Une proposition pour sortir le Québec de l'impasse
On sait que par deux fois, en 1980 et en 1995, le gouvernement québécois a proposé aux Québécois un référendum portant sur la souveraineté de la Province francophone. Si le OUI avait été sévèrement battu en 1980 avec un peu plus de 40 % (mais déjà la moitié des Québécois francophones qui forment 80% de la population québécoise), il avait bien failli l'emporter de justesse en 1995 ratant la majorité absolue de 0,4% de suffrages et remportant 60% des voix francophones.
Présentation de la proposition de Michel Seymour
Un philosophe québécois, professeur à l'université de Montréal, outre une série de propositions très neuves sur l'idée de nation propose dans un livre intitulé Le pari de la démesure, l'intransigeance canadienne face au Québec, L'Hexagone, Montréal, 2001, une autre façon de procéder pour en arriver à la souveraineté
Au cas (probable) où le Parti Québécois remporte les prochaines élections «provinciales» (c'est-à-dire de la Province de Québec, un État fédéré) autour de 42% des voix, Michel Seymour se demande si le nouveau gouvernement ne devrait pas alors faire voter par l'Assemblée nationale du Québec, peu de temps après les élections et, à condition que la population en ait été informée avant la tenue du scrutin, une loi semblable à celle que les Libéraux de Robert Bourassa ont fait adopter après la tenue des travaux de la Commission Bélanger-Campeau sur l'avenir du Québec (1990). C'était la fameuse Loi 150, votée tant par le PQ (Parti Québécois, souverainiste) que par le PLQ (Parti Libéral Québécois, de tendance fédéraliste)
Pour Michel Seymour, la nouvelle loi 150 stipulerait que le Canada a un an pour souscrire à certains principes qui sont des principes auxquels tient un parti souverainiste de droite modéré comme l'ADQ, nationaliste mais plutôt partisan d'un fédéralisme renouvelé que d'une indépendance pure et simple (ou même que de la souveraineté-association). Ces principes sont: 1) la reconnaissance constitutionnelle du «peuple québécois»; 2), un statut particulier pour la province de Québec; 3), un fédéralisme asymétrique formel reconnaissant dans la Constitution l'asymétrie québécoise; 4) la reconnaissance du droit de promouvoir et de protéger la langue française dans le respect des minorités et des individus; 5) la reconnaissance de pleins pouvoirs concernant la culture, les télécommunications et l'Internet; 6) le droit de retrait avec compensation financière de tout programme fédéral dans des champs de compétence québécoise et transfert de points d'impôt; 7) le droit de veto sur tout changement constitutionnel; 8) la participation à la nomination de trois des neufs juges à la Cour suprême du Canada; 9) la récupération des pleins pouvoirs en matière d'assurance-emploi, de politique familiale et d'immigration; 10) la plus grande autonomie en matière de relations internationales.
Pour que ceci devienne effectif au Canada (et donc au Québec), cela suppose l'accord des 9 premiers ministres provinciaux et du premier ministre du Canada.
Si les chefs de 9 provinces et le premier ministre du Canada souscrivaient à ces principes, le gouvernement québécois accepterait de soumettre cette proposition par référendum à la population québécoise (tout en insistant sur le fait que, pour lui, la chose à faire idéalement ce serait la souveraineté).
La loi prévoirait cependant aussi, qu'en l'absence d'accord du Canada, le gouvernement du Québec aurait le mandat de tenir un référendum sur la souveraineté.
La loi devrait prévoir aussi ce qui se passerait après un référendum qui aurait porté sur une proposition de renouvellement en profondeur du fédéralisme: le Canada aurait 3 ans pour assurer la ratification de l'accord par les législatures provinciales. Si, au terme des 3 ans, les provinces n'avaient toujours pas ratifié l'accord, le gouvernement du Québec aurait le mandat de tenir à nouveau un référendum, mais cette fois sur la souveraineté.
Avec cette proposition, Michel Seymour cherche de toute évidence à faire avancer les choses mais il reste pragmatique et il cherche à tenir compte des désirs de la population québécoise. Il veut, tout comme le souhaite Claude Morin dans son livre Les prophètes désarmés, Boréal, Montréal, 2001, que le gouvernement québécois reprenne l'initiative dans le domaine constitutionnel malgré la Loi C-20, dite loi sur la clarté, du gouvernement fédéral (voir TOUDI n° 38-39).
Les scénarios du Professeur Jean Lapointe
Sur le Forum «Avant-garde du Québec» le Professeur Jean Lapointe tente d'esquisser les six possibilités à laquelle ouvre la proposition Seymour:
PREMIÈRE POSSIBILITÉ:
1- Le premier ministre du Canada et les premiers ministres des provinces souscrivent aux principes énoncés dans la loi avant la fin de la période d'un an qui leur est aussi accordée par la loi, qui serait une sorte de deuxième loi 150.
2- Le référendum organisé par le gouvernement québécois sur ces mêmes principes est gagné par le gouvernement.
3- Le parlement fédéral et les législatures provinciales ratifient ces principes ( à la suite de référendums tenus et gagnés dans certaines provinces) avant la fin du délai de 3 ans qui leur est accordé.
4- Les pourparlers s'engagent pour que la constitution de 1982 soit amendée en conformité avec les principes ratifiés par tout le monde.
5- Le parti québécois réévalue son programme pour savoir s'il va rester souverainiste ou pas.
DEUXIÈME POSSIBILITÉ:
1- Idem.
2- Idem.
