Espace et culture de Wallonie chez Michelet

Toudi annuel n°6, 1992
En août 1840 l'historien Jules Michelet traverse ce que l'on n'appelle pas encore la Wallonie mais le "pays wallon".Partant de Bruxelles,il se rend à Liège et y rencontre un érudit, M.Polain. Après quelques jours passés là-bas, il regagne la France par Seraing, Huy,Namur, Bouvignes, Dinant, Givet. Exactement deux ans plus tard, Michelet commence à rédiger le tome VI de l'Histoire de France notamment sur la base des notes prises au cours de ce voyage et dont certaines se retrouvent dans son Journal (*).
Ce qui se découvre dans les notes du Journal de Michelet et dans ce chapitre de l'Histoire de France qui datent d'il y a 150 ans,c 'est d'abord l'espace wallon d'aujourd'hui et ensuite une vision de la Wallonie qui a encore quelque chose à nous dire aujourd'hui .Le constat n'a pas valeur d'argument et ne doit pas être de suite interprété comme une volonté finaliste de l'auteur de ces lignes en vue de démontrer une Wallonie existant depuis toujours. Il s'agit d'un constat. D'autres pourraient être faits enregistrant la non-existence de la Wallonie avant les années les plus proches. Mais ce que nous disons ici est indubitable.
Pourquoi Michelet a-t-il voulu ainsi,très manifestement,découper la Wallonie dans l'espace européen? Il y a sans doute un intérêt pour une Wallonie qu'on sent très proche de la France et qu'on décrit dans l'intérêt que représente un foyer de vie française proche de Paris? On peut le penser mais Michelet - cela mériterait aussi d'être étudié - ne dissimule pas son admiration pour la Flandre, notamment devant les Halles d'Ypres, les mouvements populaires de la Flandre médiévale. Il y a, enfin, très concrètement, l'effort que veut faire Michelet pour retracer le cadre dans lequel se déroulent les affrontements entre France et Bourgogne au XVe siècle qu'il doit décrire pour poursuivre son histoire de la France. C'est dans cet effort que Michelet se révèle un connaisseur de premier ordre du pays mosan et du pays wallon tout entier. Nous nous attarderons d'abord ici au spatial, à l'anecdotique, à peine au sociologique et à l'historique. Mais Michelet ne se contente pas de cela : ce qu'il fait aussi c'est retracer les grandes lignes d'une culture de Wallonie à travers les peintres, les orfèvres, les écrivains de ce qui correspond aujourd'hui à l'espace wallon. Nous y viendrons après avoir examiné ce que Michelet dit de l'espace wallon,comment il l'agence. Vincent Louis ne craint pas d'écrire au chapitre Les métaux-La Musique d'un projet de manuel scolaire sur la culture de Wallonie :"Si on pouvait poser un texte en exergue de chaque partie,celui que je choisirais,serait celui que Michelet consacre dans son Histoire de France, à la "petite France de Meuse" (...) Il me permet d'embrasser de vastes domaines de l'activité humaine : de l'artisanat à l'industrie et l'artisanat à l'art." 1

I) L'ESPACE

Les lieux cités abondamment par Michelet ont-ils un autre sens que d'être là pêle-mêle dans son texte? Nous ne le pensons pas. Ils sont rassemblés dans la ligne d'un dessein conscient de Michelet de découper l'espace wallon. Cela apparaîtra encore mieux quand nous parlerons de cette histoire de la culture de Wallonie qu'il ébauche également. Ce qui nous fait penser aussi que Michelet ne cite pas ces lieux au hasard c'est le fait qu'ils soient le plus
commentés au moment où Michelet raconte le drame de Dinant (brûlée en 1466) et de Liège (brûlée en 1468). L'émotion de l'historien français devant ces barbaries est profonde. Certes,c'est surtout du pays mosan qu'il est question, mais pas seulement. La première ville qui apparaît citée dans le texte est d'ailleurs Tournai, ville française alors et qui est quelque peu excentrique par rapport à l'ensemble wallon d'aujourd'hui.
TOURNAI
C'est au moment où s'achève l'avant-dernier acte de la tragédie liégeoise que Michelet parle de Tournai. Juste au moment de la translation du Perron à Bruges.De retour à Bruxelles,Charles le Téméraire rencontre des ambassadeurs de Tournai : "Une foule inquiète atendait le Duc de Bourgogne (...) Il y avait là (...) de pauvres gens de Tournai qui étaient là à genoux, pour excuser je ne sais quelle plaisanterie des enfants de la ville; le duc ne parlait de rien moins que de les marquer au front d'un fer rouge aux armes de Bourgogne (Tome VI,L.15). A quel incident est-il ici fait allusion? Nous n'en savons rien. L'épisode pousse Michelet à rédiger une note sur la ville : "Tournai,enfermée de toutes parts et s'obstinant à rester française,se trouvait dans un état de siège perpétuel.Les Flamands, quand ils voulaient,la faisait mourir de faim, et par représailles elle se moquait de ses pesants voisins trop bien nourris" (Tome VI,L.15). Michelet,comme on voit, allie intuitions fulgurantes et préjugés parfois très lourds : l'idée de Français "légers" ou "maigres" par rapport à des Germains "lourds" et "gros" revient assez souvent chez lui. (Parfois même pour opposer les Wallons aux Français (on le verra plus loin avec Givet).
