CHAPITRE IV: Disqualification
Il s'agira ici plutôt de réactions au Manifeste pour la culture wallonne, car le texte et la démarche rendent la Wallonie visible. L'opposition à la Wallonie ne pourra donc plus prendre la forme d'une négation par ignorance, mais d'une stigmatisation: le thème le plus fréquent - jusqu'à l'obsession - c'est celui du repli. Hugues le Paige a déclaré: «La dénégation hautaine comme l'angélisme ont souvent pour dernier effet de transformer les attachements identitaires en replis frileux ou ruptures agressives. L'universalisme le plus fécond n'a-t-il pas toujours été le fruit du dépassement des particularismes dans le respect des enracinements?» ([RTBF-radio, 13/3/98]. Il est heureux que ces nuances soient mieux exprimées qu'avant, mais notons qu'il se sert également du mot «repli».
Le repli
Cette stigmatisation sous le terme de «repli» est antérieure à la publication du manifeste. Le mot fut entendu des centaines de fois dans les relations tendues entre le FDF et le RW entre 1978 et 1981 jusqu'à la rupture entre ces deux partis à l'automne 1981. Jacques Dubois (Professeur à l'Université de Liège) avait employé ce terme, mais dans un sens positif à l'occasion d'un débat sur la littérature belge avec Pierre Mertens et Jean Louvet: «En Wallonie, l'urgence est peut-être pour les écrivains de procéder à un certain repli ou retour vers les réalités du pays, vers ce qui fait notre société, nos traditions, nos décors de vie, nos manières de vivre, etc.» [Jacques Dubois, Écrire de la Belgique (Entretien avec Jacques Dubois, Jean Louvet, Pierre Mertens), in Critique Politique numéro 4, novembre-décembre-janvier 1979-1980]. Le mot «repli» était donc bien dans l'air. Il allait pratiquement étouffer le débat. Mais ce terme se retrouve plus loin encore en arrière, dans les réseaux de l' imaginaire de La Libre Belgique d'avant 1975 où l'on note: «Le repli de la Wallonie sur elle-même par le fédéralisme économique se traduirait par un appauvrissement catastrophique, qui deviendrait rapidement insupportable du point de vue social.» [La Libre Belgique, 8 avril 1970].
Dès avant la publication du manifeste, Philippe Moureaux lançait l'offensive. Aux questions d'André Méan, Philippe Moureaux répondit: «On dirait que chacun essaie de voir le plus petit possible (...) On assiste également à un repli wallon. C'est évident chez certains RW (...) Un repli bruxellois également (...) Ces attitudes de repli sur soi trahissent le sentiment de certains que tous les malheurs d'une région trouvent leur origine dans les autres (...) [Le manifeste pour la culture wallonne] est un nouveau signe du phénomène de repli que j'ai évoqué en commençant. Si ces tendances au rétrécissement culturel s'accentuent, c'est mortel pour Bruxelles et très négatif pour la Wallonie. Cela conduit à une Wallonie repliée sur elle-même, une sorte de petite Irlande continentale - moins la violence - et à un Bruxelles qui, dans quelques décennies, sera devenu une ville anglo-flamande. En se coupant culturellement de Bruxelles, la Wallonie perdra l'accès à des hommes, à un marché, à une aura internationale...» [La Libre Belgique, 14/9/83]. Le 22 septembre suivant, Philippe Moureaux reprenait le fil de ce discours: «Si je peux comprendre un plaidoyer pour une identité wallonne et si je veux faire du nouveau Botanique une vitrine wallonne à Bruxelles, je suis absolument en désaccord avec les conclusions du manifeste qui veut couper les liens artificiels selon lui entre les Wallons et les francophones de Bruxelles (...) Évitons de grâce la parcellisation culturelle!»[ La Libre Belgique, 24/9/83]. Le 19 novembre 1983 à un colloque sur la culture organisé par le PAC à Morlanwelz, Philippe Moureaux se relance: «J'en reviens à ce que je disais au début de mon exposé: dans la très pénible période de crise que nous traversons, tout le monde a un peu tendance à rentrer la tête et à se demander comment il pourra bien passer au travers des obstacles. On se dit que si on ne peut plus rentrer dans le ventre de sa mère, on peut au moins essayer de se resserrer dans un milieu où on est très à l'aise.» [cité in Culture et politique, IJD, Charleroi, 1984, p. 115].
