Les élections communales du 8 ocotbre 2000
Lorsque dans le numéro 21-22 de TOUDI, nous nous étions penché sur les résultats des élections de juin 1999; nous avions conclu que ces dernières constituaient l'amorce d'une période plus ou moins longue de transition d'un système particratique ou multipolaire vers un système bipolarisé articulé entre un pôle libéralo-conservateur et un pôle progressiste. Les élections communales du 8 octobre 2000 ont, à notre avis, confirmé ce constat, l'innombrable variété des coalitions mises en place illustre clairement le caractère «en chantier» de la vie politique belge, et, aspect finalement peu étonnant, la Wallonie, la Flandre et Bruxelles vivent ce processus de manière distincte et autonome.
La Wallonie, les Écolos, l'affaiblissement du PSC. Bruxelles
Si l'on se penche, comme il se doit, en premier lieu sur la Wallonie, ces élections marquent une renforcement de la marginalisation du PSC et de l'ancrage d'Écolo. Les verts doublent en effet le nombre de leurs élus et obtiennent leurs trois premiers postes de bourgmestres (Ottignies-LLN, Chimay, Honnelles). Cet percée locale permettra d'assurer la pérennité d'un parti qui a toujours mieux réussi au niveau régional et fédéral que local, même si, comparé aux partis dits traditionnels, il ne dispose toujours que d'un nombre restreint de cadres et de militants stables, ce qui pourrait lui poser quelques difficultés pour «gérer» au mieux l'électorat nouvellement acquis. Il est en tout cas évident que la base électorale d'Ecolo s'est élargie au delà du monde urbain, péri-urbain, et de la lower et middle «middle-class», les verts réussissant à percer dans le sillon industriel wallon (la région du Borinage par exemple).
Le PSC, quant à lui, voit en effet ses bastions traditionnels, en particulier dans la Province de Luxembourg, s'effriter et est relégué dans l'opposition dans plusieurs grandes villes wallonnes (Mons, Namur) ainsi qu'à la Province de Hainaut. La légère embellie par rapport aux élections de 1999 est trompeuse, l'ancrage et le poids électoral de ce parti ayant toujours été plus important au niveau local que global, celui-ci n'hésitait pas, par le passé, à se présenter comme un parti de «municipalistes» ou comme le protecteur de l'autonomie communale. Par rapport aux communales de 1994, le PSC a perdu prés de 20 % de son électorat, divers ex-ministres piliers du parti enregistrent des revers retentissants : Lutgen (Bastogne), Liènard (Frameries), Viseur (Charleroi), Lebrun (Viroinval) etc. La situation est particulièrement grave en Hainaut, le PRL s'y affirme clairement comme le principal challenger d'un PS toujours dominant, le PSC y est le plus souvent réduit au rôle d'une force d'appoint pour les autres partis. Assez curieusement ce dernier rôle pourrait assurer sa survie comme le montre le cas bruxellois.
Si nous abandonnons provisoirement la Wallonie, il est intéressant de constater que la vie politique bruxelloise francophone est en train de se bipolariser assez rapidement et voit grandir une sorte de pôle progressiste style Ulivo italien. L'incroyable feuilleton qu'a constitué la mise en place des coalitions communales dans certaines communes (Bruxelles, Ixelles, Molenbeek, Forest, etc.) montre bien la grande volatilité du paysage politique régional. Le PS bruxellois semble avoir tiré les leçons de la mise en place du gouvernement régional en juillet 1999, de nombreux militants ayant été choqués par la préférence accordée à l'alliance libérale au détriment d'Écolo. Ces deux partis semblent avoir compris que la toute-puissante fédération PRL-FDF ne pouvait être délogée du pouvoir que si une sorte de conglomérat progressiste lui faisait contrepoids. La mise en place d'un Olivier bruxellois est facilitée par le faible poids du PSC (inférieur à 10%), ce dernier a vu le départ de son aile droite (VDB, Demaret), ne subsistent donc que ses éléments centristes et progressistes, ceux-ci pouvant alternativement rejoindre l'Olivier rouge-vert (Bruxelles) ou le pôle liberalo-conservateur . La coalition mise en place à la Ville de Bruxelles est, selon nous, la préfiguration de ce qui pourrait survenir après les élections régionales de 2004.
