Le discours de José Fontaine à Namur, le 19 septembre 1999, au cimetière de Belgrade
Dans l'ouvrage Mathilde, regards sur un mariage princier (Luc Pire et Université de Liège, 2000) Christophe Havaux résume les circonstances de ce discours de la manière suivante: « Ce dimanche 19 septembre, à Namur, se tient la cérémonie du Souvenir, un hommage à ceux qui, en 1830, en 1914-1918 et en 1940-1945, ont combattu pour nos libertés. Ce moment solennel ponctue chaque année les fêtes de Wallonie. Se trouvent rassemblés au cimetière de Belgrade des anciens combattants, des anciens résistants, des représentants des ambassades des pays alliés [NDLR: USA, Royaume-Uni, Russie, Italie, France] et diverses personnalités politiques [Les Présidents des Parlements wallons et communautaires français, plusieurs ministres régionaux et communautaires dont Pierre Hazette, le Ministre fédéral de l'intérieur, le Gouverneur de la Province et des députés permanent, le Bourgmestre de Namur, d'autres autorités civiles et militaires]. Le témoin « wallon » invité cette année s'appelle José Fontaine [...] [Il] prononce depuis la tribune un vibrant hommage aux insurgés de 1950 refusant le retour sur le trône de Léopold III, aux grévistes de 1960 revendiquant l'autonomie wallonne, puis s'insurge contre la pensée unique, l'ultralibéralisme, le chômage, demande la justice sociale, en appelle à une vraie solidarité avec Bruxelles et la Flandre, réclame dès lors la suppression de l'État belge et de la Communauté française, « pour que vive la Wallonie mais surtout pour que vive la République! ». Silence. Dans le public, certains applaudissent, d'autres huent. Pierre Hazette, ministre communautaire de l'Enseignement secondaire et Willy Taminiaux, président du Parlement communautaire, quittent la cérémonie en signe de protestation. La démission de Frédéric Bovesse, président du Comité central des fêtes de Wallonie, et par ailleurs médiateur de la Région wallonne est réclamée. La polémique tranche avec les discours consensuels et politiquement corrects prononcés la veille. »
[Il n'y eut - hors le cri de VIVE LA RÉPUBLIQUE attribué à Lahaut en 1950, dans un cadre infiniment plus dramatique et important - aucun discours républicain en présence d'officiels].
Discours à Belgrade le 19 septembre 1999
Vous me permettrez de m'adresser simplement aux Morts de 1830, aux Anciens combattants et Résistants de tous les pays, vivants ou morts. Car la Résistance, est, notamment en Wallonie, la plus belle page de toute l'histoire humaine.
Il y en a qui disent, implicitement pour la minimiser, qu'elle n'aurait été l'affaire que d'une minorité. Mais c'est évidemment absurde. Pourquoi? Parce qu'il est évident que la Résistance ne pouvait qu'être l'affaire d'une minorité! En effet, la Résistance dépasse si infiniment l'homme qu'elle dépasse les Résistants eux-mêmes pour commencer. La Résistance dépasse si infiniment l'homme qu'elle sauve des sociétés tout entières, comme la Wallonie et comme la France du Général de Gaulle. Non seulement la Résistance de 1940, mais celle qui est inscrite au plus profond du coeur de l'Homme depuis toujours et pour toujours.
La Résistance prend à mes yeux la figure d'une jeune femme, Marguerite Bervoets, résistante wallonne de Tournai, décapitée à la hache de Wolfenbüttel et qui écrivait dans sa lettre d'adieu à sa meilleure amie: « Mon Amie, J'ai péri d'avoir trop aimé la vie. Je songe à vos enfants qui seront libres demain ». Marguerite Bervoets était athée, mais le croyant que je suis se met à genoux en l'entendant. Et c'est d'ailleurs en un sens, mes amis, à genoux que je vais continuer à vous parler, car je vais peut-être dire des choses aujourd'hui qui déplairaient à certains, mais qui me dépassent si infiniment - et qui d'ailleurs dépasse même la Wallonie - que je dois, absolument, vous les dire!
