EDITO : Et même s'il n'y avait pas De Wever

18 October, 2012

Tout Wallon un peu conscient ne peut que s'alarmer de la focalisation des médias belges francophones sur Bruxelles qui s'est produite à l'occasion des dernières élections communales. Et même sur la Flandre, car même sans De Wever, qu'est-ce qui changerait ?

Nous voudrions le faire comprendre à nos amis bruxellois. Montrer aussi que les médias ne sont pas seuls en cause malgré l'identité de plus étroite entre eux et le système politique et économique comme le montre depuis plus de vingt ans le philosophe français Jean-Marc Ferry. La Wallonie, on le sait, connaît de graves difficultés depuis un demi-siècle au moins.

Le système particratique francophone s'est révélé dans toute sa splendeur au lendemain des élections communales de cette année, à Bruxelles. Mais son assise la plus profonde est en Wallonie 1.

La mobilisation nécessaire

Depuis un demi-siècle au moins, les Wallons inquiets pour l'avenir de leur pays aspirent à une mobilisation de celui-ci dans tous les domaines, politique, culturel, économique et social. Faut-il beaucoup argumenter pour dire que c'est cette mobilisation qui sauvera la Wallonie dans tous ces domaines? Il ne nous semble pas, cela nous paraît être de l'ordre de l'évidence.

La mobilisation réussie

On y est parvenu au départ. Par la mobilisation de la classe ouvrière dans le cadre du renardisme né de l'exaspération wallonne de 1950 de 1960. Par la prolongation, ensuite, de cet effort à travers la lutte pour l'autonomie prenant d'abord la forme d'un grand mouvement aux racines syndicales, le Mouvement Populaire Wallon, dans les années 60. Puis, toujours dans le sillage de la FGTB et ensuite de la CSC, l'engagement dans divers partis - qui n'étaient pas que les partis communautaires - d'hommes et de femmes qui finirent par imposer (malgré les Flamands), le fédéralisme à trois, formule vitale pour la Wallonie et pour Bruxelles. On a pu montrer que ce à quoi Renard voulait aboutir, c'était à un fédéralisme allant bien plus loin que ce que l'on appelle communément fédéralisme 2

Du point de vue institutionnel, le point de vue flamand d'un fédéralisme à deux empêche la Wallonie et Bruxelles de jouir de l'ensemble des compétences. Notamment dans le domaine vital de l'enseignement (car important au plan économique), et dans le domaine plus vital encore - nous oserons dire existentiel - de la culture. La culture n'est pas envisagée ici seulement comme un moyen, mais aussi comme une fin. Il n'y aura pas de Wallonie qui vaille si tous les moyens que possède un peuple pour s'exprimer (à travers la littérature, les médias, le cinéma, les autres arts), sont des moyens qui visent en réalité une autre société que la Wallonie, à savoir la Belgique francophone ou une sorte d'identité francophone molle qui empêchera les Wallons (comme on les en empêche déjà sur le plan politique), de dire « Nous ».

Cette dernière étape eût pu être franchie dans les années 1990, marquée par le tropisme wallon de plus important homme politique francophone depuis belle lurette, Guy Spitaels 3: non seulement parce qu'il joua de toute son influence, pour mettre en cause la Communauté française, mais aussi parce qu'il assuma la Wallonie sans cacher les griefs qu'elle pouvait avoir à l'égard d'une centralisation bruxelloise qui demeure excessive. On sait que Spitaels, rattrapé par les « affaires » ne resta pas au sommet du gouvernement wallon, alors qu'il avait été le seul homme politique dont on pouvait se dire qu'il devenait le Président wallon par choix et non par défaut (avec Dehousse et Collignon). Qu'il devenait le modèle d'une responsabilité wallonne politique s'exerçant en toute clarté comme il se doit, sans que l'on ne soit obligé de penser que celui qui vous dirige ne songe pas déjà à autre chose tout en faisant son travail du mieux qu'il le peut. Il eut certes des successeurs comme Robert Collignon et Van Cau. Mais, depuis, les choses ont bien changé et elles avaient déjà changé avec les deux derniers présidents wallons réellement arrimés à la tâche publique wallonne et non à une autre. Depuis l'élection d'Elio Di Rupo à la tête du Parti socialiste, l'un des leviers de la mobilisation wallonne ne fonctionne plus. Dès la fin du XXe siècle le candidat bourgmestre de Mons, qui pourra rester bourgmestre en titre grâce à sa réélection confortable du 14 octobre dernier, a adopté une stratégie politique de défense des francophones à l'abri de la ligne Maginot du belgicanisme. Qu'il s'agisse du Contrat d'avenir pour la Wallonie ou du Plan Marshall, on se place dans une perspective où la Wallonie vient après trop de choses pour que l'on puisse obtenir sur tout cela une mobilisation populaire.

