REFORME OU DEREGLEMENT DE L'ETAT

Réforme ou Dérèglement de l'Etat [note technique : les accents ne fonctionnent pas toujours bien sur la toile]
7 May, 2014

Jean-Maurice Dehousse

Nous avons posé la question suivante à Jean-Maurice Dehousse : « Vous avez été acteur et témoin de toutes les réformes de l’Etat. Trouvez-vous que celle-ci est différente ? C’est la première fois que l’on touche à la sécurité sociale. Est-ce que l’on est passé à autre chose ? Ou bien poursuit-on ce qui a été commencé en 1970 ? » Après un long entretien avec lui il y a quelques semaines à Liège, nous lui avons renvoyé un compte rendu de cette conversation : c’est sur cette base qu’il a retravaillé ce que nous pouvons lire.
Cette longue étude vaut la peine d'être lue dans la mesure où elle porte sur tous les thèmes qui n’ont pratiquement jamais été abordés dans la campagne électorale et qui ne le seront probablement pas.

Pour comprendre ce qui suit, tournez-vous vers les médias commerciaux traditionnels et surtout les médias audiovisuels. Comme il s'agit des vrais enjeux du 25 mai, vous ne les trouverez sans doute traités qu'ici.

TOUDI

Cette interrogation sur la nature de ce que l’on appelle la 6e réforme de l’Etat, qui est encore plus vaste qu’il n’y paraît, comporte deux questions que les circonstances rendent encore plus complexes. Vous me demandez en effet, d’une part, si la réforme de l’Etat négociée par le Gouvernement et approuvée par le Parlement sortant est différente des précédentes réformes qui se sont échelonnées en Belgique depuis 1970 et, d’autre part, si le fait que cette vaste entreprise englobe une partie de la sécurité sociale transforme la nature de l’opération ou de son résultat.

Pour pénétrer dans ces deux problématiques, je suis forcé de remonter aux sources. Notamment parce que la Belgique, et par conséquent la Wallonie, va connaître, après les élections du 25 Mai, une situation politique entièrement neuve, lourde de périls, et dont l’électorat n’a pratiquement pas connaissance, compte tenu des silences de la campagne électorale.

La situation nouvelle provient du fait que le Gouvernement sortant, s’appuyant sur une majorité spéciale, dite « constitutionnelle », et comprenant les deux partis Ecolo (celui qui se présente en Flandre et celui qui se présente en Wallonie, les deux se présentant à Bruxelles), ainsi que le Parlement sortant, ont proposé et adopté une foule de dispositions diverses.

Celles-ci comprennent notamment :

- la révision de plus de quarante articles de la Constitution ;

- le règlement du conflit portant sur la situation juridique de l’ancien arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, désormais scindé ;

- la suppression du Sénat ;

- un transfert important aux Régions et aux Communautés de compétences (c'est-à-dire de domaines d’action) et de pouvoirs (lesquels caractérisent les modes d’action attribués aux entités fédérées), en ce compris un vaste recours au pouvoir fiscal ;

- un nombre conséquent de mesures institutionnelles modifiant le fonctionnement de divers organes fédéraux (dont le Conseil d’Etat) par le moyen de nouvelles lois ou de modifications légales innombrables ;

- et une nouvelle loi de financement des institutions régionales et communautaires.

A l’exception des mesures concernant Bruxelles-Hal-Vilvorde, lesquelles ont été amplement disséquées, un grand mutisme a été observé sur la plupart des autres mesures (mais pas toutes), une grande parcimonie ayant prévalu en ce qui concerne la présentation et la discussion publique des mesures nouvelles. En Wallonie, l’opinion publique ne se sent guère concernée, et aucun effort n’est fait pour l’éclairer, ni par les partis, ni par les médias. Je ne suis pas certain qu’il en soit de même en Flandre.

Pareillement, on a très peu discuté une mesure fondamentale, directement inspirée (pour ne pas dire plus) par l’Union Européenne, une mesure que l’on n’inclut pas souvent dans l’expression « réforme de l’Etat » mais qui pourtant modifie de façon radicale l’exercice de la démocratie en Belgique et s’inscrit à l’encontre du principe de l’autonomie régionale qui a fondé l’instauration du fédéralisme en Belgique. Il s’agit des dispositions contenues dans le traité dit « traité budgétaire européen », traité qui a fait l’objet d’une loi d’approbation. Donnons tout de suite un exemple.

I. Perte de la souveraineté budgétaire

Tous les commentateurs soulignent l’importance des scrutins du 25 Mai, car il y en a plusieurs. Au niveau fédéral, l’élection de la Chambre des Représentants — et pour la première fois de la Chambre seule, puisque le Sénat a été bouleversé et retiré du suffrage universel. Au niveau régional, trois scrutins, un par Région : en Flandre le Parlement flamand, à Bruxelles le Parlement bruxellois, en Wallonie le Parlement wallon. A quoi il faut ajouter un scrutin propre à la Communauté germanophone. Donc cinq scrutins différents.

C’est dire que l’on peut constater, et c’est un signe de santé démocratique, que l’on ne manque nulle part de candidats. Bien au contraire, puisque l’un des enjeux sera le sort que l’électeur fera aux nouveaux partis, et notamment le PTB (Parti du Travail de Belgique), le PP (Parti Populaire), la Gauche, Vega et j’en passe. Sans tenir compte, du reste, de ce qui se passe en Flandre ou à Bruxelles.

Je répète qu’il s’agit là d’un signe positif par rapport à la santé de la démocratie.

Mais ce qui n’est pas un signe de santé, par contre, c’est qu’à peu près personne ne soit conscient du fait qu’aucun des élus –je redis : aucun –, quel que soit le niveau de l’élection, ne participera plus à l’exercice d’un pouvoir qui est pourtant à la base de la démocratie belge depuis sa fondation, c’est-à-dire depuis 1831 : la souveraineté budgétaire.

Les Parlements sortants : Chambre, Sénat, Parlements Régionaux ou Communautaires, ont tous abdiqué leur souveraineté budgétaire, notre souveraineté budgétaire.

C’est un élément beaucoup plus lourd de conséquences que l’abdication du Roi Albert II, que l’on a célébrée le 21 Juillet avec l’avènement du Roi Philippe.

Mais au niveau parlementaire, il n’y a pas de nouvel avènement. Le pouvoir budgétaire est confisqué aux citoyens au profit de l’Union Européenne et, circonstance largement aggravante, il n’a nullement été confié au Parlement Européen mais à des technocrates non élus. Le fait que la même confiscation a lieu dans les autres Etats de l’Union, dont le public n’est pas beaucoup plus averti que le nôtre, ne constitue nullement une consolation, bien au contraire.

Il signifie seulement que la démocratie recule partout dans l’Europe de l’Union, donc en dehors des Etats extérieurs que demeurent par exemple la Suisse, la Norvège et l’Islande, et en dehors de la Grande Bretagne qui, fidèle à sa tradition parlementaire, a refusé cette évolution en ce qui la concerne, ce en quoi elle a eu bien raison.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette évolution dangereuse et détestable de l’Union Européenne, mais revenons à la Belgique et à la Wallonie.

Cet abandon de la souveraineté budgétaire n’est pas une chose entièrement neuve en Belgique, et par conséquent en Wallonie. Nous avons connu deux précédents historiques : la première occupation allemande en 1914 – 1918, et la deuxième occupation allemande en 1940-1945.

Ces deux précédents devraient donner à réfléchir à tout le monde. C’est loin d’être le cas.

De plus, l’opinion publique, quand on lui parle d’une abolition de l’autonomie budgétaire, ne visualise nullement la réalité des choses et, quand on parle d’une « pression de l’Union Européenne », on envisage surtout une réunion de diplomates qui se vouvoient avec cérémonie.

Ce n’est plus le cas depuis longtemps.

A l’heure actuelle, on peut distinguer quatre degrés au moins dans la façon d’exercer la susdite pression.

Peuples d'Europe, insurgez-vous!


