Le syndicalisme wallon face à l'identité culturelle
En vue de la livraison 1990 de la revue TOUDI quand elle était annuelle, nous avions sollicité de Jacques Yerna, l'ancien secrétaire de la FGTB Liège-Huy-Waremme, dont le rôle a été si fondamental dans l'histoire de la Wallonie de répondre à la question de savoir comment il se positionnait face à la question de l'identité wallonne. Les difficultés qui ont entouré la parution de ce numéro, l'abondance de la matière rédactionnelle parvenue à la revue nous a obligés à postposer la parution de divers textes dont celui-ci, demeuré inédit.
TOUDI
Le syndicalisme Wallon face à l'identité culturelle
Jacques YERNA
Je ne crois pas opportun de me lancer dans un essai de définition de l'identité culturelle en Wallonie. J'ai approché le problème wallon, en effet, par une démarche strictement syndicale et c'est donc dans la prise de conscience, parle mouvement ouvrier, des problèmes sociaux et économiques en Wallonie que je me limiterai à faire apparaître l'identité des attitudes.
La prise de conscience avant les grèves de 1960-61
Les tensions sociales
L'économie belge se trouve, au lendemain de la deuxième guerre mondiale,dans une situation relativement favorable. L'appareil de production a été épargné par les destructions contrairement à celui des pays voisins. La restauration est donc rapide mais les signes d'essoufflement apparaissent dès la fin des années 40. L'économie wallonne, qui domine à l'époque, est en effet bas »e sur des secteurs que menace le déclin industriel: charbon, acier et transport ferroviaire. La région flamande, par contre, est entrée dans la voie de son industrialisation.
Sous la pression du chômage qui se développe au début des années 50 les syndicats mettent l'accent sur l'indispensable reconversion de l'économie wallonne et l'accélération de l'industrialisation en Flandre. Des réformes de structure économiques sont revendiquées ainsi que des mesures de contrôle des sociétés financières qui, au nombre d'une dizaine, dominent l'économie du pays.Même les gouvernements conservateurs de l'époque n'hésitent pas à dénoncer le déclin "du goût du risque"" et "du désir de faire du neuf"1. La FGTB,réunie en congrès extraordinaires a adopté, en 1954 et 1956, un programme basé sur la revendication de la planification de l' économie, de la nationalisation de l' énergie et du contrôle des holdings. La CSC insiste, de son côté, avec la FGTB, sur la nécessité d'associer les travailleurs au contrôle des entreprises dont une première étape est franchie avec la loi du 20 septembre 1948 créant le Conseil central de l'économie, les conseils professionnels et les conseils d'entreprise.
L'intégration des économies européennes amorcée par la constitution, en 1951, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier expose davantage encore l'économie belge à la concurrence internationale si bien que, rapidement, à la fin des années 50, la politique sociale est engagée dans le cycle fatal de l'austérité budgétaire. Aggravée par la crise charbonnière qui conduit aux explosions de colère, en 1959, dans le Borinage et par la perte de l' économie congolaise, la situation économique et financière du pays amène le gouvernement, en 1960, à déposer un projet de loi dans lequel il reprend une série de dispositions qui, en principe, font peser le poids du redressement budgétaire sur l'ensemble des classes sociales. Le projet sera d'ailleurs connu, pour cette raison, sous le nom de projet de loi unique. Les travailleurs se lancent alors dans une grève qui provoque de profondes divisions entre la FGTB et la CSC, mais également, au sein de la FGTB, entre l'aile wallonne et l'aile flamande.
Ce n'est cependant pas la première fois que des tensions communautaires apparaissent. Ce fut déjà le cas, dans les années antérieures, à l'occasion d'autres événements: la question royale et la question scolaire. Le mouvement ouvrier est parvenu toutefois à les surmonter.
La question royale
La question royale éclate dès la fin de la guerre.
Les adversaires du roi Léopold III lui reprochent en particulier d'avoir accepté, dès le début de l'invasion de la Belgique, le fait de la victoire allemande et d'avoir, dès lors, renoncé à poursuivre la lutte contre l'occupant.
Le débat s'aggrave lorsqu'est connu le "Testament politique" que le roi avait établi, au début de 1944, en prévision de son absence éventuelle du pays lorsque ce dernier serait libéré. Les termes de ce testament, dans lequel le roi condamne les errements des partis politiques de l'entre-deux-guerres et soutient les revendications du peuple flamand, accentuent en Wallonie le sentiment que la collaboration avec l'ennemi est un phénomène flamand. Le mouvement flamand est ainsi injustement suspecté, alors qu'une partie seulement a effectivement collaboré (il s'agit entre autres du VNV - le Vlaams Nationaal Verbond).
