100 % pur fil rouge d'Ecosse

Toudi mensuel n°36-37, mars-avril 2001

Les débris de ta vie s’étalent sur la table : un paquet de mouchoirs à moitié entamé, un peu de désespoir et le double des clés; je me souviens que tu étais très désirable. Michel Houellebecq Le sens du combat 1996

Contemplant, depuis 1996, avec un mélange de dégoût et de délectation leurs blessures intimes et sentimentales, réelles ou fictionnelles, les Écossais d’Arab Strap viennent d’enregistrer leur quatrième CD sobrement intitulé «the red thread» (le fil rouge).

Pas question avec eux d’évoquer la renaissance culturelle et économique de l’industrieuse Glasgow ayant tourné la page de ses chantiers navals, de ses docks, de sa métallurgie et de son syndicalisme radical. Pour Aidan Moffat et Duncan Middleton, le fil rouge de l’Ecosse moderne se décompose surtout en solitude tenace, amours bancales et inassouvies, abus d’alcool, de tabac et autres «plaisirs» éphémères. Proche par le style de la prétendue école littéraire «glaswegienne» avec ses représentants les plus connus Alisdair Gray, James Kelman et Irvine Welsch; leurs petites histoires au réalisme sordide, voire parfois glauque, écrites et chantées dans un anglais volontairement maltraité, nous renvoient sans aucune pitié à l’inévitable question (de l’absence), de sens de l’existence humaine. Proche du Houellebecq précité, par ailleurs auteur d’un étonnant CD, Arab Strap nous parle, sans la moindre complaisance, et encore moins de clémence ou de nostalgie, de l’échec de la prétendue libération sexuelle et des quelques idéaux politiques issus de 1968, ouais, tout cela n’est vraiment pas politiquement correct... Ainsi donc, ce serait cela être un quasi trentenaire écossais n’ayant connu que 20 ans de thatchérisme et quelques années de blairisme ? Il serait trop commode pour nous de ne pas voir que leur constat pourrait être celui de nombreux européens, certains groupes français tels Programme ou Expérience l’évoquant dans des styles musicaux différents. Trouvant souvent une expression musicale originale et neuve, Arab Strap s’amuse à pervertir les quelques pauvres clichés de la musique commerciale de danse dégueulée tous les samedis soirs prés de chez vous.

Avec une certaine joie, il détourne cette dernière de son optimisme obligé, les boîtes à rythmes sont ralenties au maximum, les samplings sont détournés de leurs fins, des guitares, des cordes et un piano crépusculaires venant parasiter le tout. Tout cela pourrait n’être qu’un fastidieux exercice de cafard ou de marasme post-moderne, l’angoisse de petits blancs désabusés en quelque sorte, mais «the red thread» relève plutôt de la noirceur toujours si tentante du romantisme. Certains morceaux acquièrent parfois une luminosité (une grâce ?) inespérée en ces lieux de désolation, Moffat et Middleton semblant alors nous dire que c’est la gueule dans le caniveau que l’on aperçoit le mieux les étoiles... Et l’esprit de révolte, la rébellion, dans tout cela me direz-vous ? Ce disque semble nous dire contre qui ?, contre quoi ? et comment ? alors que toutes les formes de contestation, même les plus radicales, finissent par être récupérée... Et si la vraie dissidence consistait en la sauvegarde de son individualité, dans le refus de pactiser avec une époque déplorable. Dans un monde dépourvu de projet et de pitié, vit-on mieux sans espoir mais avec quelques illusions en réserve ou bien avec espoir mais sans illusions ?

[F.A.]

Arab Strap : The red thread Chemikal Underground Records.