A l'époque où Michelet parle,Tournai est la deuxième grande ville "wallonne" avec Liège 2.Au bout du domaine picard, elle est décentrée par rapport à la Wallonie. Le destin de Tournai est exceptionnel car elle abrite,comme Liège,un évêché.A l'intérieur du royaume de France,dont elle fait partie à l'époque,elle a un statut spécifique. C'est une cité "noble" comme l'appelle Paul Rolland 3. Elle relève de la Couronne française,sans cependant que rien ne s'interpose entre elle et le pouvoir central. Elle est, dans la hiérarchie féodale, en tant que collectivité urbaine, la vassale directe du roi. Cela lui confère une autonomie très grande, analogue (mais non similaire) au statut des villes libres de l'Empire Germanique. Sa cathédrale,l'une des plus grandes d'Europe, atteste de sa puissance d'alors. Les bombardements de 1940 ont malheureusement détruit les archives de la ville et la lettre de Jeannne d'Arc aux "gentils loyaux franchois de Tournay".Elle fut un centre du calvinisme au XVIe siècle (ce qui la différencie du pays wallon actuel encore une fois), après son intégration dans les Pays-Bas espagnols (qui date de Charles-Quint). Perdue par la France puis reprise par celle-ci après Fontenoy,elle est de nouveau rattachée aux Pays-Bas, cette fois autrichiens (au 18e siècle). Elle se distingue par un radicalisme démocratique pendant la révolution "belgique" de 1789 (mais avec des aspects régressifs: la volonté de restaurer les métiers).
(CHARLEROI)
Charleroi n'ayant pas de grand passé médiéval et datant pour ainsi dire du XVIIe siècle n'est pas citée par Michelet (on sait qu'il veut situer le cadre d'un épisode historique au XVe siècle).Avant le XVII e siècle, Le travail du fer a commencé très tôt dans ce petit bourg qui s'insère dans cette sorte de pré-sillon industriel plus ou moins esquissé au Moyen-Âge.
COUVIN
C'est un pays à la fois proche de Charleroi,de Givet et Renwez en France, la région natale de la mère de Michelet. Celui-ci vient d'estimer,dans un passage que nous lirons plus loin,que la population française à la frontière franco-belge de Givet est plus "militaire" et plus "guerrière"...Le pays d'ici est parfois appelé "pays des rièzes et des sarts", pays natal d'Arthur Masson. Une rièze est une fange d'eau stagnante. Rièzes est le village où naquit Masson, village qui forme dans le nord du Hainaut un coin pardoxalement ardennais (point culminant de la province), à cause de son altitude proche de celle du plateau de Rocroi voisin. Michelet n'est pas ici en terrain inconnu :"Le garde général des forêts, M.Lalouette,me contaient mes tantes,venait défendre de sarter, c'est-à-dire de brûler et planter du seigle dans les parties de bois exploitées.Il se vit entouré ,lui et ses gardes,d'une centaine de ces sauvages;l'un d'eux,homme de six pieds, parfaitement noir et sans chemise (il n'avait que son pantalon),lui déclara que l'on continuerait,que les parties sartées n'en valaient que mieux etc.M.Lalouette,disait ma tante,se crut croqué et leur dit :"Sartez mes enfants,sartez."Les Prussiens avaient une peur effoyable de ceux de Couvin,de Fumay..." (J. 12/8/1840)
GIVET,FUMAY,MEZIERES: LA WALLONIE DE FRANCE
Michelet parle souvent de la botte de Givet comme d'un pays "wallon". Il attribue Méhul (auteur du Chant du départ) à la musique wallonne et Méhul est enfant de Givet où il a sa statue. Considérer que la botte de Givet est wallonne peut se déduire de sa très longue appartenance au diocèse 4 et à la principauté de Liège (dont les frontières coïncident avec celles du dialecte wallon au sens strict et englobe la botte de Givet qui restera diocésaine liégeoise jusqu'à la Révolution) 5 Le professeur Doppagne a bien mis en évidence cette appartenance de Givet à la Wallonie dialectale faisant d'elle une Wallonie de France (sur ce plan) en même temps que la Wallonie de Prusse (Malmédy avant 1914) et la Wallonie du Grand-Duché Celle-ci est limitée à deux petits vilages attribués par erreur en 1839 au Grand-Duché : lors de l'acceptation du traité des XIV articles par Guillaume de Hollande le Grand-Duché actuel se sépara du reste du Luxembourg.On traça les frontières selon le critère de la langue, principe violé cependant dans la région d'Arlon et à Arlon même) 6.
VERGNIES,MONS,ATH,NIVELLES
Ces quatre localités sont citées par Michelet quand il énumère les musiciens célèbres de Wallonie. Il rappelle les noms de Gossec de Vergnies (il fut l'auteur de chants révolutionnaires), Roland de Lassus (dont il signale la statue à Mons), Jean Fuissenier de Ath, Jean le Teinturier de Nivelles,et aussi, plus largement "les enfants de choeur de Mons et de Nivelles". Nous allons maintenant passer de Nivelles à Liège après être remonté sur Bruxelles. De Bruxelles à Liège, Michelet emprunte le chemin de fer,chemin de fer dont on lui dit que son tracé coïncide avec la frontière linguistique, fait bien connu des contemporains. Michelet note toujours scrupuleusement cette dualité linguistique du pays.
LIEGE
Spontanément,Michelet considère la ville comme le coeur du pays wallon.Il n'y a là rien d'outrancier.L'historien namurois Félix Rouseau a bien montré l'importance de Liège pour toute la Wallonie. Un autre Namurois,André Patris risque cette explication: la Principauté de Liège (donc pas le diocèse qui est plus étendu) aurait joué à l'égard de la Wallonie le rôle qu'a joué l'île de France à l'égard de la France 7.Cette thèse est discutable mais pas absurde.