Quoi qu'il en soit, le pays se divise. La consultation populaire, organisée enmars 1950, dégage une majorité, sur le plan national, de 57,68% en faveur du retour du roi, mais en Wallonie 42,11% seulement de la population se prononcent dans ce sens. Fort de la majorité absolue qu'il a conquise dans les deux chambres, lors des élections en juin 1950, le PSC se prononce en faveur du retour du roi. C'est alors que des grèves importantes, à caractère insurrectionnel, éclatent dans le pays à l'instigation de la FGTB appuyée par le PSB dans le cadre de l'Action commune qui a été constituée officiellement dès 1949 2. Finalement le roi est forcé à l'effacement.
Il apparaît à ce moment que la question royale joue un rôle de détonateur, dans la mesure où elle amorce une lente prise de conscience du peuple wallon, et de révélateur car il apparaît qu'il est désormais impossible de gouverner le pays contre la volonté de la Wallonie, pourtant minoritaire.
La question scolaire
Le PSC reste au gouvernement jusqu'en 1954, date à laquelle il perd sa majorité absolue. Il en profite, sous l'impulsion du ministre de l'instruction publique, Pierre Harmel, pour imposer au Parlement une série de lois,principalement sur l'enseignement secondaire, qui renforcent le statut de l'enseignement libre par rapport à celui de l'enseignement officiel.
De 1954 à 1958, la nouvelle coalition gouvernementale, PSB-PL (parti libéral) où Léo Collard dirige le département de l'instruction publique tente de riposter aux mesures de P. Harmel, notamment en réduisant les subventions à l'enseignement libre. La révolte du monde catholique s'organise dans le cadre du Comité national de défense des libertés démocratiques (CDLD). D'importantes manifestations ont lieu, dont celle, particulièrement spectaculaire, à Bruxelles, en mars 1955, qui a été pourtant interdite par le gouvernement.
Les élections de 1958 sont victorieuses pour le PSC, qui retrouve même sa majorité absolue au Sénat. C'en est fini des espoirs du PSB qui, grâce à un gouvernement des gauches - c'est ainsi qu'on appelait paradoxalement le gouvernement PSB-PL, uni sur une position homogène anticléricale, croyait pouvoir réformer l'enseignement en Flandre et y faire ainsi du PSB, à terme, le parti le plus puissant.
Tel est le contexte dans lequel le PSB et le PL acceptent finalement une trêve en signant avec le PSC, en novembre 1958, le pacte scolaire. Ce dernier devait,pour la gauche, conduire à la dépolitisation du problème de l'enseignement et ouvrir la voie à des regroupements selon des intérêts de classe. On espérait que pourrait s'amorcer ainsi une stratégie en front commun de la FGTB et de la CSC, mais les syndicats se diviseront à nouveau à la fin des années 50, la FGTB privilégiant alors, sous l'influence de son aile wallonne, l'action pour des objectifs économiques et sociaux, et la CSC, tandis que la Flandre s'industrialise de plus en plus rapidement, privilégiant davantage l'action pour des objectifs communautaires.
Conclusion
Il convient d'analyser l'influence des tensions communautaires selon les événements. En 1950 le PSB qui est dans l'opposition parlementaire réussit à prendre en charge, nationalement l'action contre le roi, alors que l'opinion est surtout hostile en Wallonie. En 1954-58 le PSC, qui est cette fois dans l'opposition parlementaire, parvient à mobiliser, nationalement, son électorat alors que l'opinion publique est davantage sensibilisée en Flandre. Tant le PSB que le PSC parviennent ainsi à maintenir leur unité nationale.
Ce ne sera plus le cas après la grève de 1960-61.
La grève de 1960-61
La FGTB
Le projet de loi unique du gouvernement contient une série de dispositions qui concernent directement les travailleurs 3. Ceux du secteur public sont particulièrement visés. Aussi la CGSP (Centrale Générale des Services Publics) de la FGTB, dont certains secteurs ont remis un préavis de gräve afin d'engagerla lutte le 20 décembre 1960, jour où doit commencer le débat parlementaire,s'engage-t-elle dans l'action sur le plan national.