Cette image de «repli» ou de «régression» va être utilisée à l'infini. Ainsi, quelques semaines après le discours de Philippe Moureaux à Morlanwelz, un journal estudiantin de l'UCL écrit à propos du Manifeste: «Le concept de culture wallonne est un contenant qui n'a pas de contenu et l'envie d'y mettre n'importe quoi ne fait que mettre en évidence un sentiment d'insécurité typique de ceux qui, par peur d'appartenir à des groupes sociaux et culturels plus vastes, se confinent dans de petits groupes rassurants où le " chez nous " douillet exprime le souhait d'un retour au ventre maternel.» [Tristan Lazarre, La Flaque, 27 février 1984]. L'idée de régression se retrouve dans un compte rendu d'un concert de Julos Beaucarne où l'on lit ceci: «Si Julos est fier de ses racines, il n'entend pas rester la tête dans la terre pour les regarder pousser comme d'aucuns manifestants pour une culture wallonne.» [Fernand Denis, La Cité, 30/9/83]. Six ans plus tard, s'exprimant à propos du film d'Andrien, Australia (qui lui paraît rompre avec l'orientation wallonne du cinéaste), Fernand Denis persiste et signe, parlant des deux héros du film dont l'un est resté à Verviers et l'autre parti en Australie: «Comment ne pas y voir une métaphore de la Belgique? Comment ne pas reconnaître en Édouard et Julien les pôles de notre débat fratricide, d'un côté ceux qui veulent prendre de l'altitude quitte à perdre le contact et de l'autre ceux qui préfèrent s'enfoncer la tête dans la terre quitte à ne même plus voir le bout de leur nez.» [Le Soir, 7/10/89]. La chose est d'autant plus à souligner que cette observation intervient au moment où la controverse sur le manifeste reprend, comme on le verra ci-dessous, à l'occasion d'un autre texte collectif signé en faveur de la Communauté française cette fois. «Lutte fratricide»? Jacques Hislaire parlait d'une «bataille» [La Libre Belgique, 3/1/84]: sur cette question de la Communauté, de la Région, de Bruxelles et de la Wallonie, les divisions sont profondes. Mais on a longtemps nié la chose. C'est ce qui ressort des réactions de J.P. Baras (article cité): «Passons à autre chose, voulez-vous?» ou de J.P. Dardenne (article cité) sur le caractère peu représentatif des signataires du texte et le peu d'importance de celui-ci.
Jacques Hislaire voit le «repli wallon» (l'expression va faire florès) se produire dans le contexte d'un «repli» fondamental. Pour lui comme pour beaucoup de Bruxellois (nous avons cité D. Denuit à ce propos), la prise en compte de la dualité Belgique néerlandophone/Belgique francophone est déjà un non-sens. S'exprimant sur cette dualité, Jacques Hislaire écrit: «Une telle ambiguïté parut insupportable aux yeux du petit monde politique des années 60 qui imagina la notion d'autonomie culturelle (...) Chaque communauté se replia sur son sol (wallon ou flamand)...» [La Libre Belgique, 30 septembre 1983] Les mots «se replier sur son sol wallon» désignent en fait ici la procédure qui donne naissance aux Communautés. Pour Jacques Hislaire, c'est déjà un repli si l'on veut. On voit que, dans son esprit qui relève de l'idéologie bourgeoise, la «Belgique francophone» a d'abord été toute la Belgique, puis la seule Belgique où les classes populaires s'expriment en français mais sous la gouverne de Bruxelles. Aller plus loin, ce n'est peut-être pas tant diviser la Belgique que de mettre en cause son leadership symbolique bourgeois, soit faire de la Wallonie un pays à part entière. Il est d'ailleurs manifestement étonné qu'après avoir «déjà» «divisé» la Belgique en deux cultures (française et néerlandaise), on propose une troisième division (la culture wallonne). Cet étonnement se répétera chaque fois qu'il sera question pour la Wallonie de s'affirmer distinctement. La Belgique bourgeoise et francophone n'en revient pas de s'être étonnée, déjà, de la simple contestation flamande dont elle n'admet toujours pas le bien-fondé. Ainsi, encore en 1998, soit 15 ans plus tard, on découvre ce titre dans un journal bruxellois lorsque R. Collignon parle de régionaliser la Communauté française: «Si en plus, on divise les francophones...» [La Lanterne, 17/7/98]. Les opposants à la régionalisation de la Communauté la considèrent comme «ce qui reste» du fait que les Flamands aient culturellement rompu avec la «vraie» Belgique, soit la Belgique francophone et exècrent les Wallons qui, à leurs yeux, veulent poursuivre cette oeuvre malsaine de désintégration. Cependant il est normal qu'une Wallonie indépendante par exemple, pour prendre l'hypothèse la plus radicale, assumerait la totalité du fait français de Belgique qu'elle est la seule à expliquer (sinon, il y aurait des Francophones en Belgique seulement comme il y en a au Liban ou en Louisiane). Les bourgeois francophones ne se consolent pas d'avoir possédé tout: quand on en vient à distinguer leur «partie francophone» du reste, le malaise est grand. Quand cette partie francophone revendique d'être la Wallonie, ils sentent qu'ils ne sont plus rien. D'où cette rage.