3- La ratification ne se fait pas complètement avant la fin de la période de 3 ans qui leur avait été accordée conformément à la Loi 150 bis.
4- Le gouvernement québécois gagne le référendum sur la souveraineté.
5- Les pourparlers s'engagent sur le processus d'accession du Québec à l'indépendance.
6- Le Québec devient souverain.
TROISIÈME POSSIBILITÉ:
1- Idem.
2- Idem.
3- Idem.
4- Le gouvernement québécois perd le référendum sur la souveraineté.
5- Le gouvernement et le Parti québécois réévaluent la situation pour savoir ce qu'ils vont faire.
6- Ou bien le gouvernement reste au pouvoir ou bien il déclenche de nouvelles élections avec le même programme ou bien avec un nouveau programme. ( À ma connaissance, Seymour n'a encore rien proposé à ce sujet; c'est donc moi qui ai ajouté ce qui précède).
QUATRIÈME POSSIBILITÉ:
1- Idem.
2- Le référendum sur les principes contenus dans la Loi 150 bis est perdu par le gouvernement.
3- Le gouvernement québécois et le parti québécois réévaluent toute la situation pour savoir quoi faire.
4- Ou bien il reste au pouvoir ou bien il déclenche de nouvelles élections avec le même programme ou bien avec un nouveau programme. ( A ma connaissance, Seymour n'a encore rien proposé à ce sujet; c'est donc moi qui a ajouté ce qui précède.)
CINQUIÈME POSSIBILITÉ:
1- Le Canada et les provinces ne souscrivent pas aux principes contenus dans la Loi 150 bis avant le délai de 1 an qui leur est donné.
2- Le gouvernement québécois gagne le référendum sur la souveraineté prévu par la loi dans un tel cas.
3- Les pourparlers s'engagent sur le processus d'accession du Québec à l'indépendance.
4- Le Québec devient souverain.
SIXIÈME POSSIBILITE:
1- Idem que dans le cas précédent.
2- Le gouvernement québécois perd le référendum sur la souveraineté prévu dans la loi.
3- Le gouvernement du Québec et le Parti québécois réévaluent toute la situation pour savoir quoi faire.
4- Ou bien il reste au pouvoir ou bien il déclenche de nouvelles élections avec le même programme ou avec un nouveau programme. (C' est moi qui ai ajouté ce qui précède.)
Il va sans dire que ce que personnellement je souhaiterais qu'il arrive c'est la cinquième possibilité.
Ce qui est à craindre toutefois c'est que le gouvernement québécois perde le référendum sur la souveraineté, comme cela est indiqué dans la sixième possibilité. Mais ce serait au Parti Québécois et au gouvernement de s'assurer que le référendum aurait de bonnes chances d'être remporté par eux.
Il ne faudrait pas que ce référendum soit perdu. Ce serait catastrophique.
Je n'en tiens pas compte ici mais il faudrait malheureusement s'attendre à ce que le gouvernement fédéral, avec ou sans l'accord des autres provinces, crée d'autres difficultés au gouvernement québécois si jamais celui-ci remportait le référendum sur la souveraineté.
Mais le gouvernement québécois aurait de bons points en sa faveur aux yeux de la communauté internationale, étant donné toutes les précautions qu'il aurait prises et, par conséquent, tout ne serait pas perdu.
C'est un risque à prendre mais il vaut la peine d'être pris pour les prochaines générations de Québécois.
(Jean R. Lapointe Montréal, Forum Avant-garde du Québec)
Conclusions
Contrairement à ce que l'on croit souvent en Europe, les Québécois n'ont pas cherché leur indépendance seulement par la voie du référendum mais aussi par la voie parlementaire et de la négociation avec le Canada. En 1987 (accords du Lac Meech), on fut à deux doigts d'obtenir une reconnaissance du Québec comme société distincte, ce qui en somme pourrait, tout en maintenant le Canada, satisfaire à la plupart des principes énoncés dans la proposition Seymour.
Le calcul de ce philosophe c'est que le Canada ne pourrait pas accepter même ce programme modéré (le Canada a finalement refusé les accords du lac Meech). Mais comme un gouvernement souverainiste du Québec aurait l'initiative de le proposer au Canada, il aurait aussi la faculté de faire la preuve «en marchant» de la mauvaise volonté du reste du Canada. Il pourrait ainsi convaincre les nationalistes modérés du Québec qui sont partisans des points soulignés par Seymour mais qui ne veulent pas quitter le Canada que, en définitive, la seule solution acceptable, c'est un Québec souverain. Il est à noter que dans le texte de Charles Taylor que nous publions dans ce même numéro, le philosophe québécois anglophone admet lui aussi que la reconnaissance du Québec comme société distincte est cruciale.
Mais justement, c'est cette reconnaissance que voudra toujours refuser le Canada, nous semble-t-il. De sorte que les radicaux québécois sont fondés à penser que la seule issue pour le Québec c'est l'indépendance, ce qui est d'ailleurs la conviction aussi de Michel Seymour qui propose simplement une voie qui y conduise par la production non seulement d'arguments mais aussi de faits en quelque sorte provoqués par la fameuse loi 150, nouvelle manière, que voterait l'Assemblée nationale du Québec, l'année prochaine, après les élections «provinciales», si du moins le PQ l'emporte et si cette proposition Seymour est acceptée.
Mais que cette proposition Seymour soit ou non acceptée, elle révèle bien les difficultés et les complexités qui sont celles de la démarche souverainiste au Québec pour l'instant.