A la FGTB, par contre, un congrès extraordinaire a eu lieu, le 16 décembre, où deux tendances se sont affrontées. La tendance majoritaire qui l'emporte de justesse, décide de s'en remettre à l'action parlementaire et demande simplement aux régionales d'appuyer celle-ci par des manifestations sans pour autant aller jusqu'à recommander la grève. La tendance minoritaire regroupée autour d'André Renard, à l'époque secrétaire général-adjoint de la FGTB, proposait d'organiser une gräve limitée de vingt-quatre heures en janvier 1961 et d'organiser un référendum sur le principe de la grève générale.
Le 20 décembre 1960, les secteurs publics de la CGSP nationale se lancent, comme prévu, dans la grève. Les travailleurs du secteur privé, dans les grandes régions industrielles, tant en Flandre qu'en Wallonie, les rejoignent immédiatement et spontanément. La FGTB nationale refuse de donner le mot d'ordre de grève générale si bien que, sous l'impulsion d'André Renard, les régionales wallonnes se regroupent dans le cadre d'un comité de coordination des régionales wallonnes (CCRW) afin de diriger la grève. Très vite le mouvement se replie sur a Wallonie où le CCRW est appuyé par les fédérations wallonnes du PSB. Après quelques jours le CCRW lance la revendication du fédéralisme qui apparaît comme un moyen de réaliser, en Wallonie, où il existe alors une majorité politique de gauche (PSB et PC), les réformes de structure indispensables à la reconversion économique.
Le projet de loi unique est voté à la chambre le 13 janvier 1961.Le CCRW décide de "suspendre" la gräve à partir du lundi 23 janvier, mais il décide en même temps de poser à la FGTB nationale le problème des structures internes. L'objectif est alors d'y créer une confédération fondée sur l'existence de fédérations flamande et wallonne et éventuellement bruxelloise.
La FGTB se divise cependant en Wallonie. Dans le Hainaut plus particulièrement, les métallos de Charleroi qui pourtant s'étaient déjà prononcés, quand se préparait la guerre scolaire en 1952, "contre la main mise du cléricalisme flamingant sur la direction du pays" se montrent très réservés sur la revendication du fédéralisme. Le PSB s'est ressaisi entre-temps sous l'influence de son aile flamande qui continue à privilégier le principe de la IIe Internationale de la solidarité des travailleurs et s'oppose dès lors à toute division des travailleurs en Belgique.
Il faut attendre 1963, et surtout 1968, pour voir aboutir le processus qui conduit la FGTB à reconnaître en son sein l'existence d'interrégionales regroupant, chacune à part, les affiliés de Wallonie, de Flandre et de Bruxelles. Les centrales professionnelles qui forment la FGTB gardent cependant,aujourd'hui encore, sous réserve de quelques exceptions, leurs structures nationales. Dans les comités nationaux et congrès, ces centrales restent d'ailleurs dominantes puisqu'elles y disposent de deux tiers des mandats contre un tiers réparti entre les trois interrégionales.
La CSC
Lorsque la grève éclate contre le projet de loi unique, la CSC se trouve dans une situation forte par rapport à la FGTB. Depuis 1959 elle a dépassé cette dernière en nombre d'affiliés. Elle a participé activement au CDLD durant la guerre scolaire.Elle a de plus développé une action radicale contre le gouvernement PSB-PL, en 1955, pour obtenir la semaine du travail limitée à cinq jours.
La stratégie de la CSC, au moment de la préparation du projet de loi unique, consiste à profiter de la présence du PSC au gouvernement pour négocier et obtenir des amendements favorables aux travailleurs.
Des affiliés de la CSC, surtout en Wallonie, rejoignent pourtant les grévistes de la FGTB dès les premiers jours, mais la direction nationale reprend rapidement le contrôle de la situation. Contrairement à ce qu'on a déclaré à l'époque, il semble même que la condamnation publique de la grêve, le 23dÇcembre 1960, par l'archevêque de Malines Van Roey, ait plus desservi la CSC qu'elle ne l'a aidée.
Il apparaît, en tous les cas, que l'attitude de la CSC, à l'époque, est fortement déterminée par la liaison entre son aile flamande et le mouvement flamand. Il faut savoir en effet que le gouvernement s'était alors engagé à supprimer le recensement linguistique.
La CSC affirme donc que les grèves qui sont déclenchées dans le pays sont inutiles et ont un caractère politique dans le chef de ceux qui, tel André Renard, les oriente vers des objectifs comme le fédéralisme.
