Le MR sent la Wallonie lui échapper ?

Toudi mensuel n°62, janvier-février 2004

Nous rendons compte dans ce numéro de la présentation assez folle de l'ouvrage d'Hervé Hasquin Les séparatistes wallons et le gouvernement de Vichy. Certes, c'est un ouvrage historique. Mais son auteur est le Ministre-Président de la Communauté française, un historien important pour la Wallonie... Tout qui a assisté à la présentation d'un ouvrage récent qui vient juste de sortir de presse sait que les journalistes sont bien obligés, à la conférence de presse qui prélude à leur papier du lendemain, de faire confiance à ce qu'en dit l'auteur. Et l'auteur était fiable jusqu'ici. Or ce que dit Hervé Hasquin au journal Le Vif-L'Express, dépasse l'entendement. On parle « des » séparatistes wallons, « collaborant » avec le gouvernement de Pétain, « du » Mouvement wallon continuant à avoir « deux fers au feu » (sic) jusqu'à l'année « 1943 » (soit Pétain, soit de Gaulle) ! L'auteur, historien fiable (mais l'est-il ici ?), s'exprimant dans ce sens, l'hebdomadaire parle de « rapports privilégiés » avec « l'entourage » (sic) de Pétain. . N'importe quoi !

Les accusations invraisemblables d'Hervé Hasquin

Et Isabelle Philippon pose cette question incroyable « Comment se fait-il que le Mouvement wallon n'a jamais été accusé de collaboration ? ». Cela a dû être l'un des plus beaux jours de sa vie. Hervé Hasquin n'hésite pas à comparer avec ce qui s'est passé du côté flamand ! Alors, de quoi s'agit-il ? Finalement, un seul homme - Georges Thone - peut être convaincu d'avoir eu des rapports directs et prolongés avec des fonctionnaires français importants, déjà en place avant la prise du pouvoir par Pétain le 16 juin 1940.

Et cela parce qu'il recruta dès 39 des ouvriers qualifiés pour les usines d'armement de la France en guerre avec l'Allemagne alors que l'État belge restait neutre. On a beau relire cinquante fois certains passages du livre d'Hervé Hasquin, on ne voit pas autre chose en tout cela que des discussions politiques dont étaient informés quelques Liégeois, certes importants, de la future « Wallonie Libre » régionale, mais dont l'enthousiasme pour ces conversations est plus que tiède. Et alors que dès le début 41, 50.000 tracts reproduisant la photo du général de Gaulle avec la légende « LA WALLONIE LIBRE EST AUX CÔTÉS DE LA FRANCE LIBRE » sont distribués en Wallonie. Arille Carlier fera d'ailleurs pour cela un an de prison dans les geôles allemandes. Et pourtant le titre d'H.Hasquin « les séparatistes wallons et Vichy » intègre en fait Arille Carlier dans l'accusation. « Comment se fait-il en effet que le mouvement wallon n'a jamais été accusé de collaboration ? ». Puisque Carlier est resté si proche des Allemands pendant un an ? Avec qui - sait-on jamais ! - il a peut-être même eu des conversations ! Comme Fernand Dehousse en avait quand il était arrêté par la Gestapo à Liège ! Pendant la période ou lui et sa bande conservaient (soi-disant !) les fameux « deux fers au feu ».

Carlier est donc quand même sali aussi par Hervé Hasquin, de même que F.Dehousse et les époux Bologne et bien d'autres personnes, notamment 32 (trente-deux !) militants wallons qui touchèrent en France non occupée l'équivalent de 150 EURO par mois en 41-42, versés par le Secours national français. Tout cela nous a valu la première page du « Soir » (tout de même plus prudent), et le titre infâmant LES COLLABOS WALLONS dans « Le Vif ».