On retrouve le terme de repli chez André-Paul Frognier: «La culture n'est pas repli sur soi: elle est conscience de soi et ouverture aux contacts et à la communication.» [La Cité, 5/10/83], chez Jean-Pol Baras: «Notre acquis culturel mettant en exergue nos spécificités doit être le principal moyen d'une large ouverture sur le monde et non la cause d'un pénible repli frileux derrière nos moindres caractéristiques vernaculaires.» [Le Soir, 27/10/83], à nouveau chez Jacques Hislaire: «Le problème est maintenant de savoir comment Beulemans va réagir devant les gribouilles du repli wallon.» [La Libre Belgique, 3/1/84]. Il fait allusion au pamphlet de Pol Vandromme rédigé contre le manifeste et publié fin 1983 chez Laudelout, Les gribouilles du repli wallon. De larges extraits de ce livre furent publiés dans Pourquoi Pas? [7, 14, 21 et 28 décembre 1983], l'ouvrage fait l'objet de comptes rendus élogieux dans de nombreux journaux comme La Libre Belgique [3 janvier 1984], La Cité [3 décembre 1983], fut repris dans une carte blanche de C.E. Lagasse [Le Soir, janvier 1984], etc. Pour Pol Vandromme lisant le manifeste, «On n'est convenablement Wallon qu'entre soi, dans sa chapelle, avec les cierges et les gestes pieux de la dévotion intra muros.» [Gribouilles, p.22], «La Wallonie sera intégralement wallonne, dans le folklore de ses chamailles et de ses dialectes» [ibidem, p.28], «Le repli wallon, accule au repli bruxellois.» [ibidem, p.29], «les hommes du repli... provinciaux culturels...» [Ibidem, pp 96-97].
La large diffusion de cette idée de «repli» indique bien que dans le champ des médias, des livres, du discours, de l'idéologie («l'idée en tant qu'elle domine» disait Barthes), le point de vue wallon est minoritaire. Mais il demeure, en dépit de tant de forces hostiles.
L'idée de «repli» fut reprise en permanence à peu près par tous ceux qui pouvaient s'exprimer. Nous avons déjà parlé de l'article de Frédéric Moutard dans La Revue Nouvelle qui voulait exprimer cette idée sous une forme humoristique («À Couillet-Queue autonome, culture autonome!»). Dans la même revue, Gérard Lambert intitulait un article favorable au manifeste Le pli wallon... En 1985, lorsque, en décembre, 200 intellectuels lancent un appel pour que la capitale de la Wallonie se maintienne à Namur parce que le gouvernement PSC-PRL à la Région veut replacer l'administration régionale à Bruxelles (étape vers la fusion Région/Communauté), Thierry Haumont, le jour même où il obtient le Prix Rossel, signe une carte blanche intitulée Contre le repli belge [Le Soir, 5/12/85], titre repris dans d'autres journaux [par exemple La Wallonie 10/12/85].
Le manifeste pour la Communauté française, lancé six ans plus tard, jour pour jour, après le manifeste wallon, et qui en appelait au maintien de la Communauté française, parlait de celle-ci comme de la seule instance «capable de permettre à la Wallonie de sortir du repli où l'a poussée la Flandre» [La Libre Belgique, 16/9/89]. Thierry Haumont, à nouveau, crut nécessaire de riposter quelques jours plus tard en parlant d'un «repli» dont la seule responsable était la Belgique [Le Soir, 4/10/89]. Pendant plusieurs années, Le Soir, par exemple, pour distinguer les partisans de la Communauté française les appellera «partisans de la solidarité» pour les opposer aux «partisans du repli», désireux de voir la Wallonie assumer toutes les compétences, y compris culturelles. De 1994 à 1996, on note 140 utilisations de ce diptyque solidarité/repli, parfois dans d'autres matières que celles-ci: en prévision des élections européennes de mars 94 (dont nous reparlerons), «le repli frileux (...) sur des bases essentiellement locales» est fustigé [Le Soir 18/3/94], Georges Goriely utilise les termes pour une réflexion sur le nationalisme [Le Soir, 8/9/94], Claude Demelenne compare ce «repli» wallon à l' «idéologie du repli des flamingants»[Le Soir, 20/12/94], Mahfoud Romdhani les utilise contre les xénophobes [Le Soir, 21/3/95], la nomination de C. Picqué à la culture est l'occasion d'opposer «repli wallon» et «solidarité Wallonie-Bruxelles» [Le Soir, 20/6/95], Louis Michel pense que Van Cau «est une espèce de coq qui se met la tête dans le sable pour plaider le repli wallon» [Le Soir, 10/2/96], enfin la victoire du oui au référendum écossais sur l'autonomie est présenté comme «un léger repli sur soi» [Le Soir, 13/9/97].
Mais, avant lui, les voix habituelles avaient repris, en en modifiant peu les termes, la stigmatisation du repli, comme Charles Bricman par exemple: «Abandonner le concept de Communauté ne serait-il pas plus une régression qu'un progrès?» [Le Soir, 25/9/89]. Le même jour, Jacques De Decker parle de destruction d'une «utopie concrétisée»d'une «nation», destruction qui serait, non plus un «repli» cette fois, mais une «défaite» [Le Soir, 25/9/89]. Si la Belgique ne peut même plus subsister comme Belgique francophone, il n'y a plus que la Wallonie, soit selon cette vision tout de même terriblement bourgeoise: rien. Rien parce que la Wallonie est le lieu d'exploitation de la force de travail, dans sa saleté d'usine empuantie et sa lourdeur de terre collant aux pieds. Encore aujourd'hui - hasard de la distribution des compétences - le drapeau wallon flotte sur toutes les décharges, mais est parfois interdit sur les maisons de la culture (comme à Enghien: voyez Chapitre V)).