Si Michelet fait de Liège le centre de son récit c'est aussi que le drame qu'il raconte - affrontement France/Bourgogne - va connaître ici son dénouement barbare.Voici ce que dit Michelet de Liège dans son journal de voyage :"A six heures M.Polain nous conduisit à a porte Vivegnis dans une tour du Xe ou XIe siècles et nous montra dans la prairie,sous la citadelle,les rampes par où montèrent les six cents Franchimontois. La pluie nous empêcha d'y monter. Nous gravîmes seulement, par une vilaine rue d'ouvriers, jusqu'à la maison de M.Polain, d'où nous vîmes tout le pays, les trois vallées de la Meuse, de l'Ourthe et de la Vesdre et,sous nos pieds, ramassées dans un étroit espace,ce noir volcan de Liège, aujourd'hui éteint.Et pourtant,il n'est pas tellement éteint...'' (J 2/8/1840)
Polain raconte à Michelet qu'il a vendu facilement une brochure consacrée à l'histoire de Liège ce qui attire ce commentaire de Michelet deux ans plus tard : "Ce peuple a rappris avidement son ancienne histoire.Cependant facilité d'oublier plus grande qu'en France même.Nulle mémoire des défaites;cela les rendait indomptables : c'était toujours à recommencer.Au reste on croyait détruire et l'on ne faisait que disperser.César ne détruisit pas les Eburons pas plus que Charles le Téméraire les Liégeois." (J 11/8/1842). Eburons et Liégeois? Le rapprochement historique est douteux ou simplement ornemental, bien sûr.Mais actons simplement ceci : Michelet cherche à comprendre.
SERAING
En quittant Liège,le 12 août 1840, Michelet livre des impressions qui rappellent quelque chose au lecteur moderne :"A droite sur les collines les puits d'aréage.Le long de la Meuse, les machines à vapeur, les hauts-fourneaux,la vaste colossale ruine de Seraing,le grand monument de l'industrie continentale, d'un effort,d'une ruine titanesque, l'Austerlitz et le Waterloo de Cockerill." (J 12/8/1840).
Michelet fait allusion aux difficultés de la sidérurgie de ces annés-là qui furent suivies,on le sait,de bien d'autres "Austerlitz" et "Waterloo",une sidérurghie qui fut obligée,déjà alors, de demander l'aide de l'Etat.Cette insistance sur l'industrie est très nette chez Michelet.Nous n'en citons ici que quelques lignes.
HUY
A Huy, Michelet admire la cathédrale :"Le refuge ordinaire de l'évêque éait la petite ville de Huy (...)Nous entrâmes,en traversant la Meuse;nous vîmes la riche et forte cathédrale appuyée sur le roc,sous la forteresse;riche d'architecture ogivale,forte de tours et de tourelles.L'église ausi est un fort.une telle cathédrale pour ce petit rien est fort significative ; ici l'Eglise était tout,c'est la vraie ville de l'évêque." (J. 12/8/1840). Bien sûr,tout est presque faux dans ces appréciations. Huy a été une ville puissante autrefois. Qu'elle ait servi de refuge à l'évêque est vrai en un sens. Michelet se laisse guider par son anticléricalisme. Refaisons la remarque de plus haut : il est important de voir ici que quelqu'un tente de comprendre l'espace où il voyage.
Ce passage a le mérite de mettre en valeur la beauté de la collégiale de Huy que Jean Lejeune a décrite :"Malgré l'éperon rocheux qui s'incline vers la Meuse,les lignes directrices s'ordonnent dans l'horizontalité.Horizontalités superposée du fleuve du pont,des maisons,de la collégiale,de la plate-forme rocheuse rectifiée par le château,du cirque lointain de collines égales.Portée musicale d'une harmonieuse ampleur que la nature a tracée et l'homme complétée (...) Le clocher d'ardoises aujourd'hui disparu qui couronna ensuite la griosse tour, répondait aux tourelles,également disparues,du château médiéval."8
De LIEGE à NAMUR
A "trois lieues de Liège" Michelet constate une différence dans le paysage, la nature des populations.Peut-être peut-on penser que la différence qu'il aperçoit vaut aussi pour une région plus éloignée. Ici encore se mêlent chez Michelet intuition et emphase erronée :"Les houillères disparaissent,mais le bois augmente.Tout devient charbonnier et tailleur de pierre.On conçoit l'opposition de ces peuples : charbonniers contre houilleurs,tailleurs de pierres tout armés pour tailler en pièces les grosse milices de Liège,la pauvreté contre la richesse.Ces populations devaient aider vontiers l'évêque et le Duc de Bourgogne,devenu comte de Namur." (J 12/8/1840). Michelet en remet! Même si cette opposition des "Namurois" aux "Liégeois" a existé (comme à Bouvignes). Mais peu importe l'exagération de Michelet, ce qui frappe c'est la finesse de son observation du terrain,de l'espace.Pirenne le confirme ici (avec les réserves qu'il faut faire,cette fois à l'égard de Pirenne): "L'avènement de Phillippe II marque pour le pays de Liège comme pour la Belgique,le début d'une ère nouvelle (...) la principauté s'en distingue dès lors par des contrastes de plus en plus marqués (...)par une individualité dont toutes les traces n'ont point disparu (...) Si le maintien de la communauté religieuse a empêché cette individualité de se manifester d'une manière aussi éclatante que celle qui oppose l'une à l'autre, en dépit de l'identité de langage,la Flandre catholique et la hollande calviniste,elle a pourtant été assez puisante pour conserver aux Liégeois,au milieu des populations wallonnes,une physionomie nettement reconnaisable.Aujourd'hui encore,en passant du Namurois,par exemple,dans le Condroz,on peut s'apercevoir sans peine au style des constructions comme à la tournure des habitants que l'on vient de traverser une frontière historique..." (Pirenne Histoire de Belgique Tome IV 292).Ne retenons que la pertinence de la comparaison avec la Hollande et cette influence de la frontiére - remarque à la Braudel - de même que la distinction Liège(et pays liégeois)/Reste de la Wallonie à partir du 15e siècle.
