Propositions électorales pour les communes et la Wallonie

Toudi mensuel n°41, septembre-octobre 2001
18 November, 2009

Pendant quelques mois, le microcosme médiatico-politique s'agita beaucoup autour de la dernière réforme institutionnelles, celle-ci s'étant achevée en juillet 2001, il nous semble désormais opportun, dans la foulée de la mise en place par le Gouvernement wallon de la Commission des XXVII , de prendre part au débat sur l'indispensable réforme des institutions locales et provinciales que va connaître la Wallonie.

Les nouvelles compétences

Penchons nous d'abord sur la loi spéciale du 13 juillet 2001 qui transfère aux Régions la loi provinciale et communale 1. Les Régions sont dorénavant compétentes en ce qui concerne : 1) la composition, l'organisation, la compétence et le fonctionnement des institutions provinciales et communales, 2) le changement ou la rectification des limites des provinces et des communes, 3) la composition, l'organisation, la compétence et le fonctionnement des institutions des agglomérations et des fédérations de communes, 4) l'élection des organes provinciaux, communaux et intercommunaux, ainsi que des organes des agglomérations et fédérations de communes en ce compris les dépenses électorales y afférentes, 5) le régime disciplinaire des bourgmestres, 6) les fabriques d'églises et les établissements chargés de la gestion du temporel des cultes reconnus, 7) les funérailles et sépultures, 8) les associations de provinces et de communes dans un but d'utilité publique, 9) le financement général des communes, des agglomérations et des fédérations de communes et des provinces, 10) le financement des missions à remplir par les communes, les agglomérations et fédérations de communes, les provinces et par d'autres personnes morales de droit public dans les matières qui relèvent de la compétence des régions, 11) les conditions et le mode suivant lesquels les organes territoriaux intercommunaux peuvent être créés.

Il serait fastidieux d'énumérer ici les exceptions qui accompagnent cette nouvelle compétence régionale, signalons toutefois les plus importantes. Les Régions doivent respecter les limites territoriales ainsi que la loi dite de «pacification» du 9 août 1988 qui prévoit notamment l'élection directe des échevins et conseillers de CPAS, pour ce qui concerne les communes de Fourons, de Comines et de la périphérie bruxelloise. La nomination et la révocation des Gouverneurs, Commissaires d'arrondissement, Commissaires d'arrondissement adjoints, doivent recevoir l'avis conforme du Gouvernement fédéral. Sont aussi exclues toutes les compétences concernant l'organisation et la politique relative à la police locale et aux services d'incendie. Tout changement du mode de scrutin proportionnel de liste ne pourra être adopté par les Parlements régionaux qu'à une majorité des 2/3. Enfin le ministre de l'intérieur conserve jusqu'au 31 décembre 2006 la possibilité de suspendre ou de révoquer tout bourgmestre pour inconduite notoire ou négligence grave, ceux-ci ayant été nommés par le Roi après les élections communales d'octobre 2000.

En raison du fait que l'article 162 de la Constitution n'était pas ouvert à révision, les Régions devront par ailleurs respecter le prescrit de cet article qui édicte notamment le principe de l'élection directe des conseillers provinciaux et communaux, la compétence des institutions provinciales et communales uniquement pour les matières d'intérêt provincial ou communal, la publicité des séances des conseils communaux et provinciaux, la décentralisation par l'autorité fédérale d'attributions aux institutions provinciales et communale, ainsi la possibilité pour celle-ci d'intervenir pour empêcher que la loi soit violée ou l'intérêt général blessé. À partir du 1er janvier 2002, les Régions seront donc compétentes tant en ce qui concerne le mode d'élection, la composition, l'organisation, les compétences et le fonctionnement des institutions provinciales, intercommunales et communales, les régions devant exercer ces nouvelles compétences de manière identique pour toutes les communes et provinces se trouvant sur leur territoire respectif.

Élection du bourgmestre, vote des étrangers...

Jusqu'ici, le débat sur la régionalisation de la loi provinciale et communale s'est surtout focalisé sur l'élection directe du Bourgmestre, le droit de vote des étrangers non-européens et la survie des provinces.

