Cadre historique et institutionnel de la monarchie

Toudi mensuel n°42-43, décembre-janvier 2001-2002

Un rappel historique*

La fin du 18ème siècle est marquée par une série de révolutions contre l'Ancien régime, celui de la monarchie absolue de droit divin. Il faut en rappeler les principales : la proclamation des États-Unis d'Amérique (1783) et sa Constitution fédérale (1787), la Révolution française (1789), la Révolution dans la Principauté de Liège (1789), la Révolution brabançonne (1789) ,qui donna naissance aux Etats Belgiques Unis (janvier 1790). Cette première tentative bourgeoise d'indépendance contre l'absolutisme princier, autrichien à l'époque, donne lieu à un an de troubles, suivi du rétablissement provisoire du pouvoir autrichien. En 1792, les Français entrent dans les territoires qui forment aujourd'hui la Belgique; après deux années de guerre contre les Autrichiens, ces territoires deviennent des départements français et le resteront jusqu'en 1815. Après 1815, ils feront partie du Royaume de Hollande.

Cette époque charnière marque définitivement l'avènement de la bourgeoisie, non plus au niveau des villes ou au plan du commerce, mais comme pouvoir politique. La Révolution de 1830 dite «belge» fait référence aux tentatives d'indépendance des révolutions de 1789, inspirées des droits de l'homme et des idées de liberté et de démocratie. La reprise des couleurs de la Révolution brabançonne comme signe distinctif montre d'ailleurs cette continuité.

Si la Révolution de 1830 est à sa base un révolte populaire, le pouvoir qui s'installe à la place du vide provoqué par le départ de l'armée et de l'administration hollandaise est pris en main par la bourgeoisie qui organise sa propre garde bourgeoise et des commissions de sûreté pour maintenir l'ordre et crée d'abord une Commission administrative qui se muera, ensuite, en Gouvernement provisoire. Le 4 octobre 1830, ce Gouvernement provisoire proclame l'indépendance, la séparation des provinces de la Belgique d'avec la Hollande et la convocation d'un Congrès national chargé d'adopter un projet de Constitution qu'élaborera un Comité central.

Les électeurs au Congrès national sont seulement 46.099 dont 38.429 électeurs censitaires (c'est-à-dire ayant le droit de voter du fait de l'importance des impôts payés) et 7.670 électeurs capacitaires (c'est-à-dire ayant le droit de voter du fait de leurs fonctions ou diplômes: magistrats, avocats, notaires, officiers, universitaires, ministres du culte), la composition du Congrès national et la composition du Gouvernement provisoire montre clairement que seules les élites bourgeoises ou issues de l'aristocratie détiennent le pouvoir. Avec la révolution industrielle, la bourgeoisie libérale et l'aristocratie catholique avaient opéré une lente convergence qui avait d'ailleurs aboutit à un accord, en 1828 et se poursuivra, d'ailleurs, jusqu'en 1847 par des gouvernements unionistes.

Le système rompt cependant avec l'Ancien régime puisqu'il institue une Constitution et une Assemblée issue d'élections. Le Congrès, ainsi élu, ratifie à l'unanimité le décret d'indépendance le 18 novembre 1830 et décide le 22 novembre que la Belgique serait une monarchie constitutionnelle héréditaire par 174 voix contre 13.

Certes, un large courant était favorable à une république, surtout dans les milieux libéraux. Mais il fallait compter avec les grandes puissances réunies en conférence à Londres depuis le 4 novembre pour statuer sur le cas de la Belgique. En ces temps où les monarchies sont rétablies ou confortées, il était impensable ou impossible d'envisager une autre formule sous peine de la voir refoulée par les grandes puissances qui exigeaient un «pouvoir sûr et stable», surtout la Grande-Bretagne, toujours soucieuse d'éviter une mainmise de la France ou de la Prusse sur Anvers et les bouches de l'Escaut.

