Vive la "violence ouvrière" !

22 October, 2015

Enclos des fusillés, Liège

Liège, l'enclos des fusillés

On observe une escalade médiatique dans les accusations portées contre la « violence » ouvrière ces derniers temps avec cet hôpital de Liège qui accuse, fait répercuté dans tous les médias, le blocage syndical autoroutier de lundi matin d’avoir retardé la venue d’un chirurgien, retard qui aurait entraîné la mort d’une patiente admise quelques heures avant.

La relation de cause à effet entre les deux faits n’a rien d’évident. Certains supposent même que de cette façon l’hôpital trouverait une excuse à ses propres manquements. Interprétation sans doute téméraire, mais qui peut sembler aussi la réponse à une accusation du même tonneau. Rien n’est évident dans cette affaire.

Rien n’est évident sauf les images et les mots parfaitement exagérés que les médias se hâtent de diffuser comme le mot « Apocalypse » pour désigner les actions de grève de lundi, terme d’autant plus aisément utilisé que les images de hautes flammes sur les autoroutes (hautes à la télé), le suggéraient à des journalistes en mal de copie, désireux de rivaliser avec les médias audiovisuels contemporains et leur soif d’images sans analyse.

Le terme « Apocalypse » étant d’ailleurs proprement utilisé ici : la « révélation », en effet, de leur vide effrayant.

De quoi est-il question ? De la « violence » ouvrière.

Eh bien ! Vive la « violence » ouvrière !

Vive la violence ouvrière !

C’est la violence ouvrière qui a permis la Révolution de 1830 immédiatement confisquée très longtemps par la bourgeoisie au cœur de l’Etat monarchique belge qu’elle domina sans partage.

Cette Révolution violente avait dû affronter les fusils et les canons de l’armée hollandaise. Ceux qui en volèrent le fruit élevèrent un monument à ceux à qui elle avait été confisquée, des « martyrs », d’autant plus « respectés » qu’ils n’étaient plus là. Puis s'empressèrent de faire du premier roi des Belges la plus grosse fortune du pays

C’est la violence ouvrière qui a permis que cesse cette confiscation à partir du moment où le sillon industriel wallon, capable de mener des grèves générales, la première au printemps 1886, la seconde au printemps 1893, prit conscience de sa force de résistance

Cette violence de 1886 sera réprimée dans le sang de ce que Pirenne appelle « une véritable campagne militaire » et, en 1893, à la limite de Mons et Jemappes, par les fusils de la bien nommée « garde bourgeoise 1 » de la ville de Di Rupo tirant sur des mineurs désarmés.

C’est la violence ouvrière de 1893 qui permit que soit instauré pour la première fois le suffrage universel (masculin) tempéré par le vote plural et qui en définitive permit que soit instauré après la Grande guerre, le suffrage universel pur et simple, les dirigeants belges de l’époque ayant pris peur d'une extension possible à la Belgique et à la Wallonie de la « violence ouvrière » des travailleurs et des soldats allemands.

C’est la violence ouvrière des années 1930 qui aboutit à l’octroi de congés payés au monde du travail à la suite de grèves et, avant celles de 1936, celles de 1932, si atrocement réprimées qu’elles n’ont cessé depuis lors de faire le tour du monde grâce à ce film culte du cinéma politique universel qu’est Misère au Borinage.

C’est la violence ouvrière exercée dans la Résistance au nazisme qui a débouché dès le 31 décembre 1944 sur l’arrêté instituant la Sécurité sociale.

C’est la violence ouvrière qui a permis que durant l’été 1950, Léopold III, ce « chef nécessaire » (La Gazette de Liège), et ses idées d’autocrate cessent de régner, tout cela grâce à l’insurrection de la Wallonie de la Résistance.

Cette violence ouvrière de l’été 1950 et celle de l’hiver 1960-1961 ont révélé comme jamais la minorisation politique de la Wallonie, consciente après Grâce-Berleur et ses Résistants que n’avait pas tués la Gestapo, mais qu'avait abattus la gendarmerie belge, qu’il lui fallait pour s’extraire de sa dépendance, autre chose que des vetos du même type que celui de juillet 1950, nécessairement sanglants.

C’est la « violence ouvrière » des femmes de Herstal qui en Wallonie et dans toute l’Europe a exemplairement fait avancer la cause des femmes et du principe « à salaire égal, travail égal ».

Cette violence ouvrière, comme on l’a vu, s’explique par la violence infiniment mieux armée et infiniment plus meurtrière de l’Ordre établi.

Violence de l'Ordre établi

L’Ordre établi n’use plus de la même violence aujourd’hui, désarmé qu’il est face à une culture démocratique et citoyenne qui, jusqu’ici, était à même de justifier la rudesse des actions syndicales toujours infiniment moins violentes, infiniment plus respectueuses des personnes et des biens que la violence d’en face. Il n’y a qu’à songer ici à cette violence d’en face des très nombreux « accidents » du travail, des suicides, des « burn out », avec la violence instituée qu’est l’exclusion, en Wallonie, de plus d’un cinquième de la population depuis des décennies, par le chômage ou la pauvreté.

Ou cette autre violence du monde financier dont on s’amuse à entendre les alliés inconscients —jusqu'au sein du gouvernement wallon—insister comiquement sur le respect des propriétés publiques.

L’Ordre établi va chercher maintenant ses fusils et ses canons au sein de certains médias, avec leurs jaunes et leurs policiers, d’autant plus assoiffés de spectaculaire que le spectacle est le dernier « service » qu’ils sont encore en mesure de rendre à la population.

Il est navrant de découvrir d’innombrables braves gens —parmi lesquels des intellectuels bien mal inspirés mais aussi de mauvaise foi— qui pensent que c’est de la « violence ouvrière » que viendrait tout le mal.

Alors que tous les droits, toutes les libertés, en Wallonie et en Europe, ont été arrachés par la « violence ouvrière » et longtemps empêchés par la violence brutale de l’Ordre.

Toutes nos valeurs, toutes nos libertés, toutes nos sécurités, tout le pauvre bien-être dont nous pouvons jouir, tout cela, c’est le fruit de la « violence ouvrière ».

C’est bien pourquoi l’Ordre établi, qui sévit dans les quartiers européens d’une ville de Bruxelles qui aurait avantage à n’être plus la « capitale de l’Europe », de cette Europe-là en tout cas, entend en finir coûte que coûte avec cette « violence ouvrière » dont il a bien l’intention de détruire les acquis maintenant séculaires. Les grèves que nous devons continuer à mener ici en Wallonie et dans toute l’Europe ne peuvent pas se limiter au territoire de la patrie wallonne. La lutte qui s’engage est une lutte continentale. Le pâle gouvernement Michel, en effet, qui succède au gouvernement belgo-flamand de droite de Di Rupo 2 n’est quand même jamais que l’exécuteur des basses œuvres de l’ « Europe » qui, en détruisant les nations européennes et la place qu’y occupe le monde du travail particulièrement depuis 1945, ne vise qu’à établir un Ordre régulé par le seul Marché : « l’avenir auquel travaille résolument l’Union européenne, c’est la mise à mort de la démocratie économique et sociale3

L e Droit de Grève

Grèves générales en Wallonie

Critique : La Bataille de l'Eau noire



  1. 1. La garde bourgeoise fut ensuite appelée la garde civique et c'est le nom qu'elle porte à Mons en 1893. Ajout du 7 novembre 2015.
  2. 2. EDITO : Un Premier ministre belgo-flamand de droite
  3. 3. Bruno Poncelet, Europe une autobiographie non autorisée, CEPAG, Namur, 2014