A la CSC, même les dirigeants wallons sont d'ailleurs, à l'époque, opposés au fédéralisme - c'est d'ailleurs aussi le cas au MOC - dans lequel ils voient un faux problème de nature à opposer dangereusement les travailleurs flamands aux wallons. 4
Il est donc normal que les événements de 1960-61 n'aient pas eu les mêmes conséquences dans les structures internes de la CSC qu'à la FGTB. Ce n'est qu'une dizaine d'années après la créationde l'interrégionale wallonne de la FGTB que naît le comité régional wallon de la CSC. Pour certains observateurs, les événements de 1960-61 auraient plutôt freiné l'évolution de lasituation au point même de renforcer l'unité de la CSC.
Conclusion
Le phénomène d'une certaine identité wallonne apparaît visiblement au cours des événements de 1960-61. Sans doute la revendication du fédéralisme a-t-elle déjà trouvé un certain écho dans le mouvement syndical wallon dès que se pose la question royale. On note par exemple à cet égard une prise de position fort nette d'André Renard lors d'un congrès wallon en mars 1950.Il apporte alors officiellement l'adhésion "de quelque 85.000 travailleurs manuels et intellectuels (et se déclare) certain que d'autres fédérations suivront (pour rejoindre) le mouvement de libération de la Wallonie".
La revendication du fédéralisme a cependant, nous l'avons vu, une autre résonance dans certaines régions hennuyères. Il est d'ailleurs symptomatique que si elle est exprimée à Charleroi en1952 à l'occasion des prémices de la guerre scolaire sous un gouvernement PSC, lorsque, en 1960, André Renard pose le problème du fédéralisme pour des raisons qu'il dit être surtout économiques, une partie de la direction syndicale dans le Hainaut privilégiera au contraire "le maintien de l'unité nationale de la classe ouvrière".
Il n'en reste pas moins que, dans les années 50, lors qu'André Renard développe une campagne de propagande sur le thème des réformes de structure, il sera appuyé en fait dans l'ensemble de la Wallonie qui commence à payer chèrement les conséquences du vieillissement de son industrie. A ce moment, la FGTB qui pourtant a approuvé le programme de réformes de structure lors de deux congrès nationaux, en 1954 et 1956, et s'est engagée à développer une campagne de propagande, reste étrangement passive en Flandre. L'explication d'une telle attitude se trouve peut-àtre dans le fait qu'entre 1954 et 1958 le PSB, avec lequella FGTB a, en Flandre, des rapports privilégiés, est au gouvernement avec le PL et que la Flandre qui s'industrialise de plus en plus rapidement se sent moins concernée. Il convient enfin de remarquer que la tendance syndicale animée par André Renard est très indépendante sur le plan politique. Elle est fortement implantée en Wallonie, même si dans la province du Hainaut la direction de la FGTB, contrairement aux travailleurs de la base, est davantage liée au PSB.
Lorsque le PSC forme, au lendemain des élections de mars 1961, un gouvernement avec le PSB, il va susciter d'ailleurs une réaction d'ensemble en Wallonie. Les conservateurs, sous le coup du souvenir de la grève qui vient d'avoir lieu, ont obtenu en effet de ce gouvernement qu'il prépare des mesures légales pour maintenir l'ordre en cas de grève. L'opposition sera fort nette parmi les travailleurs wallons. Il faut ajouter qu'à ce moment d'ailleurs un autre problème, celui des Fourons, apparaît, même si c'est faiblement au départ, comme un nouveau facteur d'identification wallonne. Le processus qui conduit lentement à la fédéralisation des institutions politiques est alors en marche. Le MPW y joue au début un rôle important.
Le Syndicalisme dans l'Action Wallonne
La création du Mouvement Populaire Wallon (MPW)
Lorsque le CCRW décide de suspendre la grève et de poursuivre l'action par d'autres moyens, il vise par là le MPW,groupe de pression, et Combat, un hebdomadaire d'action wallonne qui a commencé à paraître, dès le début de 1961, en pleine grève.
La plupart des membres du CCRW, rejoints par d'autres syndicalistes, dirigeants wallons faisant partie, en général, des directions nationales des centrales professionnelles de la FGTB,créent le MPW en mars 1961. Selon leur décision le MPW est un groupe de pression ne pouvant en aucun cas se transformer ni en un parti ni en un syndicat. Bien qu'il ne soit composé au départ que de syndicalistes FGTB, le MPW entend être le rassembleur "de toutes les espérances, de toutes les volontés, de toutes les énergies wallonnes". Il se proclame donc "ouvert à toutes les organisations qui mettent les intérêts de la Wallonie et des Wallons au-dessus de tous les autres".