Mes amis, ce qu'écrivait Marguerite Bervoets, c'est ce que dans un grand pays voisin on appelle presque religieusement et parfois à voix basse, la République. La République, ce n'est pas seulement un régime politique parmi d'autres. La République c'est l'existence humaine dans sa dignité. C'est comme le disait justement de Gaulle viser haut et se tenir droit.
Oh! comme la Wallonie a visé haut et s'est tenue droite durant la guerre, à tel point que sa Résistance a rebondi en 45 avec le Congrès de Liège en 45, avec les grèves de 50 contre Léopold III, les grèves de 60, et toutes les luttes politiques et sociales jusqu'à aujourd'hui qui font qu'il y a ici tout près de la Meuse un Parlement wallon et un Gouvernement. Ce Parlement wallon et ce Gouvernement ne sont pas qu'aux politiciens. Je viens de vous le dire. Ils viennent de nous. Par conséquent, ils sont à nous, ils sont à tous les habitants de Wallonie, ils sont au Peuple de Wallonie.
Peuple de Wallonie, tu es un grand peuple, tu possèdes la vraie noblesse, celle qui écrase celle des rois et des princesses. Je n'accepte pas, Peuple de Wallonie, que l'on subordonne ta noblesse et ta grandeur à n'importe quoi et notamment, en tout cas dans le langage et comme si nous étions secondaires, qu'on subordonne ta noblesse par exemple à la défense de tous les francophones de ce pays. A ceux qui le disent je réponds trois choses: premièrement, les Francophones de ce pays, mais c'est d'abord et essentiellement et de très loin les Wallons et la Wallonie; nous resterons cependant toujours solidaires des Bruxellois francophones, mais il ne nous plaît pas - in'nous plait nin - qu'on nous le commande à travers cette institution désuète et dépassée qui nie notre identité et qui est la Communauté française; il y a quelque chose seulement qui dépasse évidemment la Wallonie c'est l'amour des autres peuples et de l'humanité.
Comme disent nos amis américains: Life, Liberty and the Pursuit of Happiness. La vie, la liberté et le bonheur. La vie, la liberté et le bonheur que l'on enlève en Wallonie à trop de chômeurs et d'exclus, notamment les jeunes. Alors que depuis 30 ans, les richesses globales de nos sociétés ont doublé sinon triplé, ce qui veut dire que, mathématiquement, il serait possible de donner du travail à tous les enfants de Wallonie.
Tous les enfants de Wallonie! Souvenez-vous des paroles de Marguerite Bervoets. C'est un écho à ces paroles. Et vous me permettrez de mettre ces mots de Marguerite Bervoets sur les lèvres aujourd'hui muettes de François Bovesse.
François Bovesse, Marguerite Bervoets! vous qui, à l'heure de l'héroïsme, songiez à vos enfants qui seraient libres, regardez, à cause du chômage et de l'exclusion, ils ne le sont pas tous!
François Bovesse, Marguerite Bervoets! regardez surtout, surtout, de vos yeux perdus, nos sociétés qui marchent vers de plus en plus d'injustice et de plus en plus de servitude. Nous ne le tolérerons pas parce que cette marche vers la servitude et l'injustice, à cause du néolibéralisme et de la Pensée unique, c'est une insulte à votre Sacrifice suprême pour la Patrie!
Comme c'est une insulte à la patrie wallonne, que de voir un grand journal francophone croire qu'il faut cracher pratiquement quotidiennement sur les symboles et efforts wallons, un grand journal francophone qui, n'a pas compris, lui non plus, que les Francophones, c'est d'abord les Wallons et la Wallonie.
Enfin, pour terminer, je n'accepte pas que l'on subordonne le salut wallon à l'État belge - non pas à la Belgique, encore moins à l'entente avec les Flamands qui est nécessaire, -met de Vlamingen - mais que l'on subordonne le salut wallon à l'État belge, alors que cet État nous a laissés tomber pendant un demi-siècle de déclin, dont nous sortons à peine, à tel point qu'il a fallu que les ouvriers wallons montent à Bruxelles 10 fois, 20 fois, cent fois, en vue de s'y faire matraquer pour y obtenir simplement ce qui nous était dû au nom de la simple Justice.
Au nom de la simple Justice, je demande que soit supprimé le chômage et que soit supprimée la Communauté française! Je demande que vive la Wallonie mais, surtout, que Vive la République!