De NAMUR à DINANT
Michelet trouve Namur "triste" ce qui peut accentuer le contraste remarqué par Pirenne :"Ruine pittoresque de Namur à Dinant : la culture et le roc alternent,le roc,cessant d'un côté, reparaît inafailliblement de l'autre.Nous apercûmes deux belles ruines, percées à jour aux fenêtres et parées de lierre,sur la rive opposée à celle que nous suivions..." (J 12/8/1840). On peut penser que l'un des ruines dont il parle est celle de Poilvache vieille forteresse que les Dinantais, alliés des Liégeois,assiégèrent.Les restes de cette forteresse font face au village d'Anhée,non loin de Dinant.
DINANT et BOUVIGNES
Tout le monde sait la rivalité qui opposa ces deux localités au moyen âge qui battaient chacune le cuivre.Cela semble anecdotique mais au bout de la querelle se lèvent des motivations qui ne le sont plus.Bouvignes ayant été annexée comme namuroise dans l'Etat bourguigon,Dinant trouva un motif supplémentaire de s'y opposer.Dinant,liégeoise,voyait d'un mauvais oeil cet Etat bourguignon s'organisant come une monarchie absolue en contradiction avec les lois du Pays de Liège.Il y a,au bout de l'affrontement,quelque chose d'idéologique en celui-ci. Michelet décrit bien la situation antérieure à ce que nous venons de préciser :"Nous traversâmes la Meuse à Dinant.La situation dit toute l'histoire. Dinant est une rue le long d'un roc.Contre le roc l'églse et,dessus,le fort.De ce roc ardide la ville industrielle serrée tout contre et ne pouvant reculer regardait de travers l'autre côté,le côté fertile,le bourg des agriculteurs qui lui disputaient encore l'industrie,Dinant suivait de l'oeil toute cette rive hostile,voyant dans chaque maison,regardant le chaland descendre à Bouvignes,épiant la pratique qui passait à l'autre bord pour trouver le rabais dans la petite ville ...Les injures volaient de l'une à l'autre rive,et les pierres et les charognes qu'ils se lançaient avec des machines..." (J 12/8/1840).Encore une fois Michelet mélange précisions historiques et imagination pure. Précisions : ce bombardement réciproque dont parle aussi Ph. de Commynes 9 mais au moment de l'affrontement précédant 1466.Le reste de la rivalité est décrit mais de manière assez inexacte : Bouvignes est plus petite, mais n'est pas néécessairement plus paysanne que Dinant.Peu importe,il y a cette rivalité que Michelet essaye de ressusciter.
DINANT frontière franco-belge
Michelet évoque la Meuse : "A chaque instant à travers les chênes sombres on voit la rivière et son liseré étroit de vertes prairies." A la frontière,nouveaux stéréotypes familiers à Michelet: "Notre hôte de Givet remarquait la grossièreté,la pesanteur des bateaux à vapeur que ceux de Liège ont essayé sur la Meuse. L'aubergiste Ricard de Lony disait : des choux belges pour des choux sans coeur (ceci contre un Belge qui buvait à l'auberge sans se faire donner à manger,et qui tirait son dîner de sa poche). La population française plus maigre et plus sèche,est,je crois, moins lourde;plus critique,plus rusée,plus militaire." (J 12/8/1842).Voilà les gens de Givet qui héritent des qualités attribuéess plus haut aux Tournaisiens "franchois",comme aurait dit Jeanne d'Arc. C'est que, depuis quelques années,les gens de Givet sont devenus,eux aussi,"franchois" !
ARDENNE
Parler de la Wallonie sans parler de l'Ardenne n'a pas de sens... Certains ont vu dans le caractère ardennais lié à la géographie de ce haut-plateau,celui qui distingue les Wallons dans l'ensemble francophone d'Euurope (A.Donnay et J.Alexandre).Les collectivités sont comme les individus et se perçoivent à travers un schéma corporel. A cause du schéma belge,nous percevons l'Ardenne come "le bout du monde". Mais même l'Ardenne au sens strict occupe une moitié du territoire wallon.Si l'on part de la définition géologique (plateau de roches primaires),on s'aperçoit qu'elle recouvre la majeure partie de ce territoire .
On a insisté sur la rudese de l'Ardenne liée à son climat.Cette terre presque déserte par comparaison avec les opulentes contrées voisines très peuplées,a vu disparaître depuis 1600 jusqu'à la fin du siècle passé plusieurs dizaines de villages : à cause des guerres, des épidémies qui,s'ajoutant à l'ingratitude du climat,aux hivers très rudes,anéantissent des populations villageoises entières dont il ne restera plus comme trace qu'une clairière au fond des bois.Les hommes utilisent la pierre des maisons que la mort a vidées pour construire des routes comme celles de Florenville à Etallle avec les restes de Bertrand Fontaine,l'un de ces villages disparus.