Cette bipolarisation devrait amener le FDF à réexaminer le bien fondé de son alliance avec le PRL, partout où la fédération a présenté une liste commune, celle-ci a obtenu un score inférieur à celui réalisé en 1994 par les deux partis alors séparés. Par ailleurs, le FDF possède toujours une aile plus progressiste, une partie de celle-ci pourrait être tentée de rejoindre les plants d'Olivier en cours de croissance? Il est à noter que les partis bruxellois flamands ont eux déjà procédé à une certaine forme de bipolarisation avec le SP-AGA à gauche, le VLD-VU-ID 21 à droite, le CVP au centre et le Blok où vous savez. Bien sur, ce processus de transition pourrait s'avérer assez long et incertain, ainsi Anderlecht est dirigée par une coalition bleue-verte, mais il nous semble que l'on peut discerner vers quel genre de rénovation la vie politique bruxelloise semble s'acheminer. Par contre, en Wallonie, la mise en place d'un Olivier nous semble plus complexe, le PSC étant encore trop puissant, la persistance d'un centre aux environs de 15% est un handicap; une réforme du mode de scrutin introduisant une dose de majoritaire pour l'élection du parlement wallon (et pourquoi pas des conseils provinciaux et communaux...) aurait pour utilité de faciliter la bipolarisation de la vie politique wallonne. Cette bipolarisation aura pour effet bénéfique de favoriser une véritable confrontation démocratique au sein de l'espace public wallon, tout en assurant l'existence de multiples partis, celle-ci les obligera à se regrouper avant la tenue des élections sur base d'un programme. Ce changement par rapport à la situation actuelle où domine les accords pré-électoraux secrets permettrait au citoyen wallon de percevoir clairement quelles sont les coalitions possibles qui se présentent à lui et donc d'énoncer clairement son choix au monde politique.
La Flandre du Vlaams Blok, nation (politique) inachevée
Le paysage politique flamand est bien distinct de celui de la Wallonie et de la Région bruxelloise, il est à la fois le plus et le moins bipolarisé! La vie politique semble en effet s'articuler autour d'un affrontement entre un parti populiste à tendance fascisante (le Blok) et tous les autres partis politiques, Anvers constituant l'illustration presque caricaturale de cet état de fait. Cette bipolarisation ne peut être que favorable au Blok, elle lui permet d'apparaître comme la seule alternative, le seul vecteur de mouvement voire même de changement face à un conglomérat hétéroclite de partis politiques forcés de gouverner ensemble.
C'est une situation comparable qui a permis la montée en puissance du FPÖ d'Haider face aux inamovibles coalitions fédérales entre sociaux-démocrates (SPÖ) et chrétiens-démocrates (ÖVP). La stratégie du cordon sanitaire risque de mener les partis démocratiques flamands dans un cul-de-sac politique, l'ennui est qu'il n'existe aucune alternative satisfaisante à celle-ci!
Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer l'ancrage du Blok sur l'ensemble du territoire de la Flandre ? Nous ne croyons pas que le peuple flamand soit «héréditairement» plus porté au racisme que ses voisins immédiats. Selon nous, son comportement électoral est le reflet de l'incertitude, du désorientement, de la perte de repères de la société flamande. En l'espace de deux générations, la Flandre est en effet passée d'une société essentiellement rurale, catholique, conservatrice, frugale et fermée au monde extérieur à une société tertiaire, sécularisée, d'abondance et influencée lourdement par le modèle culturel américain. Pour donner une image de cette évolution, la Flandre est passée en l'espace de 40 années du cheval de trait à la Mercedes-Benz diesel... Comment cette société ne serait-elle pas désorientée par une telle accélération du temps? La grande culpabilité des dirigeants flamands est d'avoir fait de la réussite sociale et de l'imposition de la langue néerlandaise une fin en soi, ces deux objectifs ont été atteints mais au prix du sacrifice des valeurs et principes traditionnels du peuple flamand... Le doute, voire le néant laissé par la disparition de ces valeurs séculaires, cela fait peur...
