Pol Vandromme vient de mourir

30 May, 2009

Littérature

Pol Vandromme né à Gilly le 12 mars 1927 vient de mourir à Loverval ce 28 mai 2009. Journaliste, rédacteur en chef et directeur du quotidien Le Rappel, administrateur de la RTBF, éditorialiste, essayiste, critique littéraire, romancier et mémorialiste, correspondant de journaux belges et étrangers, l'abondance de son oeuvre défie le compte rendu. Il fut l'un des écrivains wallons d'envergure internationale, auteur d'une oeuvre abondante et diverse, attachante par son esprit anticonformiste et son écriture vivante. Il est lauréat du Prix Charles Plisnier (1966), du Prix Emmanuel Vossaert ( 1984), du Grand Prix du Rayonnement français ( 1984), du Prix Francophonie de l'Union des éditeurs de langue française (1991), et du Grand Prix de la Critique de l'Académie française (1982), du Prix de la meilleure critique littéraire de l'année 1996, à Cognac (France), pour son indépendance et ses qualités d'écriture. Bernard Clavel a dit de lui: « C'est l'un des plus grands critiques de langue française. » On aura une idée de la variété de ses écritures en consultant Wikipédia 1

Il avait publié en 1996 aux éditions Racine un livre intitulé Une mémoire de Wallonie dédicacé « A Florence, à Thomas et Pauline pour qu'ils sachent d'où ils viennent. »

Pol Vandromme a parcouru tous les sujets, mais on ne peut s'empêcher de le compter parmi ceux qui ont le mieux parlé de la Wallonie et de certains de ses grands écrivains. De son identité aussi. En hommage à ce virtuose de la plume, nous donnerons deux de xes textes à lire qui disent son art et ses convictions, son enracinement aussi.

Il a beaucoup parlé de l'identité wallonne tout en s'opposant en un violent pamphlet au Manifeste pour la culture wallonne (Les gribouilles du repli wallon, Laudelout, Bruxelles, 1983), dont on trouvera des extraits en tapant Pol Vandromme sur le moteur de recherche de ce site.

La Wallonie ses miracles et ses fêtes

Sur la terre commune, martelée par les lansquenets allemands, les cavaliers autrichiens, les mousquetaires espagnols, les gardes françaises, les montagnes magiques de la peinture se gravissent au Nord plutôt qu'au Sud. Mais si nous regardons avec un mélange d'envie et d'émerveillement la marée de l'art des Flandres nous n'avons pas à rougir de nos cathédrales et de nos châteaux, de nos monastères et de nos hôtels patriciens. Ce sont de beaux souvenirs pour l'enchantement de la mémoire. Que notre protocole roule les tambours en l'honneur de notre peuple d'artisans. Nos ferronniers, nos batteurs de cuivre, nos céramistes, nos tapissiers de haute lisse, nos sculpteurs, ceux qui habillèrent nos murs de pourpre, qui tissèrent le linceul de pierre des gisants, qui bâtirent les socles et les voûtes, qui torturèrent le bois avec précaution pour qu'il pousse le cri de sa tendresse, voilà les ancêtres de notre esprit et de notre labeur, les pages et les princes de notre royaume culturel . bous les rencontrons partout, aux jubés et dans le choeur lyrique de nos cathédrales au pied de nos escaliers monumentaux et à l'entrée des salons d'apparat, dans nos maisons profondes à l'ébénisterie embrasée par la lumière qui tombe des lustres de cristal - partout, à Tournai, à Mons, à Liège où la Wallonie déploie ses miracles et ses fêtes.

(Pol Vandromme, La Belgique francophone, Labor, Bruxelles, 1980, pp. 63-64)

Mons et Plisnier

N'est pas Montois qui veut : les généalogies se passent au crible et leurs registres se tiennent à jour. Plisnier l'était de cœur et d'âme, avec une piété et une révolte inextinguibles. Mons ne le quitta jamais : ce fut l'enracinement de son œuvre, la passion forte et fidèle de sa vie. On la voit partout dans ses livres, dans Une voix d'or, dans L'Enfant aux stigmates, dans Patrimoine. Quand elle ne se lit pas dans le texte, elle se devine dans les marges romanesques. Ce qui s'avance sans masque, c'est la poésie de ses apprentissages à l'aube du matin profond. Ce qui se camoufle, sans jamais travailler à se rendre méconnaissable, c'est ce qui offusque cette poésie - la nuit confinée, mesquine, avare, qui recouvre le paradis perdu.

