Plan B , Wallonie & Bruxelles

23 September, 2010

Les remous provoqués par le discours de Jean-Jacques Viseur à Charleroi, le 17 septembre dernier sont révélateurs de dissensions profondes entre une certaine façon de comprendre la question nationale dans de nombreux cercles bruxellois qui ne sont pas sans influencer de nombreux milieux wallons. Mais de part et d'autre, tant à Bruxelles qu'en Wallonie, certains se réjouissent de la montée en puissance de ces débats parce qu'ils peuvent relancer tant la Wallonie que Bruxelles. Et pas dans le cadre de l'affreux « Plan B » belge.

Le Plan B de toute façon inapplicable

Le 13 septembre, Véronique Lamquin dans Le Soir commentait ce fameux « Plan B », supposé servir de solution de rechange en cas d'échec des négociations actuelles en vue de former un gouvernement fédéral. On pourrait discuter du sens qu'il y a à lancer un Plan B. Comme le dit Jean-Jacques Viseur, les négociations actuelles si elles réussissent, amèneront la Wallonie à devenir quasiment entièrement maîtresse de ses destinées comme elle ne le fut jamais dans l'histoire. 1 Les précédentes réformes de l'Etat ont d'ailleurs amené la Wallonie à de plus en plus de souveraineté. La revue TOUDI l'a souvent expliqué, reprenant par exemple les chiffres donnés par C.E. Lagasse sur le pourcentage de ressources publiques déjà gérées par les entités fédérées soit (si on excepte la dette publique), plus de 50% de celles-ci 2. Mais si les négociations actuelles échouaient, il faudrait quand même (tous les observateurs et les acteurs politiques sont d'accord sur cela), reprendre des négociations, simplement pour aller encore plus loin que la perspective d'une souveraineté wallonne déjà poussée, dont Jean-Jacques Viseur semblait manifestement ne pas se lamenter. Au fond, cela veut dire qu'il n'y a pas de Plan B. Le Plan A, c'est la réussite des négociations actuelles qui nous mènera de toute façon très loin. Et le Plan B, c'est la négociation de la scission du pays et non de sa sécession. Ce qui veut dire que le Plan B tel que le propose la présidentocratie francophone c'est une pure gesticulation et c'est inapplicable. Alors pourquoi s'y intéresser ?

Un Plan B révélateur de la vision qu'un certain Bruxelles a de la Wallonie

Parce que le Plan B est révélateur de ceux qui en ont parlé, du moins dans la presse. Dans des prévisions de ce genre, il faut s'attacher à la fois au symbolique et aux chiffres. Ainsi Véronique Lamquin écrivait-elle dans Le Soir, textuellement : « Un Etat doit se choisir une capitale... Choix cornélien en perspective ? A priori, Bruxelles, actuelle capitale de la Belgique, part avec un avantage certain. Elle en a déjà le titre et, surtout, les attributs en termes de patrimoine immobilier. Et puis l'Europe l'a déjà choisie comme capitale. Difficile dès lors de la rétrograder sur le plan interne ! Mais que faire alors de Namur, dont l'actuelle Région wallonne a fait son siège ? » Et de dire que si cet Etat « ressemble à une fédération » (sic), « rien n'interdira à l'entité wallonne de garder ses institutions à Namur ». Si le nouvel Etat n'est pas une fédération, il faudra des « complémentarités ». Le Soir (comment s'en étonner), balayant ainsi 80 ans de construction de l'autonomie wallonne (initiée avec la frontière de 1932, c'est une bonne idée de commencer à cette date), ne voit aucune raison que la Wallonie demeure autonome et imagine froidement que la Wallonie serait rattachée un Etat unitaire dont Bruxelles serait la capitale. Sept jours plus tard l'éditorialiste du « Soir » s'attaque aux chiffres : « Le PIB par habitant d'une Fédération Wallonie-Bruxelles serait très proche de la moyenne actuelle (seulement 1,1 point de moins). Sur ce plan, Bruxelles fait nettement mieux que la Wallonie. Par rapport à l'actuelle moyenne du PIB par habitant (100), Bruxelles se situerait à 186,9, la Wallonie à 71,88 et la Flandre à 100,81. » Elle imagine alors que les impôts des navetteurs (wallons mais aussi flamands) seraient perçus, de même que leurs cotisations sociales, à Bruxelles : « Par rapport à une moyenne belge = 100, « Bruxelles se situerait à 172,49%, la Wallonie à 79,76% et la Flandre à 99,15 %. » Et elle ajoute gravement : « Là aussi , c'est Bruxelles qui sauverait la Wallonie. » Avec de tels sauveurs, ou avec des personnes qui s'imaginent à ce point vous sauver quelle entente est-elle encore possible ? Aucune, évidemment. La Wallonie n'aurait plus que le destin d'une banlieue.