Le premier degré, actuellement le plus extrême, est celui de la Grèce. Trop peu d’entre nous se sont intéressés à ce qui s’est passé et se passe encore en Grèce. Une « troïka » — composée de représentants de la Commission Européenne [Commission BAROSO], de la Banque Centrale Européenne, et du Fonds Monétaire International —a été constituée. Cette troïka s’est largement substituée au Gouvernement grec dans la définition des objectifs (au départ budgétaires) mais aussi des moyens d’y parvenir 1 . Le Gouvernement s’est fait le porte-parole de cette troïka devant le Parlement grec, que l’on a forcé à intervenir malgré de nombreux actes d’insubordination bien compréhensibles.

Résultat social : un tiers de la population grecque n’est plus couverte socialement en matière de santé ; tous les témoignages attestent que la situation médicale est devenue désastreuse.

L’ensemble des mesures de réduction de salaires et de pensions condamne une partie substantielle de la population à la misère et à la malnutrition. Les discours officiels parlent d’ « économies forcée » mais dans la réalité les médicaments manquent ou sont hors de prix.

A Chypre, voisine comme on sait de la Grèce, et pas seulement du point de vue géographique, le contrôle des banques a été particulièrement sévère mais :

- le contrôle des banques chypriotes a été organisé plus tard que le contrôle des banques grecques, ce qui a permis de vastes transferts de fonds importants de Grèce à Chypre puis de Chypre à l’extérieur ;

- deux banques ont été épargnées : celle de l’Eglise orthodoxe et, par pur hasard, celle du Vatican.

Le gel des investissements publics détruit la substance économique, phénomène accéléré par des privatisations forcées sur une échelle inconnue jusqu’ici : le Pirée, qui est le grand port d’Athènes, a été cédé ... à la Chine (au nom de la construction européenne !).

Malgré les garanties établies par les traités européens, la radio-télévision publique a été fermée par l’armée ; le Conseil d’Etat grec a condamné l’ordonnance prise par le Gouvernement pour décider cette fermeture mais le Gouvernement a refusé de s’incliner. Malgré cela, le même Gouvernement grec exerce ce semestre-ci la présidence du Conseil des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union comme si de rien n’était.

Un chômage gigantesque s’est installé : les chiffres les plus fréquemment cités varient entre 30 et 50 % selon les secteurs et les classes d’âge.

Depuis plus d’un an et demi, le Fonds Monétaire International lui-même a reconnu que des erreurs avaient été commises dans le calcul des objectifs imposés à la Grèce mais il peine à obtenir de l’Union l’allègement qu’il recommande.

Et le résultat général est que les mesures prises se révèlent être un échec : la Grèce reste puissamment endettée (mais elle peut recommencer à emprunter puisque les emprunts bénéficient toujours aux prêteurs !) grâce à la garantie européenne.

Une troisième vague d’aide à la Grèce a donc dû être décidée cette année. Cette aide consiste ... en nouveaux prêts. On peut dès lors comprendre que la situation n’est pas près de s’améliorer.

Le deuxième degré est celui du Portugal où des engagements ont été exigés de la part de tous les partis politiques désireux de se présenter aux élections afin « de se mettre à l’abri des aléas démocratiques des élections » 2.

Le troisième degré est celui qui est actuellement imposé à la France, et que le nouveau Gouvernement constitué par François HOLLANDE vient d’accepter (après avoir déclaré à l’Assemblée Nationale qu’il voulait obtenir un allégement au moment de son investiture).On distingue déjà trois grands axes d’économie : diminution des salaires et diminution des pensions (en particulier pour les fonctionnaires), blocage sans indexation de toutes les allocations sociales et diminution des investissements publics.

Enfin, le quatrième degré est actuellement celui de la Belgique ; c’est un degré dit « de surveillance ». Toutefois, dans les prochains mois, le système de financement des communes et des provinces devra faire face à une mise en cause du financement des budgets extraordinaires (celui des investissements, qui sont actuellement répartis sur plusieurs années et conduisent dès lors à des emprunts). Derrière la comédie électorale, on aiguise des couteaux dans les coulisses.

Tout ceci n’empêche personne, évidemment, de réclamer la distribution gratuite de repas chauds dans les écoles. Mais avant les élections, bien entendu.

* * *

Or, le moment— 2014 — où se produit cette diminutio capitis ou capitis diminutio (expression latine qui caractérisait une diminution forcée de la qualité juridique du citoyen et qu’on pourrait traduire ici par décapitation) de la démocratie budgétaire n’est pas dépourvu de signification.

En effet, les problèmes budgétaires (en clair : quels impôts levons-nous pour remplir quelles tâches publiques ?), profondément liés comme on sait au niveau d’endettement global de l’Etat (en clair à nouveau : s’il nous faut toujours plus de moyens pour rembourser notre dette, nous en disposerons d’autant moins pour les dépenses annuelles), sont devenus, suite à la crise économique internationale de 2008 — crise qui n’est nullement due à un surcroît de dépenses mais à la folle spéculation du système bancaire — des enjeux majeurs dans toutes les démocraties du monde, et pas seulement en Europe.

Ce déséquilibre mondial frappe d’autant plus la Wallonie qu’elle se trouve dans une phase économique plus difficile que d’autres régions européennes, et le naufrage progressif de la sidérurgie auquel nous assistons ne fait que renforcer les problèmes.

Nul doute que l’ablation de l’autonomie budgétaire ne pose de très grands problèmes aux dirigeants wallons de demain. Or, comme si cela ne suffisait pas, une autre mesure vient aggraver encore cette situation difficile.

II. Loi de financement ou de définancement ?

On l’a dit, le vaste mouvement constitutionnel et législatif entrepris par le Gouvernement DI RUPO comprend également une nouvelle loi dite de financement des Régions et des Communautés.

Celle-ci a été largement communiquée au public ; son texte et des commentaires érudits sont à la disposition de chacun sur les principaux sites d’information et notamment ceux des partis francophones.

Naturellement, ces textes sont parfaitement incompréhensibles pour le commun des mortels. On se plaignait déjà de la complication des deux premières lois de financement (celle de 1980 et celle de 1988) : celle-ci fait beaucoup plus fort.

Comme toute loi de financement, elle expose des mécanismes mais, puisqu’il s’agit essentiellement de transferts budgétaires, derrière les mécanismes, il y a également un présupposé budgétaire (en clair des chiffres). Or, rappelons-le, un budget est l’acte qui met si possible en équilibre (et en tout cas en balance) les recettes ou les dépenses. Cependant les recettes sont éminemment sujettes à caution, car ce ne sont jamais que des prévisions.

De plus, elles ne dépendent pas seulement des impôts, lesquels sont en principe connus, mais de l’évolution économique, qui ne l’est pas et dont on sait qu’elle pose actuellement d’énormes problèmes dans l’ensemble du monde (le Japon est économiquement immobile depuis bien des années, tel un gigantesque porte-avions dont les moteurs sont en panne), la croissance est aujourd’hui défaillante jusque dans les Etats émergents (la coupe du monde de football se prépare dans un joyeux bruit de bottes budgétaires), la Chine elle-même connait à son tour des difficultés de croissance (jusque dans son secteur bancaire qui ne paraît pas beaucoup plus moral que les autres). Quant aux Etats-Unis, principal moteur du bloc occidental, ils sont assis sur une situation qui est économiquement et budgétairement beaucoup plus dangereuse que celle de la Grèce (ce qui explique les « blocages » de l’administration qui se sont produits au cours des dernières années) mais ils profitent pleinement de leur droit de fabriquer de la monnaie, ce droit que les principaux Etats européens ont abandonné, à tort ou à raison, en adoptant l’euro comme monnaie unique.

Seuls les Etats européens qui ne l’ont pas fait, à commencer par la Grande Bretagne, se portent un peu mieux que les autres.

Toutes les prévisions qui sous-tendent la nouvelle loi de financement et surtout ses projections budgétaires reposent donc sur des espérances de croissances. Celles-ci peuvent ou non se réaliser.