Le choix du nouveau Roi s'est d'abord porté par élection sur le Duc de Nemours, deuxième fils du Roi des Français Louis-Philippe contre le Duc de Leuchtenberg, petit-fils de Napoléon. Mais ce choix ne rencontrait pas, on s'en doute, l'accord des grandes puissances. Le choix s'orienta, alors, vers le Prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, veuf de la princesse Charlotte, héritière du trône d'Angleterre et, donc, gendre du Roi d'Angleterre. Il fut élu le 4 juin 1831 par 152 voix sur 196. Le 26 juin 1831, une délégation belge signa le Traité des XVIII articles acceptés par la Conférence de Londres, réglant les questions de l'indépendance et des relations internationales du nouveau pays.. Le Prince prêta serment le 21 juillet 1831 sous le nom de Léopold Ier, roi des Belges. Entre temps, le texte de la Constitution avait été voté le 7 février 1831.

Nous sommes dans un système parlementaire avec suffrage universel direct. On dit parfois un système représentatif parce que les élus au Parlement représentent la Nation (article 42 de la Constitution). Par ailleurs, «tous les pouvoirs émanent de la Nation»(article 33). Les Chambres sont, donc, dans notre système l'organe suprême et fondamental. Elles contrôlent le pouvoir exécutif, elles votent les lois. Tous les pouvoirs émanent de la Nation sauf ceux du Roi qu'il détient par hérédité même si les Chambres de 1831, composées comme on l'a vu, ont décidé d'une monarchie héréditaire et ont choisi le premier Roi.

Sur tous les points concernant les prérogatives du Roi, la Constitution est restée inchangée, malgré une évolution considérable des idées et des faits qui ont modifié l'action du Roi. Il faut, donc, toujours tenir compte de deux aspects : le texte constitutionnel et la pratique.

Le principe général, toujours rigoureusement d'application, est le suivant:

- le pouvoir du Roi ne s'exerce pas de manière autonome puisqu'il faut toujours et nécessairement le contreseing d'un Ministre. L'inverse est, évidemment aussi exact : un acte du Gouvernement ne peut avoir d'effet qu'après la signature du Roi;

- par voie de conséquence, «la personne du Roi est inviolable; ses Ministres sont responsables» (article 88 de la Constitution); la personne du Roi ne peut, donc, faire l'objet de sanctions, voire même de critiques, le Roi n'a pas à rendre compte de ses actes.

Il s'ensuit cette règle d'or, non écrite mais très contraignante et finalement fort peu démocratique: «on ne découvre pas la couronne», c'est la loi du silence. Silence sur les avis et démarches du Roi. Tout se passe comme s'il était muet, voire n'existait pas et pourtant le Roi parle, il rencontre les Ministres mais aussi des représentants des acteurs sociaux, économiques, culturels ou du monde artistique; il agit par influence occulte. Cette règle du silence vaut aussi pour les actes de la vie privée du Roi.

L'inviolabilité de la personne du Roi est un privilège d'ordre juridique dont ne jouit aucun autre citoyen; ce privilège est basé sur le principe constitutionnel : le Roi est incapable de mal faire.

Les niveaux d'intervention du pouvoir du Roi

En vertu de la Constitution, le pouvoir du Roi s'exerce à trois niveaux: l'exécutif fédéral, le législatif fédéral et le constituant.

Au niveau du pouvoir exécutif fédéral, le Roi nomme et révoque SES Ministres (article 96 de la Constitution). Il confère les grades dans l'armée et nomme aux emplois dans l'administration, il fait les arrêtés d'exécution des lois, il commande aux forces armées, dirige les relations internationales, conclut les traités dans les matières fédérales, constate l'état de guerre et la fin des hostilités.

Au début de la monarchie, le Roi présidait le Gouvernement; celui-ci s'appelait d'ailleurs le Cabinet (sous-entendu le Cabinet du Roi comme on parle aujourd'hui du Cabinet d'un Ministre). Après la première guerre, Albert Ier n'a plus présidé effectivement que certaines réunions du Gouvernement, principalement en matière militaire ou d'affaires étrangères. C'est à partir de novembre 1918, que s'est instaurée la pratique d'avoir un Premier Ministre choisi par le Roi. Cette pratique est désormais inscrite dans la Constitution (article 46 et 96)

Une modification récente a, cependant, restreint le pouvoir de choix du Roi: lorsqu'un Gouvernement a reçu la confiance du Parlement, il ne peut plus tomber que par un vote de méfiance qui dans ce cas doit prévoir le nom du nouveau Premier Ministre ou par un vote de confiance ne réunissant pas une majorité et dans ce cas le Parlement dispose d'un délai de 3 jours pour choisir un nouveau Premier Ministre. La dissolution des Chambres, entraînant de nouvelles élections, ne peut être prononcée que si, dans l'un ou l'autre cas, la Chambre n'a pas pu se mettre d'accord sur le choix d'un Premier Ministre.

