Histoire de la proposition de circonscription électorale fédérale (CF)

28 November, 2012

Dave Sinardet [bien connu des auditeurs de la RTBF, puisqu'il y est le politologue sans doute le plus consulté] commence ce récit 1 en avançant l’idée que l’établissement d’une telle circonscription n’exclut pas l’accroissement simultané des compétences des entités fédérées. Il note à la p. 131 que la première fois qu’il a été question d’une circonscription fédérale, c’est lors des élections européennes de 1979. Léo Tindemans espérait s’y tailler un succès extraordinaire, raison pour laquelle C.F. Nothomb, président du PSC wallon s’y serait opposé (p.131). Il ne donne aucune sources, mais c’est un souvenir que nous partageons avec D.Sinardet, les incidents liées à la formation du gouvernement en 1978 étant consécutifs à ce refus par le PSC d’une seule circonscription belge pour les élections européennes.

La réforme de l’Etat de 1988 suscite l’appel à une circonscription fédérale (CF)

C’est avec, fin 1988, la troisième phase de la réforme de l’Etat et les discussions à propos de l’élection directe des députés régionaux que la question revient à l’ordre du jour (il faut rappeler qu'ils ne seront élus directement qu'en 1995). L’idée est de maintenir par quelque chose comme une CF qui serait garante pour ceux qui y seraient élus, un « esprit national » et une « légitimité nationale » (c’est W.Martens qui s’exprime de cette manière p. 133), pour ceux qui doivent siéger au Parlement fédéral. Le chef de groupe CVP du Sénat propose que dans un Sénat réduit à 107 sénateurs, 64 sénateurs élus le soient dans une circonscription nationale (chaque communauté ayant 32 élus). Ecolo soutient la proposition. Et le sénateur PSC Etienne Cerexhe. Le PS où les régionalistes sont encore influents à l’époque rejette l’idée. D.Sinardet pense aussi que le PS n’a pas de personnalité aussi populaire que W.Martens dans le cadre d’une circonscription nationale (p.134).

Il n’est donc pas exagéré que nous disions en marge de cette histoire de D.Ardet que le point de départ de la circonscription fédérale est malgré tout une réelle méfiance à l’égard des Parlements autonomes.

D.Sinardet pense aussi que la CF pouvait être aussi perçue par les socialistes comme la tentative de la part du CVP de rompre le pacte implicite par lequel les deux partis se partageaient le pays. L’auteur estime que le PS n’a pas très envie que des hommes politiques flamands viennent mesurer leur popularité en Wallonie. Les partisans de cette proposition doivent aussi se défendre d’être unitaristes. André Alen, alors secrétaire du gouvernement et le Groupe Coudenberg défendent l’idée. Elle revient lors du dialogue de communauté à communauté animé par Jean-Luc Dehaene en 1992, notamment chez Ecolo et Agalev qui forment un groupe unique au Parlement. Finalement, pour l’élection du futur Sénat réformé, on crée une circonscription francophone et une circonscription néerlandophone. En octobre 1994, Jean-Luc Dehaene souhaite un regroupement des forces politiques pour éviter la fragmentation politique belge. Puis, selon l’auteur, la question n’est plus véritablement évoquée dans le monde politique. Elle l’est dans des journaux par Steven Vansteenkiste, juriste à la KU Brabant de Tilburg, Gérard Roland professeur à l’ULB, Toon Vandevelde de la KUL, Philippe van Parijs…

Le retour en force de l’idée

En 1999, la coalition arc-en-ciel mise en place votera une nouvelle réforme de l’Etat en 2001 (transferts des compétences en agriculture notamment, première esquisse d’une autonomie fiscale). La question de la circonscription fédérale n’est pas soulevée lors de la réforme électorale qui élargit les circonscriptions électorales de base (pour les élections fédérales) et fixe un seuil d’éligibilité à 5 %.