SAINT-HUBERT,STAVELOT
La grande église de Saint-Hubert au coeur de l'Ardenne est bien connue de Michelet : "Deux églises,le pélerinage de Saint-Hubert et l'asile de Saint-Lambert,c'est là le vrai fonds des Ardennes." (TVI,L 15,pages 116-117).Et sur l'Ardennne :"L'image naïve de l'Eglise transformant en hommes,en chrétiens,les bêtes sauvages de ces déserts,se trouve dans les légendes des Ardennes.Le loup de Stavelot devient serviteur de l'évêque;ce loup ayant mangé l'âne de Saint Remarcle; le saint homme fait du loup son âne et l'oblige de porter les pierres dont il bâtit l'aglise;dans les armes de la ville,le loup porte la crosse à la patte (...) Au bois de Saint-Hubert,fleurit la croix du Christ : le chevalier auquel il apparaît est guéri des passions mondaines.Le pélerinage de Saint-Hubert était comme on le sait renommé pour guérir la rage.Nos paysans de France,comme ceux des Pays-Bas,allaient en foule,mordus ou non mordus se faire greffer au front d'un morceau de la sainte étole." (T VI,L.15,pages 116-1127 et note 4 ).
BOUILLON,MIRWART,GEDINNES,ORCHIMONT
La commune de Florenvillle a consacré il y a vingt ans une intéressante brochure 10 à l'histoire de la petite cité gaumaise.Il y est fort question de la loi de Beaumont (France) qui donne l'autonomie urbaine un peu partout dans le pays.Michelet ne l'ignore pas :"Le servage disparut de bonne heure dans certaines parties des Ardennes. La coutume de Beaumont (qui du Duché de Bouillon se répandit dans la Lorraine et le Luxembourg) accordait aux habitants le libre usage des eaux et des bois,la faculté de se choisir des magistrats (...) Le Seigneur d'Orchimont affranchit ses villages de Gerdinnes (Michelet orthographie ainsi Gedinnes : c'est l'une de ses rares erreurs en ce domaine) il réduit tous ses droits au terrage,au cens, à un léger impôt de mouture.Saint-Hubert et Mirwart suivirent cet exemple." (T VI L 15 page 116,note 3 et app. 79)
RENWEZ
Dans le même paragraphe,Michelet signale qu'il est lui-même originaire de Renwez (par sa mère),ce petit village au bord de la Wallonie de France.Il est intéressant de noter que Michelet a lui-même expliqué son intérêt pour la "Wallonie" par le fait que sa mère était originaire de Renwez : "Moi-même originiaire du Pays de la Meuse par ma mère j'y ai mis là comme un intérêt de famille." (in préface à l'Histoire de France in Textes de Michelet, Paris, A.Collin,1962,p.185)
Il est encore question dans ce texte de Michelet,envisagé seulement du point de vue des noms de lieux cités, de VISE, CINEY,MARCHE et d'une foule d'autres localités qu'il ne cite pas mais que l'on devine parfois.
Michelet,en citant un si grand nombre de lieux d'un pays somme toute éranger,sans commettre presque de fautes ni dans la manière de les écrire ni dans la manière de les situer (ce qui est rare et très significatif), réalise dans ces lignes une sorte de puzzle en bonne voie d'achèvement de la carte de la Wallonie. Certes,ce qu'il saisit ainsi de la Wallonie est une unité fort superficielle partes extra partes.Mais les notes sont celles d'un d'un voyageur attentif. On sera plus sceptique en ce qui concerne les explications que Michelet propose et qui relève souvent d'une imagination échevelée.Il s'agit sans doute d'un historien tentant de justifier l'idée même de la France et qui, nanti de cette propension à la synthèse,procède à des essais au petit bonheur la chance pour tenter de dégager une unité de la Wallonie. Malgré les erreurs, tout est loin d'être sans intérêt dans ces tentatives. Il conviendrait d'examiner de plus près maintenant le fond sociologique et culturel que Michelet dégage aussi au-delà des simples indications de lieux et des notes de voyage.Apparaissent alors , à l'exception cependant du concept d'art mosan qui ne sera utilisé que quelques décennies plus tard par un autre Français,C. de Linas,une tentative semblable à l'entreprise La Wallonie,le pays et les hommes où,de la musique à la peinture en passant par l'orfèvrerie, l'architecture,la dinanderie et,peut-être surtout,la littérature, Michelet esquisse une histoire de la culture de Wallonie. Là, à nouveau paradoxalement,car l'entreprise est plus risquée et suppose des enquêtes plus poussées - les interprétations sont beaucoup plus sûres,les faits plus avérés.

II) La culture et la société

Une phrase du journal de Michelet est significative car elle nous le montre en panne d'inspiration alors qu'il rédige le chapitre de l'Histoire de France où il est question de Liège :"Je restai comme imobile pendant plusieurs jours,en présence de mon chapitre préparé de Dinant et Liège,faible,affadi,sans unité intérieure." (J,août 1842). Il y a donc recherche d'une unité.Et cette unité, c'est à la fois l'unité intérieure de son texte mais,par le fait même aussi,l'unité de la Wallonie,pas seulement l'unité de l'histoire liégeoise.
