Wallonie-Bruxelles, oui mais...
Et revoilà, pour un tour de piste sur la scène politique les duettistes. Régulièrement, lors de moments majeurs de l'évolution institutionnelle ou des campagnes électorales, les même plats repassent : soit la Wallonie doit aider les francophones de Bruxelles à faire front à la pression flamande, soit la Wallonie ne peut vivre sans Bruxelles. Cette saison, la seconde variante est prisée.
En septembre 1998, la Région wallonne a confié au service d'études du Conseil Economique et Social de la Région wallonne, la «réalisation d'une première approche d'analyse et de valorisation des intérêts communs entre la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale en matière institutionnelle, économique et sociale». En janvier 1999, à la suite de cette commande, a été publié un rapport intitulé La coopération Wallonie-Bruxelles, réalisé en collaboration avec le CIRIEC de l'université de Liège.
L'avant-propos indique que l'étude ne comporte aucune recommandation, demande, position. Elle doit servir d'approche. Il s'agit de fait d'un rapport qui est essentiellement une compilation de données statistiques sur la Wallonie et Bruxelles et sur les relations entre ces deux entités. Rien de bien neuf, mais l'avantage d'avoir sous la main des informations qu'il fallait chercher à droite et à gauche. Par contre, contrairement à l'avant-propos, l'usage qui a été fait du rapport montre que l'intention visée est bien d'émettre des positions, ce qui est par ailleurs le contenu du dernier chapitre (pages 180 à 199).
L'analyse des données conduit les auteurs à «montrer l'évidence des interactions économiques et sociales des entités Wallonie-Bruxelles», pour ensuite «mettre en exergue certaines politiques actuelles afin de mesurer l'écart que l'on pourrait éventuellement observer entre une réalité théorique et les politiques menées» (page 181).
Partant de la théorie du fédéralisme, les auteurs relèvent que «dans la mesure où les régions ne peuvent démontrer leur maturité à assurer une loyauté fédérale consensuelle, un fédéralisme adulte où le respect de l'autre est une évidence naturelle, il est impératif de se demander si dans le cas d'un fédéralisme encore plus accru (nous pensons particulièrement ici à l'accroissement éventuel de l'autonomie fiscale), il ne serait malheureusement pas indispensable de mettre en place des procédures plus restrictives voire coercitives de respect de la loyauté fédérale et de respect de l'autre. Ceci institutionnaliserait en quelque sorte la coopération et la collaboration entre les régions.» Cette position peut être considérée comme académique. On aurait pu attendre une vue plus réaliste et plus perspicace des rapports de force en présence, et particulièrement des exigences successives du mouvement flamand. L'aveuglement en Wallonie face à celui-ci et les prises de position définitives («nous ne négocierons rien») ressemblent à la construction d'une ligne Maginot face à une stratégie de mouvement.
Analysant ensuite le schéma de développement de l'espace régional, SDER, qui a été adopté provisoirement par le Gouvernement wallon en octobre 1998, les auteurs relèvent que les relations Wallonie-Bruxelles sont visées par ce qu'ils considèrent uniquement des «déclarations d'intentions». Pour les matérialiser, il aurait fallu, selon eux, une négociation avec la Région bruxelloise. Étrange position quand on lit dans la presse que celle-ci n'a pas demandé l'avis de la Région wallonne pour son propre plan! Avant de parler d'une coopération, il faudrait relever les points d'accord et...de désaccord. On sait que ceux-ci sont manifestes, que l'on songe notamment aux prises de position de Charles Picqué à propos du financement des Régions sur base de l'impôt des personnes physiques.
Par ailleurs, les auteurs font référence au 13e congrès des Économistes belges de langue française qui s'est tenu à Charleroi en novembre 98. Ils relèvent que des participants ont mis en avant la nécessité de dégager des espaces cohérents et intégrés. C'est ainsi qu'ils reprennent à leur compte cette analyse et estiment que «l'existence de la Région administrative wallonne ne suffit pas à en faire une Région économique et son espace ne doit pas être séparé de Bruxelles. Ainsi les économistes vont beaucoup plus loin que de simples concertations et coopérations wallonnes et bruxelloises en matière d'aménagement du territoire. Ils voudraient considérer le triangle Bruxelles-Liège-Charleroi en tant que véritable espace régional wallon au niveau européen» (page 189, souligné dans le texte). On relèvera avec intérêt que cette citation parle de la «Région administrative wallonne». Que l'on sache, la Wallonie est une Région au sens politique du terme. Singulière régression de la part du Conseil Economique et Social de parler d'une région administrative actuellement; dans le sens contraire du mouvement wallon et de ce qui fut à l'origine du Conseil Economique et Social de la Région Wallonne, à savoir le Conseil Économique wallon qui en la matière avait beaucoup plus d'audace et d'acuité politique.