La question revient à l’ordre du jour avec l’intervention d’universitaires (dont l’auteur) qui soulignent que le fait que les partis politiques sont scindés, les ministres fédéraux ne sont responsables que devant un partie de l’électorat. Ils proposent que 40 députés soient élus dans une telle circonscription, notamment en vue de favoriser l’alliance entre des partis politiques de même famille politique. Kris Deschouwer et Philippe van Parijs proposent 30 députés fédéraux dans De Standaard et La Libre Belgique en juin 2003 : « Les scores sans précédent qui pourront être réalisés amèneront les candidats les plus en vue à adopter, bien plus qu’aujourd’hui , dans leurs paroles et dans leurs actes, un véritable profil fédéral. » (cité p. 141).

Le manque de dynamique propre aux élections tant fédérales que régionales amène D.Sinardet à proposer qu’elles aient lieu en même temps. Ph. Van Parijs propose dans Le Soir d’échanger la circonscription fédérale contre la scission de BHV (cela permettrait aux électeurs FDF de pouvoir encore voter pour leur parti).

A la rentrée politique de 2004, Elio Di Rupo n’exclut pas l’idée sans pour autant l’épouser. L’auteur signale l’affaiblissement des régionalistes au sein du PS et le fait que le PS est maintenant opposé à toute nouvelle régionalisation. Il ajoute qu’il « devient clair que Di Rupo nourrit des ambitions de Premier ministre » (p. 143). Il reprend le thème de l’absence de partis fédéraux en Belgique dans De Standaard. En février 2005, M.Wathelet se prononce en faveur de la CF, relayé par Marcel Cheron et Henri Simons dans Le Soir en avril 2005. Isabelle Durant et Marcel Cheron déposent une proposition de loi en ce sens au Sénat. L’idée a été reprise aussi par des intellectuels comme l’écrivain Tom Lanoye en avril 2004, puis suivent Walter Zinzen (publiciste), Rik Torfs (professeur de droit canon à la KUL), Mia Doornaert (De Standaard), Yves Desmet (Morgen), Marc Reynebeau (De Standaard). En février 2005, Van Parijs et Deschouwer réunissent des collègues pour publier un carte blanche dans De Standaard et La Libre Belgique, ce qui suscite des oppositions dans les partis nationalistes flamands Spirit, NVA et VB.

Fondation du groupe Pavia

Le groupe Pavia est créé en 2005 avec Ph. Van Parijs, K.Deschouwer, Rik Colsaet (Gand), C.Devos (Gand), Lieven de Winter (UCL), Paul Magnette (ULB), Marco Martiniello (Ulg), Olivier Paye (FUSL), Koen Raes (Gand), Benoît Rihoux (UCL), Gérard Roland (ULB), Dave Sinardet, Antoon Vandevelde (KUL), Pierre Verjans (Ulg) et Stefaan Walgrave (Anvers). Des colloques sont organisés. Même Jean-Claude Van Cauweberghe reconnaît que la CF permettrait de recréer une seule opinion politique belge (« de manière surprenante » admet D.Sinardet) et Rudy Demotte (nous dirions : de manière moins surprenante) écrit : « Les préjugés disparaîtraient plus vite si Verhofstatdt pouvait également être élu Mons et Di Rupo également à Gand. » (dans Het Laaste Nieuws, avril 2006). Les élections fédérales de juin 2007 sont en vue. Le CD&V est en cartel avec la NVA. L’image de Yves Leterme, Ministre-président flamand mais qui se profile comme un futur Premier ministre est mauvaise en Wallonie à cause de déclarations malheureuses sur l’incapacité des Wallons à apprendre le néerlandais. Yves Leterme visite aussi la Wallonie et interrogé sur la question de la CF répond qu’il suffit que les ministres fédéraux écoutent ce qui se dit de l’autre côté de la frontière linguistique.

