles au Comité du OUI, empêché le Comité du OUI de diffuser une publicité à la télévision publique de Radio-Canada fait distribuer des drapeaux canadiens et autres symboles gratuitement. » 1 Les dépenses en propagande électorale du gouvernement canadien atteignirent 30 millions de dollars canadiens alors qu'une loi québécoise prescrit que les dépenses du « parapluie » du NON et du « parapluie » du OUI doivent être égales et qu'elles étaient, de source québécois de 5 millions chacune ce qui permet de dire que la NON fut appuyé par sept fois plus de propagande que le OUI. En outre, de 1993 à 1995 le nombre de nouveaux Québécois obtenant la citoyenneté canadienne a augmenté durant ces années de 87% et rien que le mois d'octobre 1995, 11.000 immigrants ont obtenu la citoyenneté canadienne. Or il faut savoir à la fois que ces nouveaux citoyens canadiens étaient loin d'être tous des francophones d'origine et que l'octroi de la citoyenneté canadienne en présence de juges et dans un décor qui a quelque solennité engageant plus à l'égard du Québec que du Canada faisait de ces nouveaux citoyens plus des partisans du NON que du OUI. Le Directeur général des élections du Québec dans son Rapport annuel 1997-1998, Québec : Directeur général des élections du Québec, 1998, a admis que dans la seule région de Montréal, 60.000 électeurs ont participé au vote sans en avoir le droit. En outre, Pierre Drouilly de l'Université du Québec à Montréal a pu écrire dans L'année politique du Québec, 1995-1996 : « Tous les sondages anticipaient une solide majorité francophone pour le OUI, et un vote non francophone massif pour le NON (de l'ordre de 95%). Le simple examen des cartes du vote NON et OUI (...) indique que c'est bien ce qui s'est produit, mais l'analyse statistique le confirme. »2. Certes, qu'une minorité culturelle empêche de fait une solution d'une façon contestable c'est-à-dire en émettant un vote purement « ethnique » à quasi à n'unanimité, est légitime. Mais la question mérite d'être posée de la légitimité de cette minorité de blocage sur le long terme. Et cela d'autant plus que, par toutes sortes de moyens en apparence légaux, le Gouvernement fédéral du Canada a exercé un pression maximale sur la population du Québec pour empêcher la victoire du OUI et y est finalement parvenu de justesse.
Le mythe référendaire au Québc
L'idée d'accéder au rang de nation souveraine en consultant la population de cette future nation repose sur le principe démocratique que la souveraineté a son fondement dans le peuple. Mais en réalité il existe peu de vieilles nations démocratiques qui aient été initiés de cette manière, soit par une consultation directe de la population.
Claude Bariteau dans Pour sortir de l'impasse référendaire, Les Intouchables, Montréal/Québec, 2005 analyse la manière dont le mythe référendaire s'est imposé au Québec. En 1864, alors que la Confédération canadienne n'existe pas encore et que les relations entre le Bas-Canada francophone et catholique et le Haut-Canada protestant et anglophone s'enveniment, dans ce qui est encore une colonie britannique mais pratiquant une forme de self-govnerment, le député canadien français Antoine-Aimé Dorion souhaite que le projet de confédération soit soumis à l'approbation de la population du Bas-Canada. Il prévoit en effet que ce projet de confédération « sera générateur de conflits entre les deux paliers envisagés de gouvernement » (C.Bariteau, p.45) Mais le projet britannique de confédération sera appuyé par le clergé et la bourgeoisie d'affaires de Montréal et sans le consentement de a population.
Il est impossible de ne pas penser ici que, de la même manière le renforcement fédéral de l'Europe en 2005 a été rejeté par les Français et les Néerlandais pour finir par être à nouveau réalisé à travers un autre traité qui n'a plus lui-même été soumis à l'approbation directe des Français mais à leurs « représentants » réunis à Versailles en Congrès. Une grande partie des élites françaises, et notamment André Fontaine au JT de la RTBF le 24 juin 2005 regrettait alors que le Traité constitutionnel ait été soumis à l'approbation du peuple. Il aura été exaucé par la suite.
Pour C. Bariteau, il faut sortir du mythe de l'accession à l'indépendance par la voie référendaire, surtout depuis que la loi sur la clarté, la loi C20, vient fausser le processus (cette loi a été adoptée après le référendum de 1995 et permettrait éventuellement de mettre en cause le résultat favorable à l'indépendance d'un référendum québécois)
Les exemples de l'étranger
Claude Bariteau donne de nombreux exemples de pays qui ont accédé à l'indépendance autrement que par la voie référendaire comme la Slovaquie et la Tchéquie (se séparant en bons termes), et d'autres pays de l'Europe orientale. On peut avoir des hésitations car (sauf la Tchéquie et la Slovaquie), ce sont souvent des pays sans grande tradition démocratique. Or, la démocratie (comme tout régime) a besoin d'être longuement expérimentée avant de descendre en quelque sorte former l'habitus d'un peuple.
