Congédié à cause du roi à "Télépro"
Peu avant la fin du mois de juin 1991,l'hedomadaire Télépro où travaille José Fontaine depuis 11 ans (comme pigiste), lui demande d'écrire un papier sur la monarchie à l'occasion des fêtes de juillet. Télépro propose à ce journaliste d'écrire un papier plus critique qui paraîtrait en même temps (mais sur un espace moins important) qu'un article plus élogieux de Fernand Colleye qui a l'habitude de couvrir à la télé des événements comme voyages du pape, anniversaire du roi etc. Le texte envoyé par José Fontaine est le suivant (intitulé La monarchie : impossible à réformer).
Un dirigeant de patro, un père de famille doivent exercer leur autorité en disant leurs raisons d'agir ,auxquelles peuvent s'opposer d'autres raisons. C'est cela la démocratie. Les décisions qui concernent une société doivent être prises après qu'aient été confrontées les diverses opinions. Cela suppose la transparence de la décision,la soumission de celle-ci au contrôle. Pas seulement dans l'Etat... Or la monarchie échappe complètement à cette manière de vivre en société aujourd'hui annoncée par le cri magnifiant Dieu « qui dépose les puissants de leur trône ». Son pouvoir - énorme en Belgique - s'exerce dans le secret. Une cinquantaine de conseillers (Nommés par qui? Mystère. Comment? Mystère) font du roi l'homme le plus informé du royaume. Avec une expérience politique supérieure à celle de tous les autres responsables (indûment : il est là à vie), associé (secrètement) à tous les actes du gouvernement. Il pèse d'un poids énorme, avec son entourage, sur la conduite des destinées de la nation. Mais,en contradiction avec la démocratie,ce pouvoir n'a pas de comptes à rendre,de raisons à donner : nulle interpellation parlementaire,une Constitution qui met à l'abri de toute sanction (1), aucune intervention des juridictions habituelles (Conseil d'Etat,Cour d'Arbitrage...). Parce que ce pouvoir ne doit jamais s'expliquer,il faut qu'il bénéficie d'une réputation d'excellence sans failles. Pour le roi Baudouin Ier lui-même,il y a peut-être un fondement à cette excellence. Mais pour la famille royale? Et le Prince-Héritier? Ces gens sont supposés excellents et même sacrés. On associe le roi et la famille royale à ce qui se fait de mieux dans le domaine social (Fondation Roi Baudouin), à la haute culture (Concours Reine Elisabeth) etc.Ils échappent à tout scandale, à toute affaire. Etrange. Les 40 ans commencent à Grâce-Berleur,avec d'anciens résistants abattus comme des chiens. La Justice passe l'éponge comme pour Lahaut tué pour avoir crié « Vive la République! ». En 1950 on impose la monarchie par ruse aux Wallons (2).Nous sommes comme des innocents,à la veille du 21e siècle, face à un système (pas Baudouin lui-même,peut-être,mais le système monarchique) méprisant justement surtout ceux que piègent encore ces mécanismes de dévotions fabriquées: l'irréformable contradiction entre monarchie et démocratie.
(1) Politique mais aussi judiciaire: le roi ne peut être traduit devant un tribunal quoiqu'il ait fait,privilège étendu à la famille proche.
(2) S.Deruette, Les faces cachées de la monarchie belge, in CONTRADICTIONS/ TOUDI, Walhain-Quenast,1991.p. 250-252.