Le 13 décembre 2006, la RTBF diffuse son faux journal télévisé annonçant que la Flandre a déclaré son indépendance. Philippe Dutilleul s’affirme partisan de la circonscription fédérale qui est à l’origine de cette émission déclare à Humo : « Il n’y a aucune volonté politique de pousser cette réforme vitale. Flamands et Wallons continueront à voter les uns à côté des autres pour leurs propres politiques. Jusqu’à ce que c’en soit fini de la Belgique. » (cité p. 148). Louis Michel se déclare en faveur de la circonscription fédérale, de même que Jean-Luc Dehaene. P.Dewael se prononce aussi dans ce sens ajoutant qu’il y a des circonscriptions nationales dans tous les pays fédéraux, ce qui est une erreur (soulignée par l'auteur). D’autres personnes vont se manifester en faveur de la circonscription : Herman De Croo, Didier Reynders, Francis Delpérée. Le Premier ministre Verhofstadt semble vouloir aller aussi dans ce sens avec le VLD dont le président Bart Somers ne rejette pas l’idée. Le VLD propose d’ailleurs de régionaliser plusieurs compétences, plus que les Verts ou le PS.

Le groupe Pavia présente sa proposition concrète à la Fondation universitaire le 14 février 2007 et estime que 15 sièges doivent être dévolus au sein de la circonscription nationale, dont 6 aux francophones et 9 aux Flamands, ce que JL Dehaene jugera insensé (le quota) (pp. 152-153). Verhofstadt dans sa note de janvier 2008 avant la formation d’un gouvernement intérimaire proposera également un système sans quotas (p. 153). Même si plusieurs anciens premiers ministres accueillent bien la proposition du groupe Pavia, les socialistes et les libéraux réagissent négativement (le CD&V aussi qui estime que l’électorat flamand ne doit pas se prononcer seulement sur le gouvernement flamand mais aussi sur les compromis avec les Wallons et les Bruxellois). Johan Vande Lanotte estime que la CF serait une façon de réitérer le référendum de 1950 sur le retour de Léopold III (p. 154).

De manière très caractéristique à notre sens, le PS réagit en disant que le système peut aller dans le sens de la cohésion nationale, mais qu’il ne garantit pas contre des avancées trop importantes en matière de régionalisation. Ecolo dit aussi son accord mais le MR ne réagit pas. Les réactions dans la presse sont finalement aussi mitigées comme Bart Sturtewagen qui estime que les communautés et régions ont maintenant leur dynamique propre et que c’est dangereux de penser que des super-politiciens surfant au-dessus de celles-ci pourraient aller à l’encontre de ce dynamisme (cité p. 157). Un sondage montre que 78% des Bruxellois, 75% des wallons et 47% des Flamands sont favorables à l’idée de CF.

L’ « Orange bleue »

On reparlera encore de la CF lors des négociations en vue de l’ « Orange bleue » qui durent 194 jours sans aboutir à autre chose qu’à un gouvernement intérimaire avec G.Verhoftsatdt, le PS et le SPA rentrant dans coalition. Le PS a été supplanté par le MR en Wallonie, la campagne électorale a été marquée par les tensions communautaires ce qui amène des journaux à reparler de la CF. D.Sinardet utilise l’argument suivant à propos du climat qui préside aux négociations en vue de former le gouvernement dit « de l’orange bleue » : « La CF est considérée comme une mesure qui pourrait redonner confiance aux francophones dans la volonté flamande de continuer dans le cadre belge. » (pp.162-163).

Par contre à la même époque la NVA s’oppose à l’idée, le CD&V trouvant que cela va « à l’encontre de la dynamique de la régionalisation » (p.163). Pour Béatrice Delvaux, cela aurait le mérite de « créer un espace politique commun flamand-francophone ». (p.164) Gérard Deprez s’est aussi prononcé en faveur de la CF. Le groupe Pavia estime à travers force communiqués que la CF aurait facilité les négociations de l’orange bleue. Pour D.Sinardet, durant toute cette crise, « la circonscription fédérale a réussi à se forger une place dans le débat communautaire, et contrairement au début de l’année on entend beaucoup moins de commentaires taxant l’idée de naïve, irréaliste et infaisable ; » (p. 167).

