Des millions de morts au Congo, l'avis d'un médecin en 1930

30 November, 2009

Il est clair que la dépopulation effrayante observée au Congo depuis qu'il fut conquis par Léopold II n'est pas à proprement parler un génocide puisque le but d'un génocide est de faire disparaître un groupe humain de la surface du globe. Ce qui n'était pas dans les intentions de l'Etat indépendant du Congo. Et il est évident aussi que le chiffre de dix millions de morts avancé par certains spécialistes n'est qu'une estimation. Il est donc assez logique que ce soit ce chiffre qui soit le plus mis en cause. Une estimation étant, par définition, une estimation, ne peut qu'être approximative. Mais - et le rapprochement doit être fait - les six millions de juifs exterminés sont aussi une estimation, certainement plus proche de la réalité, en raison de toute une série de décomptes plus précis rendus possibles par l'organisation bien plus forte des pays où a été perpétré non plus seulement un massacre, mais un génocide, le judéocide. On notera cependant que cette estimation est parfois également mise en cause par les malversateurs de l'histoire. Passons.

Dans le livre de Paul Blaingeard de la Bletière, Maudit soit Canaan (voir référence ci-dessous), ce médecin français examine plusieurs villages du Kwango où il constate d'effrayantes baisses de la population allant de 20% en trois ans (Entre Luis-Inzia) à une diminution d'un huitième en dix-huit mois dans la région de Nzombi et Bonga. Ces chiffres se passent de commentaires sauf celui-ci:ils ont été établis pour les premiers villages, pour la période 1927-1930 et pour les seconds de 1927-1928 à 1929.

Le médecin français poursuit:

"Avant son [du Congo] industralisation, l'indigène jouissait d'un état d'équilibre approprié à ses ressources et à ses besoins, d'une organisation stable, familiale et sociale.

Ces populations, qui ne connaissaient qu'un esclavage domestique, ont été soumises à l'esclavage industriel le plus dur; ces indigènes tranquilles et calmes ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Ces régions qu'avaient épargnées les Arabes, ont été razziées par les traitants modernes, enlevant le Noir à sa famille, à son village, pour l'envoyer sur les chantiers lointains.

Certes, ces hommes avaient leurs peines, leurs guerres, leurs maladies, mais ils mangeaient, vivaient et mouraient normalement; nous les avons décimés, parfois exterminés, en leur apportant la famine, la syphilis, la tuberculose, la maladie du sommeil.

Que sont les milliers de vie que peuvent sauver nos sérums et nos vaccins, quand on les compare aux millions de morts dont nous sommes responsables?"

(in La main d'oeuvre au Kwango par le Docteur Blaingeard, dans La revue d'hygiène coloniale, article reproduit dans Maudit soit Canaan, Opéra, Haute-Goulaine, 2008, pp. 264-265.)

Cet avis donne tout son poids à un auteur comme Jules Marchal, aujourd'hui malheureusement décédé, un homme qui a rassemblé sur ces questions une documentation prodigieuse, en partie publiée et qui mériterait d'être synthétisée, retravaillée. On lira l'opinion très claire qu'il émet dans Poursuite du travail forcé après Léopold II.