Le Blok représente finalement pour beaucoup de Flamands quelque chose de réconfortant avec son nationalisme rabique, son repli sur soi, son ultra-conservatisme, il a repris le rôle du curé du village ou des militants flamingants petits bourgeois comme autorité morale ou comme directeur de conscience. Le vote pour le Blok, ce n'est pas tellement la peur de l'autre, c'est plutôt la peur du vide et de soi-même, ce qui explique pourquoi dans certaines communes où insécurité, population allochtone et chômage sont absents, celui-ci réussit aussi à s'implanter politiquement.
N'évoquons même pas ce que cela peut donner dans des villes comme Anvers où les oubliés du miracle économique flamand sont nombreux. Ce constat vaut aussi pour les autres pays européens où l'extrême droite est puissante, tels la France, l'Italie du nord et l'Autriche. Ces pays ont en effet connu une évolution sociologique similaire à celle de la Flandre, hors quelques centres industriels. En quelques années, ils ont quitté une société rurale, catholique et frugale pour la société postindustrielle moderne. L'autre facteur favorisant le développement du vote extrémiste étant l'existence d'une telle tradition politique historiquement ancrée dans ces pays, conséquences d'un processus national inabouti ou inachevé. Voila pourquoi l'extrême droite populisto-fasciste ne pourra jamais s'implanter durablement en Wallonie et ce, au grand dépit de quelques beaux esprits francophones qui dans leur aveuglement belge préféreraient que ce genre de parti soit aussi présent chez nous afin, en quelque sorte, d'équilibrer la balance.
La Wallonie, nation (politique) mûre
La Wallonie vit depuis le XIXe siècle au sein d'une société majoritairement industrialisée, sécularisée et ouverte sur le monde, ce n'est pas un hasard si Degrelle réalisa en 1936 son meilleur score dans la province de Luxembourg. La transition économique (voir notamment l'important n° 16 de février 1999, les textes d'Yves de Wasseige et Luc Vandendorpe, les articles diffusés sur le site sous le mot ÉCONOMIE: http://users.skynet.be/toudi) que nous connaissons depuis 1945 n'a pas eu la même vélocité et radicalité que celle qu'a connue la Flandre. Enfin, que cela plaise ou pas, une petite part de culture républicaine et citoyenne a toujours vécu au sein du peuple wallon. Contrairement à une idée reçue, le processus de constitution d'une Nation au sens politique est plus abouti en Wallonie qu'en Flandre. Ainsi, le soir des élections, tous les présidents de partis francophones se sont prononcés pour l'extension du droit de vote à toutes les personnes demeurant sur le territoire de l'État belge, ce geste certainement sincère fut mal compris en Flandre, ce qui prouve une fois de plus que l'espace public n'y est pas conçu de la même manière qu'en Wallonie.
Il nous apparaît donc clairement que c'est le peuple flamand, et lui seul, qui sera à même de trouver la riposte au progrès du Blok car c'est en son sein même que celui-ci est né et prospère. La Wallonie, quant à elle, doit rester vigilante pour éviter toute contagion; et, si la société flamande le souhaite et le demande, l'aider à intégrer et à assimiler la culture, l'identité républicaine et citoyenne seule et unique arme efficace contre ce chancre politique, comme le montre le délitement récent du Front National en France, en dépit des nombreuses affaires et «scandales» qui agitent cette dernière.