Par rapport à ces pays, le Québec présente l'exemple d'un peuple depuis longtemps plongé dans la marmite de la démocratie libérale et chez qui un référendum ne serait certainement pas menteur d'autant plus qu'il n'aurait pas de majorité « stalinienne ».
Le cas du Québec est fascinant car il st l'exemple plus que probablement unique d'un pays de vieille tradition libérale et démocratique qui aurait accédé à la souveraineté non pas seulement à l'issue de mouvements démocratiques internes à une nation préexistante (par exemple la France de 1789 ou l'Angleterre un siècle avant), mais par l'appel direct au suffrage universel chargé de constituer en direct la nation souveraine. C'est frappant parc que si la plupart des pays démocratiques se targuent de reposer sur le consentement « du peuple et de chaque partie du peuple », il y en a peu (et sans doute pas), qui soient nés de la volonté expressément manifestée de la population à travers un vote.
Claude Bariteau donne (p.57) d'autres exemples comme l'Islande ou la Norvège - des pays à longue tradition démocratique - où en 1943 (pour l'Islande), en 1905 (pour la Norvège), des référendums aux majorités écrasantes (98% pour l'Islande), 99,95 % pour la Norvège), débouchèrent sur l'indépendance.
Mais celle de l'Islande était acquise parce que le Danemark était occupé par l'Allemagne (en 1943, mais le Gouvernement danois n'était pas tant sous le contrôle allemand, c'est une situation étrange où un pays occupé par les nazis, maintint son régime démocratique, le parti nazi danois se faisant enfoncer aux élections). Cette situation poussait les Islandais à rompre, eux étant hors de l'Occupation allemande, et de toute façon la situation a quelque chose d'exceptionnel.
Pour la Norvège (1905), se rendant indépendante de la Suède, le processus de séparation était depuis longtemps amorcé (les deux Etats étaient déjà une Confédération au sens presque strict), et l'absence de contestations frontalières empêcha le recours à la guerre un moment envisagé par la Suède. 3
De l'étranger au Québec
Claude Bariteau écrit que les référendums sont souvent tenus « par un gouvernement sécessionniste après que des parlementaires, ayant ce mandat, aient déclaré l'indépendance de leu pays » (p.60). Il revient plusieurs fois sur le caractère d'entérinement de la plus part des référendums amenant à l'indépendance (p.75 notamment). Il insiste aussi sur le fait que l'impératif de courtoisie (p.78) empêche les Etats souverains de pleinement sympathiser avec des tentatives sécessionnistes, le fait de le faire remettant en cause (au fond) la souveraineté elle-même de l'Etat qui sympathise (il ne faut pas oublier que tant Guy Spitaels que Robert Collignon s'entretenant de la question de la Wallonie à l'Elysée en reçurent le conseil de maintenir l'unité belge).
Sauf pour les pays colonisés, le droit à l'auto-détermination n'est pas clair. Par sa loi C-20, le Canada a fixé (un des rares Etats à l'avoir fait), la procédure pour faire sécession en son sein, mais de telle façon que les pays tiers, même après un référendum positif pour l'indépendance au Québec, auraient du mal à appuyer la démarche québécoise (d'autant plus que la loi C-20 fait référence aux principes de l'ONU). Claude Bariteau montre même que le Secrétaire Général des Nations Unies, Boutros Boutros Gali avait invité Jean Chrétien à corriger le laxisme permettant à une partie du Canada de se détacher de lui (p.88).
Au Québec même, la nécessité que le PQ a vu d'accéder au pouvoir, d'y avoir une bonne gouvernance provinciale avant de déclencher le référendum, n'est pas ou plus une bonne chose comme ne l'est pas le scrutin majoritaire à un tour qui met un parti au pouvoir avec une majorité de sièges à l'Assemblée nationale sans l'avoir nécessairement dans le pays, ce qui se produit souvent. Claude Bariteau décrit (pp. 130-131), les incohérences du scrutin majoritaire. Qui peut permettre par exemple à un parti avec une majorité d'élus mais un pourcentage de suffrages exprimés inférieur à un autre parti de gouverner malgré tout (le cas s'est présenté cinq fois au Québec). Qui empêche (critique plus classique), que la diversité des opinions soit représentée au Parlement. Qui permet (cas très fréquent), d'avoir une majorité absolue au parlement sans l'avoir dans la population.
Mise en cause du référendum et même d'une élection référendaire
Claude Bariteau met également en cause les projets de Robert Laplante et de Jacques Parizeau, ne leur trouvant pas assez de différences avec le « mythe référendaire » (pp. 139-142), mais essayant seulement d'éviter les pièges de la loi C-20. Pour le premier il s'agissait de proposer aux électeurs d'élire un Assemblée qui promulguerait une constitution provisoire, une Cour suprême québécoise, une Commission négociant avec la Canada les termes d'un entente entre pays souverains puis une déclaration d'indépendance après le vote d'une Constitution. Le deuxième proposait un processus semblable mais plus rapide.
