"Choisir l'avenir" et postrégionalisme wallon

République n°40, novembre 1996

Journal République

Le compte rendu critique de Choisir l'Avenir que nous a livré José Fontaine dans le numéro précédent de République [ Choisir l'avenir (1996) ] ouvre un nouveau débat, celui du postrégionalisme wallon. Il n'empêche, vraies et fausses lectures de ce manifeste doivent être clarifiées. Les succès obtenus par le Manifeste Choisir l'Avenir" sont évidents. Larges échos dans les médias wallons, flamands, bruxellois ou dans les colonnes du Monde. Intérêts, inévitablement discrets, dans les salons diplomatiques européens, notamment français, mais aussi des USA ou du Québec. Intérêts empreints de crainte au sein des états-majors politiques flamands.

Les adhésions individuelles sont d'importance (Jean-Charles Jacquemain, Claude Javeau, Jean-Jacques Lambin, Christian De Duve, André Goosse, Daniel Seiler,...), mais elles sont aussi diverses: de François Rigaux à Francis Delpérée, de Thierry Haumont ou Robert Delieu à France Bastia ou Charles Bertin, de Jacques Yerna à Laurent Levaux, de Etienne Duvieusart à André Lagasse...

Bruxelles et Wallonie

José Fontaine soulignait que le principal mérite du texte résidait dans une réponse non stérilement défensive face à la stratégie offensive développée par la Flandre en matière institutionnelle. Faut-il y voir la raison de ce succès? C'est en effet l'objet du Manifeste que de vouloir privilégier la « contradiction principale » - la menace que le mouvement flamand fait peser sur les Wallons et sur les Bruxellois - par rapport à la « contradiction secondaire » - les rapports parfois difficiles entre Wallons et Bruxellois - (page 13).

Si la contradiction principale peut contribuer à forger une « communauté de destin » entre Bruxelles et la Wallonie, la contradiction secondaire n'est pas omise: « Grâce à la régionalisation qui a accordé aux deux entités leurs instances politiques propres, elles sont tenues de respecter mutuellement leur autonomie." »(page 13).

Ajoutons que, toujours dans ce cadre institutionnel actuel, Wallons et Bruxellois francophones disposent des moyens d'approfondir la régionalisation de compétences communautaires sans autre condition que les majorités requises au sein des assemblées de la COCOF, de la Communauté française et de la Région wallonne (article 131 de la Constitution). Il semble en effet qu'une Saint-Quentin bis en matière culturelle contribuerait à renforcer la reconnaissance d'une singularité culturelle de Wallonie, ou qu'une nécessaire adéquation entre l'école et la société ou l'économie wallonnes pourrait être assurée. Deux perspectives exemplatives que refuse le président du PRL-FDF Louis Michel au nom de sa préférence pour un "espace francophone".

Mais il importe aussi d'envisager cette contradiction secondaire à la lumière des probabilités séparatistes.

A ce sujet, Choisir l'Avenir refuse tout confédéralisme car « il n'a d'autre consistance que d'offrir une nouvelle étape transitoire vers la sécession et de permettre à la Flandre de conserver un contrôle sur Bruxelles en se soustrayant de la Belgique fédérale » (p.4) (et dès lors des obligations de solidarité...). Le Manifeste plaide dans un premier temps pour la renégociation d'un fédéralisme équilibré et énonce de premières revendications dans cette optique. Sous l'effet conjugué d'un refus flamand face à ces revendications et d'une surestimation des gains produits par un choix sécessionniste '1, ce premier scénario en faveur d'un fédéralisme équilibré pourrait relever de la démonstration par l'absurde.

Par ailleurs, l'irréalisme d'un statut européen de Bruxelles, Ville-Etat ou sorte de Washington-DC de l'Union européenne, est démontré.

Une réflexion sur le postrégionalisme wallon consiste à opérer une simulation de l'actuelle situation de primauté régionale (cadre fédéral) dans de nouveaux contextes étatiques, la filiation entre le débat « régionalistes-communautaristes » qui s'est soldé par la victoire ambiguë 2 - ainsi que temporaire et incomplète - des premiers en 1993 et celui du postrégionalisme wallon réside en cette question: faire prévaloir la Wallonie (et son identité) ou la nier au nom d'un motif "francophone" élevé au rang de raison d'Etat.