Depuis 1949, à la suite des travaux d'une Commission spéciale créée par le Régent et chargée de remettre un avis motivé sur cette question (Moniteur belge du 6 août 1949, pp.7589 à 7600), il est admis que le commandement de l'armée ne peut plus comprendre la direction d'opérations militaires comme l'avait encore fait Léopold III en 1940 pendant la campagne des 18 jours. L'armée belge fait partie des forces OTAN et, de ce fait, les opérations sont soumises à des Etats-majors interalliés.

L'action du Roi reste importante puisqu'il signe tous les arrêtés du Gouvernement fédéral qui, de ce fait, s'appellent «arrêtés royaux». Dans les textes, subsiste cette formule héritée du pouvoir absolu des monarques et qu'on trouve encore tous les jours dans le Moniteur belge au début de chaque arrêté royal ou de chaque promulgation de loi : «Albert II, Roi des Belges, A tous présents et à venir, Salut. Nous avons arrêté et arrêtons : (ou Nous sanctionnons ce qui suit :).» Comme relent archaïque de l'ancien régime et comme ridicule, il est difficile de faire mieux, mais... nous ne nous en rendons même plus compte.

Au niveau du pouvoir législatif fédéral le Roi sanctionne et promulgue les lois votées par le Parlement, il dissout les Chambres soit en fin de législature, soit dans les conditions dites ci-dessus.

Très clairement, le Roi peut refuser de signer une loi, cela reste constitutionnel selon certains. On l'a vu de la part de Baudouin Ier qui a refusé de sanctionner (signer) la loi sur la dépénalisation partielle de l'avortement. Cela pourrait encore se reproduire pour d'autres sujets. Pourtant, aujourd'hui tout le monde admet que le Parlement est l'autorité souveraine dans notre système parlementaire: toute loi votée régulièrement doit pouvoir être promulguée sans l'intervention du Roi, ni même d'un Gouvernement.

Au niveau du pouvoir constituant, en matière de modification de la Constitution, le pouvoir du Roi est encore plus étendu puisque la Constitution prévoit que «les Chambres statuent de commun accord avec le Roi» (article 195 de la Constitution). Le Roi possède ici un genre de droit de veto, ce droit s'exerçant toujours en vertu de la Constitution avec le contreseing d'un Ministre. Jamais, cependant, dans les travaux préparatoires de la Constitution, les promoteurs de celle-ci n'ont envisagé que le pouvoir du Roi aille jusqu'au veto, même si certains membres ont, à cette époque, utilisé cette expression. N'empêche que le texte est explicite et différencie l'intervention du Roi en matière de révision de la Constitution par rapport aux lois.

La transformation de l'État unitaire en État fédéral

La Constitution précise clairement que les pouvoirs du Roi sont limités aux compétences fédérales.

Depuis les premières lois de réformes institutionnelles donnant aux Régions un Gouvernement et des pouvoirs en 1980, le Roi est totalement absent de tout processus politique en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles. Sa seule et unique fonction est déterminée par la loi du 8 août 1980 : «La désignation du Président (de chaque Gouvernement régional et communautaire) est ratifiée par le Roi entre les mains duquel il prête serment.»(article 60, § 4)

Cette formalité est, sans doute inhérente à un système fédéral et marque symboliquement le lien fédéral. Pour le reste tout fonctionne comme si Wallonie, Flandre et Bruxelles étaient des républiques dans les matières qui sont les leurs. Ces matières ont été élargies à plusieurs reprises et tout récemment en 2001 elles ont compétence sur les provinces et communes. Désormais, le système archaïque et totalement non démocratique de nomination des Bourgmestres par le Roi aura disparu aux prochaines élections communales.