Lors de la constitution du groupe appelé « Octopus » G.Verhofstatdt défend l’idée de CF : « Tout Etat fédéral a besoin d’éléments centripètes. Il suffit de regarder l’Allemagne, la Suisse, le Canada ou les Etats-Unis pour voir qu’il existe, selon le cas, des partis nationaux (même dans le Canada bilingue et la Suisse quadrilingue, la CSU en Allemagne étant une exception), une Cour constitutionnelle à part entière et un Sénat (…) composé de représentants des entités fédérées. A l’exception de la Cour constitutionnelle, ces éléments font défaut dans la fédération belge. Il s’ensuite que la population de la fédération ne dispose pas de liens démocratiques avec la gestion fédérale étant donné qu’il n’est possible d’apprécier électoralement que la moitié du gouvernement fédéral ou de leurs partis. Qui plus est, le fait que l’opinion publique diverge de part et d’autre des frontières des communautés linguistiques incite facilement les responsables politiques à la surenchère au sein de leur propre groupe linguistique, ce qui rend plus difficile de trouver les compromis. En d’autres termes, la légitimité comme l’efficacité de la prise des décisions souffre de l’actuelle organisation de l’Etat fédéral. » (cité p. 169).

A cette note, Laurette Onkelinkx : « les Flamands sont plus nombreux dans ce pays, on leur demandera de choisir entre Guy Verhofstadt et Yves Leterme » (cité p. 170). Pour le Vlaams Belang, la CF permettrait aux candidats francophones d’attirer des voix à eux dans toute la Flandre. Ludwig Caluwé (chef de groupe CD&V à la Chambre) pense qu’il y a deux démocraties en Belgique et que les réformes institutionnelles doivent s’adapter à l’évolution de la société et non pas créer artificiellement un effet désiré (pp.171-172). Un autre député flamand du Vlaams Belang remarque qu’il n’existe pas de CF dans les Etats fédéraux. Le 25 février, un accord communautaire est acquis dans un « groupe des sages » issu du groupe Octopus, la simultanéité des élections fédérales et régionales et une CF font partie des points qui devront être discutés sous l’influence de Marcel Cheron et Guy Verhofstadt. Par contre le PS et le CDH sont contre. Albert II aussi est pour : il aurait plaidé en sa faveur dans des entretiens avec les responsables politiques selon De Standaard.

Le succès de la NVA aux élections de juin 2010 a comme conséquence que l’on ne reparle plus de la CF. Sauf quand des mouvements dits « citoyens » s’ébranlent de manière plus ou moins spontanée (comme la manifestation Shame en janvier 2011). Dans sa proposition comme formateur en juillet 2011, Elio Di Rupo l’intègre à sa note de travail, mais surtout pour faire plaisir aux Ecolos qui sont candidats à l’époque à la coalition gouvernementale. Il est possible cependant aussi que Di Rupo se soit rallié à l’idée de CF car il s’en affirme partisan lors d’un débat avec Johan Vandelanotte à l’ULB. La NVA finit par quitter les négociations gouvernementales. Le CD&V qui y est demeuré demande que plusieurs points de la note de Di Rupo soient abandonnés comme la CF. Une pétition est aussi lancée par des mouvements citoyens qui inclut l’idée de CF, pétition signée notamment par Paul Magnette. Avec la mise en place du gouvernement Di Rupo, il se crée chez ses membres francophones une propension à s’exprimer dans les médias du nord du pays. La crise communautaire qui a au fond duré de 2007 à 2011 ferait comprendre selon D.Sinardet que l’existence des éléments centrifuges du système belge plaideraiet en faveur de la mise en place de systèmes centripètes comme la CF (p. 182). D.Sinardet pense aussi que sa justification est avant tout démocratique et que les électeurs doivent voter pour tous les partis qui composent la coalition gouvernementale (p. 183).

Nous disons ce qu'il faut en penser dans les conclusions du compte rendu du livre :

Critique : Good Morning Belgium (Réflexions pour un fédéralisme revigoré)

  1. 1. dans Good Morning Belgium, sous le titre Une idée qui fait son chemin. Historique de la proposition de circonscription électorale fédérale en Belgique, pp. 129-184, Mols, Bruxelles, 2012. Voir le compte rendu global du livre dans Critique : Good Morning Belgium (Réflexions pour un fédéralisme revigoré)