Musique
Curieusement,l'unité vient par la musique.Est-ce un hasard? On a sans doute opposé trop schématiquement les Wallons musiciens aux Flamands peintres.Mais l'évêque de Liège,Etiennne,porte,dès le moyen âge,le rayonnement de l'école liégeoise au plus haut degr?é. Souvenons-nous aussi de quelqu'un comme Cicogne né en 1411 dont Genicot dit qu'il est "le témoin de la vitalité que la Wallonie a consertvée (...) la promesse des lendemains où elle chantera la Joie qui est toute son âme" 11
Finalement,l'inspiration vient à Michelet sur la Wallonie: "L'unité m'est venue ce matin : poser le principe mélodique de la frontière en face de l'harmonie allemande,italienne (...) Bonheur,quand on rentre, de retrouver la sobriété spirituelle,le petit vin,le petit mot, le chant d'oiseau!" (J 8/8/1842). On sent les préjugés français de Michelet (Qu'est-ce qu'une musique française? Cela n'a pas de sens).Pourtant,peu importe,c'est le processus de la création littéraire qu'il faut ici saisir au-delà des préjugés.La naissance d'une métaphore,magie de l'écriture. 12 .La métaphore n'est pas la comparaison. Nietzsche ne dit pas que la vie est "comme un enfant" mais il dit :"L'enfant est innocence et oubli,un nouveau commencement et un jeu,une roue qui roule sur elle-même,un oui sacré." 13
La Wallonie "musicale" de Michelet ce sont les phrases célèbres mêlant le littéraire à l'observation sociologique et historique:"Quoi de plus français que ce pays wallon? Il faut bien qu'il en soit ainsi pour que là justement,au plus rude combat des races et des langues, parmi le bruit des forges,des mineurs et des armuriers, éclate en son charme si pur notre vieux génie mélodique." (T VI L.15,pages 115-116). Pour Michelet,la Wallonie est un pays français mais surtout "une autre France,notre pauvre petite France de Dinant et de Liège" et il poursuit: "Je ne sais combien de patois français que les Français n'entendent pas" puis ceci qui est surprenant de vérité :"chaque province,chaque ville ou village,fier de son patois,de sa coutume,se moquait du voisin : de là force querelles,batteries de kermesses,haines de villes, interminables petites guerres (...) Entre les Wallons que de diversité! De Mézières et Givet à Dinant par exemple,du féodal Namur àla république épiscopale de Liège (...)" (T V,L XXII pages 350 -361).
Et Michelet d'esquisser une liste des musiciens wallons. Qui l'avait fait avant lui? Quand le fit-on après lui? Il parle d'Ockergam du Hainaut,de Jean le Teinturier de Nivelles,de Josquin Desprez,de Roland de Lassus de Mons,de Grétry de Liège,de Gossec de Vergnies,de Méhul de Givet.Robert Wangermée dans La Wallonie,le pays et les hommes Tome I (Lettres,arts,culture), Bruxelles,1976-1984,p.305 orthographie Ockergam, OCKEGHEM et pense que ce musicien est plutôt flamand et il orthographie Jean Le Tinturier JOHANNES TINCTORIS,estimant lui aussi qu'il est de Nivelles. Michelet,tout aussitôt,tentant une de ses synthèses à la fois embarrassantes et stimulantes : "Comme mélodistes,les Wallons et les Vaudois,Lyonnais, Savoyards,semblent se répondre de la Meuse aux Alpes.Rousseau a son écho dans Grétry? Même art né de sociétés analogues;Genève et Lyon,comme Liége,furent des républiques épiscopales d'ouvriers." (Tome VI,L XV,note 1 p.116). C'est fort subjectif et imprécis et confus? Bien sûr! Soyons nuancés cependant : dire que Rousseau a son écho dans Gréry peut se discuter mais il y a là une suggestion qu'on ne peut pas purement et simplement rejeter.Ce qui émeut,c'est cette volonté de comprendre et,par-dessous l'arrangement littéraire,la précision de l'information,la justesse de l'observation sociologique.
Littérature

Dans son Journal, Michelet note : "Quid du poème de Renart chez les Wallons?" (11/8/1840) juste après une remarque sur l'anticléricalisme des Liégeois. Or, là, l'intuition de Michelet est vraie. Il y a une version "wallonne" du roman de Renart jugée par les spécialistes moins bonne que la version française. Cependant, ces mêmes spécialistes notent aussi qu'il ne s'agit plus d'une simple satire bourgeoise mais d'une critique violente, révolutionnaire,d'un anti-cléricalisme poussé à l'extrême.Le Renart wallon met en scène le peuple,fait rarissime au moyen âge et, fait plus rarissimme encore,le fait monter en foule à l'assaut d'un palais dont il chasse le roi.Dans la même optique soulignons l'audace anti religieuse de Gauthier le Leu. 14
Michelet subodore tout cela :"Les Wallons sont gais,vifs,violents, grands conteurs d'histoires et de contes.Ils ont toute une littérature au moyen âge et de nos jours rien."(25/8/1846).