La construction européenne

Ce qui fait l'essentiel d'un État et traditionnellement les compétences du Prince, une armée, une monnaie, des droits de douane lui échappe désormais. Toutes ces matières sont passées à des niveaux supranationaux: Union européenne, OTAN, Fonds monétaire international, Organisation mondiale du commerce. Bien qu'appelé - peut-être abusivement - chef de l'État, le Roi ne participe à aucune activité à ces niveaux supranationaux, les Ministres seuls sont présents. Dans ces domaines, le rôle du Roi est purement protocolaire et mondain.

Conclusions

1.La Constitution ne connaît que le Roi. La Reine, les princes, ou d'autres membres de la famille royale sont inconnus dans la Constitution: ils n'ont, donc, aucun rôle et, par conséquent, la Constitution ne prévoit aucune dotation obligatoire.

2. Tels qu'ils existent depuis 1831, les pouvoirs du Roi sont devenus excessifs au regard de la conception démocratique d'aujourd'hui, on peut même dire qu'en soi une monarchie est un système d'un autre temps.

Le déficit démocratique se marque à l'évidence dans le fait que, constitutionnellement, le Roi n'est pas responsable et n'a pas à rendre des comptes. Or, on sait que dans nombre de cas son influence et ses interventions occultes sont déterminantes.

Le déficit démocratique apparaît encore dans le secret qui entoure les entretiens que le Roi a avec des Ministres ou d'autres personnalités.

3. Les pouvoirs du Roi ne s'exercent plus ni sur toutes les matières qui relèvent des autorités supranationale à commencer par l'Union européenne et l'OTAN, ni sur les matières qui ont été transférées aux Régions et aux Communautés. Ces deux mouvements, d'ailleurs complémentaires, continueront à se développer.

4. De toutes les monarchies européennes encore existantes, seule la monarchie belge conserve encore autant de pouvoir. Partout ailleurs, le rôle du Roi ou de la Reine est limité à une simple fonction protocolaire et mondaine. Cette situation dépassée se manifeste aussi par le fait que le Roi peut encore attribuer des titres de noblesse (article 113 de la Constitution), ce qui ne se fait plus dans aucune autre démocratie européenne.

5. Le maintien ou la venue sur la scène politique de l'ancienne Reine, de la Reine et de tous les enfants du Roi est une entorse à l'esprit et même à la lettre de la Constitution qui ne connaît que le Roi et prévoit que les enfants du Roi sont de droit sénateurs à l'âge de 18 ans.

Cette disposition a pour objet de familiariser aux problèmes politiques les héritiers susceptibles d'être appelés à régner. Malheureusement, ils ne s'intéressent pas à la vie parlementaire et politique du pays puisque leur absence aux séances du Sénat est systématique.

Par contre, les récents Gouvernements leur ont attribué des fonctions: Philippe est Président d'honneur de l'Office belge du Commerce extérieur et Président d'honneur du Conseil fédéral du développement durable; Astrid est Présidente de la Croix rouge, Laurent est Président de l'Institut pour la gestion durable des ressources naturelles et la promotion des technologies propres. Ces fonctions sont accompagnées de solides dotations. S'ils assistaient aux séances du Sénat, ils pourraient percevoir l'indemnité parlementaire attribuée aux sénateurs.

Chaque membre de la famille royale a sa Fondation: la Fondation Roi Baudouin, la Fondation nationale Reine Fabiola pour la santé mentale, l'ASBL Œuvres de la Reine Fabiola, le Fonds Prince Philippe pour le dialogue entre les Communautés, le Fonds Princesse Mathilde pour les «personnes vulnérables». Tous ces Fonds et Fondations, et surtout la Fondation Roi Baudouin s'ingèrent dans les politiques fédérales ou régionales sans contrôle, parfois même au mépris des Gouvernements. La publicité médiatique organisée par le Palais autour des Princes est inconvenante au regard même de la Constitution.


  1. *. On se référera utilement à Histoire politique de la Belgique de Xavier MABILLE aux Editions du CRISP.