Mort de Johan Anthierens
Johan Anthierens, mort le 20 mars dernier, était né le 22 août 1937. L.Abicht en parle dans les lignes qui suivent. Johan Anthierens, rencontré notamment à des débats sur la République organisés avec l'AIT de Ph.Larsimont, admirait notre lutte et certains des nôtres comme Denise van Dam.?TOUDI ou République ont commenté certains de ses livres: sur Irma Laplace ou Brief aan een postzegel, publié des extraits de De tricolore Tranen publié après la mort de Baudouin Ier. Il avait raconté la façon dont j'avais été congédié de Télépro suite à une critique du roi (République avril 92) et m'avait demandé d'écrire une lettre qui figure dans son livre sur la Tour de l'Yser.?Ce Flamand a lutté pour une Flandre débarrassée du cléricalisme et des dérives fascistes. Au dernier hommage à la VUB le 25 mars, les discours mirent en évidence ses qualités de père et d'époux (l'anarchiste qu'il était était " familial sans le familialisme"). D'autres soulignèrent engagement, talent d'écrivain, refus des embrigadements. Il y avait là Corijn, Van Istendael, Ruys, Neyts, Goossens... : une Flandre souvent laïque, progressiste et... flamande.?Toutes les chansons étaient en français (Brel, Ferré, Brassens): cette Flandre ouverte à la culture française, jalouse de son identité, passionnée de la Liberté, c'est celle d'Anthierens et qui étouffera la " Bête surgie du ventre immonde ". JF
Quelques moments avec Anthierens
1964. Le charme de la chanson
Ma femme et moi étions en ces temps-là de grands fans de Brassens, Ferré, Barbara et les autres. Lorsque, lors d'une soirée printanière dans une salle de Westende, Johan Anthierens mit la chanteuse Mireille Mathieu au programme (elle n'était pas encore connue en Flandre), nous n'avions pas été seulement impressionnés par la facilité avec laquelle il parlait à chacun durant cette soirée mais aussi par le message lui-même: voici des chanteurs et des poètes au travail qui relient sans complexes leurs propres émotions et leur créativité aux grands problèmes de la société et, dans cette démarche, ils sont probablement plus efficaces que beaucoup de politiciens et de théoriciens.
1978 (?) La fête de la chanson flamande progressiste
Les Flamands chantent volontiers. De cette propension est née, avant pendant et après la guerre la tradition des " Vlaams Nationale Zangfeesten " qui n'a jamais pu se déprendre tout à fait du souvenir des années de guerre et de la nostalgie du romantisme populaire. C'est alors que Johan Anthierens songea à une nouvelle formule: pourquoi ne pas mettre sur pied une " Vlaamse Progressieve Zangfeest " où à côté des groupes flamands progressistes, des choeurs wallons ou des groupes turcs ou marocains pouvaient aussi se produire? Ce fut une expérience intéressante mais après deux années de ces fêtes de la chanson il apparut à quel point c'était difficile de construire une nouvelle tradition internationaliste, à la fois proche et différente des nationalistes flamands romantiques. L'expérience cadrait avec sa stratégie d'enlever à des personnes à qui elle ne sied pas la dimension sociale et progressiste du mouvement flamand et de montrer qu'il pouvait y a voir une approche toute différente de ce mouvement d'émancipation. Je continue à penser qu'il est dommage qu'il n'y soit pas parvenu mais cela reste son mérite de l'avoir tenté.
1981 Dehors les missiles!
La rencontre suivante ce fut la grande manifestation anti-missiles à Bruxelles. Johan et moi nous nous sommes heurtés au coeur de la foule et nous avions fait un bout de chemin ensemble. Anthierens m'est apparu, en dépit de sa peur panique des programmes et organisations politiques, comme un pacifiste activiste qui, dans ces circonstances, descendait volontiers dans la rue pour exprimer son mécontentement de la politique pro-OTAN du gouvernement.