Le scénario de création d'un Etat Wallonie-Bruxelles en cas de sécession flamande repose, selon les auteurs de "choisir l'avenir", sur cette condition: "les deux Régions devront décider de leur avenir en recourant au référendum: vivre séparément ou former entre elles une confédération (on voit mal un retour à un Etat unitaire). La fédération est la forme d'Etat qui leur permettrait d'assurer leur solidarité tout en conservant leur autonomie". (p.22)

Si cette hypothèse à laquelle 67% des Wallons accordaient leur préférence en 1992 dans le cas du séparatisme 3se confirmait, l'issue du référendum traduirait nécessairement des aspirations politiques partagées au-delà des critères de nécessité fonctionnelle. Elle répondrait en outre à l'objection d'une Ville-Etat capitale de l'Europe relevant de la politique-fiction.

Ayant permis la sauvegarde à Bruxelles d'une importante fonction européenne, les Wallons devraient installer l'ensemble des fonctions de la capitale de l'Etat à Namur (ou renouveler ce pacte des villes wallonnes déjà revu en 1994). Chaque nouvelle entité fédérée s'accommoderait sans peine de ses minorités (flamande à Bruxelles, germanophone en Wallonie si ceux-ci désirent participer au nouvel Etat), leur protection pouvant être garantie par une ratification de la convention-cadre sur la protection des minorités du Conseil de l'Europe.

Mais c'est en ceci que les rapports Wallonie-Bruxelles connaîtraient leur véritable révolution: comment envisager une indifférence des élites bruxelloises, quelles que soient leurs origines, vis-à-vis de 75% de la population de l'Etat? Comment encore pouvoir artificiellement amalgamer des politiques culturelles si le prétexte de la menace extérieure a disparu? Toute crainte de phagocytation de l'identité wallonne par Bruxelles ne pourrait désormais être invoquée qu'en exprimant corollairement les plus grands doutes des Wallons sur eux-mêmes... Et s'éloigne le spectre d'un Etat francophone unitaire... Selon le point de vue bruxellois, l'alternative se situe entre ce scénario et la flamandisation, même si, dans les deux cas, le statut de ville capitale européenne est maintenu.

Et la France?

La perspective d'un rapprochement avec la France doit aussi être envisagée sous l'angle postrégionaliste wallon. Une réunion pure et simple - c'est-à-dire une annexion de la Wallonie par la France - n'est pas à envisager tant seraient grandes les réticences des Etats membres de l'Union européenne. Heureuse-ment! L'accepter aurait été pour les Wallons renoncer à une autonomie progressivement élargie depuis 1970: envisagerait-on sérieusement une équipollence des normes du Parlement wallon et de l'Assemblée nationale? De plus, renoncerait-on pour l'avenir à l'avantage d'un commissaire wallon européen? Wallonie-Corse même combat? Ces quelques exemples indiquent le véritable enjeu de dignité collective qu'il aurait fallu affronter. Dans cet esprit, la lecture récente d'une interview de Louis Michel dans Le Figaro est édifiante: nourrissant une crainte agressive à l'encontre des socialistes, il s'y révèle un anti-Homme d'Etat wallon!

Selon Choisir l'Avenir, « la dissolution de l'Etat belge aura certainement eu pour effet de rapprocher les Francophones de la France, ce qui impliquera au minimum, le développement de liens de coopération ». Une mise en garde (dépassant le cadre du post-régionalisme wallon), est aussi mentionnée dans le Manifeste: « le rattachement à la France pourrait servir de justification à l'abandon des francophones de Bruxelles »(page 23).

Un traité d'association entre la Wallonie et la France serait souhaitable dans la mesure où il concilie rapprochement et autonomie. A chacun d'évaluer l'opportunité ou non de le situer dans le cadre de relations extérieures de la Wallonie ou dans celui de l'Etat Wallonie-Bruxelles. A titre exemplatif, le Ministre wallon Jean-Claude Van Cauwenberghe a ainsi pris récemment position pour un Etat bi-régional Wallonie-Bruxelles associé à la France 4

L'analyse prospective de Choisir l'avenir participe de ce débat postrégionaliste wallon en insistant sur les meilleures opportunités dont dispose la Wallonie pour son affirmation collective.