Il est donc important de souligner que la dépendance par rapport à l’horizon économique n’est nullement un choix du législateur ou du Gouvernement : c’est une exigence de ce type de législation, et c’était évidemment le cas aussi en 1980 et en 1988.Par contre, l’horizon économique était alors beaucoup meilleur, et les lois tendaient, surtout en 1980, à permettre aux entités régionales et communautaires de faire face aux besoins (un déficit ou un freinage n’apparaissait que si des charges nouvelles étaient décidées par les entités fédérées, régions ou communautés).

On sait que ce ne fut pas le cas de la loi de 1988, ce que j’avais prévu et annoncé dès le dépôt des formules de calcul en négociation, alors que d’autres négociateurs et non des moindres (Guy SPITAELS, Philippe MOUREAUX et André COOLS, qui m’a succédé à la table des négociations) ont considéré que la loi en question était « inespérée », selon la formule employée à l’époque par Philippe MOUREAUX.

Deux ans plus tard, la Communauté Française ne parvenait plus à payer les enseignants qui lui avaient été transférés.

Et on n’a pas cessé de la refinancer depuis lors. Le malade étant incurable, on ne compte plus les transfusions.

Bonne chance dès lors aux Ministres régionaux et communautaires qui devront déposer, défendre et exécuter des budgets dans la conjoncture économique d’aujourd’hui.

D’autant que la loi de financement est cette fois délibérément conçue comme n’apportant pas aux entités fédérales de quoi faire face aux responsabilités qui leur sont transférées. Habilement, ce défaut majeur est présenté par beaucoup comme une vertu, c'est-à-dire comme « des économies ».

On peut naturellement contester mes estimations, et sans doute ne manquera-t-on pas de le faire.

En attendant, je signale que, dès à présent, le Conseil Economique et Social de Wallonie a publié une étude hautement scientifique et chiffrée qui établit, courbes à l’appui, que la Région Wallonne et la Communauté Française peineront grandement à faire face à leurs besoins actuels.

Le Parlement wallon comme tous les autres en UE a abandonné une grande partie de son pouvoir


Quant à la Région Bruxelloise, le croirait-on, ce sera peut-être un peu moins difficile, ce qui ne garantit nullement que cela se fera sans peine (notamment parce que certains besoins peuvent croître plus rapidement dans une région que dans une autre). Il est bon cependant de savoir que l’on a voulu prévoir un peu plus de canots de sauvetage ou en tout cas de bouées, pour cette région-là.

Je donne ici la référence de cette étude bien intéressante et dont l’objectivité sera plus difficile encore à contester que la mienne. 3.

Politiquement, on place donc les Régions, et particulièrement la Région Wallonne, ainsi que la Communauté Française, dans un étau :

- dès le premier budget, elles devront pratiquer des coupes budgétaires ;

- et si elles veulent augmenter les recettes, elles ne pourront le faire qu’avec l’accord du Conseil des Ministres de l’Union Européenne, des technocrates de ce Conseil et de ceux de la Commission, et naturellement du Président du susdit Conseil, M. Herman VAN ROMPUY ou son successeur. Je veux espérer que la même sévérité sera appliquée partout, mais en vérité je n’en suis pas entièrement certain.


***

Revenons à la Wallonie.

Ainsi, ce qu’on nous propose comme nouveau système de financement des Régions se caractérise ouvertement, pour la première fois depuis 1970, par le fait que l’Etat fédéral transfère aux Régions et aux Communautés des domaines de compétences nombreux et variés mais en refusant de transférer les sommes (on dit aussi les montants) que lui-même consacrait à ses dépenses dans les mêmes secteurs : la nouvelle loi de financement ne garantit — en théorie, il faudra voir ce que cela donne dans la pratique — que la couverture de 90 % des dépenses précédentes.

Première conséquence : un premier choix douloureux. Prenons à nouveau un exemple pour bien comprendre. Ainsi, le budget des allocations familiales, sujet politiquement sensible s’il en est et qui concerne grandement une large partie de la population, n’est pas transféré entièrement : l’Etat fédéral en confisque une partie, estimée à 10 %.

Il s’ensuit que, par définition, l’entité fédérée concernée (Communauté ou Région) ne disposera pas du budget nécessaire. Dès lors, de deux choses l’une : soit on diminuera les allocations familiales (on devine dès maintenant les cris), soit on ira chercher dans d’autres budgets. Mais les autres budgets seront eux aussi amputés de 10 %. Donc, si l’on veut maintenir le niveau des allocations, il faudra pratiquer une amputation supplémentaire (donc de plus de 10 %) ailleurs.

Ce n’est pas tout. Car, après avoir dit aux Régions et aux Communautés : vous devez faire des choix, on leur dit : vous ne ferez pas les choix que vous voudrez, car votre choix devra être accepté par l’Union Européenne. En effet, une autre loi, celle qui approuve le système dit du traité budgétaire européen, prive les Communautés et les Régions de leur souveraineté budgétaire et confie celle-ci aux technocrates européens !

De plus, la même loi de financement, très ouvertement, très publiquement, construit un système qui diminuera automatiquement les ressources de la Wallonie (au-delà de la tranche des 10 %) dans les années à venir.

Bref, il faudra faire des choix drastiques dès les premières années ; ces choix, les responsables ne pourront les faire qu’avec l’accord de l’Union Européenne et la situation ne fera qu’empirer d’année en année, les réductions infligées à la Wallonie étant cumulatives.

III. Castration du Sénat

Le Gouvernement et la majorité spéciale qu’il a su trouver (majorité dite « constitutionnelle » et comprenant les partis ECOLO et GROEN) ont également décidé un troisième axe majeur de modification des structures de l’Etat Belge : la transformation du Sénat.

En apparence, et le Gouvernement ne manque pas une occasion de souligner cette apparence, on accepte une modification du Sénat revendiquée depuis longtemps par les fédéralistes wallons, la transformation du Sénat en Chambre des Régions (et des Communautés).

Sur le papier (donc à lire les textes de présentation), ce n’est pas faux.

Mais la réalité, quand on lit toutes les dispositions, et plus encore dans la pratique, est totalement différente.

Les textes

On ne procédera plus à l’élection du Sénat (naturellement cette partie-là entre immédiatement en vigueur : dans le cadre des élections du 25 Mai, les citoyens perdent la possibilité d’élire des Sénateurs, pour la première fois depuis 1831).

Mais, disent les textes, le Sénat demeure : ses membres, qui sont réduits en nombre (de 71 à 60) seront désignés par les Parlements des entités fédérées (dont l’appellation parlementaire, qui n’était que coutumière, deviendra constitutionnelle) pour cinquante d’entre eux, qui décideront ensuite la cooptation de dix Sénateurs complémentaires.

Les Parlements régionaux procèderont à la désignation de leurs représentants « au prorata des résultats électoraux » (en clair : selon le système de la représentation proportionnelle qui prévaut jusqu’ici en Belgique).

Dans la présentation des modifications en cours qui est faite sur le site informatique du Sénat, les pouvoirs de ce dernier sont énumérés avec un soin particulier et, comme on peut le pressentir, l’humour est involontaire.

