Brigitte Kaquet : Cante Jondo

Toudi annuel n°4, 1990

"Je vous salue Marie" de Godart

Brigitte Kaquet a mis en scène ce spectacle intitulé Canté Jondo (chant profond) aux environs de Pâques au Théâtre de la Place à Liège. Ce spectacle exploite les dimensions du mythe chrétien de Marie auxquelles on ne songe guère habituellement : Marie, mère d'un Dieu qui est aussi son fils, à la fois par en haut et par le bas, obscène en quelque sorte.

Marie, dans ce spectacle, toujours - si l'on peut s'exprimer ainsi, il le faut bien! - pudiquement provocante, c'est la Femme. Marie, mère de Jésus y apparaît dans toute son épaisseur humaine telle que les évangiles, je crois, la voulait, l'ont voulue. Surtout Saint Luc qui eut l'audace de mettre sur ses lèvres : Je magnifie Dieu qui dépose les Puissants de leur trône. Brigitte Kaquet exploite ce caractère subversif de Marie - mon nom signifie révolte, impatience de la Rédemption - et par là nous nous renvoie à toutes les Femmes qui ont incarné la rébellion dans l'histoire : Antigone, Jeanne, Catherine de Sienne, Théroigne de Méricourt, Louise Michel, Rosa Luxembourg...Il y a quelque chose d'étrange dans ce spectacle qui envoûte, où le corps de la femme n'est jamais montré que pour souligner ce que la Femme donne au monde, non pour souligner qu'elle peut être désirée (tout en ne le cachant pas non plus).

On songe à toutes ces figures qui, depuis que le monde est monde sous les traits féminins, dérangent son ordre. Même à propos d'Eve et de sa transgression originelle, Paul Ricoeur remarque que toute violation de la loi est toujours, en un sens, un progrès, aussi scandaleux qu'une affirmation pareille puisse paraître.

Le producteur exécutif de ce spectacle est le Cirque divers et son atelier de recherches théâtrales. On voudrait voir et revoir beaucoup de recherches comme celles-là, arrivées à ce point d'aboutissement, qui à partir de l'ancien, imaginent, audacieusement, ce qui ne l'a jamais été alors que nous l'avions à portée de la main. Comme dans le Je vous salue Marie de Godart, la femme dont il est question ici parle au coeur des vrais croyants.