Avant les déclarations de R. Collignon le jour de la fête de Wallonie, le 20 septembre 1997, sur la régionalisation de la Communauté, le PSC affirme combattre le «repli des Régions sur elles-mêmes» [RTBF 9/9/97]. Après ces déclarations, Charles Picqué, président de la région bruxelloise déclare: «L'éventualité de la disparition de la Communauté française m'apparaît comme une fuite en avant (...) Ce repli wallon me semble de toutes manières alarmant...» [La Lanterne, 22/9/97]. Il poursuit une semaine plus tard, évoquant ce qu'il appelle une erreur dans la «stratégie francophone», en décrivant le «repli de la Région wallonne sur elle-même» comme une «hérésie» [RTBF, 3/10/97]. Le même inversera les deux expressions quelques mois plus tard: «Plus que de repli, Charles Picqué parle de fuite en avant.» [La Lanterne, 17/7/98]. Il reprendra encore cette idée de «fuite en avant identitaire» [La Libre Belgique, 17/7/98] puis reviendra à celle de «repli» à la radio [RTBF, 20 juillet 1998]. Remarquons encore ceci: si l'interview de R. Collignon eut les honneurs du journal Le Matin le 16 juillet, Charles Picqué put s'exprimer le lendemain dans trois journaux [La Libre Belgique, Le Matin, La Lanterne] puis à la RTBF. Philippe Moureaux eut les honneurs de La Libre Belgique et du journal Le Matin le 18 juillet tandis que pouvaient encore s'exprimer, Marie Nagy, Didier Gosuin, Hervé Hasquin, Michel Lemaire [in La Lanterne du 17/7/98] et derechef Marie Nagy [Le Matin du 17/7/98], sans compter Marcel Cheron (Groupe écolo de la Communauté), André Antoine (groupe PSC) qui sont des opposants radicaux aux déclarations de R.Collignon, Laurette Onkelinx (Présidente du gouvernement communautaire), Daniel Ducarme (groupe PRL), opposants plus nuancés, eurent les honneurs de tous les médias, notamment de la RTBF, au point de couvrir de leurs clameurs unanimes l'appui de Jean-Claude Van Cauwenberghe. Les médias sont en faveur de la thèse communautariste. Mais François Martou, dès le 10 février 1984 [compte rendu dans Le Soir du 14/2/84 qui ne reprend pas cette remarque de F. Martou] reconnaissait lui-même qu'un référendum donnerait à coup sûr la majorité en Wallonie aux partisans des thèses du manifeste.
On invoque souvent le divorce entre le peuple et les élites politiques lorsqu'il s'agit de la séparation de la Belgique. On le fait moins lorsqu'il s'agit de la Communauté parce que, en réalité, les élites médiatiques et politiques sont en faveur de cette Communauté dépourvue d'attraits en Wallonie et dont les «fêtes», malgré le matraquage médiatique, dégagent l'ennui.
Très significatif sur cette question du «repli» est le sondage commandé par La Cité et qui, suite au Manifeste pour la culture wallonne, présente ainsi les options possibles: soit «Bruxelles et la Wallonie doivent s'unir plus qu'aujourd'hui» [La Cité du 3/4/84], soit le statu quo, soit la séparation. Or les Wallons sont plus favorables au rapprochement que les Bruxellois! Nous n'accordons certes qu'une valeur relative à ce résultat. Ce qui est intéressant c'est la problématique imposée: se rapprocher ou non. Alors que l'exigence du manifeste ou du mouvement wallon en général a toujours été, d'abord, d'exiger que la Wallonie existe, positivement, en soi. Lorsque, aujourd'hui, le manifeste «Contre la bêtise nationaliste» [Le Soir du 6/3/98] ou le livre Où va la Belgique? [L'Harmattan, Paris, 1998], s'interroge sur l'opinion wallonne ou belge, c'est toujours en termes de séparation ou non. Dans cette stratégie du texte ou discours, l'autonomie de la Wallonie (et celle de la Flandre) ne sont jamais vues que négativement.
On ne demande jamais si la population est pour l'autonomie ou dans le cas des relations avec la Communauté française: pour une plus grande liberté, pour plus de compétences. Certains ont fait valoir que si l'on vient demander à des gens «s'ils sont pour " s'unir ", pour " séparer " ou pour " maintenir " le statu quo, ce serait le diable si vous n'obteniez pas une majorité de réponses pour la seule proposition présentée de manière positive.» [La Wallonie du 4/4/84]. Seuls les sondeurs du CLEO en 1988, 1989, 1990 ont tenu compte de ces remarques et concluent à une préférence des Wallons à voir les choses gérées par la Région, plutôt que la Communauté [proportion écrasante] et même la Belgique [TOUDI annuel n° 4, 1990, et TOUDI, mensuel, n° 10, 1998]. Ce sondage était commandé par le Gouvernement wallon, c'est vrai. Et par qui les autres sondages sont-ils commandés? L'emprise des élites unitaristes en Belgique francophone est telle qu'on est en droit de s'interroger.