Personne ne dit que la Wallonie est seule au monde. Mais qu'il s'agisse d'un individu, d'un spectacle de beauté, d'une ville, d'un amour humain ou d'un peuple, il existe aussi - malgré l'obligation évidente d'ouverture aux réalités les plus diverses et les plus infinies - un devoir que nous appellerions le devoir d'exclusivité ou de priorité. Jamais Elio Di Rupo ne nous aura donné le sentiment qu'il donnait la priorité à la Wallonie. Car sans elle il ne serait rien. Sans elle, il n'aurait pas pu devenir Premier ministre belge, mais ce qu'il a choisi là est la mauvaise politique.

C'est une mauvaise politique même si d'aventure la NVA ne parvenait pas à percer en Flandre en 2014 4 . On est en effet trop avancé sur la réforme de l'Etat belge - on doit dire en fait sur sa dissolution - pour espérer qu'on puisse jamais reculer. Et d'ailleurs, même si cela devait se passer (songeons au pire !), qu'est-ce que cela changerait ? Ce ne sont pas les misérables transferts flamands ou les misérables millions d'euros de la solidarité fédérale qui vont sortir la Wallonie de la situation dramatique où l'a mise l'Etat belge dominé par la Flandre 5. Le mal wallon - on devrait tout de même l'avoir perçu depuis longtemps - devra être guéri dans le cadre de solidarités plus larges et grâce à un effort d'ouverture sur le monde. Mais nous n'en serons débarrassés que si, d'abord, nous nous guérisons nous-mêmes et si nous poursuivons cet objectif pour nous-mêmes, ce qui n'est l'expression d'aucun égoïsme ni d'aucun égocentrisme, mais la loi de toutes les sortes d'êtres existant sous le soleil.

La mobilisation qui échoue

Face aux menaces qui pèsent sur la Wallonie, De Wever ou pas, la stratégie adoptée par le Premier ministre, président en titre des multiples entités entre lesquelles il croit faire la synthèse, nous mène à la catastrophe. Défendre purement et simplement la Wallonie et Bruxelles face à la Flandre en s'arc-boutant sur un statu quo institutionnel, cela ne sert à rien.

D'abord parce que c'est une façon très claire d'empêcher toute mobilisation sur la Wallonie et d'endormir cette part de la population qui ne voit pas que les taux de chômage wallons sont plus graves qu'à Bruxelles. Qui ne comprend même pas, pour reprendre les termes du directeur du CRISP, que, dans le domaine de leurs compétences les entités fédérées belges se gèrent comme des Etats indépendants : « Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. » 6 et que la Wallonie a pâti comme le dit bien Jean Pirotte d'un industrialisation sans développement, le développement étant capté par Anvers et Bruxelles.7

Et ensuite parce que d'ores et déjà, De Wever ou pas, les réformes acquises lors des dernières négociations prégouvernementales vont engager une série de transferts de l'Etat fédéral vers les entités fédérées de 17 milliards d'euros. Charles Etienne Lagasse a déjà calculé que, d'ores et déjà que (De Wever ou pas, redisons-le), déduction faite de la charge de la dette publique, on additionne l'ensemble des ressources, les entités fédérées disposent déjà de 51 % des ressources alloués aux organes supérieurs de l'Etat (Etat fédéral et entités fédérées) 8 D'ores et déjà ! Ce pourcentage va donc sans doute dépasser les 60% quand les textes de l'accord gouvernemental se seront traduits institutionnellement.

