Critique : Cohn-Bendit, Verhofstafdt : Debout l'Europe!
Le livre se présente comme un manifeste dont le texte se lit de la page 7 à 67 suivi d'une interview des deux députés par Jean Quatremer allant de la page 71 à 150.
Soulignons qu'il est édité par André Versaille et que l'on peut se le procurer à un prix modique 1Un discours européiste très classique
Il nous semble que le discours de ces deux députés européens qui voudraient enclencher une révolution fédéraliste européenne peut être assez vieux sinon vieilli. L'essentiel de leur argumentation est celle des années 50 et 60 en Belgique, mais aussi en France dans un parti comme le MRP : l'existence alors de grands ensembles comme l'URSS ou les Etats-Unis d'Amérique (on ne parlait que de ces deux-là à l'époque), impliquait que l'Europe s'unisse pour continuer à jouer un rôle dans le monde. C'était le discours de Jan Lecanuet lors de l'élection présidentielle en France de 1965, lorsqu'il affronta le général de Gaulle, le mettant d'ailleurs en danger. Ce discours assez classique n'est pas nécessairement faux.
Parmi ces grands ensembles ou du moins les espaces politiques à même d'affronter le monde actuel, les deux députés placent les Etats-Unis (300 millions d'habitants) mais aussi le Japon (127 millions d'habitants). Ils y placent aussi des pays comme le Brésil (200 millions d'habitants) et la Chine et l'Inde qui dépassent le milliard. En fait, ce qu'ils pensent plus précisément c'est que le G8 dans 25 ans ne comptera plus aucun Etat européen et qu'il se composera des USA, du Japon, de la Chine, de la Russie, mais aussi de l'Inde, du Mexique, de l'Indonésie et du Brésil. Plus aucun Etat européen en tant que tel ne pourrait y siéger, même pas l'Allemagne (p. 12). Il peut y avoir une hésitation chez les auteurs, car, quelques pages plus loin, lorsqu'ils mesurent la forte progression de la population mondiale passée de 2 milliards à sept et probablement à dix d'ici 40 ans, ils mettent en avant le fait que la seule chose qui comptera à l'avenir sera ce qu'ils appellent des « empires » (avec les guillemets), soit des entités comptant plusieurs « nations » (p.16). Ce qui ne semble pas valoir pour le Japon (même si c'est son nom officiel), ni la Russie ni les USA même si cela peut s'entendre de la Chine (et son fédéralisme de facto), ou de l'Inde (Etat fédéral qui a comme langue officielle l'anglais par défaut).
A leurs yeux l'Etat-nation est dépassé et ils regrettent que celui-ci soit louangé comme espace de paix, garantissant sécurité sociale, éducation et niveau de vie alors que l'Union européenne est décriée « comme la cinquième colonne de marchés apatrides, dont la seule motivation serait de soumettre les citoyens à un ordre destructeur du lien social » (p.17).
La démocratie mise en cause...
Pour les auteurs la crise actuelle de l'euro n'est pas une crise de l'euro en tant que tel mais une crise qui est due au fait que l'adoption de la monnaie unique ne s'accompagne pas « d'une politique économique et financière proprement européenne » (p.19). En effet, si des Etats peuvent exister sans monnaie, il n'y a pas de monnaie sans Etat. Il faut donc selon eux qu'au lieu des 17 gouvernements de la zone euro, il y ait un gouvernement européen élaborant la politique économique, budgétaire et fiscale, ce qui passe par le renforcement des institutions parlementaires et la participation des citoyens, l'objectif, disent-ils « n'étant pas de remplacer « la technocratie actuelle par une autre » (p.20). Le problème sur ce point-ci, c'est le fait que dans l'interview suit le texte rédigé en commun, à une question posée par Jean Quatremer sur le danger de voir se constituer un monstre technocratique européen Guy Verhofstadt répond : « Ce n'est pas la démocratie qui amène l'Etat, c'est l'inverse, et le mouvement est toujours porté par une élite bourgeoise. L'exemple britannique est très clair : jusqu'au milieu du XIXe siècle, seuls 5 ou 6% des hommes avaient le droit de voter. Il faut attendre 1918 pour que le suffrage devienne universel et 1928 pour qu'il soit étendu aux femmes. Je pense donc qu'il est faux de d'abord créer une démocratie fonctionnelle pour qu'émerge une fédération européenne. » (pp. 118-119). Il est vrai que Daniel Cohn-Bendit tempère ces propos peu après tout en reconnaissant « que la démocratie n'est pas la garantie, en elle-même, que les citoyens s'identifieront à l'Europe... » (p.119) Ces façons de s'exprimer peuvent poser question dans la mesure où l'Europe ne fonctionne toujours pas très démocratiquement, vice de forme présent depuis le départ, sans doute en raison de l'influence de Jan Monnet comme le montre cette introduction intitulée Un modèle original : le fédéralisme à l'envers cahier sur l'Europe du journal Le Monde diplomatique publié en 2006 2.