Quant à Caude Bariteau, voici comment il exprime le mieux son projet : « L'autre approche électorale, celle que je privilégie, est une élection gagnée à la majorité absolue des votes exprimés en faveur des candidats et des candidates prônant la création du pays du Québec. » (p.157). Mais pour parvenir à cette majorité absolue, il faut une sorte d'union sacrée entre partis, distincts quant à leurs projets de société, mais unis dans la volonté d'indépendance. L'auteur déclare que sa proposition est insurrectionnelle et démocratique. Insurrectionnelle car elle vise à la prise du pouvoir pour créer un pays, démocratique parce que cette prise du pouvoir ne peut se faire qu'avec le consentement du peuple (p.166).
Il montre que les autres solutions se heurtent à la loi C-20 ou à certaines déclarations de la Cour suprême du Canada, mais que son procédé proposé rencontre certaines exigences des Nations Unies comme la Convention de Montevideo (p.86), ou les commentaires de McWhinney énumérant les conditions du passage à l'indépendance : existence d'un peuple, maintien de l'ordre sur l'Etat proclamé, respect des droits, capacités d'assurer son développement (sur ce dernier point, aux pp. 174-175, C. Bariteau pense que le dossier québécois serait digne d'examen, d'innombrables études le démontrant depuis 50 ans).
La réalisation du projet de Claude Bariteau suppose la mobilisation d'innombrables groupes et individus à l'intérieur du Québec, une véritable mobilisation consensuelle ( pp. 187-206). C'est un peu l'idée d' « Etats Généraux », la vieille institution de la Royauté française. Mais ici, les Etats Généraux de C. Bariteau, (il n'use pas de cette expression), font songer à la déclaration du 28 juillet 1950 de P-J Merlot, appelant en début d'insurrection de la Wallonie contre Léopold III à la réunion des Etats Généraux, soit (dans cette idée), à la fois les parlementaires, les élus provinciaux et communaux, mais aussi les syndicats, voire les Eglises (comme ce fut le cas en Ecosse, mais dans un contexte pacifique), les mouvements militants wallons, les associations de patrons, d'agriculteurs etc.
Et, de fait, l'expression ou le mot composé Etats Généraux, cela fait penser à quelque chose de peu républicain (les représentation d'Ancien régime), mais en même temps de très révolutionnaire (et donc de républicain, car c'est cette réunion qui en 1789 amena la monarchie à sa perte). Lorsque Merlot annonça qu'il y avait lieu de convoquer « les Etats-Généraux de Wallonie », on songea à tout sauf au retour à l'ordre belge monarchique!
Réflexions
Voilà la réflexion de Claude Bariteau sans doute résumée au risque du simplisme et de l'oubli de détails importants. Mais en étant fidèle à son inspiration essentielle. Il est vrai que la marche de la Wallonie à l'indépendance (avec cette réserve qu'elle s'est faite avec la Flandre mais sans aucune similarité avec la Norvège/Suède ou la Tchéquie/Slovaquie), s'est faite sur la base de gouvernements (belges bien sûr), disposant de majorités parlementaires énormes puisque la Constitution ne peut être révisée que par les 2/3 des voix au Parlement. Et même parfois plus qu'aux deux tiers puisque certaines lois de réforme ne peuvent être votées qu'avec les 2/3 et la majorité dans chaque groupe linguistique.
Il semble cependant que la démarche québécoise demeurerait unique. Car aucun pays n'est jamais devenu indépendant après un tel luxe de préparations démocratiques et de référendums ratés (ces échecs étant à certains égards « positifs », car pouvant annoncer ce qui viendra et annoncent aussi que le peuple québécois deviendrait un peuple sans la violence qui a fondé souvent les nations, et, en réalité presque toujours). Il reste qu'il y a quelque chose de dramatiquement intéressant dans le coup de dé des référendums. Cette manière dont un peuple se lance dans le vide pour pouvoir exister sans être sûr d'y parvenir. Et sans en être sûr, tout simplement parce que peu ou pas de nations existantes au monde, auraient pu devenir des nations selon cette modalité si risquée.
Le risque de la démocratie, supposée pourtant fonder les nations démocratiques...
En Wallonie, le référendum a eu lieu en 1950 mais n'a prouvé qu'une seule chose: que les Belges ne formaient pas une nation (les Flamands votant le retour du roi, les Wallons s'y opposant). Ce qui a suivi ce référendum en quelque sorte négatif, cela a été un travail parlementaire (certes porté par des mouvements sociaux de toutes les sortes, tant en Flandre qu'en Wallonie). Cela aboutira à un Etat belge qui sera de plus en plus une coquille recouvrant deux œufs, la Flandre et la Wallonie, incitées sans doute (par l'usage et l'histoire), à collaborer, mais librement.
Cette voie « belge » ou - plus exactement! - wallonne et flamande, est unique, comme le serait de toute façon l'accession à l'indépendance telle que la prône Bariteau. De ce point de vue, les exemples étrangers qui fondent sa démonstration, n'empêchent pas que le Québec deviendrait indépendant comme aucune nation ne l'est devenue et conserverait ce qu'a d'unique la voie référendaire. Il y a d'ailleurs dans tout ceci, si l'on y réfléchit bien quelque chose qui engage dans la voie du postnational chère à Jean-Marc Ferry 4.