Pays basque: violence, légitimité du nouveau gouvernement "antinationaliste"?
On a appris ce soir qu'au Pays Basque le Parti socialiste espagnol et le Parti populaire (les conservateurs espagnols), deux partis que tout oppose avaient réussi à former un coalition gouvernementale s'appuyant sur une majorité très étroite au Parlement basque (38 députés sur 75). Les médias que nous écoutons ou que nous lisons parlent d'une défaite nationaliste au Pays basque alors que, en réalité, le PNV (parti nationaliste basque modéré) 1 avait gagné les élections, remportant 38% des suffrages et devançant les autres partis basques. Plus fort encore, selon Christian Galloy (ancien correspondant de la RTBF en Espagne), les sympathisants de l'organisation terroriste ETA avaient reçu comme consigne de voter pour un parti intitulé D3M. Mais ces votes ont été considérés comme nuls. Un autre parti indépendantiste, mais rejetant la violence, Aralar, est, lui, passé de 2% à 6% des suffrages et a remporté 4 sièges (contre 1 seul aux précédentes élections). Christian Galloy estime que les nationalistes basques, sans cette annulation des suffrages qui se sont portés sur D3M (sorte d'alias de l'ETA qui est juridiquement interdite), ont en fait remporté 60% des suffrages au Pays Basque
Que faut-il penser?
Dans Face à l'Info du 12 février dernier une délégation de députés wallons et bruxellois qui s'étaient rendus au Pays Basque ( Jean Spinette, Christine Defraigne, Georges Dallemagne, Marie Nagy), s'exprimaient dans cette émission d'une manière qui nous a semblé juste, s'agissant de la violence exercée par l'ETA, mais qui nous a semblé parfois pécher par unlilatéralisme. Les personnes qui s'exprimaient mettaient en effet en cause le fait que des sympathisants de l'ETA revendiquaient toujours que les terroristes de l'ETA jugés et condamnés (parfois pour l'assassinat d'innocents), soient emprisonnés sur place. Alors qu'ils le sont dans des territoires très éloignés de l'Espagne en vue, en réalité de les couper de leurs familles comme l'explique ce philosophe basque à propos de la torture étatique au Pays Basque: Sur la torture, encore une fois (expérience basque) ou ce commentaire d'Emile Delferrière d'un copieux dossier de la revue Les Temps modernes consacré au nationalisme basque : Quelle violence au Pays basque ?.
On a parfois l'impression que l'on ne voit pas toujours bien que la violence de l'ETA - évidemment impossible à accepter et d'une rare barbarie puisqu'elle frappe des innocents à l'aveugle - est le reflet fidèle d'une autre violence tout à fait inacceptable également, celle - au moins historique - de l'Etat espagnol. Et qu'en tout cas, le Pays basque a pour le moment à sa tête un gouvernement qui n'a pas l'appui de la majorité de la population étant donné qu'une partie des suffrages émis par les Basques sont purement et simplement annulés. On peut évidemment considérer que les électeurs qui apportent leurs suffrages aux faux-nez de l'ETA posent là un geste condamnable. Mais il faut avouer qu'il n'est pas fréquent dans une démocratie de voir qu'une partie des suffrages exprimés soient ainsi tenus pour rien.
On lira par ailleurs le témoignage des députés wallons et bruxellois. Sans trahir l'esprit de ces témoignages, disons que nos représentants mettent en cause le chantage à la violence exercé par les sympathisants de l'ETA sur des élus basques non nationalistes obligés de se protéger en permanence sous peine de mort. C'est (ici retranscrit en espagnol dont nous espérons faire une synthèse en français) le témoignage de Christine Defraigne, Marie Nagy, Georges Dallemagne et Jean Spinette dans Face à l'Info du 12 février.
Il n'y a pas dans leur chef de volonté d'assimiler l'ensemble du nationalisme basque au terrorisme ETA. Mais il demeure vrai que le Pays Basque n'est pas dirigé par un Gouvernement qui reflète la tendance autonomiste de la majorité de la population basque, voire même de son écrasante majorité. L'ETA en est aussi en partie responsable même si toute violence est presque toujours le reflet d'une autre violence comme on peut le lire dans les études que TOUDI a consacrées à la patrie basque. Le fait que les suffrages de D3M soient écartés se fait légalement en Espagne où, en pénétrant dans l'isoloir, l'électeur choisit le bulletin à en-tête du parti de son choix. L'ETA et son alias D3M ayant été écartés légalement du scrutin, il ne restait plus aux électeurs sympathisants de l'ETA qu'à voter nul, ce qu'ils ont fait en masse.
On se dit évidemment que les nationalistes basques feraient lieux de trouver un compromis entre eux s'ils veulent vraiment être débarrassés de la tutelle espagnole. D'autant que la violence contre des policiers isolés, ou des fonctionnaires (ou des élus), est d'autant plus injustifiable que le général de Gaulle dans des conditions de combat plus claires et plus justes avait interdit à la Résistance française d'abattre des soldats allemands isolés. L'Espagne hérite certes d'un passé de violence extrême, c'est un Etat qui a torturé sans vergogne, dont le chef de l'Etat est issu de l'héritage franquiste, mais ceci dit, c'est un pays démocratique.
Voir aussi Le Courrier, quotidien suisse indépendant
Le même journal écrivait encore le 19 mai de manière quelque peu prophétique:
Dans la vie politique basque, le scrutin du 1er mars marquera une inflexion historique (...) Malgré son interdiction en 2002, le parti de la gauche abertzale (patriote) avait toujours trouvé la faille légale, grâce à un éphémère prête-nom. L'astuce aura servi jusqu'à l'interdiction des listes Askatasuna et D3M le 8 février dernier. L'événement a laissé sans expression politique 100 000 à 150 000 citoyens (10% à 15% des habituels votants) (...) Fêtée à Madrid et ailleurs en Espagne, l'absence de Batasuna conclut une décennie de procédures judiciaires menées par le juge Baltazar Garzón. Sous ses coups de boutoir, outre Batasuna sont tombées une myriade d'associations, des défenseurs de la langue euskera aux comités de soutien des prisonniers, en passant par les mouvements de jeunesse et même les tavernes abertzale (...) la presse indépendantiste a vu disparaître ses deux quotidiens (...) et une dizaine de journalistes et éditeurs être incarcérés (....) Chaque fois, la justification est la même: pour la justice espagnole, le Mouvement de libération nationale basque (MLNV) est une seule et unique organisation dirigée depuis ETA. Par conséquent, tous ses activistes sont «membres» ou «collaborateurs» de l'organisation terroriste (...) si elle peut s'expliquer stratégiquement, la persécution des indépendantistes non-armés aura aussi eu pour effet de fermer encore davantage l'espace politique pacifique. «Quand toutes les autres portes se ferment, la légitimité des armes devient évidente», résume un militant de Batasuna.
- 1. Dont le programme modéré a été exposé dans l'article de France Maurain Le Pays Basque : plus d'indépendance, pas de sécession in TOUDI, février-mars 2005.