Eglise et Wallonie des Lumières à l'Evangile

6 September, 2012

Illustration de JP Lemaître : malgré froid, obscurité, mort, l'Espérance

Wallonie, Eglise, Turbulences et espérances 1, ce petit ouvrage de 130 pages, publié en juin, rassemble les communications faites à la journée du 14 novembre 2009 au cours de laquelle le mouvement a fêté ses 25 ans, une année en retard puisqu'il a été fondé en 1983 dans la foulée des deux tomes publiés sous le titre général Eglise et Wallonie aux EVO en 1983 et 1984, et sous-intitulés Chances et risques pour un peuple (Tome I directeurs : Tony Dhanis et Jean E.Humblet), et Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie (Tome II : directeur Jean E.Humblet). Deux livres qui recèlent des richesses notamment sur les nombreuses figures ecclésiastiques du mouvement wallon (Roland Ferrier, Tome I) ou la question des provinces d'ordres religieux dans les Pays-Bas (JF Gilmont, Les structures ecclésiastiques de la Wallonie XVI- XVIIIe siècles). Sur ces deux derniers sujets, il n'existe pas à notre connaissance d'études plus récentes qui seraient plus fouillées. Quant à l'orientation du mouvement, l'esprit de ces livres fondateurs s'est retrouvé le 14 novembre 2009.

Un mouvement

Eglise et Wallonie est un mouvement d'inspiration religieuse qui comme le rappelle Luc Maréchal son président, agit non par propagande religieuse mais avec la conviction que la Wallonie a besoin de ceux qui trouvent sens dans la bonne nouvelle de l'ancien et du nouveau testament. Le président d'Eglise et Wallonie met en cause dans le message de l'Eglise universelle « l'hypertrophie des questions liés à la vie sexuelle et familiale » qui « voile le message et les prises de position audacieuses dans le domaine économique, social et environnemental » (p.10). Le mouvement revendique aussi la prise en compte au sein des structures d'Eglise de la dimension wallonne, ce que ne traduit guère jusqu'à aujourd'hui le découpage des diocèses (le Brabant wallon reste dépendant de celui de Malines-Bruxelles). Et la préoccupation pour les enjeux moraux et sociaux liés à la Wallonie n'est pas nécessairement mis en avant dans les assemblés dominicales. Il a peut-être même été mis plus en avant au début des années 80 (ceci mériterait des recherches). Ancien professeur de morale au Grand séminaire de Namur et ancien professeur à l'UCL , Maurice Cheza, commente la méthode « Voir. Juger. Agir. » chère à Cardijn. Le tout avec le regard fixé sur l'Evangile et l'attitude de Jésus qui comprend la source des souffrances des victimes à savoir « l'impossibilité de respecter la Loi dans l'interprétation rigoriste qui leur est imposée : on filtre le moucheron, mais on laisse passer le chameau » (p.23).

Son histoire

Jacques Briard fait l'histoire de ce mouvement. Les deux livres ont été diffusés à raison de 1400 exemplaires. Dans son premier bulletin le mouvement publie un Appel pour une Wallonie enrichie de ses différences (visant par là les différentes religions et les humanistes laïques). Une première journée est organisée le 1er mars 1986 à Namur notamment avec Georges Vandersmissen directeur de la Fondation André Renard et le professeur Jean Remy. Une deuxième journée de réflexion toujours à Namur en 1987 se penche sur le thème La Wallonie et ses divisions, quels pluralismes ? C'est le même thème du pluralisme qui est abordé l'année suivante à Jemappes. En 1989, la journée de réflexion est dédiée au thème Formations pour les animateurs d'Eglise, prêtres et laïcs, face aux défis de la Wallonie de l'an 2000, ceci au séminaire de Floreffe avec l'évêque de Namur Mgr Mathen et son auxiliaire Mgr Musty (ce qui fait rêver !). Un colloque a lieu en 1990 visant à faire connaître les hauts lieux de l'histoire religieuse en Wallonie. En août 1991, le mouvement s'installe dans les locaux de la Fondation wallonne Pierre-Marie et Jean-François Humblet. En 1992 en mars, nouvelle journée de réflexion avec Mgr Musty, une juriste et sociologue du Paraguay, Christine Bomboir revenant de Bolivie et José Reding, théologien namurois . Christine Bomboir témoigne : « En Wallonie , je ne vois pas une Eglise unique, mais je rencontre de plus en plus de chrétiens qui posent les questions de foi et de morale d'une manière nouvelle. » (p.37).