Sous ce terme d'élection directe, bien des possibilité se cachent. La première question à se poser est de savoir si la tète de l'exécutif doit être indépendante de l'existence d'une majorité quelconque au sein de l'assemblée locale ? Expliquons-nous. Dans certains pays, tels les États-Unis, le maire est en effet directement élu par les électeurs, vu la tradition politique américaine, celui-ci n'a pas «besoin» d'une majorité au sein de l'assemblée locale pour mener à bien son programme politique. Le niveau local ne faisant là que reproduire la séparation et la répartition des pouvoirs existant au niveau fédéral entre le président et le Congrès. Le candidat ayant obtenu le plus de voix est donc élu, système qui est facilité par l'aspect essentiellement bipolaire de la vie politique américaine (Parti Démocrate vs Parti Républicain). Ce système implique donc un vote distinct pour l'élection du maire et celle de l'assemblée. À l'autre extrémité, le système français 2 n'est pas un système d'élection directe, le maire étant élu par le conseil municipal, toutefois par le jeu du scrutin majoritaire à deux tours, le candidat-maire ayant obtenu au second tour le plus de suffrages est automatiquement assuré de voir sa liste disposer d'une majorité de sièges au sein du Conseil. Ce qui n'implique pas qu'il mènera forcément une politique moins consensuelle, la possibilité de fusionner des listes entre les deux tours faisant que le groupe majoritaire au sein du Conseil est souvent une coalition qui s'est réparti les sièges de conseillers sur base d'un accord politique, le maire devra donc s'assurer constamment du soutien de ces troupes «bigarrées».

Solution médiane, le système existant depuis mai 2000 à Londres, les électeurs londoniens élisant simultanément leur Maire et la Greater London Assembly (GLA). Vu l'existence de nombreux partis politiques, l'application du scrutin majoritaire «pur» risquait de voir un maire élu représentant bien moins que la majorité absolue des suffrages. Pour éviter cette situation le scrutin utilise la technique du vote unique transférable (STV) simplifié. L'électeur a la possibilité de classer les deux candidats ayant sa préférence, lors du dépouillement on commence donc par tous les votes de tète, si aucun candidat n'obtient la majorité de suffrages, on passe alors au décompte du second vote. Par ce système, l'électeur londonien peut donc indiquer qui il souhaite, mais aussi qui il ne souhaite absolument pas, comme maire. Ainsi lors des élections de mai 2000, Ken Livingstone, travailliste dissident, obtint 38% des suffrages lors du vote de tète, au second décompte face au candidat conservateur arrivé derrière lui, il obtenait 58 % des suffrages. Le système londonien se distingue aussi du système américain par le fait que le maire est obligé de prendre comme 1er adjoint un membre de l'Assemblée, celle-ci assurant le contrôle politique de l'action de celui-ci, sans pouvoir toutefois le renverser, et votant le budget annuel du Grand Londres. Le maire doit donc s'assurer divers soutiens, sur une base ponctuelle ou plus permanente au sein de l'Assemblée, ce qui l'oblige à mener une politique plutôt non-partisane.

Dans le cas wallon, l'objectif avoué qui semble recherché par le monde politique, c'est d'éviter la tenue d'interminables discussions post-électorales qui , même si, chez nous, elles ne tournèrent pas à la bouffonnerie comme en Région bruxelloise (Uccle, Forest, Ixelles), débouchèrent sur d'étranges coalitions rejetant parfois le candidat-bourgmestre le plus populaire dans l'opposition. Il nous semble que rendre plus difficiles ces situations n'est pas un objectif très ambitieux, il faudrait aussi examiner les moyens de mettre fin à la quasi toute-puissance du Collège des Bourgmestres et Échevins face au Conseil communal, et donc renforcer la capacité de contrôle politique de celui-ci.