Les réalités finissent par prévaloir: la Wallonie est une réalité, donc la Wallonie prévaudra, disait Marcel Thiry. Réalité de chômage, d'exclusion ou de déclin? Réalité de renouveau démocratique, de modèle social adapté, de redémarrage économique? La réponse est dans la tête et dans les mains des Wallons.

Vincent Vagman

Ce qui est dit n'est pas dit

Le compte rendu critique de Choisir l'Avenir que nous a livré José Fontaine dans le numéro précédent de République ouvre un nouveau débat, celui du postrégionalisme wallon. Il n'empêche, vraies et fausses lectures de ce manifeste doivent être clarifiées.

Les Flamands sont-ils tous diabolisés au point d'être considérés comme proches des « monomaniaques du "België barst" »? (dixit J.Fontaine). Choisir l'avenir p. 5: « Il existe une composante très réduite, mais la plus dangereuse du mouvement nationaliste: celle des groupuscules activistes et milices privées (...) Ces groupuscules n'ont jamais été désavoués de façon catégorique par les autres composantes du mouvement flamand (...) les monomaniaques du "België barst" peuvent menacer la résolution pacifique d'une scission de l'Etat belge » et (p.12) "La Flandre n'est pas l'ennemi".

Passé wallon oublié? Avenir wallon confisqué?

Selon J.Fontaine, une dimension de la réalité wallonne est oubliée: une Wallonie de la révolution industrielle, berceau du socialisme. Les auteurs de Choisir l'avenir omettraient l'acharnement à obtenir une régionalisation économique qui n'était pas au programme de la Flandre, oublieraient que la centralisation excessive de l'Etat belge est une cause du déclin wallon.

Choisir l'avenir (pp12-13): « L'aspiration à l'autonomie régionale socio-économique se nourrira de la réaction wallonne au transfert sud-nord des moyens de développement économique (...) La loi d'expansion économique de 1959, censée assurer le rattrapage wallon n'a pas joué son rôle, le Gouvernement belge s'appliquant à compenser l'aide aux régions wallonnes en déclin par celle à des zones flamandes (...) Sidmar fut créée en concurrence avec la sidérurgie wallonne en partie avec les bénéfices réalisés à Liège par Cockerill (...) Le slogan "plus un franc flamand pour l'acier wallon (...) fut reçu comme une gifle par les sidérurgistes wallons qui savaient ce que Sidmar leur avait doublement coûté en transferts d'investissements et en concurrence (...) le MPW et Rénovation wallonne revendiquant l'autonomie des trois région ».

Et José Fontaine considère plus largement que la mémoire wallonne est oubliée. Choisir l'avenir (p.13) évoque la lettre au roi de J.Destrée dans laquelle ce dernier « proteste contre la prédominance dans l'histoire officielle de Belgique de héros et artistes flamands, qui a pour effet d'atténuer les figures du passé wallon ». Quant à la question fondamentale: faut-il enlever son identité à la Wallonie pour qu'elle puisse être conçue comme unie à Bruxelles? Choisir l'avenir, p. 13: « Ceux qui craignaient un pouvoir trop grand de Bruxelles sur la Wallonie peuvent être aujourd'hui rassurés: grâce à la régionalisation qui a accordé aux deux entités leurs instances politiques propres, elles sont tenues de respecter mutuellement leur autonomie. »

Et aussi...

On ne peut admettre que Choisir l'avenir soit conservateur en omettant "volontairement" (dixit José Fontaine) les luttes sociales de la Wallonie. Par ailleurs, où Choisir l'avenir aurait-il sciemment exprimé son approbation de l'Europe de Maastricht?

Vincent Vagman


  1. 1. Un choix de sécession apparaissant ipso facto si, à l'occasion de consultations régionales, une majorité de Flamands refusait le maintien de solidarités intra-belges, au contraire de souhaits inverses exprimés par une majorité de Wallons et de Bruxellois.
  2. 2. Sur l'ambiguïté de cette victoire, les arguments budgétaires l'emportant sur les arguments identitaires, voir V.Vagman, Le mouvement wallon et la question bruxelloise, CH du CRISP.
  3. 3. Selon un sondage du Vif-L'Express de novembre 1992, la formule de l'indépendance de la Wallonie recueillant 19,6% et celle du rattachement à la France 9,8%.
  4. 4. Le Soir, 6 septembre 1996.