Le succès du MPW est rapide. Il est particulièrement bien implanté à Liège et à Namur où il peut compter sur la collaboration des directions syndicales de la FGTB. Il n'en est pas ainsi toutefois dans le Hainaut où il n'est aidé, dans certaines régions, que par la CGSP et le SETCA. Au début, des responsables politiques appartenant aux fédérations socialistes wallonnes qui, pendant la grève, ont collaboré activement avec le CCRW et ont même revendiqué le droit, pour la Wallonie, dedisposer d'elle-même, rejoignent le MPW.
Le déclin du MPW
Dans le contexte politique et social de la Wallonie, le MPW ne pouvait éviter de diriger l'essentiel de ses critiques contre le PSB et la FGTB. Aussi très rapidement des divisions vont-elles apparaåtre. Le PSB finit, en 1964, par proclamer l'incompatibilité entre la qualité de membre du PSB d'une part et, d'autre part, celle de dirigeant du MPW 5. Les élections de 1965 seront fatales au PSB qui sera ainsi amené à modifier son attitude et à accélérer le processus qui le conduit à prendre finalement position en faveur d'abord d'une politique de régionalisation économique et ensuite d'un système fédéraliste.
La FGTB a poursuivi entre-temps, sous la pression du MPW, le processus de transformation de ses structures internes, si bien que l'interrégionale wallonne, qui est constituée officiellement en 1968 mais qui fonctionne déjà sur le terrain depuis 1963,prend alors le relais du MPW. Ce dernier, qui a perdu une partie importante de son dynamisme déjà avant la mort d'André Renard en juillet 1962, collabore à partir de ce moment avec les autres mouvements wallons qu'il a sérieusement "réactivés" 6.
Une lente prise de conscience
Le fédéralisme est donc considéré, dans le prolongement de la grève de 1960-61, comme le moyen de mettre en oeuvre, en Wallonie, des réformes de structure. Sa stratégie est bien celle du rassemblement des progressistes. On ne peut cependant pas parler, au début des années 60, de l'identité de vues des Wallons sur ces objectifs.
Le déclin de l'économie wallonne est sans doute amorcé depuis longtemps en raison du vieillissement de l'appareil de production. Dans les années 60 cependant, l'environnement européen se caractérise par une croissance économique qui masque les conséquences du déclin. Ce n'est que dans la seconde moitié de cette période que se développe le chômage structurel qui fait prendre alors conscience au peuple wallon de l'ampleur du drame économique qui se joue.
L'impulsion la plus importante à l'action wallonne vient finalement, au début des années 60, de la pression qu'exerce le mouvement flamand qui est sorti de sa léthargie de l'après-guerre et qui avance désormais de façon irrésistible vers la conquête de sa légitime autonomie culturelle.
Ce n'est donc qu'à ce moment que, grâce à la pression flamande qui se conjugue, en Wallonie, avec la lente prise de conscience du déclin économique, une certaine identité se développe auniveau du peuple wallon.
La Réalisation du Fédéralisme et des Réformes de Structure
Un contexte de crise
Il a fallu près d'une trentaine d'années pour mettre en place le fédéralisme que revendiquaient les grévistes de 1960-61.Les rapports de force se sont entre-temps modifiés au détriment de la région wallonne. C'est dans ce contexte dégradé qu'a été promulguée, en janvier 1989, la loi spéciale de financement des communautés et des régions qui est venue parachever, du moins pour un certain temps, le nouveau système institutionnel politique du pays.
Les mesures économiques, comme la planification de l'économie et les sociétés nationales d'investissement, baptisées,pour les besoins de la cause, de réformes de structure par le gouvernement PSC-PSB qui succède aux grèves de 1960-61, n'ont guère eu d'efficacité pour enrayer le déclin structurel de l'économie wallonne. Il convient de remarquer en outre que l'Etat belge, en raison de la crise financière qui l'affecte, s'est révélé de moins en moins capable de financer les besoins collectifs. Il en reporte progressivement les charges sur les utilisateurs(pensions, maladie, ...).
Le paradoxe veut enfin que le fédéralisme se réalise, alors qu'il était revendiqué par un courant idéologique (la tendance renardiste) du mouvement ouvrier, à un moment où les idéologies de gauche sont en crise. Le système dit du communisme s'écroule à l'Est tandis que la social-démocratie, qui a pris, ces dernières années, dans le système capitaliste d'économie de marché la mesure de l'impuissance de l'Etat-providence à rencontrer les besoins sociaux des populations, se révèle incapable de proposer une alternative crédible et valable.