Merci à Hervé Hasquin de n'avoir pas sali les décapités et les fusillés

Une chose entre toutes fait que nous avons le droit de nous permettre de douter de l'honnêteté d'Hervé Hasquin, c'est qu'il ne cite quand même aucun militant « du » Mouvement wallon qui aurait été décapité, fusillé, torturé par les nazis. C'est la limite qu'il s'est sans doute donnée. Certes, les personnalités les plus visées sont souvent rattachistes. Mais Hervé Hasquin, dans ce livre de 130 pages (sans les annexes) et d'un millier de notes, jette le discrédit sur le mouvement wallon en général, en l'opposant à maintes reprises au gouvernement de Londres (la résistance l'adorait ?), mais aussi à Léopold III. Comme si le fait de s'opposer à Léopold III valait brevet d'incivisme et même de collaboration. Mais alors pourquoi la Wallonie insurgée de 1950 a-t-elle renversé Léopold III en versant son sang ? Parce que celui-ci aurait discuté avec des fonctionnaires français importants sous Vichy ? Parce qu'elle n'aurait pas pu supporter les tendances réunionistes ou francophiles du quatrième roi des Belges ?

De quoi parle Hervé Hasquin ? D'où vitupère-t-il ? Et pourquoi a-t-il écrit ce livre ? Pour asseoir sa réputation d'historien, peut-être ?

Le sens de cette « démonstration » dite « historienne »

En fait, TOUDI l'a écrit à plusieurs reprises, et sans porter de jugement sur la Flandre en tant que telle, la constitution de la Flandre et de la Wallonie comme nations est liée peut-être même plus essentiellement à la manière dont ces deux peuples ont vécu les deux guerres mondiales qu'aux questions culturelles et économiques. Dans ce numéro, on montre à quel point la défaite de 1918 a façonné très profondément l'identité allemande. L'historiographie française admet mieux aujourd'hui que la défaite terrible de 1940 marque la France jusqu'à aujourd'hui.

Or, on ne peut pas nier qu'en Belgique, un silence énorme pèse sur nos mémoires, surtout celle de 1940, car elle implique et compromet très gravement une monarchie proche des nazis, admiratrice d'Hitler, antisémite, désireuse de remplacer la démocratie parlementaire par autre chose où elle aurait été encore plus politiquement centrale qu'elle ne l'était depuis 1830 avec la Constitution et le Parlement. Une monarchie restée l'atout principal de ceux qui veulent faire penser que l'État fédéral demeure l'échelon du Pouvoir le plus important malgré les chiffres que nous rappelons plus bas.

Les gens qui laissent dire que le mouvement wallon aurait collaboré, sont plus discrets sur le vrai silence qui continue à peser, surtout en Wallonie, sur la « tache indélébile » qu'est le rapport au nazisme de la Dynastie. Surtout en Wallonie, car un livre comme Leopold III de Velaers et Van Goethem y reste non traduit et peu commenté. Alors que ce livre établit la collaboration-accommodement du roi. Il y a quelque chose de vraiment politique dans l'attitude d'Hervé Hasquin qui n'a que peu de rapports avec - restons polis même si on peut se sentir à bon droit délié de pareille obligation - une intervention historique sereine. On a l'impression que le MR (tel qu'il est) sent la Wallonie lui échapper.

Le sens de l'assimilation du mouvement wallon au rattachisme

Hervé Hasquin tend aussi à assimiler tout le mouvement wallon au rattachisme. Cela sert sa thèse historique contre Thone, prenant contact avec un gouvernement étranger (français) pour obtenir la réunion de la Wallonie à la France en pleine guerre. Et cela sert aussi sa thèse actuelle visant à discréditer le mouvement wallon qui ne se confond pas avec le rattachisme. Celui-ci est jusqu'ici une position très minoritaire, n'étant pas parvenue à être majoritaire même au Congrès national wallon de 1945 (le rattachisme recueille le meilleur score mais pas une majorité : 46%). Alors que le contexte lui était très favorable (popularité très grande du général de gaulle, France perçue à nouveau comme grande puissance innovatrice sur le plan politique et social, en consonnance avec toute la Résistance wallonne, rattachiste ou non). Fernand Dehousse y étant en fait l'orateur le plus applaudi (sa propre position - l'autonomie - recueillant quasiment 40 % des suffrages).