... même si c'est pour créer un Etat fédéral européen
Certes, la démocratie est ici sinon mise en cause, du moins fort égratignée, en vue d'un bien collectif qui est celui des citoyens européens face à la crise financière et bancaire, les auteurs estimant que, si un gouvernement agissait en Europe comme au Japon et aux USA, notamment pour imposer une discipline aux différents Etats, il n'y aurait pas de crise de l'euro : « Quand la Californie fait faillite ou qu'un Etat américain accumule des déficits exorbitants, cela n'implique pas pour autant la fin de la monnaie américaine, le dollar. Alors qu'en Europe une toute petite économie comme celle de la Grèce, qui ne représente que 2% du PIB européen, peut mettre en péril toute la zone euro. » (p.23) Ce gouvernement européen prendrait les mesures adéquates de nature à rassurer les marchés et il serait contrôlé par un parlement européen aux compétences renforcées. Les auteurs ne semblent cependant pas dire clairement quelles seraient les mesures pour renforcer l'Etat face aux marchés. Et cela peut être important dans la mesure où quelle que soit la taille de l'Etat, celui-ci est quand même menacé, la taille des Etats sud-américains qui ont pu faire face à des crises semblables n'étant pas nécessairement très importante.
Il arrive par exemple que les auteurs peuvent énoncer des pétitions de principe comme quand ils disent que l'actuel Conseil européen est composé de gens qui siègent uniquement pour « y défendre des intérêts égoïstes nationalistes et cela contre l'intérêt européen » mais aussi « celui des citoyens et des peuples européens » (p. 27). Cela peut se discuter dans la mesure où il n'est pas sûr qu'un gouvernement européen agirait en adéquation plus exacte avec l'intérêt des peuples et des citoyens dans une structure purement européenne que dans une structure où chaque Etat européen est représenté. Mais on peut aussi acter que les auteurs pensent en le disant à la nécessité en quelque sorte technique d'un gouvernement économique commun, visant le bien commun européen. Tout le reste va avec comme la possibilité de mener des politiques de croissance, des politiques écologiques (pp. 27-31).
Une argumentation historique et en apparence anti-identitaire
Guy Verhosftadt et Daniel Cohn-Bendit attribuent aussi à l'Europe et son unification le fait d'avoir bâti depuis la fin de la Deuxième guerre un continent prospère, attaché à l'esprit des Lumières, la promotion de l'Etat de droit, les droits de l'homme, la démocratie politique, la liberté économique et la sécurité sociale, toutes valeurs contraires au conservatisme et au nationalisme (mais qui ont été mises en œuvre aussi dans les Etats-nations, même s'il ne faut pas sacraliser ceux-ci bien entendu, objecterions-nous). Ils estiment aussi que l'Europe a servi de modèle à d'autres unifications continentales et que son échec aurait des conséquences sur le monde entier étant donné que les défis notamment environnementaux ne peuvent être relevés que dans un cadre supérieur à l'Etat-nation. De même que les problèmes politiques et moraux en général avec la promotion d'un droit cosmopolitique. Il est difficile de leur donner tort, mais la question est de savoir qui sera à la base de tout cela dans la mesure où l'Europe ne pourra discuter qu'avec des continents qui ne sont pas aussi unis qu'elle ne l'est.
Ils ajoutent à cela une argumentation simple mais discutable qui consiste à tabler sur une progression linéaire des principautés féodales à l'Etat-nation puis à l'Europe, sans prendre en compte qu'à toutes ces époques il a pu exister aussi d'autres formes de supranationalité comme les Empires, ce que l'on appelé la « République chrétienne » (tout ceci de la page 33 à la page 35). Ils mettent en cause les nationalismes d'entités nationales comme se référent à des symboles médiévaux (comme Jeanne d'Arc, étrange exemple), ou les nationalismes d'entités subnationales comme l'Ecosse ou la Flandre (ces deux-ci également en rapport avec le Moyen-Âge).