Ces chiffres sont aussi une manière d'évaluer le poids politique de la Wallonie face au fédéral. Proportionnellement (compte non tenu ici de la Communauté française), il est aussi important que celui de l'Etat fédéral. Et il va devenir probablement plus important.

Il y a quelque chose de criminel dans l'attitude du Premier ministre. Il est évident que la Wallonie ne devra pas seulement s'en tirer seule dans dix ans. Elle y est bien forcée depuis longtemps. La sidérurgie wallonne, ne l'oublions tout de même pas trop vite, a été sauvée (pour reprendre le slogan du CVP du début des années 80 « Plus un franc flamand pour la sidérurgie wallonne »), sans l'argent flamand : « A la suite de cette campagne, le gouvernement fédéral décida de faire porter le poids de l'aide à la sidérurgie wallonne sur les seules capacités wallonnes de financement public : le Gouvernement décida « la régionalisation du financement de la sidérurgie wallonne par retrait des droits de succession de la liste des impôts ristournables pour la Wallonie, en échange d'une intervention dans les charges du passé des régions et des communautés ». » 9

Or que voit-on ? Le Premier ministre belge, après avoir singé la monarchie par des Joyeuses-entrées 10 en Flandre et en Wallonie, organise un 21 juillet de la même eau.

Comment veut-on qu'il y ait une mobilisation wallonne populaire sur le redressement quand tout ce qui compte politiquement se tourne vers la Belgique comme si elle était sans véritables problèmes?

Di Rupo n'est pas le seul à mettre en cause.

Le tropisme bruxellois des hommes politiques wallons influents

Plusieurs d'entre nous auront été frappés par les JT de la RTBF des 15 et 16 octobre 2012. Jamais cette chaine de télévision ne s'était centrée aussi exclusivement sur Bruxelles au lendemain d'élections communales concernant pourtant le pays tout entier. Mais faut-il pour autant mettre en cause la RTBF ?

Le gouvernement fédéral actuel garde malgré le rétrécissement considérable de ses compétences depuis trente ans une visibilité politique maximale. Et malgré le poids de la Wallonie, Bruxelles demeure une agglomération importante et - du moins officiellement - la capitale du pays.

Ce gouvernement compte trois Vice-Premiers ministres francophones. Sur ces trois Vice-Premiers ministres, trois sont d'origine wallonne. Passons, pour l'instant, sur le cas de Joëlle Milquet qui a quitté le pays de Charleroi depuis qu'elle est entrée dans la vie professionnelle.

En 2003, Laurette Onkelinx jusqu'alors élue de Liège, devient députée fédérale à Bruxelles. Didier Reynders, jusqu'alors député lui aussi de Liège est devenu ministre des affaires étrangères et depuis le 14 octobre conseiller communal d'une des 19 communes. Laurette Onkelinx a tenté en 2006 et en 2012 de devenir bourgmestre de Schaerbeek. On pourrait déjà se poser des questions sur l'opportunité qu'il y a pour un Vice-Premier ministre belge à briguer le poste de bourgmestre. Les responsabilités fédérales seraient-elles si peu importantes que l'on puisse s'en distraire pour de lourdes campagnes électorales ? Il est vrai que Didier Reynders (contrairement à sa collègue Laurette Onkelinx), s'est contenté de figurer au bas de la liste MR d'Uccle. Il laisse entendre qu'il pourrait briguer en 2014 le poste de Ministre-Président de la Région bruxelloise 11

Dans leur parti respectif, ces deux personnalités pèsent de tout leur poids : Reynders a longtemps présidé le MR et Laurette Onkelinx pourrait un jour succéder à Elio Di Rupo. Il s'agit de deux partis qui recueillent la majorité de leurs voix en Wallonie, cette Wallonie dont nous disions les difficultés presque séculaires qu'elle subit. Comment alors comprendre la manière dont ces deux personnes mènent leur carrière politique ? Pouvons-nous penser sérieusement que le souci d'une mobilisation qui serait salvatrice pour la Wallonie requière leur attention en priorité ? Il y a d'autres personnes pour le faire, évidemment. Mais comment ces deux personnes qui figuraient dans l'élite politique de la Wallonie ont-elles répondu à cette nécessité pour la Wallonie de se mobiliser ? De toute façon, la question mérite d'être également posé pour le Premier ministre.