Signalons, dans la même foulée, une proposition émise dans le rapport : diagnostiquant l'importance du développement tertiaire au nord de Bruxelles, il propose que vers le sud, dans la direction de l'axe Bruxelles/Louvain-La-Neuve/Namur, pour assurer une continuité et une liaison avec la Wallonie, on implante un pôle tertiaire en partie sur la forêt de Soignes. Proposition assez ahurissante et peu aux faits des réalités administratives, politiques et environnementales.
Mais revenons à la proposition d'un triangle Bruxelles-Liège-Charleroi. Ce treizième congrès ne restera pas dans les mémoires de la science économique. On sait, et on l'a déjà écrit précédemment dans TOUDI que ce congrès fut fort peu économique et fort politique. Non pas que l'économie ne soit point politique mais il fallait que les deux soient menées à la fois. Par ailleurs, étrange processus que de considérer que le congrès prend position alors qu'il s'agit d'un congrès académique et que l'on sache, il n'y a pas eu de vote ou de motion. Il y a quelque part un abus de langage.
On cherche en vain les bases argumentées d'une telle proposition, ce n'est pas en sélectionnant les villes importantes (jusqu'à quel niveau?) d'un territoire que l'on délimite un espace économique régional. Ajoutons que dans cette logique de région métropolitaine, il aurait fallu sélectionner également des villes flamandes et créer un espace Bruxelles-Flandre-Wallonie, le reste des territoires de Flandre et de Wallonie s'égayant sans doute au gré d'alliances diverses. L'origine de la démarche se trouve dans l'introduction générale de la Commission 2 du Congrès («Localisation des activités économiques : efficacité versus équité»). L'usage qui en est fait va de réduction en réduction. Ainsi, dans les questions posées aux partis politiques pour la table ronde finale du congrès, il est écrit sans sourciller que les rapports des Commissions se rejoignent pour suggérer un développement centré sur trois métropoles : Bruxelles, Charleroi et Liège. «Leur donner une ampleur économique suffisante devrait avoir à son tour des effets de débordements bénéfiques sur les territoires riverains. Cette suggestion implique notamment de mettre fin au saupoudrage des aides sur tous les arrondissements wallons et de mettre en exergue les atouts particuliers respectifs de ces trois entités afin d'éviter une concurrence entre elles qui serait coûteuse pour tout le monde, tant à Bruxelles qu'en Wallonie». La traduction politique est posée immédiatement : «Dans la perspective d'un développement centré sur les trois métropoles et, plus largement, pour contribuer à créer la conscience d'une entité solidaire, ne serait-il pas opportun qu'une partie au moins des mandataires de l'entité Wallonie-Bruxelles soient élus par un collège unique?». Cette question dévoile le projet politique : la dilution de la Wallonie (et de Bruxelles) dans une version réduite (à la jivaros) de la Belgique de papa.
Le rapporteur général du congrès résume l'entreprise : il y a d'un côté une Wallonie pauvre et en difficulté, et d'autre part Bruxelles, un grand foyer métropolitain, prise dans le carcan de ses 161 km2 qui ne lui permet pas de valoriser sa position internationale et d'assurer son financement. Le rapporteur reprend les suggestions de J.F. Thysse et T. van Ypersele dans l'introduction générale de la Commission 2. Le raisonnement est relativement simple, la Région de Bruxelles-Capitale ne satisfait pas aux critères qui définissent une région métropolitaine, par ailleurs, la base fiscale de la région administrative de Bruxelles-Capitale est trop étroite. Reliant ce fait à un autre selon lequel «il existe deux pôles (Charleroi et Liège), certes vieillissants, mais qui semblent seuls capables de servir de base à une nouvelle croissance». Les deux auteurs, surfant entre faits et théories, estiment qu'il est plus raisonnable de concentrer les moyens sur un petit nombre de pôles, Bruxelles, Charleroi et Liège, disposant d'une base territoriale plus étendue, que de laisser espérer un développement de tous les arrondissements wallons et ce, au nom d'une efficacité et de la lutte contre le saupoudrage.
En conclusion, ces démarches procèdent d'un savant cocktail de théories, de chiffres et de présupposés. D'une part, il y a Bruxelles qui est, pour les auteurs, LA véritable locomotive, oubliant tout le contexte extérieur à la Wallonie et à la Belgique. D'autre part, il y a une Wallonie à la traîne et où n'existent que les deux pôles hérités de la Révolution industrielle. C'est donc une étrange bouillie faite des approches des théories économiques modernes de la croissance et de vues partielles des réalités régionales et sous-régionales, en particulier une vision de la Wallonie ne débusquant pas les nouvelles dynamiques ni les phénomènes en cours pour se cantonner à de vagues monographies géographico-économiques. On peut espérer mieux de la part des milieux scientifiques pour asseoir les bases d'un vrai débat.