Pourtant, lors de la conférence de presse présentant ce livre une question a été posée sur l'indépendance de la Catalogne par une journaliste qui semblait en être originaire, Cohn-Bendit estimant que la Catalogne dès son indépendance acquise devrait admettre d'en transférer bien des éléments à l'Union européenne. Il se disait aussi conscient de la façon arrogante dont Madrid exige de la Catalogne une restitution d'une part de ses impôts à l'Etat espagnol. Pourtant les nationalismes subnationaux ou régionaux sont traités avec dureté dans ce livre et on peut dire caricaturés, car résumés et réduits au slogan simple « Pour vivre heureux, vivons chez nous, à l'abri de toute influence. » (p.40) Ils donnent aussi l'impression de supposer que ces nationalismes subnationaux feraient référence à l'idée de race et d'une manière générale seraient obsédés par l'idée de frontière. Or l'idée de frontière est nécessaire à l'homme car elle n'est pas strictement et seulement fermeture 3
Au fond, les deux auteurs voient une progression linéaire qui va des principautés féodales à l'Etat-nation (ce qui est aussi déjà une vision typiquement apparentée à la vision d'histoires nationales), puis au Continent et au monde. Mais ils en déduisent aussi assez vite qu'il faut s'opposer au nationalisme et à son culte de l'identité. Ainsi que le redit Guy Verhofstatdt dans la dernière partie d l'interview : « Ce que font les nationalistes, c'est réduire l'identité à la langue, l'ethnie ou la race. En réalité, les gens ont de multiples identités, familiales, locales, nationales, historiques, sexuelles, politiques, etc. » (p. 145). Ils disent aussi que si l'on voulait aller dans leur sens il y aurait 350 Etats en Europe et 2000 en Afrique (p. 37). Mais force est de voir aussi que la mondialisation peut être aussi un façon pour les petites nations, qui avaient besoin autrefois des plus grandes pour assurer leur protection économique ou militaire, de s'émanciper, notamment à l'occasion de la construction européenne. C'est ce qu'a fait Stéphane Paquin dans La revanche des petites nations. Le Québec, l'Écosse et la Catalogne face à la mondialisation de Stéphane Paquin, Montréal, VLB éditeur, 2001 4. En outre, on peut certes récuser l'identité comme fondement de la nation, mais force est de comprendre qu'elle est un peu inévitable. Et d'ailleurs les deux auteurs y recourent quand il s'agit à nouveau d parler de l'Europe. Lisons ce dialogue avec Jean Quatremer :
« Jean Quatremer : Qu'est-ce qui fait que l'Europe est l'Europe ? Qu'est-ce qui lie les Européens entre eux ?
Guy Verhofstadt : Si on se promène en Europe, on constate que l'architecture est partout la même, que les villes se ressemblent.
Daniel Cohn-Bendit : La place italienne, on la retrouve en Pologne.
Guy Verhofstadt : Les couleurs de l'Italie, en Suède. » (p. 149)
Or d'un point de vu plus fondamental, on peut se poser la question de savoir si ce n'est pas la création d'un Etat européen (au sens classique du mot « Etat »), qui risque de détruire l'Europe.
Le fait de dépasser les nationalismes à l'intérieur de l'Europe pour faire de l'Europe un Etat, peut être une forme de nationalisme, mais, cette fois européen. Le nationalisme étant défini ici comme la coïncidence entre nation et Etat ou identité politique ultime comme chez Jean-Marc Ferry. A cet égard, chez Jean-Marc Ferry, l'Europe est une chance de dépasser les nations si elle ne supprime pas les siennes en vue de reconduite le principe nationaliste au niveau européen. Le maintien des nations (dans le cadre d'une communauté politique plus large), est au contraire le gage du maintien de l'universalisme européen, de sa manière dépasser les nationalismes 5
Les auteurs semblent ne pas tout à fait se rendre compte de la contradiction qui de ce point de vue est au centre de leur manifeste puisqu'ils disent que « L'Europe est et demeure une riche hétérogène. Certainement pas un « super-Etat » en devenir ni une nation en plus grand. » (p.63) En fait, à notre sens, c'est bien pourtant cela qui est visé par la construction européenne.