Il est question encore de l'assemblée interdiocésaine à Louvain-la-neuve en 1994 avec le Conseil général de l'apostolat des laïcs (CGAL) devenu le CIL (Conseil interdiocésain des laïcs). La même année le mouvement publie un manifeste pour la création d'un diocèse en Brabant wallon. Le dossier est poussé en avant par le mouvement et le magazine L'Appel en rend compte en 1999. Le mouvement lance une enquête en 1995 sur les valeurs de l'Eglise en Wallonie. Le CIL se réunit en mars 2000 et dans cette réunion sont abordés à la demande d'Eglise &Wallonie les défis lancés à l'Eglise en Wallonie. Dans le bulletin du mouvement de l'automne 2001 Jean Pirotte relève qu'il n'est guère de signes d'un virage significatif de l'Eglise dans sa façon d'appréhender la réalité wallonne (p.39). En mars 2004, le mouvement fête ses vingt ans en se réunissant à Floreffe autour du thème Transformations du territoire wallon, un enjeu pour les chrétiens en Wallonie. Le mouvement a pris contact avec les différents évêques wallons, regrattant notamment que s'il y a des contacts réguliers et approfondis entre diocèses flamands et néerlandais, la même chose n'existe pas entre diocèses wallons et les diocèses français proches.

Visions de la Wallonie et du monde

Brigitte Laurent a longuement parlé des femmes précarisées en Wallonie rurale, cette Wallonie rurale où habitent 40% de la population totale de la Wallonie. Elle cite Alice Dermience commentant l'évangile de Luc et le Magnificat : « L'humiliation subie par la servante (= fidèle à la loi) de Dieu est devenue exhortation à la vertu d'humilité, par l'effacement, surtout pour les femmes. On est bien loin de la louange au Dieu d'Israël, qui, au cours de l'histoire et à ce moment plus que jamais, prend parti pour les sans pouvoir et les sans avoir ! »

Jean-François Husson a été l'auteur tout à fait remarquable d'un exposé sur la situation économique de la Wallonie mettant en cause par exemple l'idée que les emplois publics auraient quelque chose de non économique, soulignant que la Wallonie n'est pas bien placée dans les anciennes régions industrielles d'Europe (chômage, PIB/habitant), les aspects positifs du Plan Marshall, la dépendance de la Wallonie et de son territoire à des pôles extérieures (Lille, Maastricht, Luxembourg et Bruxelles). Joseph Pirson souligne la crainte de la régionalisation de l'enseignement chez certains acteurs de celui-ci qui redoutent que le Forem ou d'autres opérateurs publics et privés n'instrumentalisent l'enseignement qualifiant de plein exercice ou la promotion sociale. Jean Pirotte met vivement en cause une Eglise « crispée sur de vieux fantasmes sexuels », mettant à l'écart de ses rouages les femmes, « braquée sur les valeurs de plus en plus désuètes et illusoires du célibat consacré » (p. 82). Il demande dans la lignée du Père Charles que le christianisme en Wallonie n'y soit pas « exotique », parce que, notamment, « Le peuple wallon est un peuple qui souffre, qui peine à retrouver l'espoir d'une émergence rapide, qui doute de lui-même qui a perdu ses repères. Après le déclin de l'industrie lourde, qui avait induit en Wallonie une industrialisation sans développement avec des séquelles sociales toujours douloureuses, les logiques du profit cynique et de l'aventure financière sans frontières ont créé quantité de floués, de victimes déboussolées et vivant dans la solitude, de jeunes sans repères. » (p.83, nous soulignons) Parlant aussi des enjeux globaux, il doute que les affrontements religieux ou la prétendue guerre des civilisations aient comme véritables motivations des motivations religieuses et civilisationnelles, mettant en avant les causes plus anthropologiques de ces conflits liées au mimétisme de la violence telle qu'un René Girard l'a longuement expliqué. Tout en plaidant pour l'ouverture aux religions différentes qui sont maintenant présentes en Wallonie, il souligne que le dialogue absolument nécessaire ne doit pas se faire pas au détriment des valeurs de la laïcité politique et ne soit pas l'acceptation de crispations que les catholiques éclairés refusent dans leur propre Eglise.