On apprend ainsi que le nouveau Sénat

- permettra aux entités fédérées d’avoir accès à des organisations parlementaires internationales (c’est en particulier le cas de l’Union Interparlementaire, laquelle est loin d’être inutile mais ne joue aucun rôle politique) ;

- interviendra « dans les éventuels conflits d’intérêts entre les différentes assemblées parlementaires » de Belgique : cela peut, en effet, ne pas être inutile ;

- « veillera à ce que l’Union Européenne ne prenne aucune initiative sur un thème qui serait mieux traité à un autre niveau », en application du principe dit de subsidiarité : c’est ici que l’humour involontaire apparaît. En effet :

· comment veut-on que le Sénat agisse AVANT toute initiative ? Il faut au contraire qu’une initiative soit au minimum envisagée (et annoncée) pour que l’on puisse formuler même un soupir ;

· comme le faisait très justement remarquer récemment le Professeur-Sénateur DELPEREE, l’Union Européenne indique maintenant à la Grande Bretagne qu’elle doit se préoccuper du logement alors que l’Union ne détient rigoureusement aucune compétence dans ce domaine ; j’ajoute qu’elle le fait avec l’accord, au moins tacite, du Gouvernement belge ; lequel n’a du reste pas émis la moindre protestation à ma connaissance ;

- pourra « rédiger des rapports d’information » (sic) dans les matières « où existent des contacts » entre les compétences fédérales et les compétences des entités : c’est très bien — d’autant que les contacts sont innombrables — mais tout le monde peut faire des « rapports d’information » et aucune association digne de ce nom (de GREENPEACE ou AMNESTY à la société protectrice du raton-laveur) ne s’en prive, avec ou sans permission ;

et on arrive ainsi aux choses plus sérieuses :

- participera « à une série de nominations au sein de hautes juridictions (Cour Constitutionnelle, Conseil d’Etat, Conseil suprême de la magistrature) » ; ce sont des pouvoirs plus substantiels mais il n’y a rien de neuf à cet égard et nous sommes toujours très éloignés des pouvoirs du Sénat américain, par exemple ;

- et enfin, last but not least, « le Sénat est sur le même pied que la Chambre, pleinement compétent pour la Constitution et pour la législation relative à l’organisation et au fonctionnement des institutions de l’Etat fédéral et des activités fédérées » (en clair pour la loi spéciale instituant Régions et Communautés et peut-être aussi, cela n’est pas dit, pour la loi de financement).

« Ô qu’en termes galants ces choses-là sont dites !»

En effet, ce phrasé suave qui semble confier une compétence importante au Sénat lui enlève au contraire une foule de compétences et de pouvoirs.

Depuis 1831, le Sénat a la même compétence et les mêmes pouvoirs que la Chambre, comme c’est la règle en régime bicaméral. Il est dès lors compétent :

- pour la révision de la Constitution ;

-pour les lois organiques des Régions et des Communautés qui exigent une majorité spéciale ;

- pour l’ensemble de la législation ordinaire, qui n’exige que des majorités simples, y compris les lois dites organiques (la loi communale, la loi organisant le Conseil d’Etat etc.) ;

- pour les lois budgétaires qui sont renouvelées chaque année ;

- pour les lois fiscales

De plus, comme la Chambre, le Sénat exerce un contrôle sur le Gouvernement, par une série de moyens, notamment les questions et les interpellations.

Qu’en sera-t-il à partir du mois de juin prochain ?

On doit noter que, déjà, la réforme constitutionnelle de 1993-1994 avait spécialisé le Sénat, donc lui avait enlevé un certain pouvoir d’agir d’initiative, mais on avait veillé à créer en compensation un droit d’évocation dont le Sénat a effectivement fait usage à plusieurs reprises.

Cette fois, ce droit d’évocation est purement et simplement aboli tandis que la compétence du Sénat est réduite de façon drastique : le Sénat ne sera plus appelé à voter que la seule législation exigeant des majorités spéciales et la révision de la Constitution.

Il ne votera plus rein de la législation ordinaire donc il ne votera plus ni les budgets ni les impôts ; il n’exercera plus non plus de contrôle parlementaire sur le Gouvernement.

On se satisfera donc en Belgique du seul vote de la Chambre. Le Sénat ne subit donc pas une opération bénigne mais une castration.

Qu’est-ce qu’un Sénat ?

Dans les démocraties avancées, le Sénat est une deuxième Chambre, par rapport à l’assemblée parlementaire de base qui a longtemps été le fondement même de la démocratie : Assemblée Nationale en France, Chambre des Représentants en Belgique, Chambre des Communes en Grande Bretagne, etc.

Pourquoi une deuxième Chambre ? Outre des raisons propres à chaque Etat, dont des représentations régionales, par exemple, le Sénat est le plus souvent conçu comme une Chambre plus stable (aux Etats-Unis, la Chambre est renouvelée tous les deux ans tandis que le Sénat ne procède à son renouvellement que pour un tiers à chaque élection de la Chambre) ; souvent dénommé Chambre Haute, le Sénat est en toutes choses la chambre de la réflexion par opposition à celle de l’impulsion ; de plus, le bicaméralisme offre de sérieuses garanties en ce qui concerne la qualité de la législation.

Il s’ensuit que la castration politique du Sénat donne automatiquement prise à un goût plus aventureux de la Chambre, et la première réalité en Belgique est que la Chambre, pour des raisons démographiques et démocratiques, est intrinsèquement à majorité flamande.

Sénat des Etats-Unis d'Amérique où chaque Etat est représenté par deux Sénateurs

En castrant le Sénat, on met d’office les Wallons et les Francophones dans une situation de minorité perpétuelle et non-compensée.

C’est la négation même du système fédéral, qui repose au contraire sur des principes d’égalité au moins juridique : le Rhode Island ou l’Utah, entités fédérées des Etats-Unis dont l’un est très petit et l’autre très désertique, donc peu peuplé, disposent chacun de deux Sénateurs, tout comme la Californie ou le Texas.

Pour beaucoup de spécialistes mondiaux du fédéralisme, et non des moindres, un système sans Sénat ne peut pas, par nature, être un système fédéral.

Par conséquent, ici encore, nous constatons que les modifications apportées au mode de gouvernement en Belgique vont à l’encontre de l’esprit qui a présidé à la réforme constitutionnelle de 1970 et à celles qui l’ont suivie : celles-ci ont toutes voulu une progression vers le fédéralisme (notamment en 1993-94 par la création de Sénateurs régionaux ou communautaires à côté des Sénateurs élus directs) ; ici, au contraire, sans explication, on s’en éloigne.

Il y a pire. La Chambre comporte deux groupes linguistiques : le groupe flamand et le groupe francophone. C’est au sein de ces groupes que la Constitution exige de trouver une majorité pour modifier les lois spéciales. Mais la majorité de chaque groupe linguistique détient dès lors un droit de veto. Et, en dehors de la législation spéciale, la majorité du groupe linguistique flamand détient inévitablement, de ce fait, un large pouvoir politique vis-à-vis du Gouvernement.

Or cette majorité flamande est en jeu dans les élections du 25 Mai, car la N.V.A. de M. DE WEVER ne cache pas ses ambitions directes (comme tout parti, elle espère un succès) mais il pourrait se faire que cette fois-ci, déjà - - dans un mois ! - - elle puisse constituer une majorité flamande avec les autres indépendantistes flamands (l’ancien Blok) ! Et c’est précisément à ce moment que l’on enlève la sécurité que représentait la seconde Chambre !

J’ai peine à croire que nul n’y ait songé. D’autant que tous ceux qui connaissent un peu le système belge de gouvernement savent qu’il y a eu naguère des majorités à la Chambre qui ne se rencontraient pas au Sénat (et l’inverse), et qu’il a même existé un Gouvernement qui ne détenait qu’une seule voix de majorité (on l’a du reste appelé, pour cette seule raison, le « Gouvernement de la Mouette», en raison du fait que ce volatile peut se tenir sur une seule patte).

Du reste, le seul orateur francophone qui a décelé et mis en lumière les failles du mécanisme déclenché par le Gouvernement DI RUPO n’a pas mâché ses mots. Il s’agit d’Olivier MAINGAIN, Chef du Groupe FDF et par ailleurs Président du même parti, qui a jeté à la Chambre : « Vous ouvrez bien la voie aux séparatistes et aux confédéralistes 4. »

Hélas ! Comme je l’ai si souvent expliqué à mes étudiants et à mes stagiaires, ce n’est pas par hasard si l’on emploie le mot « Parlement » plutôt que celui d’« entendoir ».

Représentation des Régions ou des Partis au Sénat ?

La représentation nouvelle des entités fédérées au sein du Sénat ne sera pas seulement désignée par les assemblées régionales : elle devra être opérée par les assemblées régionales « en leur sein ».

On fortifie ainsi le système du cumul, qui est actuellement un cancer pour la démocratie, car comment expliquer, quand le travail manque pour deux voire trois personnes sur dix que les sept ou huit autres peuvent cumuler ?

