Un Fonds pour le cinéma wallon

Toudi mensuel n°40, juin-juillet 2001

Le Fonds d'aide au cinéma wallon («Wallimage») vient d'être mis en place.. C'est la Région wallonne (qui jusqu'ici n'a pas de compétences culturelles), qui l'alimentera pour des motifs économiques. Le tournage d'un film entraîne dépenses d'hôtel, sollicitation de techniciens, d'artistes, de figurants locaux. La région que le film prend pour cadre peut, en cas de succès, se faire mieux connaître - dans une perspective publicitaire, mais aussi, éventuellement dans une perspective plus sociologique, acquérir de la visibilité, devenir attractive (touristes, investisseurs).

C'est un film enraciné dans le monde agricole, Le grand paysage d'Alexis Droeven de Jean-Jacques Andrien, qui a amené lointainement à la création de ce fonds. Peu après sa sortie en 1981, divers artistes, intellectuels, gens de terrain, économistes, syndicalistes signaient un Manifeste pour la culture wallonne où, l'accent était mis sur le lien entre culture et économie. Les principaux signataires se retrouvèrent en Ardenne quelques mois plus tard, avec, notamment Michel Quévit, des responsables agricoles. Et c'est là que furent jetées les bases du futur Fonds pour le cinéma wallon (à cette réunion le responsable du «Fonds», Philippe Reynaert, s'y trouvait également).

Ce projet devait cheminer lentement dans les esprits. La Communauté française Wallonie-Bruxelles a des problèmes de financement. La Wallonie a un peu plus de marge.

En outre, depuis Jean-Jacques Andrien, divers cinéastes ont suivi sa voie et ont inscrit la Wallonie dans des réalisations diverses: le rebond de Déjà s'envole la fleur maigre de Paul Meyer lors de sa première sortie à Paris en 1994 (alors que le film datait de 1959), le succès de La Promesse des Frères Dardenne en 1996, le succès plus éclatant encore de Rosetta en 1999, le travail d'un réalisateur comme Benoît Mariage avec Le signaleur ou encore Les convoyeurs attendent (en 1999), et le plus discutable (mais mal compris) C'est arrivé près de chez vous, (1994) le cinéma wallon a marqué la décennie.

À coté des 200 millions chichement accordés à notre cinéma francophone, la Région wallonne interviendra pour 100 millions sur un plan plus économique, somme jugée insuffisante par des spécialistes comme Jean-Jacques Andrien.

Le cinéma est un art et aussi une industrie. Jean-Michel Prodon, le fameux critique du journal Le Monde a même écrit un livre récemment intitulé La projection nationale, où il montre à quel point, les régions, les peuples, les nations finissent toujours par rencontrer le cinéma pour s'exprimer pleinement.

Le 21 janvier dernier, le critique de cinéma Luc Honorez du «Soir» citait dans son journal des propos outranciers de distributeurs sur les capacités de compréhension du public de Wallonie: «L'un à qui l'on demandait s'il traduirait en français le titre Hudsucker proxy répondit : "Ce film des Coen ne va pas en Wallonie, les spectateurs y sont trop cons pour l'apprécier." Désabusement d'un attaché de presse à propos du Roi danse: "A Bruxelles, le film marche bien. En Wallonie, raplapla. Les Wallons sont pas fut-fut"... Ou ce distributeur qui ne tire plus de copies pour les salles du sud du pays: "Ils n'iront pas voir. Trop subtil ."» Luc Honorez ajoutait: «Malheureusement, on peut additionner ces remarques blessantes...»

Malheureusement, de fait. Et aussi que la Région n'ait pu intervenir que tardivement dans cette industrie qu'est le cinéma (la chose est pratiquée en Régions de France depuis des décennies). Si les talents se confirment, contrairement à la vision pessimiste de certains distributeurs trop enfermés dans leurs préjugés, et grâce à cette nouvelle aide de la région, la Wallonie risque d'avoir enfin son cinéma à elle au coeur de la riche diversité francophone et européenne. C'est aussi à cause du monde agricole et de Jean-Jacques Andrien que la démarche a pu devenir effective.