De l'esprit de la résistance à l'idéal républicain (1940-1999)

Toudi mensuel n°24, janvier 2000

Déplacée, une profession de foi républicaine lors d'une cérémonie d'hommage aux anciens combattants, prisonniers et résistants ??Ceux qui se sont indignés ont la mémoire courte ou le jugement conditionné par des décennies d'occultation de l'histoire réelle de la Wallonie.

Rappelons ici 5 moments de cette histoire wallonne trop méconnue.

1. Voici ce que proclamait la « Déclaration fondamentale du R.D.S.W. » diffusée à la Libération en novembre 1944 :

« I. La Wallonie appartient aux Wallons et à eux seuls.

Les Wallons revendiquent à leur profit l'application du principe du « droit des peuples de disposer d'eux-mêmes ».

Disposant d'eux-mêmes, ils travailleront à l'intégration de la Wallonie dans le système économique et défensif de la France.

II. La Wallonie fait sien l'idéal de paix internationale dans la sécurité collective et le désarmement, qui, seul, peut assurer le développement harmonieux de la communauté humaine.

Les Wallons se considèrent comme citoyens du monde.

III. La Wallonie se constituera en régime démocratique et républicain.

La Démocratie, c'est-à-dire le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, doit assurer à chacun l'usage des libertés essentielles : liberté de pensée, liberté d'opinion, liberté des cultes, liberté de la presse, de l'enseignement et de la parole, etc.

L'usage de ces libertés est conditionné par le respect de la liberté d'autrui et de la dignité des citoyens.

[...] » 1

Le Rassemblement Démocratique et Socialiste Wallon fut créé à Liège le 6 décembre 1942 dans la clandestinité par des résistants de tendances libérale et socialiste pour préparer l'avenir de la Wallonie après la Guerre.?Des marginaux écervelés, ceux qui en faisaient partie ? : Fernand Dehousse (professeur d'université, futur sénateur et ministre, qui sera actif également à l'ONU, au Conseil de l'Europe et au Parlement européen), François Van Belle (député-bourgmestre, vice-président de la Chambre), Fernand Schreurs (avocat), Robert Lambion (syndicaliste), ...

2. Plusieurs de ceux-ci et d'autres, de toutes tendances philosophiques et politiques, animèrent La Wallonie Libre, reconnue officiellement mouvement de résistance (par l'arrêté du Régent du 1er février 1949), et qui fut même le premier mouvement de résistance à l'Occupant, créé dès le 18 juin 1940. (Eh oui, le jour même de l'appel du Général De Gaulle ! Légende reconstruite à posteriori ? Non, tout simplement une heureuse coïncidence due à la fidélité d'une poignée d'irréductibles militants wallons à une tradition établie par le mouvement wallon depuis 1928 : manifester son attachement à la France et à ses valeurs en se rassemblant chaque année à Waterloo, au monument de l'Aigle blessé, pour commémorer l'attristante défaite de l'armée française le 18 juin 1815).

Dès le mois d'août 1940, le premier numéro du journal clandestin La Wallonie libre proclame :

« Amis wallons, le Mouvement wallon, votre mouvement wallon n'est pas mort.?Il vit dans vos cœurs et dans vos actes. Il se développe malgré tout dans nos villes blessées et nos villages meurtris.[...]

La République wallonne s'annonce déjà à l'horizon. Des hommes courageux et fiers, aux conceptions sociales hardies, la préparent avec enthousiasme. Soyez dès à présent prêts à répondre à leur appel.

VINDEX » 2

En mai 1943, le Directoire de La Wallonie Libre prépare un plan d'action pour l'immédiate après-guerre, dont le principe est le suivant : « Le Mouvement Wallonie Libre a pour but la création d'un État wallon de forme républicaine et démocratique en vertu du droit des peuples à disposer de leur sort » et qui propose en annexe un « Exemple de décret » en 9 articles, à proclamer dès la Libération :

« République wallonne.

Le Gouvernement provisoire de la République décrète :

Art. 1. A dater de ce jour, la Wallonie forme une République démocratique indépendante, dont Liège est la capitale.? Art. 2. Le maintien de l'ordre est confié à l'ensemble du peuple qui constitue, dans ce but, dans toutes les villes et dans tous les villages, des milices wallonnes, chargées de la protection des citoyens et des biens de la nation. Les miliciens porteront au bras gauche un brassard rouge et jaune.[...] » 3

3. Finalement, sur l'initiative de La Wallonie Libre, c'est un grand Congrès national wallon de plus de 1000 personnes, d'horizons philosophiques, politiques et professionnels variés, qui sera organisé les 20 et 21 octobre 1945 à Liège, présidé par le Ministre d'État Joseph Merlot, revenu depuis peu des camps allemands.

Il fallait choisir, par un double vote, « sentimental » puis « de raison », une des 4 solutions représentatives des principales tendances du mouvement wallon : 1. Le maintien de la Belgique unitaire avec quelques aménagements ; 2. L'autonomie de la Wallonie dans le cadre de la Belgique (c'est-à-dire le fédéralisme) ; 3. L'indépendance complète de la Wallonie ; 4. La réunion à la France. C'est cette dernière option qui obtint « sentimentalement » la majorité relative (486 voix sur 1048 votes, soit 46 %), avant que l'option fédéraliste ne soit « raisonnablement » adoptée à la quasi-unanimité.

Au-delà des multiples interprétations contradictoires auxquelles a donné lieu ce premier vote sentimental majoritaire en faveur de la réunion à la République française, on peut y voir notamment une dimension de remise à l'honneur des idéaux de la Révolution française. 4

4. Si la représentativité du Congrès national wallon a pu être mise en doute par ses détracteurs, nul ne peut par contre négliger le résultat de la consultation populaire du 12 mars 1950 relative au retour du roi Léopold III en Belgique : 58 % des Wallons disent non !