Certes, j’entends déjà répondre « mais ce ne sera qu’un petit cumul, parce que le Sénat ne prendra plus un temps plein ». En effet, mais un cumul reste un cumul. De plus, si le Sénat n’exige plus un travail à plein temps, c’est bien que son rôle est fortement diminué !

A ce premier obstacle du cumul, l’évolution parlementaire actuelle vient en ajouter un second.

Pour un observateur attentif, la dégradation du statut de parlementaire est constante en Belgique, et elle va s’aggravant.

On enseigne probablement toujours dans les écoles — si on y parle encore du Parlement — que les électeurs choisissent leurs représentants. Ce n’est malheureusement plus vrai.

En effet, ils ont encore un choix. Mais ce n’est plus qu’un choix soigneusement restreint entre ceux que les partis proposent, et entre ceux-là seulement. Certes chacun peut former un parti, jusqu’à nouvel ordre, et nous le voyons bien dans la multiplication des listes qui marque la présente campagne électorale.

Mais il s’agit donc bien d’un choix entre partis et non plus entre représentants. La démocratie devient une partitocratie.

De plus, les circonscriptions ont été presque partout rendues plus vastes sans qu’on demande jamais l’avis de l’électorat sur ce point, alors que cette pratique rend la concurrence sans cesse plus difficile. On était jadis député d’un arrondissement, on ne l’est plus aujourd’hui que d’une province, sans que cette modification n’ait figuré clairement au programme d’un parti. Et les élections européennes se déroulent dans une circonscription pour nous gigantesque : celle des Communautés (4 millions et demi de personnes au moins pour la Communauté Française). Même José HAPPART a bien dû se présenter sur la liste d’un parti.

Enfin, troisième élément, le fonctionnement interne des partis s’écarte de plus en plus des procédures démocratiques. Je parle d’expérience au sein du parti socialiste, jadis grand parti de masse et école permanente de la démocratie. Aujourd’hui, les membres de ce parti ne sont plus appelés à choisir leurs candidats : tout au plus consent-on à leur demander s’ils accepteraient la liste qu’on leur propose, avec tous les jeux d’influence que cela comporte. Au sein de la section de Liège - - l’une des plus grandes de la Fédération Liégeoise - - un « poll d’approbation » (ce qui constitue un non sens au niveau des termes) a bien été organisé. Mais 90 % des affiliés ont choisi de bouder ce poll. Et il ne s’agit nullement d’un cas isolé. Du reste, on ne vote même plus sur le renoncement au poll (alors qu’il figure toujours dans les statuts du Parti).

Il est du reste de notoriété publique que la présence d’un candidat sur la liste socialiste pour la Chambre aux élections fédérales du 25 Mai — Frédéric DAERDEN pour ne pas le nommer—a été « imposée » par le Boulevard de l’Empereur. Mais, en matière de personnes, plus encore qu’ailleurs, soyons clairs : si un véritable poll avait été organisé, je suis persuadé que Frédéric aurait bénéficié d’un solide classement au poll. Il est donc particulièrement révélateur que les polls ne se fassent plus, ou n’aient plus de réalité, mais que le classement final soit décidé en fonction de pressions extérieures.

Je mentionne le Parti Socialiste parce que j’en fais partie et que j’y constate une évolution très nette (et que je regrette mais c’est une autre affaire), depuis plus de vingt ans.

Mais le Parti Socialiste n’est pas seul en cause, bien au contraire : son exemple est frappant parce que la démocratie y était vivante mais elle ne l’était pas ailleurs (et on l’a bien vu par exemple chez les Libéraux liégeois dès le début du XXe siècle).

Plus près de nous, cette année-même, l’opinion publique toute entière a pu suivre les péripéties qui ont présidé au choix d’un candidat ou plutôt d’une candidate au sein d’un autre parti : le Centre Démocrate et Humaniste (CdH). Il s’agit de Mme Anne DELVAUX, membre sortante du Parlement Européen, où elle était du reste appréciée, et qui souhaitait y rester donc se présenter sur la liste européenne. Ce désir n’a pas rencontré la volonté du Président de son parti, M. LUTGEN. Et l’opinion publique a entendu celui-ci expliquer à la télévision, gestes à l’appui, qu’il était « le patron » et « qu’il disposait de ses joueurs comme il lui semblait bon ».

C’est la même déviance qui a conduit M. DI RUPO — en claire violation de son serment constitutionnel d’ailleurs — à réclamer à « ses Ministres » — quel lapsus révélateur ! — donc à José HAPPART (l’homme aux 234.000 voix de préférence aux élections européennes de 1984 !) une lettre de démission en blanc.

Particratie chez les schtroumpfs


Or qu’est-ce qu’un « représentant », au sens parlementaire ?

« Chambre des Représentants » est l’appellation officielle de la première Chambre, en Belgique. Mais le terme flamand va plus loin, avec raison, dans la définition «Volksvertegenwoordiger » : représentant du peuple. Pas représentant de M. LUTGEN (ou d’un autre) !

Mais c’est ainsi que la partitocratie elle-même dévie, et devient la « présidentocratie »5.

Pour un socialiste tel que moi, quelle déviance depuis Max BUSET, qui présidait avec une autorité incontestée mais qui souhaitait toujours n’être que le deuxième sur la liste des candidats de son arrondissement et laissait pour le reste les choix se faire à la base ... jusqu’à ce que la Fédération Bruxelloise décide la mise hors poll de Paul-Henri SPAAK.

En vraie démocratie, ce sont les citoyens qui doivent désigner leurs représentants. Voyez du reste le soin avec lequel le système politique américain organise des élections primaires, c’est-à-dire non pas pour élire mais pour choisir les candidats.

Les déviances successives de la démocratie expliquent beaucoup de déboires et expliquent aussi une des particularités du temps politique que nous vivons.

Le parlementarisme a été admis et défendu en tant que démocratie représentative. Mais si c’est M. LUTGEN, ou M. DI RUPO, ou M. MICHEL, ou le Boulevard de l’Empereur, ou la rue des deux Eglises, ou la rue de Solférino, etc, qui désignent les candidats, ce sont bien évidemment eux qui désignent en fait les élus. De quoi ceux-ci sont-ils dès lors les représentants ? De la personne ou de l’appareil qui les a désignés. Et voilà pourquoi les parlementaires d’aujourd’hui sont largement perçus comme des employés de leur parti, bien plus que comme des représentants « du peuple ». A la décharge des parlementaires, toutefois, il faut souligner que ceux-ci n’ont pas déclenché l’évolution, et que bon nombre d’entre eux la subissent.

Cette évolution explique toutefois grandement que la population ne se sente plus « représentée », et qu’elle perçoive l’existence d’un « fossé » entre elle et « ses représentants ». Ce qui la conduit, surtout lorsqu’elle est en colère, à vouloir chercher « ses représentants » ailleurs.

François HOLLANDE ne l’a manifestement pas compris ou pas admis, et c’est pourquoi il rencontrera fatalement d’autres déconvenues. Il ne sera malheureusement pas le seul.

Mais voilà aussi pourquoi la « représentation des Régions » dans le nouveau Sénat est un leurre telle qu’elle est organisée. Car, comme les partis auront désigné leurs « élus » dans les Parlements régionaux, ils choisiront encore davantage ceux qui, parmi les élus régionaux, deviendront les Sénateurs (et les Sénatrices) : la « représentation des Régions » ne sera en réalité qu’une représentation des partis, et ce seront les plus sages (dans ce cas les plus obéissants) qui seront choisis et récompensés. On nous annonce un « Sénat des Régions » : ce sera bien plutôt un « Sénat des Partis ».

Au reste, il n’est pas véritablement surprenant que, lorsqu’on retire un Sénat du suffrage universel, on porte nécessairement et inévitablement atteinte à sa « représentativité ».

Conclusions

Rappelons tout d’abord que la modification de son régime politique que la Belgique a entrepris en 2011, et que le Parlement a voté en 2013, est vaste et complexe.