Bien entendu, Véronique Lamquin découpe des nuages. Tous les statisticiens européens mettent en garde leurs lecteurs sur certains chiffres anormalement élevés de PIB/habitant, spécifiant que ces chiffres ne sont aussi élevés que parce que les régions en cause sont entourées d'un hinterland qui, seul, explique les performances attribuées exclusivement (mais seulement en apparence), à ces régions un peu faussement exceptionnelles. D'ailleurs, il est étrange que l'on ne réagisse pas plus vite à ces chiffres pour une autre raison. La moyenne atteinte en termes de PIB/habitant en tout cas n'est qu'une opération arithmétique. Elle ne change strictement rien à la situation du Borinage, de Charleroi, de La Louvière, de Liège... Manifestement, les personnes qui font ces calculs se moquent de nous. Le souci de la Wallonie réelle est le cadet de leur souci. Il peut d'autant mieux l'être que l'on entend une rumeur enfler depuis plusieurs mois : « Bruxelles diffuse sa richesse sur l'ensemble du pays ». Or, personne, dans les régions que l'on vient de citer, jamais, n'a été en mesure de le vérifier. Dans La Libre Belgique du 15 septembre, c'est d'une certaine manière pire encore. On lit des titres de ce genre « Sans la Wallonie, Bruxelles tire le jackpot ». Certes l'auteur nuance en soulignant que Bruxelles aurait besoin de la Wallonie, Bruxelles et la Wallonie étant donc « condamnées au mariage » (au sortir d'un autre divorce ?). Il y a pire. La Libre fait l'hypothèse que l'Etat Wallonie-Bruxelles serait un Etat unitaire, balayant avec la même alacrité le combat wallon séculaire et ce que la Wallonie construit en tout cas depuis trente ans, cela en des termes invraisemblables de mépris. On commence par dire que la fin du fédéralisme dans l'Etat W-B mettrait fin aux complexités du fédéralisme, ce qui ferait gagner la fédération en efficacité. Il n'y a qu'une objection qu'aperçoit le prophète du quotidien : « Cette logique pourrait, toute fois, se heurter aux spécificités de Bruxelles en tant que grande ville. Celles-ci ne sont toujours pas compatibles avec les intérêts de la Wallonie. » Ce qui laisse penser que, pour cette raison, Bruxelles devrait pourvoir à son autonomie par rapport à la Wallonie ? On se demande comment deux grands quotidiens ont pu écrire autant d'inepties dédaigneuses.

Le sort de la Communauté française

Elle a été mise en cause d'une manière très claire par Rudy Demotte dans une interview du journal Le Soir du 28 août, comme le journal lui-même le résume : « La Communauté française doit évoluer vers une simple structure de coordination ». Le 14 septembre le ministre wallon Marcourt, vice-président du gouvernement wallon (et ministre de l'enseignement supérieur), déclare dans Le Soir à propos de la régionalisation de l'enseignement supérieur: « J'ai toujours dit que je n'y étais pas opposé. Dans la Déclaration de politique communautaire, on évoque les bassins de vie, une forme de régionalisation. C'est un élément positif d'avoir des définitions de cursus au niveau de la Communauté et d'avoir une organisation d'enseignement au niveau de la Région. » Il précise aussi le même jour : « La Belgique francophone s'articule autour de quatre pôles autour de l'ULB, de l'UCL, de l'ULg et de l'U. Mons. Ils associent les hautes écoles. Le paysage universitaire compte également trois académies composées autour de l'ULB (avec l'U.Mons), de l'UCL (avec les facultés catholiques de Namur et de Mons) et de l'ULg (avec Gembloux). » Ce qui laisse augurer d'une réelle autonomie de l'Université de Mons par rapport à l'ULB, cette aspiration n'étant absolument pas neuve et, si nous sommes bien informés, très profonde chez les responsables de cette université. On peut la traiter d'aspiration sous-régionaliste, comme le fait d'ailleurs Catherine Fonck. Eric Deffet nous explique le sens des pôles. C'est, dit-il, « l'idée d'organiser l'enseignement supérieur (universités et hautes écoles), en pôle géographiquement cohérents : un pôle bruxellois avec l'ULB, un pôle louvaniste avec l'UCL, un pôle liégeois avec l'Ulg et donc un pôle montois avec l'U.Mons ». Il poursuit en soulignant que « Mons et sa région misent de longue date sur l'enseignement pour remonter la pente. » En fusionnant diverses institutions montoises, poursuit Eric Deffet (comme l'Ecole d'interprètes, l'Ecole polytechnique avec aussi des liens vers l'école des Beaux-Arts, l'école d'architecture, le conservatoire royal), Mons « s'est mise en état de rivaliser avec ses prestigieuses voisines ». Et, comme on peut s'y attendre, de la part d'un journaliste du « Soir », il parle d'un combat largement partagé localement en en donnant comme exemple « la promotion du sacro-saint patrimoine folklorique local ». Le Soir exprime de plus en plus ses options qui sont respectables par un mépris qui l'est moins et dont on se demande s'il ne devient pas l'ultima ratio d'une Belgique francophone centralisée sur Bruxelles... Il est à noter que cette défense du Hainaut s'opère au-delà des clivages politico-philosophiques de jadis et avec une visée économique et sociale qui est le relèvement de cette part de la Wallonie.