Bien sûr, ces 58 % de Wallons ne se prononcent pas pour l'instauration concrète d'un régime républicain, mais ces 58 % de refus de Léopold III et de ce que celui-ci représentait comme conception de la chose publique peuvent être considérés comme se rapprochant de l'idéal républicain.

5. Enfin, le retour de Léopold III en Belgique le 22 juillet 1950 est contesté en Wallonie par une grève générale à partir du 26 juillet 1950. D'anciens résistants reprennent du service : une cinquantaine d'attentats à l'explosif est enregistrée par la Sûreté belge en quelques jours. Le Ministre d'État Joseph Merlot menace de convoquer des « États généraux de Wallonie ». Le 30 juillet, quatre manifestants sont tués par la gendarmerie à Grâce-Berleur. La situation devient insurrectionnelle. Une marche sur Bruxelles est prévue pour le 1er août. Finalement, le Roi se retirera en faveur de son fils Baudouin dans la nuit du 31 juillet au 1er août.

Fut alors abandonné un projet de sécession de la Wallonie conduite par un Gouvernement wallon provisoire. Plusieurs réunions secrètes se sont tenues dans ce but à Liège à la fin juillet, rassemblant notamment Joseph Merlot, Fernand Dehousse, Fernand Schreurs, François Van Belle, le leader syndicaliste André Renard, le député Simon Pâque, le bourgmestre de Liège Paul Gruselin et son chef de la police, ainsi que le Consul général de France, Jules Daniel-Lamazière, qui aurait même promis le soutien de deux régiments de la République française. 5

Vu le résultat de la consultation populaire quelques mois plus tôt et la dureté de la grève générale en cours, l'éventualité d'un basculement de l'Histoire en Wallonie à ce moment n'est pas une absurdité.

On fut bien alors à deux doigts d'une procédure d'instauration d'une République wallonne, portée par d'anciens résistants et prisonniers.

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On peut conclure de ce bref rappel historique que, malgré tout le respect qu'on leur doit pour leur combat et leurs sacrifices, les anciens combattants, prisonniers et résistants favorables à la Belgique unitaire et à la monarchie ne peuvent prétendre au monopole de l'esprit de Résistance et de Liberté.

Ils ne peuvent confisquer l'Histoire.

De nombreux Wallons ont combattu animés par un autre idéal.

J.-P. H

Remarque : Nous n'avons pointé ici que quelques éléments d'un idéal républicain à l'œuvre dans l'histoire récente de la Wallonie, pour mettre en question la légitimité de l'indignation monarchiste face à la profession de foi républicaine de José Fontaine au Cimetière de Belgrade lors des Fêtes de Wallonie le 19 septembre 1999.?La place nous manquait pour faire de même avec la dimension « belgicaine » de cette indignation. Rappelons simplement que c'est au nom même de leur combat pour la Wallonie au cours des décennies précédentes, que l'ensemble des militants wallons s'est engagé dans le combat pour la Liberté dès 1940, eux qui avec lucidité avaient fermement dénoncé la montée du nazisme et du rexisme dès leur apparition, et énergiquement combattu la politique de prétendue « neutralité » prônée, sous la pression du « Los van Frankrijk » flamingant, par Léopold III et le Gouvernement belge, lesquels mettaient sur le même plan la France démocratique et l'Allemagne nazie.

On lira avec profit sur tout ceci :

Philippe Destatte : L'identité wallonne : essai sur l'affirmation politique de la Wallonie aux XIX et XXèmes siècles, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1997, spécialement pp. 131-183 et 191-219.

Alain Colignon : La politique belge de neutralité mise en question par le mouvement wallon (1935-1940), in Le vent de la liberté, catalogue de l'exposition organisée à Welkenraedt dans le cadre du 50ème anniversaire de la Libération, 1994, pp. 47-51.

Marie-Françoise Gihousse : Mouvements wallons de résistance : mai 1940 - septembre 1944, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1984, 143 p. (tiré de son mémoire de licence en histoire, Louvain-la-Neuve, U.C.L., 1982, XXX-352 p., consultable au F.H.M.W.)

Le mouvement « Wallonie Libre », Bruxelles, Centre de recherche et d'information socio-politiques, Courrier hebdomadaire n° 413, 6 septembre 1968, 28 p.


  1. 1. Déclaration fondamentale du R.D.S.W., 1 feuillet, Fonds d'histoire du Mouvement wallon, Fonds R.D.S.W. C'est nous qui soulignons, ainsi que dans les citations suivantes.
  2. 2. Wallons toujours, in La Wallonie libre, n° [1], s.d. [août 1940], p. 1. Vindex est le pseudonyme de Maurice Bologne, professeur d'Athénée, futur sénateur.
  3. 3. Rapport sur les moyens propres à réaliser le but poursuivi, 2 feuillets, F.H.M.W., Fonds Van Belle, II, Wallonie libre.
  4. 4. Dans son introduction à la réédition de la pièce de Jean Louvet, Le coup de semonce, inspirée par le Congrès wallon de 1945 (Toudi, n° 18-19, mai 1999, p. 4-12), Pierre Fontaine rappelle justement la lutte constante de l'État belge contre le souvenir de la Révolution française.
  5. 5. José Fontaine : Le Gouvernement wallon de 1950, in Les faces cachées de la monarchie belge, Contradictions n° 65-66 / Toudi [annuel] n° 5, 1991, pp. 257-263.