Revenons une dernière fois sur le fait que, de janvier 1994 à août 1996, cent quarante articles du «Soir» opposent «solidarité» (le mot désignait les partisans de la Communauté) et «repli» (le mot désignait les adversaires de la Communauté): le rapide survol de ces 140 textes démontrent à l'évidence que ce vocabulaire est profondément enraciné dans un certain imaginaire, même si celui-ci s'est modifié dans la presse elle-même, il survit dans les plus récentes déclarations politiques.
La wallonie "reste", "soustraction", "réaction à"
«La Wallonie seule, la seule Wallonie - sans Bruxelles, sans la Flandre - est une Belgique miniature, avec le vice gaulois comme vertu organique.» [Gribouilles, p.51] «Sous les coups de boutoir de la Flandre, la Communauté des francophones de Belgique a d'abord germé comme par déduction sinon par soustraction.» [Jacques de Decker Le Soir 25/9/89]. Dans cet esprit, la Communauté française est un pis-aller. Vouloir la Wallonie, c'est détruire ce qui n'a déjà plus comme signification que d'être un «faute de mieux».
La théorie de la Wallonie obtenue par soustraction, déduction ou réaction a été admirablement résumée par Hervé Hasquin.
L'historien qui dirigea la si utile collection La Wallonie, le pays et les hommes, écrivait [dans la première édition de Historiographie et politique en Belgique, IJD, Charleroi 1980]: «Il me paraît évident (...) que s'il n'y avait pas eu cette agressivité des Flamands à l'égard des francophones et de sa périphérie, si les cris Walen Buiten (...) n'avaient pas retenti à Louvain, si l'on avait daigné respecter les droits les plus élémentaires de la population des Fourons, l'opinion wallonne n'aurait pas connu la lame de fond qui l'a fait passer en une décennie de l'unitarisme conventionnel à la prise de conscience régionaliste.» Il est vrai que l'auteur nuance quelque peu ensuite: «Celle-ci s'est trouvée toutefois encore renforcée par les difficultés spécifiques que connaît l'économie de la Wallonie, car la Région wallonne a vu, hélas, s'écrouler les uns après les autres - charbon, verre, sidérurgie - les secteurs qui ont fait sa grandeur.» Nous aurions tendance à penser que les facteurs économiques ont été prépondérants dans la prise de conscience wallonne contemporaine et l'apparition, non d'une communauté linguistique francophone, mais d'une Région wallonne qui tend à prévaloir sur la définition de la Wallonie en termes linguistiques. Au long des trois éditions de cet ouvrage, dont la dernière en 1996, soit 16 ans plus tard, ce texte demeure rigoureusement identique, à la virgule près. Nous opposerions ce travail à celui de Pierre Lebrun, sur lequel nous reviendrons.
Hervé Hasquin ne nie pas les distinctions foncières entre Flandre, Wallonie et Bruxelles. Le texte appelé «Manifeste francophone» (Choisir l'avenir) va plus loin: «Le principe d'union des Wallons et des Bruxellois francophones est celui d'une identité de langue et de culture dont la consistance sort renforcée de l'effacement d'une identité belge réduite à la belgitude, et de l'affirmation d'une identité nationale flamande. Par effet de soustraction [nous soulignons, note de J.F.], il existe en Belgique une communauté politique francophone en devenir.» [C. Franck, A.P. Frognier, B. Remiche, V. Vagman, Choisir l'avenir, in Revue Générale Belge, n°1, 1997, p. 22]. Il y a eu, certes, un mouvement «wallon», mais les auteurs osent écrire: «On observera que l'histoire des mouvements wallons a reflété la dynamique d'union et de différenciation des deux Régions. Selon l'historien flamand L.Wils, les mouvements wallons ont trouvé leurs origines à Anvers puis à Bruxelles et à Gand avant d'essaimer [nous soulignons, note de J.F.] en Wallonie.» [ibidem, p.23]. Même s'il fut aussi une réaction linguistique, celle-ci s'étant manifestée peut-être d'abord chez des Francophones ou Wallons vivant en Flandre, le mouvement wallon passa très vite à la revendication d'autonomie pour un territoire et ceux qui l'habitent, la Wallonie, non les Belges francophones. Le manifeste francophone Choisir l'avenir présente ainsi la Wallonie comme «ce qui reste» d'une Belgique dont les élites flamandes ont détaché le peuple flamand, mais ces élites sont présentées comme ayant manipulé de bout en bout leur peuple à la manière des «intellectuels et journalistes» du fonctionnaliste Gellner (inspirateur de ce texte). Choisir l'avenir ne voit jamais la Wallonie dotée d'un mouvement propre. Aucune des affirmations politiques de la Wallonie n'y est mentionnée: ni le Congrès National wallon de 1945, ni les propositions d'installation du fédéralisme en 1948, ni l'insurrection de juillet 1950, ni le ralliement des régionales wallonnes de la FGTB au fédéralisme dans la première moitié des années 501, ni le fait que ces régionales prennent la direction des grèves de 60 au moment où le conflit se durcit en Wallonie et prend l'option fédéraliste, ni le pétitionnement des mouvements wallons en 1963 (près de 650.000 signatures), ni les victoires électorales du Rassemblement wallon en 1968 et 1971, ni les tentatives de régionalisation des années suivantes, notamment sous la pression d'un PS radicalisé, ni le Manifeste pour la culture wallonne de 1983, ni les élections triomphales à l'Europe de José Happart en 1984, 1989, 1994, ni la réunion du Parlement wallon en septembre 1991 pour envisager «toutes» les éventualités en vue de contrer le gouvernement belge (empêchant certaines opérations commerciales en matière de ventes d'armes), ni l'action de Guy Spitaels à la tête du gouvernement wallon, ni le succès grandissant des fêtes de Wallonie, rien. Dans les mêmes milieux FDF, l'opinion courante, fin des années 70, était d'ailleurs que le succès électoral du Rassemblement wallon en 1971 (plus de 20% des suffrages) n'exprimait pas un sentiment wallon d'appartenance, mais une déception à l'égard des autres partis.