Posons-nous aussi la question de savoir si le cadre local est le lieu approprié pour les grands débats idéologiques ou de choix de société ? Quand on examine la vie politique communale wallonne, nous serions plutôt tenté de répondre par la négative à cette dernière question en raison du foisonnement de listes genre «Intérêts Communaux», «Entente Communale», «Liste du Bourgmestre», le débat politique se résumant souvent quant à lui à la répétition d'ancestrales querelles. Alors pourquoi ne pas révolutionner la vie politique locale en adoptant une organisation s'inspirant de celle en place à Londres ? En premier lieu, le maire recueillera toujours une majorité des suffrages, mais il doit veiller à s'assurer la coopération du conseil, les deux acteurs en présence disposant chacun d'une véritable légitimité électorale, le conseil cessant par ailleurs d'être présidé par le bourgmestre. Par ailleurs, le système londonien permettrait de mieux prendre en compte les diversités existant au sein de chaque commune. En effet, sur les 25 membres de la GLA, 14 sont élus au scrutin majoritaire dans 14 circonscriptions rassemblant 2 à 3 des 32 Boroughs londoniens, 11 sont élus au scrutin proportionnel de liste dans une circonscription unique.

Même si les rancoeurs issues de la fusion des communes en 1976 se sont apaisées, pourquoi ne pas imaginer ce type de scrutin mixte, certaines circonscriptions épousant plus ou moins les limites des communes avant fusion ou, dans les grandes, celles de certains quartiers, l'autre englobant l'ensemble du territoire de la Commune? Ce système renforce par ailleurs la possibilité de candidature indépendante ou celle de listes nouvelles ou «petites», il ne met pas fin aux négociations post-électorales, mais celles-ci se concentrent désormais sur la mise en oeuvre d'un programme entre l'exécutif et l'assemblée locale. 3 Nous nous doutons bien que la réforme radicale proposée ci-dessus rencontrera peu d'écho dans les principaux partis politiques. Par contre nous espérons que l'introduction d'un scrutin «mixte» et donc l'introduction d'une dose équivalente de scrutin majoritaire connaîtra peut-être une issue plus favorable. En ce qui concerne l'extension du droit de vote et d'éligibilité des étrangers, nous ne pouvons que nous étonner des discussions juridiques que cette question suscita. En effet, l'exposé des motifs de la loi spéciale ne saurait être plus clair, «la législation électorale communale et provinciale est également transférée (...). Les conditions de vote et d'éligibilité font aussi partie de la législation électorale communale et provinciale, et sont dès lors transférées (...). Normalement, les régions ne peuvent qu'assouplir les conditions de vote et d'éligibilité, pas les rendre plus rigoureuses vis-à-vis de la situation actuelle». Tant au Sénat qu'à la Chambre, ce point n'a guère suscité de discussions. Nous espérons que les partis politiques tiendront leurs promesses et que donc les institutions wallonnes modifient la loi du 27/01/1999 qui accordait le droit de vote et d'éligibilité aux élections communales des ressortissants de l'Union européenne.

Cette modification devant aller dans le sens d'un élargissement à toutes les personnes vivant sur le territoire wallon et de supprimer la lourde procédure d'inscription sur les registres électoraux au profit d'une inscription automatique. Notons que le Décret wallon du 19/10/2000 a déjà réparé un oubli de cette loi en précisant que pour être membre effectif ou suppléant d'un CPAS, il suffisait d'avoir la qualité d'électeur au conseil communal, ouvrant ainsi la porte de ceux-ci aux ressortissants de l'UE. Notons enfin que les bourgmestres seront nommés par le Gouvernement wallon et non plus par le Roi: il faudrait donc veiller à modifier le serment prononcé par le bourgmestre et les conseillers communaux, mais, vu l'énorme timidité de nos mandataires face à la monarchie, il y a peu de chances de voir disparaître la fidélité au Roi et la référence aux lois du «peuple belge», dommage... En ce qui concerne la réforme des provinces, nous y reviendrons ultérieurement mais nous souhaitons déjà évoquer un des aspects de celle-ci au point suivant.

Et la Région?

Cette réforme des collectivités territoriales ne devrait pas, selon nous, être appréhendée indépendamment de celle des institutions de la Région. Nous évoquerons ici à nouveau une suggestion faite dans un précèdent numéro de TOUDI. Dans le cadre de l'autonomie constitutive, le Parlement wallon peut déjà modifier le nombre de ses membres et celui de ses circonscriptions. Par contre, pour la plupart des juristes, il ne peut modifier le mode de scrutin proportionnel de liste.