Les discours des fêtes de Wallonie

Nous avons déjà parlé des discours des fêtes de Wallonie. Jean-Jacques Viseur a ouvert la porte à une possibilité de « nationalisme wallon ». Curieusement, ce n'est pas l'usage de ce mot un peu tabou qui a fait l'actualité mais le fait que cela dérangeait Joëlle Milquet par rapport aux négociations qui se déroulent au fédéral. On peut penser que le discours du bourgmestre de Namur évoquant la fin de l'Etat belge pouvait choquer de ce point de vue. Le discours du maïeur de Charleroi était plus prudent. On pourrait se demander ce qui a choqué vraiment Joëlle Milquet. Lisons ce qu'elle déclarait à La Libre Belgique le 22 septembre : « Mon plan A, c'est une Région wallonne plus forte et fière de son identité » (cela ne mange pas de pain, mais c'est quand même un ton inhabituel chez J.Milquet). Elle poursuit « c'est une Région bruxelloise à part entière, déployée, respectée et refinancée. Le tout dans le cadre d'une fédération Wallonie-Bruxelles renforcée. Et ce, dans un Etat fédéral qui reste significatif et garant de la solidarité interpersonnelle. Cet Etat fédéral garderait donc des compétences fortes comme la sécurité sociale, d'importantes compétences fiscales et des politiques régaliennes : la justice, la police, les affaires étrangères, l'immigration... » A la question de savoir s'il faut garder une Communauté française, la présidente du CDH répond : « Mais bien sûr, qu'on l'appelle Communauté française ou fédération Wallonie-Bruxelles, il est fondamental que nous n'exportions pas dans le monde francophone ce que l'on doit, hélas, vivre au niveau de l'Etat belge, c'est-à-dire une sorte de coupure, dans le monde francophone, entre deux identités régionales qui deviendraient exclusives l'une à l'égard de l'autre. Qu'il y ait des sensibilités régionales liées à des milieux de vie différents, certes. Mais il y a une identité francophone essentielle qu'il faut préserver : elle se sauvegarde par la langue, par l'enseignement. Cet espace francophone n'est pas exclusif, n'est pas agressif, mais c'est un espace de solidarité et d'identité commune qui va de pair avec le renforcement des Régions. » Cette vision des rapports entre Bruxelles et la Wallonie n'a plus rien à voir avec la réalité. En fait tant dans les partis alliés au gouvernement wallon que dans d'autres partis et à Bruxelles, tout ce qui semblait si difficile à mettre en cause comme le caractère indiscutable du lien entre la Wallonie et Bruxelles à travers la Communauté française fondée sur une prétendue solidarité en réalité nostalgique de l'Etat belge (« L'union fait la force » a été le slogan du CDH), tout cela est en réalité profondément remis en cause. 3