Une enfance montoise, évoquée sous le regard de sa mère, et le génie des lieux, dans une mémoire sédentaire et extatique, le génie même d'un clan. Fils de cette ville, parce que fils de cette mère. On naît dans une cité, c'est l'âge à ses débuts, le paysage à l'orée des contes et l'exemple familier qui éduque plus subtilement et plus durablement que les précepteurs. Mère, mère montoise, mère goethéenne. Plisnier nous invite rétrospectivement à la création du monde. Ville d'une enfance, et reconstituée après coup, pour se consoler des grandes personnes, de leurs figures renfrognées, de leurs manigances et de leur fourberie : c'était doux c'était frais, c'était lumineux, c'était cristallin, le printemps dans les fleurs, la symphonie des toits sous la neige bleue, les ombrelles sous les marronniers, et ce bonheur dans les yeux de sa mère. « Je ne sais si, comme moi, tu aimas cette ville. Lorsque j'avais ton âge, je la connaissais jusque dans le dernier arbre de ses squares, là où chante toujours le même oiseau, jusque dans la ruelle de son coeur, là où une femme en bigoudis venait achever de se peindre sur le seuil. Si l'on m'avait bandé les yeux et laissé quelque part, au bruit particulier de mes pas, à l'odeur spéciale du vent, des feuilles, je me fusse retrouvé. » [Citation de L'Enfant aux stigmates]Plisnier flairait sa piste; et, si loin que l'aient jamais conduit ses vadrouilles d'idéologue avant-gardiste, il ne s'égara jamais, recensant toujours à la trace la route du premier jardin et de la première femme. Mons, enfance d'un fils dans l'amour d'une mère.

Puis, l'adolescence est venue, avec ses dépits, ses colères, ses venins, cet idéalisme qui désespère de la vie et qui, au fond de ce désespoir, exalte le dieu inconnu comme un providence. Tout s'éclate et se rompt. Voici l'envers de la ville, étalé dans les romans rancuniers, écrits au fusain, sous la dictée de la caricature fébrile et d'un spiritualisme de mage, à mi-chemin des boutiques sulpiciennes et du Polyeucte de Corneille. La bourgeoisie est tirée de ses repaires. On force ses placards, les cadavres grouillent, la vermine dégringole et le jeu de massacre commence [...] « Le drame de Noël, notait Plisnier du personnage principal de Meurtres, est celui de l'homme qui a une vie intérieure, dans un monde qui n'en a pas. » Voilà la phrase capitale. Capitale dans tous les sens : en forme d'exécution et disant le dégoût d'un insurgé. Le Mons bourgeois n'est qu'un squelette, la vie intérieure s'est retirée de lui. Il n'y a plus d'enfance : il n'y a plus que des stigmates, et le sang des pauvres que rien ne sanctifie, et la mère des douleurs devant le Christ aux outrages. Mons de la malédiction, insultant la face auguste de l'humanité et de l'existence. Mons-repoussoir après le Mons-faire-valoir. [...]

Ce qu'il a fini par comprendre, en se frottant à tous les braseros que l'Histoire installa aux carrefours dangereux de la sensibilité contemporaine, c'est qu'en lui la piété filiale commandait tout et qu'elle l'appelait fabuleusement à la connaissance de l'indicible. Mère, je suis venu à ton rendez-vous montois. Une attente une quête, une tension perpétuelle, et la récompense au sein du mystère et de la grâce. Plisnier découvrait ce qu'il avait cherché dans le sarcasme, dans le blasphème, dans sa détresse de vieil enfant qui se croyait perdu, dans cette nuit de Gethsémani. Il était là, avec le cantique de son berceau, pour saluer son aube, lui qui avait sacrifié son bonheur à son salut, et pour y reconnaître, avec le visage de sa mère, la vertui de son intercession.

Par là cette vie, qui sembla forcenée et chaotique, exprimait, dans ses déraisons apparentes, l'intelligence de l'essentiel et la droiture d'un prosélyte traqué par la difficulté d'être. Un coeur à nu, une âme à vif, un siècle tragique et fou et, de l'autre côté, l'enfance comme une armure de chevalier, l'errance comme une ascèse, les mots comme une liturgie, la communion des saints comme une prière exaucée. C'était quelqu'un Plisnier...

Pol Vandromme, Hainaut, Terre tenue de Dieu et du soleil, Labour Bruxelles, 1980, pp. 65-70.


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