Si nous appuyons pleinement la proposition du président du Parlement wallon d'augmenter le nombre des parlementaires wallons, nous pensons que celle-ci devrait s'accompagner de l'introduction d'une part importante de scrutin majoritaire afin de renforcer la bipolarisation en cours de la vie politique wallonne. Nous inspirant des systèmes électoraux allemand et écossais, nous pensons que le nombre de membres du Parlement wallon devrait être porté à 99 (contre 75 actuellement). Ce nombre nous semble équitable et raisonnable. Il correspondait, jusqu'en 1996, à celui des députés néo-zélandais, État à la population équivalente à celle de la Wallonie et permettrait d'éviter que le Parlement bruxellois, pour une population trois fois moindre, ne dispose d'une supériorité numérique vis-à-vis du Parlement wallon.

Cette augmentation du nombre d'élus, qui ne manquera pas de faire hurler certains, jamais en retard pour flatter l'opinion publique, pourrait être compensée par une réduction drastique du nombre de conseillers provinciaux et de députés permanents, ce qui rendrait ainsi l'opération relativement neutre du point de vue financier . Il est bon de rappeler que le Parlement wallon compte moins d'élus que le Conseil provincial du Hainaut ou celui de Liège.

Sur ces 99 Députés, 45 seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, ces 45 circonscriptions (dont une, au minimum, réservée à la Communauté Germanophone), pouvant assez facilement être délimités sur base de 97 cantons électoraux wallons actuels. Les 44 députés restants le seraient au scrutin proportionnel de liste (avec transfert de voix «inutilisées» dans le scrutin majoritaire). Dans ce cas, deux possibilités sont imaginables: soit, comme en R.F.A., une seule circonscription couvrant l'ensemble du territoire; soit, comme en Écosse, l'attribution de ces sièges sur base d'un certain nombre de circonscriptions sous-régionales. Dans le cas wallon, on pourrait alors partir des 13 circonscriptions électorales existantes et leur attribuer, selon leur importance, 3 ou 4 élus. Ces deux solutions ont chacune leur avantage, la première pourrait renforcer le sentiment d'appartenance à une «communauté de destin», la seconde permet de prendre en compte la diversité existant au sein de toute Région et peut faciliter l'élection de députés dont le parti n'est pas implanté dans l'ensemble du territoire. Nous avouerons que nous avons une légère préférence pour la solution écossaise. Ce système mis en place signifierait pratiquement pour l'électeur wallon qu'il recevra lors du vote, deux bulletins: un uniquement avec le nom des candidats en présence pour le scrutin majoritaire, l'autre uniquement avec le nom des partis en présence pour le scrutin proportionnel, ce qui lui évitera de devoir prendre le chemin des urnes deux dimanches d'affilée.

Pourquoi tant insister sur une bipolarisation, tant pour le niveau local que wallon, de la vie politique ? Il ne s'agit nullement d'une question de stabilité gouvernementale, mais plutôt de favoriser un véritable débat démocratique. Celle-ci permettrait en effet un renouvellement de l'affrontement pacifique gauche-droite (ou majorité contre opposition), condition d'une vie politique susceptible d'intéresser et d'impliquer les citoyens. Ensuite, tout en permettant l'existence d'une multitude de partis, elle oblige ceux-ci, soit à se regrouper avant les élections sur base d'un programme établi en commun - c'est le cas en France et en Italie; soit à annoncer avant les élections quelle sera la coalition privilégiée comme c'est le cas en R.F.A. et en Écosse. L'introduction d'une dose de scrutin majoritaire favoriserait donc une plus grande transparence de la vie politique wallonne et permettrait ainsi d'éviter le genre de mariage très contre-nature que constituent malgré tout les coalitions mises en place en juillet 1999 ou dans certaines communes après les élections communales d'octobre 2000.


  1. 1. Nous n'évoquerons pas dans l'article l'avis du Conseil d'État du 20/02/2001 qui conclut à l'impossibilité de transférer en l'état la loi communale et provinciale aux Régions, voir DOC PARL , Sénat N°709/1
  2. 2. Celui-ci connaît toutefois d'importantes variations selon qu'il s'agisse de municipalités inférieures ou supérieures à 3.500 habitants et dans les cas de Paris, Lyon et Marseille
  3. 3. Les conséquences pratiques seront les mêmes pour l'électeur wallon que celles évoquées plus loin dans l'article concernant le Parlement wallon