Au moment où ces lignes sont écrites, M. DI RUPO répond à la Chambre à la NVA, qui lui reproche de n’avoir « rien fait » en matière de révision de la Constitution. L’accusation est fallacieuse et délibérément mensongère. M. DI RUPO n’éprouve aucune peine à répondre que plus de quarante-cinq articles de la Constitution ont été modifiés. Mais la mauvaise foi de la NVA est très éclairante sur ce qui suivra.

Une fois de plus, on a entendu dire que la « réforme » serait la dernière. Une fois de plus, ce ne sera pas vrai.

Pour beaucoup de raisons dont je ne citerai que deux.

Le mouvement flamand sur sa lancée

La première raison est que les médias francophones se déchaînent bien à tort sur le rôle actuel de M. DE WEVER. En effet, M. DE WEVER ne dit rien de bien neuf mais il le dit avec une assurance et un retentissement particuliers.

De Wever : rien de nouveau

M. DE WEVER ne dit rien de bien neuf. Il est en effet bien connu que le mouvement flamand a toujours eu deux fers au feu, pour reprendre l’expression d’un ancien président flamand de la Chambre, M. Frans VAN CAUWELAERT 6

Du reste, dans les remarques qui sous-tendent la précieuse présentation des conditions de formation et de fonctionnement des Gouvernements belges depuis 1978, Henri LEMAITRE relevait déjà en 1982 une revendication confédérale formulée par M. Eric VAN ROMPUY, à l’époque Président des jeunes C.V.P. : « Il faut passer à une confédération quitte à provoquer l’éclatement du pays (sic) » 7. Cette revendication est formulée dans Le Soir des 18 et 19 Novembre 1979.

Beaucoup plus près de nous, mais toujours avant M. DE WEVER, le Manifeste du groupe In de Warande (mars 2006), très représentatif des milieux industriels et financiers flamands, établit et publia dix points majeurs de concordance dont les deux plus significatifs sont les suivants :

« 1. Toute communauté nationale a le droit de s’occuper elle-même de son avenir. La Flandre a, elle aussi, le droit au même titre que bon nombre d’autres pays ayant acquis leur indépendance au cours des décennies écoulées.

.................................................................................................................................................

10. La Belgique, avec ses défauts et freinages, ne présente plus un projet digne d’intérêt, ni pour la Flandre, ni pour la Wallonie et Bruxelles » 8.

Qu’y a-t-il de neuf aujourd’hui ? Rien.

Mais M. DE WEVER parle avec une assurance et un retentissement particuliers. Outre les qualités d’expression et de communication propres à M. DE WEVER, ce dernier parle avec une résonnance forte pour les mêmes raisons que celles qui ont donné une résonnance et une importance exceptionnelles aux propos tenus par le général DE GAULLE à partir de juin 1940. Charles DE GAULLE disait ce que la France voulait entendre, et M. DE WEVER annonce ce que la Flandre veut entendre.

Il est futile à cet égard d’affirmer que la Flandre n’est pas unanime ; personne ne le conteste ; la France non plus n’était pas unanime en juin 1940 et même il est évident que Charles DE GAULLE ne disposait pas de l’appui massif de plus de 30 % des électeurs sans même prendre en compte les autres indépendantistes.

De surcroît, chaque fois qu’une personnalité francophone reproche à M. DE WEVER de « vouloir démanteler le pays » —ce qui se fait actuellement bien plus d’une fois par semaine — cette personnalité accorde à M. DE WEVER un brevet de « flamandité » (Mme ROYAL dirait « de flamanditude ») ; et contribue à son avènement. Parce que, pour M. DE WEVER et pour beaucoup d’autres, le vrai pays, c’est déjà la Flandre, et celle-ci a pleinement conscience de vouloir remplacer la Belgique, au moins en ce qui la concerne. 9.

On ne répétera jamais assez que l’évolution à laquelle nous assistons n’a rien de surprenant. Elle était annoncée dans son principe ; elle était prévisible, et elle était même si prévisible qu’elle a été prévue.

Qu’écrivait M. PERIN à ce sujet dès 1988 ?

« Le processus de séparation est progressif. Le plus probable veut que, d’étapes en étapes, les attributions et moyens des Communautés et Régions augmenteront, par des modifications successives des lois des 8 et 9 Août 1980 » 10.

C’est exactement ce qui s’est produit, à partir du reste de l’année 1988 qui voit la publication de la prévision de M. PERIN. Ce dernier note avec raison que « le démembrement (le terme est de M. PERIN) se heurtera aux fonctions de l’Etat résultant nécessairement de l’utilisation d’une monnaie unique : il n’y aura pas de franc wallon, de franc flamand, de franc bruxellois 11

M. PERIN ne pouvait prédire en 1988 la mise en place de l’Euro mais aujourd’hui l’Euro existe, avec le corollaire que l’obstacle noté avec raison par M. PERIN a disparu.

Ce qui permet de nouvelles avancées au mouvement flamand.

Le Gouvernement de M. DI RUPO s’est donc efforcé de dresser un autre barrage au son des fifres et des tambours et on a remis à neuf les beaux habits du belgicanisme. Le bon peuple s’en réjouit, mais c’est parce qu’il ignore qu’on lui propose une chimère, c’est-à-dire un belgicanisme sans la Flandre, dont tout démontre qu’elle ne le veut pas. Elle voit son autonomie à portée de sa main, et les discours ne l’arrêteront pas.

Les compétences transférées trop liées à d’autres qui ne sont pas transférées

Un deuxième motif de penser que les modifications entreprises en 2012 se continueront et se développeront tient cette fois à la méthode employée par le Gouvernement et les huit partis qui l’ont soutenu.

A la différence des réformes précédentes, on n’est pas parti de la volonté de transférer une matière : le pouvoir économique, les travaux publics, l’enseignement, tout ou partie de la justice, par exemple, avec les conséquences budgétaires appropriées. On est parti au contraire du désir de transférer une ration budgétaire significative et on a ratissé les budgets pour additionner des sommes. Consciemment ou inconsciemment, on a voulu acheter quelque chose, probablement la paix.

Mais la nature de la fonction gouvernementale ne se prête pas aussi facilement à un découpage budgétaire ; les compétences gouvernementales s’imbriquent en fait les unes dans les autres. Il n’y a pas de sens profond — et donc pas de ciment durable — à transférer telle ou telle réglementation spécifique en matière d’emploi, par exemple parce que les budgets affectés à cette fonction sont significatifs et que l’Etat central estime qu’il ne s’agit pas d’une fonction stratégique. Ce découpage incohérent —sauf en matière budgétaire— va empêcher toute politique globale, que ce soit pour le Gouvernement central ou pour les entités fédérées, et par conséquent on sera appelé tôt ou tard à revoir le problème « pour remettre de l’ordre ». Fera-t-on alors machine arrière ? Cela me paraît improbable. On ira donc encore de l’avant. Beaucoup de parlementaires conscients ne l’ignorent pas.

De plus, Wallons et Francophones ont cédé sur un point essentiel : contrairement à toutes les promesses et à toutes les déclarations, on touche sérieusement à la sécurité sociale. On voit mal M. DE WEVER et les siens renoncer à exploiter pareille brèche.

Il faut par contre souligner qu’en Wallonie les forces patronales, aussi bien que syndicales, se sont inquiétées de cette incohérence et par conséquent de cette fragilité, notamment dans plusieurs messages du Conseil Economique et Social, qui joue aujourd’hui un rôle remarquable de préservateur du sentiment de l’intérêt wallon et d’une préoccupation wallonne dramatiquement absents de la campagne électorale.

Il est bien certain à cet égard que l’affrontement central des élections fédérales - - un nationalisme flamand décomplexé contre un belgicanisme reconstruit - - va inévitablement engendrer beaucoup d’abstentions en Wallonie. La présidence de Guy SPITAELS s’est appuyée sur la popularité de José HAPPART ; la présidence de M. DI RUPO lui a préféré les communautés, ethniques ou autres. Ce n’est pas un choix neutre.