Il y a quelque chose quelque chose d'un peu excessif à dire : « Sabotés par la gangrène nationaliste, un Kafka ou un Einstein sont inimaginable aujourd'hui. Leurs héritiers ont été exterminés dans l'Europe d'aujourd'hui. Leurs héritiers ont été exterminés dans les chambres à gaz d'Auschwitz et de Treblinka. Depuis un siècle, l'Europe est devenue un assemblage d'îlots monoculturels et mono-ethniques . » (p. 44)
Angélisme, comparaisons discutables
A force de mettre en cause sans discernement le nationalisme, les auteurs finissent par tomber parfois dans l'angélisme lorsqu'ils disent que « Les Etats tracent des frontières pas les peuples. » Or sans frontières, on peut se demander comment il y aurait des peuples puisque c'est bien le fait de se voir comme des « nous » face à des « autres » qui fait qu'il y a des peuples, des sociétés civiles et des Etats qui ne peuvent pas être si mauvais que cela puisque la revendication des deux parlementaires européens, c'est tout de même la création d'un Etat européen.
Et la question de la nécessité d'un « nous » et d'un « autre » est une objection que l'on peut même faire à un Etat mondial, ce que fait Habermas lui-même« Le troisième argument, explicite, celui-là, mais aussi le plus étrange, c'est qu'il n'y aurait pas de fermeture possible au niveau mondial. C'est-à-dire une communauté politique constituée au niveau mondial. Pourquoi? Parce que s'il y avait une communauté politique au niveau mondial, on ne pourrait plus dire qui c'est «nous» et qui c'est les «autres». Il semble que cet argument ait de la valeur aux yeux de Habermas. Si un pouvoir ne peut pas déterminer quels sont ses ressortissants et quels sont ceux qui ne le sont pas, il n'y a pas de pouvoir politique, il n'y a pas d'État ? Pour qu'il y ait «nous» il faut qu'il y ait «les autres». Cela peut nous laisser un champ libre pour de vastes spéculations... » 6
Reviennent souvent des comparaisons avec les USA qui ne sont pas pertinentes. Par exemple, proposer la réunion d'une Convention après les élections européennes de 2014 sur le modèle de la Convention de Philadelphie qui, selon les auteurs « a opté pour une véritable coopération fédérale telle que nous la connassons encore aujourd'hui » (p. 66). Alors que ce n'est pas sûr : le conflit entre fédéralistes et confédéralistes aux USA n'a pas tranché définitivement qu'à la guerre de sécession en fait. Dans la partie « interview » de l'ouvrage, les deux auteurs se rejoignent en deux répliques qui se complètent pour répondre à la question de Jean Quatremer sur la possibilité de fonctionner d'une fédération européenne en donnant à nouveau l'exemple de la convention de Philadelphie où les Etats unis étaient 13. On ajoute que si on leur avait dit que leur fédération allait atteindre 50 Etats, ils ne l'auraient jamais cru. Et ajoute Guy Verhofstadt « ils sont plus unifiés à 50 qu'à 13 » (p.129). Mais c'est tout de même négliger pas mal d'aspects comme le contexte tout différent de l'évolution historique des Etats unis à partir d'une langue commune et d'une origine commune comme le dit la Déclaration d'indépendance de 1776. C'est oublier aussi les énormes différences entre ces Etats européens et les Etats américains dont même pas quatre dépassent la population des Pays-Bas : la Californie (37 millions d'habitants), le Texas (25), New York (19), la Floride (18). Alors que l'Italie, l'Allemagne, la France et le Royaume Uni constituent à eux quatre la presque totalité de la population US.
Pas assez de critiques sur l'Allemagne et sur le néolibéralisme
Le plus gros problème de ce manifeste, c'est que tout en en appelant à l'Etat en vue de conforter l'Europe face aux crises, il ne dit rien des causes de la crise bancaire et financière dont la financiarisation du monde est tout de même la source avec l'irresponsabilité des banques américaines et européennes. On peut admettre que l'Union Européenne et ses Etats ont mal réagi à la crise, dans la mesure où ils l'ont fait en ordre dispersé. Mais la critique est-elle suffisante ? Les Etats n'ont-ils pas surtout fait preuve de beaucoup de servilité à l'égard des banques. On pourra nous répondre qu'un Etat européen aurait pu agir plus fermement, nationaliser les banques par exemple au lieu de simplement les renflouer, renforcer sur elles le contrôle public. En attendant ni ces critiques ni ces propositions ne sont faites. Comme ne sont faites non plus aucune des critiques attendues aux dérives néolibérales acceptées par la plupart des Etats européens et du monde, y compris ceux qui ont atteint la taille critique comme les USA. La manière dont les républicains américains remettent en cause les timides avancées en matière de santé publique (dont les avortements ne doivent pas bénéficier), grâce à Obama fait frémir.
Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit chargent souvent le Royaume Uni et la France qui peuvent être perçus comme les deux grandes nations européennes les plus opposées au fédéralisme en raison du statut de grandes puissances qu'elles ont conservé dans le monde. Elles peuvent être aussi perçues, on le comprend, comme les deux nations les plus opposées à la supranationalité.
Sans tomber dans un sentiment anti-allemand, sans mettre en cause le fait que ces deux parlementaires européens sont peut-être plus à l'aise pour mettre en cause ce par quoi l'Allemagne se définit comme nation, on reste tout de même sur sa faim devant l'absence de critique subie directement par le discours supranational en apparence de ce dernier pays dont, il y a plus de 20 ans, Ulf Hedetoft montrait que, sans perdre de vue ses objectifs nationaux, il avait réussi à appuyer son nationalisme sur la supranationalité ou à la faveur de celle-ci. Il est vrai que le discours national allemand est très européen « L'identité européenne est donc utilisée subsidiairement comme une identité nationale de remplacement et elle a pu l'être à cause du succès que l' « Europe » a signifié pour la RFA. Cela remonte à deux autres types de discours qui lui sont subordonnés, celui du Miracle économique et celui du « Nous serons à nouveau nous-mêmes ». Le second appartient lui-même au registre réunioniste qui a figuré de manière constante à l'agenda national au cours des quarante dernières années durant lesquelles la réunification fut prévue dans une autre clause de la Constitution. Ce qui arrive aujourd'hui, c'est que ce registre disparaît et qu'un autre se met en place. Dans ce contexte-ci, la réunification allemande renforce mon argumentation en ce que celle-ci estime que ce sont les aspirations nationales qui forment de manière permanente l'épine dorsale de l'Union européenne. Dans les faits, l'Europe a donné à la RFA, plus qu'à aucun autre pays, les moyens lui permettant d'acquérir son poids économique et politique d'à présent. Ce à quoi l'on peut s'attendre aujourd'hui, ce n'est pas seulement un renforcement de son économie et de son influence politique à l'avenir, mais aussi, à ce qu'il me semble, l'épanouissement de son identité nationale en ce qu'elle fonde et se distingue par sa dimension européenne. » 7
On peut comprendre que ces deux députés européens veulent rester européens et ne peuvent pas trop charger une Allemagne qui d'une certaine façon a plus d'accointance avec leur projet supranational que la France et surtout le Royaume uni. Y a-t-il un remède unique à la crise européenne actuelle ? Jean-Luc Mélenchon et ses conseillers économiques, qui ne sont pas des idéologues anti-allemands, ont pourtant bien montré que l'évolution de l'Europe vers la zone euro supposé être une manière d'éloigner le spectre d'une domination du mark, conforte en réalité les positions de l'Allemagne. Et il faut admettre aussi que ce dernier pays, comme le savent d'expérience ceux qui fréquentent les réunions européennes de techniciens ou de fonctionnaires, use largement de son influence et même de son argent pour que l'Europe continue à aller dans le sens qu'elle souhaite. On peut admettre que le nationalisme anglais et français continuent à faire tourner la tête des dirigeants de ces deux pays, toujours détenteurs d'un siège au Conseil de sécurité de l'ONU et de la puissance nucléaire. Mais il faut aussi prendre en compte, comme l'a montré une récente infographie de la radio française, que l'Allemagne a une manière particulière de veiller à ses intérêts dans un cadre politique qui lui est sans doute moins étrangers qu'aux deux autres grands pays européens. Que l'Allemagne pratique une politique sociale qui a les faveurs du néolibéralisme et qui, comme cette autre idéologie qu'est le supranationalisme, lui convient.
Infographie France/Infographie du 28 janvier 2011 que l'on peut consulter avant sur le document original plus lisible
En admettant que l'Europe devienne une vraie fédération, ne doit-on même pas redouter que l'Allemagne y conserve son poids et y trouve même avantage ? Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit ne font part d'aucune réserve à l'égard du néolibéralisme qui arrange bien l'Allemagne actuelle, même s'ils mettent aussi en cause, parfois durement, la politique allemande.
L'Europe n'est plus portée comme au départ par le soutien populaire qui voyait en elle un avenir fait enfin de paix entre les nations européennes. Aujourd'hui, les peuples peuvent avoir le sentiment que l'Europe leur fait la guerre.
- 1. André Versaille
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- 4. La revanche des petites nations
- 5. Europe, démocratie, nations
- 6. Comment articuler, mondialisation, Europe, Etats-Nations et idéaux républicains
- 7. Nationalisme et supranationalisme en Allemagne, Danemark et Grande-Bretagne