Le MR et la Logique profonde d'une Wallonie qui émerge

Le fait pour le MR de débaucher un Richard Fournaux ne démontre-t-il pas quelque part beaucoup d'embarras? On sait que ce parti a fait de la « Communauté française » et de cette organisation étatique biscornue et impopulaire, son bastion politicien face au bastion politicien PS qu'est la Wallonie. Parce que le MR domine dans la totalité de l'ensemble Wallonie/Bruxelles et que le PS domine en Wallonie. On peut détester ces jeux politiciens car ils distraient d'enjeux civiquement bien plus lourds : la Wallonie, Bruxelles, l'Europe, la Francophonie, la Cité face à l'Argent, la Guerre, la Violence, l'Inégalité, l'Insécurité. Mais ces jeux politiques sont là.

Le Deuxième Manifeste wallon a beau n'avoir ni moyens ni troupes en tant que tel. Il a pu s'organiser pour dire tout haut ce que pense le peuple wallon, à savoir que la Communauté française est un gouvernement de trop dans l'espace Wallonie-Bruxelles, que l'existence de ce pouvoir inutile - ce qui est déjà en soi une nuisance - nuit en outre à la cohérence du Contrat d'avenir pour la Wallonie, dont le principe est admis par tous les partis politiques et toutes les forces sociales organisées. Le Deuxième Manifeste wallon a eu en outre le secours d'un sondage, le 26 septembre, qui lui donnait raison sur la suppression de la Communauté (présidée par Hervé Hasquin). Puis la FGTB coupa le son de la RTBF, le plus important instrument de communication de la Communauté, le jour de sa fête. Hervé Hasquin parlant de notre Manifeste comme d'une « escroquerie intellectuelle ».

Nous sentons bien que du côté du PS, on cherche, au moins pragmatiquement, de facto, sans nécessairement dire les choses aussi radicalement que nous, à faire en sorte que la Communauté ne nuise plus à la cohérence du Contrat d'Avenir. Et on peut être sûr, d'ores et déjà, que la Communauté va voir encore sa popularité diminuer.

Un Mouvement politique dans le sillage du Deuxième Manifeste wallon verra le jour incessamment. Il se met en route sur les bases du retentissement de ce texte, mais en s'organisant mieux. Avec la seule ambition, non d'aller aux élections ! (cela ne lui servirait à rien, on peut penser que ce n'est pas l'intérêt de quelque mouvement wallon que ce soit), mais de répéter ce qui est la Logique politique à venir. Soit l'inexorable croissance d'un État wallon déjà indépendant à plus de 50%. Car les entités fédérées disposent de 90% des agents des services publics. Car 50% des recettes publiques leur reviennent. Car leurs compétences valent équivalemment au plan intérieur et sur la scène internationale. Par-dessus tout l'opinion s'en pénètre en Wallonie et ne s'en désole pas du tout parce que ça marche !

Les gens influents du MR au fédéral et à la Communauté (notamment l'étrange Bruxellois qu'est Daniel Ducarme), un Richard Fournaux, belgo-dinantais à 100%, qui n'a jamais été fort préoccupé par un avenir souverain pour Wallonie, ne voient pas cette Logique en marche d'un bon œil. Elle les déroute. Cela se voit. L'« allié » ou les cousins flamands du VLD sont bien plus encombrants pour le MR (sur le vote des étrangers aux communales par exemple), que ne le sont les cousins flamands du PS pour le PS. Le SP.A est en pleine ascension. Il joue la carte flamande mais contre le Vlaams Blok. On parle d'alliance du PS avec le CDH, du SP.A avec les « chrétiens » du CD&V.

N'y a-t-il pas une forte tradition wallonne dans le monde libéral ? Oui, mais qui la représente aujourd'hui vraiment ? Solidement ? Aux premiers rangs? Personne, sauf Serge Kubla et Michel Forest. Et des hommes et des femmes plus jeunes que l'on n'a pas encore vus. En revanche à son Congrès pour les jeunes à Liège, le MR arbore le drapeau belge...

Allons, l'affaire Hasquin nous fait du bien ! Elle montre que la Wallonie réunioniste ou indépendantiste n'a jamais collaboré. Et qu'elle réalise, en devenant souveraine, le rêve des fusillés et des décapités pour la Wallonie Libre. Pourquoi le rappeler ? Parce que c'est politiquement essentiel. Et parce que, sur le plan moral (dont certains semblent peu se soucier), comme le disait Clémenceau, « Les morts ont des droits sur nous. »