Ce texte ne parvient pas aussi rapidement que prévu à l'hebdomadaire : il y a une grève de la poste à Verviers. Ceci amène le rédacteur en chef de Télépro à le publier tel quel suite à un fax envoyé précipitamment par le collaborateur auquel Télépro avait téléphoné pour lui dire que le texte de l'article n'arrivait pas,vu cette grève. C'est sans doute ce retard qui explique la suite de l'histoire car,selon toute probabilité,il y aurait eu discussion sur le texte en cause,ce qui est une procédure normale, surtout sur un sujet délicat. Le numéro du 18 juillet de l'hebdomadaire est préparé à l'avance à l'imprimerie dès le début juillet. L'imprimeur prend l'initiative de publier le texte de J.F. sur fond jaune ce qui peut apparaître comme une volonté de mise en évidence du texte voire même comme une façon de dire pour Télépro que c'est là que vont ses sympathies. Tout au long du mois de juin,d'abord lors de la sortie du livre Les faces cachées de la monarchie belge, ensuite lors du colloque sur la République organisé par Wallonie Libre à Namur le 15 juin,la presse,tant francophone que néerlandophone, a très largement répercuté les critiques parfois virulentes exprimées par François Perin,Y ves de Wasseige etc.
C'est dans ce contexte J.F. a pensé pouvoir écrire un texte d'autant plus dur que même au JT1 des opinions très non-conformistes ont été exprimées,notamment le soir du 15 juin. A la limite, à n'envisager que cette période, la critique de la monarchie s'était en quelque sorte banalisée. D'ailleurs la rédaction de Télépro accepte finalement sans réticences l'article La monarchie impossible à réformer. Dans l'urgence sans doute. Mais elle l'accepte. Dès la publication des réflexions de JF, Télépro est assailli de coups de fils révoltés,de menaces de désabonnements, de désabonnements effectifs. Vingt-cinq lettres parviendront à la publication. Seules,deux de celles-ci sont publiées dans le courrier des lecteurs le 25 juillet.
En-dessous de cette publication Yves Boulanger, « responsable de la rédaction » écrit « Dans un souci d'information,et sans la moindre intention polémique,nous avons voulu aussi donner la parole à un autre journaliste (NDR : que F.Colleye), défendant une thèse particulière,qui représente une partie de l'opinion publique. A tort ou à raison,nous n'avons pas voulu censurer José Fontaine. Cela ne signifie nullement que nous le cautionnons (...) la confrontation d'idées n'est jamais mauvaise (...) Notre désir est d'informer le téléspectateur et de participer au débat d'idées,notamment par la voie de la préente rubrique (NDR : le "courrier des lecteurs"). Deux lettres de lecteurs ont été publiées,les deux s'opposant violemment au texte La monarchie impossible à réformer. L'auteur de l'article désirant répondre aux accusations formulées par ces lecteurs,notamment concernant le sérieux de son information, s'entend répondre par Yves Boulanger que l'hebdomadaire a décidé que l'incident était clos et qu'il n'y aurait pas d'autre courrier sur ce sujet. En août, José Fontaine reçoit cependant une ou deux lettres favorables de lecteurs qui ont réagi (phénomène classique des courriers de lecteurs) aux lettres défavorables,notamment celle d'André Schreurs.Ces lecteurs demandent à José Fontaine qu'il intervienne auprès de la rédaction du journal pour que leurs écrits soient publiés. Ils ne le seront pas,ce qui a sans doute découragé d'autres réactions dans le même sens? Peut-être mais l'essentiel n'est pas là. Il recevra en octobre la copie des 25 lettres reçues à Télépro dont huit sont favorables à l'article et trois autres neutres, le reste étant défavorable. Mais aucune de ces lettres favorables ou plus neutres ne seront publiées par le journal. En outre,le 16 octobre 1991 Yves Boulanger envoie les copies des réactions des lecteurs et une lettre où il demande au collaborateur de Télépro (qui avait souhaité prendre connaissance de ces critiques pour y répondre),de faire parvenir les réponses aux lecteurs par l'intermédiaire de l'hebdomadaire (et uniquement de cette façon). Ce que fait J.Fontaine. Il ne semble pas que Télépro ait fait suivre le courrier... Dans sa lettre,Y.Boulanger remarque que c'est « la crédibilité toute entière du magazine qui se trouve ébranlée (...) Les conséquences,ici,sont incalculables ».Au téléphone Y.Boulanger fait valoir à J.Fontaine que sur ce point,il a « exagéré » les choses sur la pression du président du CA de Télépro, Mackels,qui est en fait le véritable directeur de Télépro depuis le départ du précédent rédacteur en chef Guy Darrénougué.Yves Boulanger évoque aussi le fait que JF est un ancien collaborateur connaissant mieux que lui « l'esprit de Télépro ».