Réforme ou dérèglement, le mouvement modificateur de 2014, pour vaste qu’il soit, ne trouve nulle part sa source en Wallonie ; aucune modification ne répond à une revendication wallonne, ni bruxelloise d’ailleurs (hormis peut-être les modifications tenant à la loi de financement) ; toutes répondent à des revendications flamandes. Et, bien entendu, la revendication publiquement exprimée en Wallonie, celle du regroupement de l’action économique et de l’enseignement, donc de la culture, ne trouve aucun écho dans le plan gouvernemental.

Dans ces conditions, le sentiment wallon ne jouera pas et ce seront d’autres forces qui emporteront la décision électorale.

Ceci n’a rien de surprenant dans une Région qui paie un tribut particulièrement lourd à ce fléau social qu’est le chômage.

Le spectre du chômage en Wallonie

Chômage en Wallonie (FGTB wallonne, Brabant wallon)

Quand deux, trois, voire quatre familles sur dix sont nécessairement frappées par le chômage — et dans beaucoup d’entre elles, on y compte plusieurs victimes, en particulier parmi les plus jeunes et parmi les plus âgés — la première préoccupation devient la survie.

Comme tout le monde sait qu’il n’y a pas assez d’emplois disponibles, et qu’il n’y en aura pas plus demain, bien au contraire, la décision de limiter les allocations de chômage dans le temps apparaît comme ce qu’elle est : une décision honteuse et particulièrement injuste.

Chercher à en diminuer l’impact dans les derniers jours d’une campagne électorale, c’est bien entendu reconnaître l’erreur mais c’est loin d’être un repentir, et cela n’appelle donc aucun pardon.

Au surplus, comment reprocher aux travailleurs de ne pas deviner que les mesures de structure politique impliqueront nécessairement des décisions cruelles dans les mois à venir quand le Gouvernement et les médias leur fournissent à plaisir — mais nullement par erreur — plus d’informations sur l’arrivée et sur la localisation de deux pandas que sur les implications budgétaires du vote d’une loi de financement ?

Mais cela n’empêche malheureusement pas que, si on ne trouve pas rapidement une parade à la désorganisation par l’Union Européenne des budgets communaux et provinciaux, on ira vers un désastre dans l’industrie du bâtiment.

Sans parler des nouvelles vagues mondiales de chômage provoquées par l’informatique et les progrès de la robotique, qui frapperont dans les secteurs les plus inattendus : le public ne sait pas encore, par exemple, que des robots sont déjà à l’œuvre dans le domaine de la chirurgie, sans du reste qu’on songe à leur appliquer les mêmes mesures de vérification et de prudence que pour les médicaments.

Sans parler non plus de cette tendance effrénée à la dualisation de la société que Georges DEBUNNE et moi dénoncions de concert au moment où on voulait nous imposer la soi-disant Constitution Européenne dans le même silence des responsables et le même mutisme des médias.

C’était en 2004-2005, et nous disions d’une même voix « on veut rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres ».

Il suffit de regarder autour de soi pour voir que nous n’avions pas tort, et que la dualisation se fait chaque jour plus forte, donc chaque jour plus insupportable.

Et enfin sans rien dire des drames qui se préparent depuis l’abandon par la France de François HOLLANDE de toute digue - - adieu, l’exception culturelle ! - - à la commercialisation de tous les services (y compris la santé et l’enseignement) dans une vaste zone atlantique qui reposera non plus sur les Etats mais sur les groupes multinationaux, que l’on veut exempter de la justice des Etats.

Les fautes des responsables politiques wallons

Ceci dit, il est évident que c’est très volontairement que M. DI RUPO a préféré saper dans l’ombre et le silence les institutions régionales qui lui ont si bien servi à faire carrière.Mais il n’est pas sûr qu’il ait mesuré avec exactitude les conséquences sociales de ses choix.

Toujours est-il que les dés sont jetés.

D’autre part, M. DI RUPO est loin d’être le seul en cause. On le cite d’abord parce qu’il est là où il aime être : à la première place.

Mais les responsabilités des autres partis wallons ne sont pas moins grandes. Le CdH est bien loin aujourd’hui des préoccupations économiques et sociales défendues par M. CALIFICE d’abord et par M. MAYSTADT ensuite. Par ailleurs, M. REYNDERS ou M. MICHEL ne sont pas précisément des disciples de François BOVESSE, tandis qu’Ecolo se situe nettement dans un autre monde depuis sa rupture avec M. WESPHAEL, retenu lui-même par d’autres obligations.

Et, si la résistance du F.D.F. et de M. MAINGAIN a mérité l’estime, et pourquoi le cacher, le F.D.F. reste — jusqu’à nouvel ordre—perçu en Wallonie comme un parti essentiellement bruxellois, ce qui correspond du reste à sa nature historique.

Enfin, la gouvernance de François HOLLANDE représente un tel désastre et un tel reniement que M. GENDEBIEN aura la plus grande peine à défendre à nouveau l’idée d’un rattachement à la France dont on aperçoit moins que jamais le bien qu’il pourrait induire.

Quant aux nouvelles forces politiques qui se font sentir, le P.T.B., dont le programme social est incontestablement mobilisateur, a gardé les pieds dans une insensibilité communautaire profonde puisqu’il se borne à réclamer la rebelgicisation de l’enseignement : avec un tel programme, et sans rien dire de la Wallonie, il ne risque pas de déplacer des montagnes en Flandre.

Enfin, le Parti Populaire, qui vise à ouvrir d’autres perspectives sans qu’on sache trop lesquelles à moins de trente jours du scrutin, il servira sans nul doute d’exutoire mais on ne pourra que voir plus tard où seront ses priorités.

On peut donc souhaiter que les électeurs expriment des choix clairs, mais on doit craindre que le temps des frustrations ne soit pas long à venir.

Le divorce entre le peuple wallon et ses représentants

Voilà où nous conduit le dévoiement de l’expression « réforme de l’Etat ».

De 1970 à 2014, les révisions de la Constitution et plus largement les réformes de l’Etat — ce n’est pas la même chose et on les confond à tort 12— ont été le produit commun, aussi convergent que possible, de trois volontés régionales :

- celle à coup sûr de la Flandre (qui préfère le mot Communauté mais il a pour elle le même sens, celui de la « Communauté nationale » qu’emploie le Manifeste In de Warande) ;

- celle aussi de la Wallonie, particulièrement pour les structures économiques ;

- et celle enfin de la Région bruxelloise dont le F.D.F. a été l’élément moteur initial, relayé ensuite par des hommes tels que Charles PICQUE.

Au contraire, le grand mouvement de 2014 n’a été réclamé ou voulu par personne, ni à Bruxelles, ni en Wallonie. Il est juridiquement accepté par les parlementaires, il est officiellement proclamé par les principaux responsables du moment, et il est pratiquement subi par à peu près tout le reste de la population. La situation d’aujourd’hui est donc entièrement nouvelle.

La suppression du Sénat constitue une lourde perte pour les Francophones et pour les Wallons, mais un gain pour la Flandre car c’est un pas en avant pour elle, et un pas en arrière pour la Belgique et pour le système fédéral.

Les réductions budgétaires programmées pour la Wallonie - - et pour elle seule - - correspondent à une vieille revendication flamande et ne tiennent aucun compte du pillage systématique de la Wallonie par l’Etat belge, qui demeure l’une des causes principales du recul économique de la Wallonie de 1914 à 1970, sinon au-delà.

De plus, le basculement général de l’Union Européenne, qui fait désormais ouvertement la guerre au progrès social et à toutes les solidarités, est soutenu en Flandre par une majorité qui sera confirmée par les élections du 25 Mai, alors qu’il est repoussé en Wallonie par une majorité plus grande encore (il m’est impossible de l’extérieur d’apprécier la situation à Bruxelles).