Le fédéralisme 7 devait être, à la mesure des espoirs des années 60, un "moyen nouveau de vivre ensemble", de "donner une âme à la Wallonie" et de "mettre en oeuvre une politique autonome de développement". Il apparaît cependant aujourd'hui, faute d'un discours cohérent et crédible de la part de ceux qui se sont attachés à la réforme des institutions politiques, davantage comme un moyen pour les partis politiques de se partager le pouvoir. L'exemple de la communautarisation de l'enseignement est de ce point de vue particulièrement révélateur.
Sur base du discours actuel des fédéralistes, on est fondé à craindre que les défauts des organisations politiques nationales soient purement et simplement reproduits au niveau des régions.Le fédéralisme apparaissait aux yeux des syndicalistes wallons comme un moyen de combattre la domination de la classe dirigeante et conservatrice flamande. L'impression commence à prévaloir aujourd'hui qu'il faudra désormais combattre l'esprit de domination des bureaucraties wallonnes.
Le rassemblement des progressistes
Les perspectives en matière de rassemblement des progressistes ne semblent guère meilleures. Notre société reste en effet profondément marquée par le clivage entre les mondes socialiste et chrétien.
Il semble cependant que, du côté syndical, une certaine prise de conscience commence à se manifester. Les discussions qui vont se dérouler, en 1990, au niveau de l'interrégionale wallonne de la FGTB, pour préparer le congrès d'orientation que la FGTB nationale a convoqué pour le mois de novembre, pourraient être,de ce point de vue, intéressantes. Il ne faut cependant pas surestimer le rôle que les syndicats peuvent encore jouer aujourd'hui. Ils sont eux-mêmes confrontés à de sérieuses difficultés pour s'adapter aux changements de la société. Ils nesont d'ailleurs plus seuls sur la scène politique et sociale. Des associations se développent dans différents domaines, tels ceux de l'écologie, de la défense des droits de l'homme, de la santé,du pacifisme, de la qualité des services publics ... Elles mettent en cause la "neutralité"" des forces libérales de l'économie de marché et prennent en charge les intérêts des citoyens qui s'opposent aux appareils politiques bureaucratisés.
Le syndicalisme est donc en train de perdre le monopole de la gestion du social, même s'il continue à le revendiquer. L'avenir dépend dès lors de la capacité qu'il aura à s'ouvrir vers le monde associatif et à opérer ainsi, au-delà des institutions sclérosées des familles traditionnelles, socialiste et chrétienne, le rassemblement des forces progressistes dont la grève de 1960-61 semblent avoir donn& le signal.
- 1. Déclaration faite par le premier ministre au Conseil central de l'économie et au Conseil national du travail en mars 1969.
- 2. La FGTB est statutairement indépendante à l'égard des partis politiques. Cette position de principe a été introduite dans les statuts sous l'influence d'André Renard lorsque la FGTBs 'est constituée officiellement en 1945. Auparavant la commission syndicale puis ensuite la CGTB étaient liées au POB (auquel le PSB succède après la guerre).
- 3. Parmi les mesures envisagées retenons les dispositions pour réprimer les infractions en matière d'octroi d'allocations de chômage,renforcer le contrôle médical en matière d'assurance maladie-invalidité, revoir à la baisse les conditions de recrutement et de traitement des agents provinciaux et communaux, reculer l'âge de la mise à la pension dans les services publics et y augmenter les retenues pour les pensions de survie. Le projet prévoit enfin d'augmenter les impôts, surtout les impôts indirects, et d'instaurer le précompte.
- 4. Quand on compare la situation interne de la CSC à celle de la FGTB, il faut être conscient que le poids de l'aile flamande y est particulièrement important tandis qu'à la FGTB la répartition entre affiliés wallons et flamands y est très équilibrée.
- 5. La même mesure d'incompatibilité est décidée à l'égard des membres qui collaborent à La Gauche et à Links, deux hebdomadaires de tendance qui existent, à l'époque, au sein du PSB.
- 6. Rénovation wallonne, Mouvement libéral wallon et Wallonie libre.
- 7. Jacques YERNA, Réflexions sur la Belgique en mutation, in Cahiers hebdomadaires du CRISP, 1989, n¯ 1234, p. 11.