Bernard Remiche, l'un des signataires, oppose au «mouvement d'émancipation linguistique de la Flandre» (décrit en ces mots, sans restriction), à des «revendications fédéralistes d'une partie (nous soulignons), de la Wallonie» [Le Monde Diplomatique, février 1997, p.11]. L'auteur cite Pirenne, l'ouvrage de Lucien Outers Le divorce belge (1968) et un ouvrage de Marcel Thiry paru en 1977 (chez de Rache, Lettres du cap). Cette référence de 1977 est la plus récente et date donc de vingt ans. B.Remiche décrit la régionalisation présente comme un point d'arrêt «chez l'immense majorité» des Wallons et francophones, par opposition aux Flamands où elle est vue comme un point de départ (*) .
S'il est vrai que des questions comme la régionalisation de la Sécurité sociale font problème, il n'y a pas d' «immense majorité» pour soutenir l'actuelle Communauté française ni pour refuser la fédéralisation de la Justice par exemple. L'important pour cette école de pensée est de mettre sur le compte des seuls Flamands la mise en oeuvre de la réforme de l'État belge, les Wallons n'y pouvant être considérés que comme passifs. Du point de vue du projet politique, on pourrait se demander ce qu'il y a derrière cet acharnement à décrire les Wallons comme passifs ou «soustraits». D'autre part, du point de vue de l'histoire, c'est faux, nous l'avons montré.
Nous avons dit au début du chapitre II, à propos de la même opinion exprimée par P.H. Claeys que ce type de logique rend tout indécidable: ou bien la Wallonie ne s'exprime pas et alors son identité est douteuse ou bien elle le fait, mais alors on pense que cela a une autre signification. Que doivent donc faire les Wallons pour être reconnus? La réponse est simple: on nie d'avance leur existence, ce qui implique qu'ils demeurent dans ce néant quoi qu'ils fassent. Une revue flamande [Vlaanderen Morgen, juilllet-août 1998] a reçu les auteurs du manifeste tout en se posant la question de leur représentativité wallonne avec cette question «La stratégie dominante des régionalistes wallons consiste-t-elle à défendre les exigences du PRL et du FDF par rapport à Bruxelles et à sa périphérie?»[ibidem, p. 67].
Pour que l'on puisse considérer la Wallonie comme seulement soustraite, il faut évidemment faire le silence sur ces événements qui expriment une volonté positive des Wallons de s'assumer et non d'assumer une «soustraction» ou «contrainte» qui lui serait imposée du dehors par un peuple flamand manipulé par ses élites. Avec un peuple flamand «manipulé» engendrant une Wallonie «soustraite»... que reste-t-il de la vie réelle des peuples? Somme toute, le langage dominant fait assez logiquement bon marché de la Wallonie, la capacité des collectivités humaines de s'assumer étant niée en général. La Flandre «manipulée par ses élites» va à une indépendance dont la Wallonie ne peut rêver puisqu'elle n'est rien et est sensée ne rien vouloir, ni être. Il n'y a plus ni démocratie ni autodétermination de quiconque. Bizarrement, Choisir l'avenir se réfère à des sources essentiellement flamandes pour l'histoire de la Wallonie (la traduction par C. Kesteloot de Les nations belges de L. Wils).
Trois des rédacteurs de Choisir l'Avenir sont d'anciens conseillers de cabinets FDF, héritiers spirituels de F. Persoons et de cet autonomisme francophone droitier, que gêne l'engagement du mouvement ouvrier dans le combat fédéraliste. F. Persoons déclarait en 1969 (au cours du débat des treize personnalités cité dans l'introduction): «Il eût été concevable, et même souhaitable, que le pays garde une unité de politique d'enseignement, de culture, loisirs, information (RTB). S' il n'y avait pas eu le nationalisme flamand [souligné par J.F.] et le manque total d'intérêt des francophones pour les Flamands, les choses auraient pu évoluer d'une autre façon.» Il eût donc mieux valu qu'il n'y ait jamais eu ni Wallonie ni Flandre et que demeure la Belgique bourgeoise?