Le régionalisme wallon et bruxellois plus que jamais vivants

Pour Jean Pirotte dans La Libre Belgique du 23 septembre, l'idée qui se profile derrière le Plan B c'est aussi l'idée que les Wallons et les Bruxellois sortiraient perdants des bouleversements prévisibles dont l'agitation débattante (malgré des rappels à l'ordre), préfigure l'accomplissement : « Ce discours culpabilisant est aussi ancien que le fédéralisme. Il exprime la crispation d'un establishment francophone belge qui sent le pouvoir lui échapper. Cette classe dirigeante, héritière de la bourgeoisie de 1830, a déjà perdu une large partie de la Belgique : la Flandre, où la bourgeoisie de langue française s'est flamandisée et ralliée au projet d'une Flandre prospère. Replié sur "le Sud du pays", cet establishment francophone s'est accommodé de la communautarisation des matières culturelles, lui permettant de vivre une "belgitude" par défaut, réduite à une simple appartenance linguistique. C'est ainsi que la Communauté française de Belgique cherche à maintenir, le plus longtemps possible, auprès de l'opinion francophone uniquement, l'illusion d'un Etat-nation, dont Bruxelles serait la capitale et la Wallonie une simple province. » Le Professeur Pirotte rappelle à cet égard la position des Etats Généraux de Bruxelles animé par un régionalisme que TOUDI a toujours approuvé, c'est-à-dire la régionalisation de la culture tant à Bruxelles qu'en Wallonie. Et pour la Wallonie, ce qu'il affirme rejoint les préoccupations de Jean-Jacques Viseur : « La Wallonie est confrontée aux mêmes défis que les régions européennes de tradition industrielle. Au temps de sa grande prospérité, le peuple wallon s'est largement investi dans la Belgique et se retrouve aujourd'hui dans un profond dénuement symbolique. Si la Wallonie se relève lentement, un grand nombre de ses citoyens souffrent encore des stigmates du déclin industriel et témoignent d'un manque de confiance en l'avenir. Or, les expériences européennes montrent une corrélation entre le dynamisme d'une région et son développement culturel. Les grandes reconversions réussies ont initialement beaucoup investi dans la culture : Gênes, Manchester, Bilbao, Johensuu (Finlande), Barcelone et, plus près de nous, la région de Lille à travers son projet "Culture commune - scène nationale du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais". »

Viseur, Quévit, Marcourt, Hergé

Entre les deux visions qui divisent les Wallons et les Bruxellois non pas les Wallons des Bruxellois), celle qui accueille la liberté qui s'annonce comme une chance d'avenir et celle qui raisonne dans les termes de la Belgique de papa, on observe des différences notables d'appréciation. Comme celle de Bertrand Henne considérant que la proposition de Jean-Jacques Viseur aurait été condamnée alors qu'elle ne l'a pas été dans les journaux wallons à notre connaissance et qu'elle le fut surtout par Charles Picqué, lundi matin à la RTBF, estimant que Jean-Jacques Viseur aurait utilisé le mot « nationalisme » par inadvertance, alors qu'il a été au contraire bien pensé et bien pesé. Il faudrait quand même que les dirigeants wallons se rendent compte que l'on ne peut pas passer autant de temps à défendre Bruxelles au risque même de faire capoter des négociations qui doivent obligatoirement déboucher sur une entente, sans troubler la population wallonne. On ne peut pas non plus se battre comme des diables pour qu'elle demeure autonome alors que la situation actuelle ne brise nullement les dépendances de la Wallonie à l'égard de Bruxelles, notamment en matière de médias. Le fait que Le Soir ne soit plus le premier quotidien francophone mais le troisième, le fait que la RTBF ait perdu l'avantage sur RTL, le succès des émissions comme Ma terre ou du livre de Michel Quévit Wallonie-Flandre. Quelle solidarité ? sont significatifs de ce que pour la première fois peut-être depuis longtemps la Wallonie accueille comme une chance le fait d'être débarrassée du carcan belge. Marcourt qui engage à la régionalisation des universités, Viseur qui en appelle à un nationalisme wallon, le recteur de l'Université de Mons qui fait des pieds et des mains pour se débarrasser de la tutelle de l'ULB, Hergé, figure du proue du belgicanisme BCBG rendu à son rexisme foncier 4 voilà des signes que le vieux monde s'en est allé.

Voyez aussi Autonomie wallonne : chiffres et arguments basiques

Qui signale un élément dont on fait peu souvent état tant du côté flamand que francophone et qui par lui-même relativise bien des faibleses du pays wallon: la Wallonie est l'endroit du monde où l'on importe le plus de produits flamands. Imaginons dès lors ce que signifierait une baisse du pouvoir d'achat de 15 à 20% chez les Wallons non pas pour eux-mêmes seulement, mais pour la Flandre. C'est Joseph Pagano qui reprend certes les chiffres de 15 à 20% de diminution du standing de vie (en cas de Wallonie seule), mais il a soin de rappeler aussi cette donnée peu souvent mise en avant et cependant fondamentale. Une donnée qu'avait déjà relevée Hugo Schiltz en 1985 mais je n'ai plus cette étude devant moi (et la situation a changé, quoique pas structurellement, semble-t-il).

  1. 1. DISCOURS DU BOURGMESTRE JEAN-JACQUES VISEUR PRONONCE A L'OCCASION DES FETES DE WALLONIE 2010, A CHARLEROI
  2. 2. Révélations multiples de l'affaire Francorchamps
  3. 3. Il n'y aura sans doute plus de Manifestations pour l'unité de la Belgique (1963-2010)
  4. 4. Hergé, Degrelle et la belgitude aujourd'hui