On voit dès lors aisément de quel côté penche la balance. D’autant qu’en observant les autres éléments de changement que prévoient les modifications constitutionnelles et légales, qu’il est impossible d’analyser dans la présente synthèse, on constate que ces modifications peuvent avoir leur intérêt propre (l’introduction d’une forme de référendum régional par exemple), mais rien ne peut compenser le déséquilibre créé par les trois axes fondamentaux mis ici en évidence et en perspective.

Levons enfin une dernière équivoque. Je n’ai pas cru bon de me pencher longuement sur la constitutionalité des différentes modifications et notamment des éléments de base des trois axes fondamentaux.

Or de sérieuses questions se posent à cet égard. La précédente déclaration de révision a-t-elle ou non été adoptée par un Gouvernement en affaires courantes et, si c’est le cas, avait-il le droit de le faire ? Est-il acceptable de « suspendre temporairement » (en français c’est presqu’une tautologie) un article de la Constitution par une mesure dite transitoire aussi improvisée qu’orientée, et par conséquent d’empêcher toute discussion préalable d’une révision constitutionnelle majeure, à l’encontre manifeste de la volonté expresse du Constituant de 1831, maintes fois répétée depuis lors ? Et ainsi de suite.

Je me borne à énumérer des questions. Je ne tente pas d’y répondre. Mais je note en passant que des constitutionnalistes reconnus, y compris flamands, tels le Professeur Robert SENELLE, récemment décédé, qui avant son décès a publié une solennelle mise en garde contre le chemin pris par le Gouvernement, ont exprimé des réserves formelles.

Sans nul doute, les spécialistes y reviendront.

Mais ils n’y reviendront que plus tard. Le mal est fait. Et, ce qui retient tout spécialement mon attention, c’est qu’une majorité et même une majorité spéciale s’est trouvée dans les deux Chambres pour voter le tout, ce qui implique naturellement une majorité dans le groupe linguistique francophone même, et pour être à nouveau très clair, une majorité des « représentants » élus en Wallonie, ainsi du reste, pour ce qui concerne le « traité budgétaire européen », des majorités dans tous les parlements régionaux.

Or, si l’on avait procédé, en Wallonie en tout cas, à un référendum ou à une consultation populaire, personne ne peut douter qu’un NON retentissant aurait été formulé par la population.

La base de la crise politique, elle est là, bien plus lourde de dangers encore que dans une constitutionnalité problématique.

Les « représentants populaires » qui votent contre le sentiment de leurs électeurs, et qui pour la plupart le savent, sont des audacieux, et peut-être des téméraires.

Ils ne doivent en tout cas ni être surpris, ni encore moins se plaindre, si le vent du reproche se lève, et si derrière le reproche, ou avec lui, c’est le rejet qui se manifeste.

  1. 1. On note l’absence du Parlement Européen, absence qui ne doit rien au hasard puisque les traités européens interdisent toute velléité de contrôle de la Banque Centrale Européenne par le Parlement Européen. La technocratie s’impose à la démocratie
  2. 2. Expression utilisée par la presse internationale
  3. 3. Philippe BOVEROUX et Luc SIMAR, 6e réforme de l’Etat et loi spéciale de financement : quels impacts pour les budgets de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Dossier du C.E.S.W., novembre 2013
  4. 4. Olivier MAINGAIN à la Chambre le 15 Mars 2012, dans le débat sur la révision de la Constitution ; cité par Michelle LAMENSCH dans Le Soir, du16 mars 2012.
  5. 5. Terme employé notamment par Jean-Emile HUMBLET.
  6. 6. Frans VAN CAUWELAERT (1880 – 1961), grande figure du Mouvement Flamand ; professeur à l’Université de Leuven ; Membre de la Chambre des Représentants de 1910 à 1961 (et il en fut longuement le Président) ; plusieurs fois Ministre (1934) ; Bourgmestre d’Anvers, lui aussi. [/fn], d’un côté conquérir une prépondérance sur l’appareil de l’Etat ; d’autre part, organiser la pensée et la vie autonomes de la Flandre.

    Quant au premier volet — la domination de l’appareil de l’Etat — il est pleinement réalisé depuis longtemps : la Flandre occupe littéralement l’appareil de l’Etat belge et en use largement à son profit ; les francophones au pouvoir l’ont accepté, notamment dans l’espoir, trompeur mais vivace, de freiner la deuxième poussée, voire de l’empêcher. Naturellement, ils n’y parviennent pas et la Flandre, loin de freiner, développe d’autant plus ouvertement le deuxième objectif : la reconnaissance de la Flandre comme Etat membre de l’Union Européenne.

    A cet égard, le « confédéralisme » apparaît évidemment comme une étape nécessaire : la dernière probablement à réaliser (en un mouvement ou en plusieurs) pour autonomiser la Flandre aussi complètement que possible dans un cadre qui reste celui de la Belgique, de façon à avoir les mains libres pour entamer les étapes finales : la Flandre composante directe de l’Union Européenne.

    Cette vocation au confédéralisme (dont on a commencé par prétendre stupidement l’inexistence ou l’infaisabilité) est reprochée à M. DE WEVER, qui assurément l’exprime aujourd’hui.

    Mais il est loin d’être le premier : dès novembre 1986 (voici vingt-sept ans) le C.V.P. affirmait déjà : « tout ce que l’Europe ne fera pas, la Flandre le fera ». Trois mois plus tard, le Centre de Concertation des Associations Flamandes réclamait la mise en place d’une « confédération royale » François PERIN, Histoire d’une Nation Introuvable ; Paul LEGRAIN,Bruxelles, 1988 ; 310 pp ; p. 285.

  7. 7. Henri LEMAITRE, Les Gouvernements belges de 1968 à 1980 ; Chauveheid, Stavelot, 1982 ; 391 pp. ; p.263.
  8. 8. ) Groupe de réflexion In de Warande, Manifeste pour une Flandre indépendante dans l’Europe unie ; Bruxelles, 2006 ; 252 pages. Il s’agit du texte français publié par le groupe lui-même ; le texte original en langue néerlandaise avait été publié en novembre 2005. M. DE WEVER ne fait pas partie des seize personnes présentes comme piliers du groupe, il n’est pas non plus mentionné parmi les cinquante personnes ayant approuvé le Manifeste
  9. 9. Voir supra le point 10 du manifeste In de Warande
  10. 10. François PERIN, Histoire d’une Nation Introuvable ; op. cit. ; pp. 292-293.
  11. 11. Ibidem, p. 293.
  12. 12. L’appellation « sixième réforme de l’Etat » a été adoptée par le Gouvernement et transmise par lui au Parlement. Elle est utilisée sur tous lessites gouvernementaux. Et elle a manifestement été employée dans tous les «éléments de langage » qui ont été mis à la disposition des Ministres.Elle est cependant incorrecte et trompeuse. Pourquoi ? Parce qu’elle confond délibérément « sixième réforme » et « sixième révision de la Constitution ». Il eût dès lors été correct de parler de « sixième révision de la Constitution ». Mais les révisions de la Constitution n’ont conduit qu’à certaines parties de la recomposition de l’Etat, et c’est à nouveau le cas pour le mouvement de transformation de 2012 – 2014. La loi de financement n’a jamais demandé une modification de la Constitution, par exemple. Inversement, bien des réformes ont été introduites par voie législative (quelques fois même par des arrêtés royaux).Mais la référence exclusive aux révisions de la Constitution offre un grand avantage : on peut à ce moment ne tenir compte que des revendications flamandes et tout est alors rythmé par la seule préoccupation linguistique, ce qui correspond parfaitement à la vision flamande des choses. Mais les étudiants, et d’ailleurs le grand le public, chercheront vainement à expliquer ou à comprendre les méandres de la fédéralisation en ne se référant qu’aux révisions constitutionnelles.La vérité est qu’il y a eu de nombreuses poussées de fédéralisation. L’intérêt général est donc d’aborder chaque réforme dans sa spécificité et dans sa nature juridique, quitte à souligner parfois l’importance particulière que revêtent évidemment les révisions constitutionnelles.Mais c’est très révélateur de la Belgique belgicaine que l’on préfère se mettre à l’heure flamande en renonçant à dire objectivement ce qui est, et ce qui a été.