Jean-François Dechamps qui signera Choisir l'avenir avait été aussi explicite en 1987: «Il sied de s'interroger sérieusement sur le problème de l'identité wallonne par rapport à " Bruxelles " et les conclusions à en tirer. Cette question n'est pas susceptible d'une réponse simple. Historiquement, la Wallonie est un peu comme l'Autriche résiduelle de Clémenceau: " ce qui reste ". Ce qui reste des terres romanes du nord-est de la Gaule que l'État français n'a pu durablement conquérir, et pour le surplus, c'est la fille par réaction du mouvement flamand et de l'État belge (...) " Bruxelles " n'étant d'autre part pas dépourvu des vocations anciennes et nouvelles, la Wallonie c'est un peu aussi " ce qui reste " [nous avons chaque fois souligné cette expression dédaigneuse] de la Belgique française de 1830.» [La Libre Belgique, 28/8/1987]. Cette conviction d'une Wallonie seulement résiduelle est terriblement présente dans le discours de François Perin (mais celui-ci tend quand même souvent à ménager une petite part de vraie identité wallonne, même subordonnée). Jean-Michel Favresse, professeur de droit public à l'ULB exprime la même Wallonie «reste» ou «résidu» quoique indirectement dans le texte qui suit: «(La Belgique) est mourante (...) la faute en incombe aux Flamands, pensent les francophones. Ne provient-elle pas plutôt, pour une bonne part, de ce que le sentiment qui naît, ou est déjà né chez les Flamands d'appartenir à une nation, est mal ou est insuffisamment exprimé dans les institutions? Un tel sentiment, d'abord, n'a rien en lui-même d'illégitime, qu'il soit fondé comme dans le cas présent, sur la langue, ou sur la couleur de la peau, la religion ou une histoire commune. Il se fait, d'autre part, que les peuples conçoivent en général qu'ils doivent être pourvus d'un territoire; cela non plus n'a rien d'illégitime, et ce besoin se constate aussi, de plus en plus, chez les Flamands (...) Il faut créer de véritables États fédérés, et transformer les inconsistantes limites linguistiques entre le français et le néerlandais en véritables frontières de tels États, après avoir procédé aux quelques rectifications mineures qui s'imposent (...) Cependant, pour que ce bel espoir puisse se réaliser, il faut sans aucun doute que les Francophones de ce pays, à l'égal des Flamands, s'assignent un grand et réaliste dessein, sans quoi l'on peut parier qu'ils seront colonisés par ceux-ci, ou encore qu'ils seront abandonnés par eux, après quoi il ne leur serait plus donné qu'à s'offrir à qui en voudrait.» [Le Soir du 8/12/87].
Avec ceci, c'est presque l'aveuglement des militants du Front du Nord: on devrait faire remarquer que les «limites linguistiques» de J.M. Favresse, notamment du côté des Fourons, ont été le point de fixation d'un vif sentiment wallon d'appartenance, de part et d'autre d'une frontière injustement fixée. En outre, peu après la date où est rédigé cet article de J.M. Favresse, c'est sous l'emblème wallon que le PS atteint 44 % des suffrages en Wallonie, tente d'approfondir le fédéralisme et de modifier le statut des Fourons et, vu son échec partiel à cet égard, doit faire face à une fronde grave en pays wallon, les fédérations socialistes wallonnes rejetant majoritairement l'accord gouvernemental de mai 1988, avec Jean-Maurice Dehousse et Jean-Claude Van Cauwenberghe notamment. J.M. Favresse ignore le passé proche (appel des intellectuels pour une capitale de Wallonie à Namur en 1985, grèves sidérurgiques des débuts de la décennie, manifestation de 100.000 ouvriers réunis sous les bannières wallonnes et en front commun à Namur en mars 1979, etc.).
C'est une nouvelle confirmation de ce que le jugement sévère porté sur une Wallonie au bout du déclin (milieu des années 80) et par conséquent affaiblie, ne vient que renforcer une impression qu'on avait déjà auparavant et qui est tirée de l'idéologie belge francophone: la Wallonie n'existe pas. Il y a plus. Certains analysent les choses de cette manière: il y aurait d'abord eu la Wallonie déclinante (I), puis un discours (le renardisme) développé en vue du redressement (II), puis ce redressement ne serait pas venu (III) et l'on aurait «compensé» les frustrations économiques par une quête identitaire (IV): «La Wallonie n'a pu sortir d'un certain marasme... Dès lors, le message wallon s'est mis à la recherche d'un tout autre ancrage.» [C. Kesteloot, Le Matin du 27/4/98]. Raisonnement juste, à notre sens, si on l'envisage sous un certain angle: la Wallonie s'étant sentie d'abord menacée d'existence par le déclin, ne parvenant pas à s'en sortir économiquement, chercherait une échappatoire symbolique. Cela revient à dire que la Wallonie, si elle affirme son identité, le fait par impuissance. De plus, les signes de redressement wallon sont évidents2. Enfin, on pourrait se demander si le marasme d'un être, quel qu'il soit, ne se traduit justement pas par le fait qu'il renonce à faire valoir son identité...