Il ajoute : « Par ailleurs,le Conseil d'Administration, sensibilisé» au problème - notamment en raison de ses incidences financières,me demande d'accorder désormais une attention particulière à tes futurs articles. Il n'est pas dans nos intentions en effet,d'interrompre nos relations (...) Afin de ne pas remettre d'huile sur le feu qui, je le crains, couve toujours, je te demanderai d'utiliser un pseudonyme pour tes prochains articles... » Quelques semaines plus,tard, en décembre,suite à la lettre d'un lecteur de Charleroi Jean Bosmans,qui s'étonne de ne plus voir la signature de JF dans Télépro, Yves Boulanger répond qu'il s'agit d'un collaborateur « occasionnel » (donc peu apte à saisir le fameux « esprit » de Télépro) et que cette signature va réapparaître.En fait depuis le 18 juillet 1991 Télépro n'a plus commandé aucun article au journaliste en question et n'en commandera plus à celui qu'Yves Boulanger appelle,dans sa lettre à JF du 16/10 « l'un des plus anciens collaborateurs de Télépro ». Manière élégante d'obtempérer à ce notaire de Leuven, Roberti de Winghe, qui suggérait : « Je ne sais pas qui est Monsieur Fontaine, mais vous feriez bien de vous passer de ses services. » (lettre du 17/7/91) ou encore à ce Professeur d'histoire de Huy Jacques Dalemans: « Je vous conseillerai plutôt de vous séparer de ce collaborateur gênant et de le renvoyer à certaines études de base. » (lettre du 22/7/91).Il est à noter en passant que l'article très court de J.Fontaine se base sur les meilleurs historiens,ce que souligne d'ailleurs un autre professeur d'histoire. C'est ce que JF fit valoir auprès des contradicteurs qui n'auront jamais reçu sa réponse (mais à qui ce n° de République sera gratuitement envoyé). J.F écrivait de 20 à 40 articles pour Télépro chaque année depuis 12 ans. Au cours de ces années,il avait fait valoir très clairement ses convictions de chrétien de gauche et d'autonomiste wallon. Lors des rebondissements de l'affaire royale en 1983 (suite à l'émission de De Wilde à la BRT), des articles du même auteur, très sévère pour la monarchie,avait paru. Par ailleurs,celui qui est en définitive responsable de la publication d'un journal n'est pas un collaborateur extérieur mais - en principe du moins - son rédacteur en chef.
C'est cependant l'auteur de ces quarantes lignes qui a payé pour avoir dit ce qu'il estimait en conscience devoir dire et qui a été congédié de facto. La presse est libre dit-on. Certes. Mais les journalistes? Et il est piquant d'entendre dire que le problème de la monarchie est secondaire dans notre pays alors qu'elle vaut des ennuis du même type à ceux qui la critiquent. Le monde catholique,en particulier,ne tolère aucune atteinte à la monarchie dont il a fait vraiment son dieu. La preuve en est que Télépro, sur des problèmes internes à l'Eglise, sur la question sociale et la question communautaire,s'est montré parfois peu conformiste. Et revient toujours chez les lecteurs l'idée que cet article sur la monarchie est contradictoire avec la « philosophie » de Télépro. D'ailleurs,maintenant, à Télépro, les articles outrageusement élogieux sur la monarchie pleuvent. « A tort ou à raison,nous n'avons pas voulu censurer le texte de José Fontaine » a écrit bien témérairement le brave Boulanger. Pour ce journal catholique,à la veille du 21e siècle et vu la suite des événements,il semble que la censure des idées "dangereuses" reste la règle même s'il faut licencier « l'un des plus anciens collaborateurs de Télépro » (Lettre d'Y.Boulanger du 16/10/91). On a là un bel exemple de la « philosophie » qui reste aujourd'hui celle de la grande majorité du monde catholique.