Il y a le troisième poste de Vice-Premier occupé par J.Milquet.

Les journaux bruxellois des 15 et 16 octobre nous apprennent également que la préférence donnée par le bourgmestre PS de Bruxelles à une alliance avec le MR plutôt qu'avec le CDH aurait profondément choqué la Vice-Première ministre Joëlle Milquet (CDH) qui s'est présentée à la tête de la liste de son parti pour cette élection municipale. On évoque à ce sujet le refroidissement de ses relations avec le Premier ministre (PS) du même parti que le bourgmestre de Bruxelles. On suppute aussi que l'éviction de Joëlle Milquet à Bruxelles l'aurait conduite à dénoncer l'accord qui liait son parti aux élections municipales de Molenbeek dont le bourgmestre Philippe Moureaux (PS) demeure d'un poids certain dans le même parti que celui du Premier ministre et du bourgmestre de Bruxelles. Certains pensent même aussi que c'est, à l'origine, l'éviction de Laurette Onkelinx du maïorat de Schaerbeek qui aurait provoqué toutes ces réactions en chaine 12.

A quoi jouent ces Vice-Premiers ministres wallons à l'origine ?

La RTBF nous a expliqué hier dans Face à l'Info (Pierre Magos), que les femmes et hommes politiques, obligés de gérer des conflits très durs à un certain niveau (ici fédéral), sont aussi contraints, s'ils peuvent être considérés (et se considérer), comme ayant été trompés dans un autre rapport de force politique à un niveau municipal (par exemple Joëlle Milquet CDH à Bruxelles), d'avertir leurs partenaires que cet échec localisé ne signifie pas qu'ils se résignent. Ce qui les oblige à manœuvrer pour évincer dans une autre commune un membre du même parti que celui qui vous a éliminé dans la vôtre (en clair, l'éviction de Joëlle Milquet CDH à Bruxelles peut expliquer rationnellement qu'elle ait été obligée en conséquence de tout faire pour évincer Philippe Moureaux PS de Molenbeek).

Ce 17 octobre au soir, les travaux du gouvernement fédéral recommencent et Di Rupo, dit la RTBF, a sifflé la « fin de la récréation ».

Tiens ! tout cela n'était qu'une récréation ? Quelle formidable idée de la démocratie ! Après tout, il y a quelque chose de populiste à en appeler à la démocratie ?

Même s'il n'y avait pas De Wever, le système particratique wallo-bruxellois serait à condamner car il ne nous offre aucune perspective et qu'il n'est que la conservation de positions acquises, sans aucune espérance historique


  1. 1. La Particratie wallonne en 25 points
  2. 2. Plan Marshall: premières analyses et estimations
  3. 3. EDITO : Spitaels choisit-il vraiment la Wallonie en 1992 ?
  4. 4. Or les partis wallons ne veulent même pas voir cette réalité Vague jaune: le déni-oui-oui des partis francophones ou le danger d’un certain formatage des esprits… Analyse.
  5. 5. Tout le problème wallon en quelques lignes
  6. 6. Vincent de Coorebyter, in La Revue nouvelle, janvier 2008, p. 40.
  7. 7. Eglise et Wallonie des Lumières à l'Evangile
  8. 8. Un séparatisme wallon paradoxal Voir le paragraphe La Wallonie dépendante financièrement de la Flandre ?
  9. 9. Philippe Destatte, L'identité wallonne, Institut Destrée, Namur, 1997, p. 357.
  10. 10. Joyeuse-Entrée de Di Rupo à Gand
  11. 11. Un Liégeois à la tête de Bruxelles
  12. 12. Règlements de compte