Il y a ici toute la distance qui se recrée entre une intelligentsia dominante et la population qu'elle observe. On a beau devoir relativiser l'influence de cette intelligentsia et des médias, à force de sentir ce regard porté sur soi, quelque solidité que l'on ait par ailleurs, c'est difficile à vivre. N'oublions pas en effet que les images négatives, les visions réductrices et dénigrantes se sont multipliées et amplifiées à partir des années 80, soit au moment où la Wallonie en crise (structurelle) entrait dans la crise conjoncturelle (ou cette prétendue «crise» qui justifie les réactions de la bourgeoisie contre les moins nantis). C'est-à-dire au moment même où les Wallons désespérèrent le plus de leur avenir (les manifestations violentes de métallos à Bruxelles en sont le signe). Des médias plus favorables à la Wallonie n'auraient fondamentalement rien arrangé? Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est en rien avantageux de vivre un tel échec et d'entendre tous les jours dire: vous n' «existez pas», votre identité est «floue», vous êtes «morcelé», votre avenir est «incertain», vous êtes appelé à «disparaître dans la Belgique francophone», votre seule «vitrine» possible est Bruxelles, ville où l'on proclame tous les jours que vous n'existez pas et que c'était si beau la Belgique...
L'idée que la Wallonie est dépendante est même parfois exprimée directement. Lorsque Jean Couchard analysa le rapport Mac Kinsey pour la RTBF, il fut bien obligé d'exprimer les rapports du centre national de la RTBF et des centres wallons régionaux comme suit: «La représentation de la sensibilité wallonne à Bruxelles s'exercera dans deux sous-comités.» [Le Soir du 7/1/86]. Cette phrase peut se lire hors du contexte de la réorganisation de la RTBF. Elle exprime la dépendance dans laquelle les personnes qui ont la parole en Belgique francophone voient et acceptent le pays wallon, ces personnes pouvant être elles-mêmes, nous le répétons, d'authentiques Wallons.
Nous citions cet article du journal Le Soir parlant du «léger repli» écossais. Dans le Bulletin de la Fondation Élie Baussart (3/93), Jean-Pol Hiernaux s'étonnait à bon droit de certaines expressions utilisées dans un article paru après la clôture des JO de Barcelone en 1992. Le journal Le Soir, dans un article à la une, mettait en opposition une langue «faite d'une succession de diphtongues sans harmonie» (le catalan) «bien loin de la musicalité du castillan» [Le Soir, 10/8/92], poursuivait en dénonçant la «catalanisation agressive des Jeux», s'en prenait aux drapeaux catalans, trop nombreux «pour que l'on crût à l'innocence de ceux qui les avaient pendus», félicitait le roi d'Espagne d'avoir oeuvré à la renationalisation des jeux en faveur de l'Espagne, les téléspectateurs étant tous considérés comme devant éprouver de l'«agacement» d'être tombés dans un «piège régionaliste». Le dernier intertitre de cet article était même «Une médaille pour le Roi». Jean-Pol Hiernaux concluait: «C'est à coups de petits articles " anodins " (...) sur les sujets les plus variés, parfois les plus éloignés de l' " ici " que se maintiennent des habitudes de penser et que se perpétue le discours anesthésiant de la belgitude intangible.» [Bulletin... 3/93]. Ces Catalans si critiqués poursuivaient leur quête autonomiste, jadis opposée aux armées fascistes d'un général Franco, dont le roi d'Espagne est le successeur... Peu importe qu'il s'agisse de Catalans, Wallons, Écossais (et nous pourrions ajouter les Flamands), c'est un type de démarche politique que vise une belgitude désemparée, souvent obligée de recourir au symbole royal comme ici.
(*)À notre connaissance, Le Monde Diplomatique n'a jamais traité de la Wallonie ou de la question nationale en Belgique en mettant en avant les racines ouvrières et socialistes de cette problématique ou en l'abordant en termes de luttes des classes. Dans les deux dernières années, les articles de Serge Govaert [1/98], J.M. Chauvier [10/97], L. Richard [6/97], B.Remiche déjà cité [2/97], S. Govaert à nouveau [1/97], et derechef J.M. Chauvier [10/96] démontrent que la problématique belge intéresse ce journal. On trouve également de nombreuses recensions de livres [novembre et décembre 96, mai, octobre et décembre 97, février 98]. Mais c'est seulement dans le compte rendu d'un livre (celui de Philippe Destatte op. cit.par R. Lewin), qu'apparaît, pour la seule et unique fois, le rôle du Mouvement Populaire Wallon situé à la gauche du mouvement syndical dans les années 60. Le dernier article de Sergio Carozzo [Septembre 1998] indiquerait-il que Le Monde Diplomatique adoptera à l'avenir une lecture «ethnique» du contentieux belge. On peut le craindre puisque, jamais, un point de vue autonomiste wallon, socialiste et démocrate, n'a jusqu'à présent pu s'exprimer dans ces colonnes qui pourraient donc alimenter un discours antiwallon elles aussi.
- 1. Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, IJD, EVO et FAR, Charleroi, Liège, Bruxelles, 1984.
- 2. Yves de Waseige a indiqué (TOUDI, mensuel, n° 11 et n° 12, mai et juin 1998), que, depuis 1986, l'emploi est à nouveau en croissance dans tous les arrondissements wallons hormis une légère régression à Liège. La croisance de l'emploi est même égale à celle de la Flandre si l'on ne tient pas compte des chiffres de Liège et de Charleroi, les plus touchés par l'hémorragie de l'emploi dans la sidérurgie.