Ce qui frappe Michelet dans la littérature française née en Wallonie,ce sont les chroniqueurs,chose que souligne aussi La Wallonie,le pays et les hommes 15. Michelet connaît Lebel,le Liégeois,dont s'inspirera Froissart,le Hennuyer,que Michelet considère comme français bien que,par sa langue,imprégnée de picardismes et de wallonismes (au moins par cela) il se rattache au domaine wallon (il a décrit comme poète son enfance hennuyère, les jeux comme celui de la crosse,les paysages de Binche,de Roux). Michelet n'oublie pas Hemricourt ni Jean d'Outremeuse.Il n'ignore pas non plus Les Cent nouvelle nouvelles ce Décaméron wallon "les contes salés renouvelés des fabliaux" (Tome V L XII pages 354-355). On pourrait s'amuser à compléter Michelet en parlant des premiers textes littéraires en Wallonie comme La cantilène de Ste Eulalie, Li ver del Juïse,le Sermon sur Jonas, puis plus tard Watriquet de Couvin,Adenet le Roi,Coinci,Baudouin de Condé, Deschamps, Huon le Roi,Jean Molinet,Philippe Mousket,Gilles li Muisit etc.
La Wallonie est présente dans ces auteurs qui ne se préoccupent pas beaucoup de la dire mais qui la parle par la gangue dialectale ou le français régional desquels leurs oeuvres,comme toutes les oeuvres "françaises" à cette époque,ne se dégagent pas.
Art mosan,dinanderie
On l'a dit plus haut,Michelet n'a pas forgé le concept d'"art mosan" qui permettra de réunir un ensemble de productions typiques de la Meuse wallonne et au-delà. Mais il connaît les fonts baptismaux de Rénier de Huy (Tome VI,L 15,p.167,app.116). Il faut citer longuement ce qui est dit de la dinanderie,cet art central de l'art mosan :"Ceux qui ont vu les fonts baptismaux de Liège et les chandeliers de Tongres se garderont de comparer les dinandiers qui ont fait ces chefs d'oeuvre à nos chaudronniers d'Auvergne et de Forez. Dans les mains des premiers,la batterie du cuivre fut un art qui le disputait au grand art de la fonte.Dans les ouvrages de fonte, on sent souvent,à une certaine rigidité,qu'il y a un intermédiaire inerte entre l'artiste et le métal.Dans la batterie, la forme naissait immédiatement sous la main humaine,sous un marteau vivant comme elle,un marteau qui,dans sa lutte contre le dur méal,devait rester fidèle à l'art,battre juste,tout en battant fort : les fautes de ce genre de travail,une fois imprimées du fer au cuivre ne sont guère réparables." (Tome VI,L XV,pages 166-167)
Peinture
Dans ce domaine,où nous ne nous attarderons pas,Michelet s'acharne à faire de Jean Van Eyck un Wallon pour le rendre à la Wallonie comme il s'en vantera plus tard dans la préface à l'Histoire de France.C'est une erreur même si Michelet a raison de voir en Van Eyck quelqu'un qui fit ses premières armes à Liège. L'un des principaux chefs d'oeuvre de Van Eyck est né dans la Principauté,la Vierge d'Autun, dont le paysage à l'arrière-plan est celui de la ville de Liège.Curieux tout de même cette préoccupation de Michelet de rendre aux Wallons ce qui leur appartient.Jean Lejeune explique bien cet aspéct "liégeois" de la carrière de Van Eyck dans le Catalogue de l'exposition Rhin-Meuse (Cologne-Bruxelles,1972,pages 427-428).
Industrie et luttes sociales
Ce caractère industriel de la Wallonie,Michelet,qui l'a déjàfait pressentir à travers les lignes de lui déjà citées,le perçoit bien sûr comme un homme du 19e siècle,frappé qu'il est,par exemple,par les grandes usines de la Meuse "si bien peintes et badigeonnées que le noir apparait à peine au dehors.A coup sûr l'aspect de la contrée fut tout autre il y a peu d'années..." (J 12/8/1840).Il décrit ainsi de manière quelque peu romantique l'enracinement de l'industrie moderne dans un passé plus ancien : "Le voyageur qui,à grand'peine,ayant franchi tant de pas difficiles voyait au loin fumer la grande forge,la trouvait belle (il s'agit de Liège bien sûr,JF) et rendait grâce à Dieu.La cendre de houille,les scories de fer lui semblaient plus douces à marcher que les prairies de Meuse (...) Curieuse expérience dans tout le moyen âge : une ville qui se défait,se refait,sans jamais se lasser. Elle sait bien qu'elle ne peut périr;ses fleuves lui apportent chaque fois plus qu'elle ne détruit : chaque fois la terre est plus fertile encore, et du fond de la terre souterraine, ce noir volcan de vie et de richesses, a bientôt rejeté,par-dessus les ruines,une autre Liège, jeune et oublieuse,non moins ardente que l'ancienne et prête au combat." (Tome VI p.117 et p.118)
Ce qui est plus important que le fait brut des industries et pré-industries, c'est le type de société que cela engendre.Michelet montre bien la profondeur du mouvement démocratique liégeois au moyen âge.Michelet décrit la chose :"Liège avait cru exterminer ses nobles;le chapitre avait lanc& sur eux le peuple,et ce qui en restait s'&tait achevé dans la folie d'un combat à outrance.Il vavait été dit que l'on ne prendrait plus les Magistrats que dans les Métiers,que pour être consul,il faudrait être charron,forgeron etc.Mais voilà que des Métiers pulullent des nobles innombrables,de nobles drapiers et tailleurs,d'illustres marchands de vin,d'honorables houillers." (Tome VI L XV,pages 118-119). A ce propos Vercauteren montre avec beaucoup de nuances dans quelle mesure on peut parler jusqu'à un certain point de mouvement réellement démocratique à Liège :"Malgré les guerres civiles ou,peut-être, à cause d'elles,la puisance des métiers n'a fait que croître au XIVe siècle.Ils visent au monopole : à partir de 1343, on exige de tous les habitants pratiquant un métier déterminé de se faire inscrire dans une corporation. Puis la "lettre du commun profit" (24 mars 1370) stipule que tout bourgeois doit être inscrit dans un métier et,s'il n'en exerce aucun,dans la frairie des changeurs.C'était donc le corporatisme obligatoire et l'accès du méier était devenu la condition sine qua non de l'accès à la vie politique." 16. Vercauteren observe aussi que Michelet "a "senti" la société qu'il peignait" (17 malgré ses erreurs d'appréciation ou de fait relativement nombreuses. Il est éonnant que plusieurs décennies avant que n'éclate dans toute la Wallonie ces "grèves générales" qui vont façonner un pays,qui vont consolider un mouvement ouvrier qui épargne encore aujourd'hui à la Wallonie le vote d'extrême-droite et qui a fait la Wallonie en la portant sur les fonts baptismaux de la grève générale,Michelet écrive ceci :"Ce peuple avait mille alarmes et souvent fondées.Son arme en pareil cas,son moyen de guerre légal contre un homme,un corps qu'il suspectait,c'était que les métiers chômassent à son éard, déclarassent qu'ils ne voulaient plus travailler pour lui.un matin, la montagne n'entendait plus rien de la ville,ne noyait ni feu ni fumée : le peuple chômait,il allait sortir,tout tremblait..." (Tome VI,L XV,p.121).