Les années 80: Moderator cum ira et studio
Dans les années 80, je fus ici et là dans des carrefours avec Anthierens où il jouait souvent le rôle de " modérateur ". S'il y a bien quelque chose que Johan n'était pas, c'était " modéré ". Il avait ainsi des opinions déterminées et ne craignait pas de les introduire dans le débat public. Que cela se rapporte à la République, dont il était un fervent partisan, ou qu'il s'agisse de l'intégration des étrangers, de la lutte contre l'extrême-droite ou de l'anticléricalisme, toujours il était radical et sans équivoque et du coup pas nuancé mais authentique.
Les années 90 Willem Elsschot
Cela doit être en 1996 ou 1997 que j'ai invité Johan à l'Institut Supérieur pour Traducteurs et Interprètes d'Anvers pour la conférence inaugurale à l'occasion de l'ouverture solennelle de l'auditoire " Willem Elsschot ". Johan avait déjà à publier tout sur cet auteur fantasque et entêté, le maître de l'understatement. Il le fit par amour pour l'oeuvre et la personne d'Elsschot mais aussi parce qu'il pensait que cet auteur avait réussi à rester debout et indépendant dans le vie moderne et n'avait pas peur de brandir leur hypocrisie au nez des petits-bourgeois. Qu'Anthierens se soit heurté par là aux défenseurs plus traditionnels de la " La culture et littérature flamandes " ne pouvait que le renforcer dans la pertinence de sa démarche. La lutte en faveur de la mémoire d'Elsschot fut de cette façon un symbole d'une autre lutte pour une société dont il rêvait: ouverte, sans complexes, engagée, tout sauf crédule.
1998. Notre dernière conversation
Johan Anthierens était probablement par réaction contre son milieu familial, réellement obsédé par les résidus de la pensée collaborationniste en Flandre. De cela témoigne entre autres son ouvrage sur la Tour de l'Yser (" Onze trots en onze schande ") et son ardeur à célébrer le souvenir des résistants qui furent tués par les Allemands parfois avec l'aide de collabos flamands. Je partageais ce souci mais pensais que le temps était venu d'avoir sur toute cette période de 1940 à 1950 un grand débat public où tout pouvait être mis sur la table. Parce que Johan trouvait que, dans mon enthousiasme, je mettais trop l'accent sur la répression après la guerre et que je ne montrais pas assez d'attention aux souffrances des victimes de l'occupation, nous décidâmes d'avoir un jour une discussion approfondie. Nous nous retrouvâmes chacun cette après-midi -là dans notre engagement pour une Flandre démocratique mais nous restâmes partagés sur cette période gênante et qui gêne toujours de notre histoire. Ou peut-être que c'était aussi l'affaire de nos tempéraments différents: il était beaucoup plus hésitant que moi vis-à-vis d'une réhabilitation et de nuances à faire, et à côté de cela il y avait aussi la critique à faire sur le rôle de la résistance après 1945. Ce n'était pas un dialogue de sourds mais c'était trop tôt pour une autre synthèse des deux points de vue, aussi désireux que nous étions d'y parvenir.
2000 Adieu à un républicain et anarchiste
Les nombreux moments avec Anthierens, c'est fini hélas! Mais il est impossible de devenir membre de la " Société des Républicains Progressistes " ou de se passionner pour un dialogue interculturel entre tous les groupes de notre société sans par là se souvenir qu'Anthierens a joué un rôle de précurseur. Quand on sort du Studio Herman Teirlink on se heurte à la statue de Willem Elsschot et on se rappelle que cela a été aussi une initiative de Johan Anthierens. Quand on met en route un CD de Brel on se rappelle combien il en a été un grand défenseur et prosélyte
Cela aurait été d'ailleurs étonnant si ses amis avaient été d'accord avec Johan en toutes ses orientations. Je soupçonne même qu'il aurait été désolé de voir combien de gens lui donnèrent raison, car comment se sentir alors encore un anarchiste conséquent?
Si son projet a été de nous obliger à penser les grands et petits problèmes sociaux et individuels, alors il a parfaitement réussi. Je me demande sur combien de ses contemporains on pourrait dire la même chose sans hésitation.
Ludo Abicht