L'intervention de Jean Louvet : les Lumières, les luttes sociales, l'Evangile

Jean Louvet, homme de théâtre et Wallon agnostique, était présent à cette assemblée. Tirons de son exposé quelques extraits qui en disent bien l'esprit de même que l'esprit de toute l'assemblée (où malgré tout, en tout respect de chacun, la messe aurait dû être célébrée, à notre sens) : « Vers les années 1980 - années Reagan, Thatcher - apparaît à l'horizon le postmodernisme. Démantèlement des cités industrielles, capitalisme financier, fin des grands récits. Désormais on veut vivre dans le présent, dans l'instant. Le corps le sexe accaparent les nouvelles générations, qui mettent à mal les convictions des anciennes. Dieu, croyants et non-croyants accusent le coup, l'humilité les rapproche : ce sont nos forces affaiblies qui portent notre action. L'arrogance n'est plus à l'ordre du jour. Et depuis longtemps les forces syndicales, autrefois antagonistes, ont appris à lutter en semble : pour la tolérance, contre les injustices, la misère, contre les dangers du populisme, de l'extrême droite, des développements insaisissables du capitalisme financier. Le néo-capitalisme continue de kidnapper Dieu pour son usage personnel : le marché libre. Ayez confiance en la main invisible ; laissez faire, c'est Dieu qui fait, il pense à tout, il vous guide. Laissez-vous immerger dans le consumérisme, l'hédonisme. » Luc Maréchal reprenant un autre passage de l'intervention de Jean Louvet propose comme emblème de l'action d'Eglise & Wallonie le triangle "louvetien" : « figure ternaire de la fidélité à l'Evangile, de la philosophie des Lumières et de l'analyse critique de l'actuelle société capitaliste, héritée des luttes ouvrières du XIXe siècle. » (p.126)

On peut se demander, si l'Eglise n'est pas redevenue l'un des endroits par excellence où les réalités wallonnes sont tues et le refuge de tous les conservatismes, de toutes les crispations sécuritaires et identitaires. C'est dire l'extraordinaire courage d'Eglise & Wallonie. On pourrait même se demander dans quelle mesure ce n'est pas son progressisme qui, dans l'Eglise et hors de celle-ci, condamne le mouvement wallon. Alors qu'Eglise & Wallonie avait demandé que le futur archevêque soit attentif à la présence des catholiques dans la vie économique et sociale, joue un rôle de coordinateur entre les trois Régions du pays, qu'il concilie l'universel et le particulier, le Vatican a nommé André Léonard ! Adieu à des gens comme Musty, Mathen ou Charrue. Place à la restauration dérisoire ! Mais aussi à l'espérance qui, pour citer encore une fois la voix féminine peut-être la plus importante de l'histoire de l'Eglise, n'est jamais la vertu « des puissants et des superbes que Dieu dépose de leurs trônes ».


  1. 1. Eglise et Wallonie. Cortil du Coq hardi, Verte voie, 20, 1348 Louvain-la-neuve