Comment ne pas songer ici à 1950 ou à 1960 ? 18 Marcel Thiry parlait de la "divination" de Michelet 19.Ce qui est plus étonnant encore, c'est le fait que pareille synthèse historique sur la Wallonie, intégrant la dimension politique à la dimension culturelle et même économique et sociale en quelque mesure,manque encore aujourd'hui. On sait bien toutes les critiques qu'il y a à faire à la conception de l'histoire chez Michelet.A l'égard de notre regard devenu hypercritique,le discours de Michelet est radicalement infirme. Mais il est. A côté d'erreurs énormes,d'une emphase souvent déplacée,il y a le souffle d'un génie de l'observation des peuples et des sociétés. Même sur le plan des faits, qui pourrait redire,avec autant d'aisance que Michelet ne l'a dit, à travers des intuitions souvent fausses mais très souvent justes aussi,la personnalité de la Wallonie.Michelet n'est pas seulement un précurseur.Peut-être ne l'avons-nous pas encore rejoint.
José Fontaine
(*) Nous citons tout au long de cet article le Tome VI de l'Histoire de France d'après Oeuvres complètes de Michelet,Edition définitive revue et corrigée,Flammarion,Paris 1893-1898,par l'indication "T VI" pour le tome (ou Tome V) et "L ..." pour le livre (soit le chapitre dans la subdivision adoptée par Michelet) avec la mention de la page de l'édition utilisée et le Journal de Michelet,Gallimard,Paris,Tome I,1959-1976,par l'indication "J" suivie de la date.
  1. 1. Vincent Louis, Les métaux- La musique, in La Wallonie au futur, Institut Destrée,Charleroi,1992,p.433.
  2. 2. Voir Léopold Genicot et alii, Histoire de Wallonie, Privat, Toulouse,1973.
  3. 3. Paul Rolland, Tournai,"Noble Cité", La Renaissance du livre, Bruxelles,1944,pages 62-95.
  4. 4. Voir J.E. Humblet, Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie, EVO,BXL,1984.
  5. 5. F.Rousseau,L'art mosan,Duculot,Gembloux,1970,p.7 et J.Lejeune, Liège et son pays,Liège 1948,p.9.
  6. 6. A.Doppagne in Les dialectes belgo-romans,t VII,n°2,pages 97-107.
  7. 7. A.Patris, L'étape décisive, Editions de la francité, Bruxelles, 1973.
  8. 8. Jean Lejeune,Li?ge et son pays,Naissance d'une patrie,Liège 1948,p.494.
  9. 9. Philippe de Commynes,Mémoires,livre 2nd,Chapitre Ier in Histoires et chroniqueurs du Moyen-Âge, Gallimard, Paris, pp. 1006-1007.
  10. 10. Florenville, Exposition du 700e anniversaire de l'affranchissement du droit de Beaummont,imprimerie Michel, Virton,1973.
  11. 11. L.Genicot, Histoire de la Wallonie, op.cit.,p.183.
  12. 12. P.Ricoeur, La métaphore vive, Seuil,Paris,1976.
  13. 13. Nietzsche,Ainsi parlait Zarathoustra, Gallimard, Paris, 1963, p.37.
  14. 14. G.Charlier et J.Hanse,Histoire illustrée de la littérature française de Belgique,Bruxelles,1958,pages 47-51.
  15. 15. Voir l'article de M.Delbouille,Les origines,la langue - Les plus anciens textes,in La Wallonie,le pays et les hommes (lettres,arts,culture) Tome I ,op.cit. p.99 et suivantes.
  16. 16. F.Vercauteren,Luttes sociales ? Liège,La renaissance du livre, Bruxelles,1946,pages 98-99.
  17. 17. Ibidem, p. 93.
  18. 18. Voir,sur ce point,le résumé des faits par Philippe Destatte in L'identité wallonne,Namur,1990 et (édition revue et augmentée) 1991.
  19. 19. Préface au livre de Jean Lefèvre,Traditions de Wallonie, Marabout,Verviers,1978.