CHAPITRE V: Lynchage médiatique de J.Happart en 1994

Toudi mensuel n°13-14, septembre 1998

Bien avant que ne soit connu le résultat des élections européennes, le Président bruxellois Charles Picqué, du même parti que José Happart, souhaitait que celui-ci n'y fasse pas un trop bon score, une telle éventualité faisant peser, à ses yeux, une hypothèque sur les relations entre Bruxelles et la Wallonie. De juin à septembre 1994 le résultat des élections européennes a été en quelque sorte commenté par la presse belge francophone en se focalisant sur «le cas Happart» (Claude Demelenne). Au commencement de la période où nous parlons, Happart réalisait aux élections européennes, le deuxième score (après le sien propre de 89) jamais réalisé en Wallonie dans ce type d'élections: plus de 250.000 suffrages. Cet homme représentait donc quelque chose de profond en Wallonie et c'est surtout à ce titre que nous nous penchons sur ce qui va en être dit.

Le Soir titra Le PS affaibli face à Happart et au CVP [14/6/94] et l'émission Faire le point à la RTBF, le dimanche 19 juin, sept jours après les élections européennes, fut l'occasion d'une explication entre Happart et plusieurs journalistes, opposés à ses idées de gauche ou à ses idées wallonnes. «César prêt à franchir le Rubicon [...] début de la marche sur Rome» , commente Paul Vaute le lendemain dans [La Libre Belgique du 20/6/94]).

Il faisait allusion à des déclarations d'Happart montrant clairement son intention de prendre plus de pouvoir au sein du PS. Dès les résultats connus, Happart se plaignit de ce que Philippe Busquin ne lui témoignait que peu de sympathie. Il s'en explique: «Depuis dimanche soir, j'attends en vain qu'il [Phi. Busquin président du PS] me téléphone et me dise que j'ai sauvé son parti de la débâcle.» [dans Le Peuple du 15/6/94]. Mais, dès les résultats connus (et même avant ceux-ci: les déclarations fort antérieures de Charles Picqué en font foi), le vote en faveur d'Happart mécontentait la direction socialiste. Le Soir du 14/6/94 parle du «phénomène H» (les premiers à avoir utilisé la lettre «H»furent le ministre de l'intérieur flamand en 1979 puis les journalistes flamands).

La «grossièreté» d'Happart.

Happart s'en prend aux «intellectuels» de l'appareil PS (visant plutôt par là les technocrates, en fait). Mais son propos, certes dirigé contre l'appareil PS, est aussi classiquement socialiste: «On n'est pas au gouvernement pour faire un peu moins mal que ne le feraient les libéraux. Il faut fiscaliser tous les revenus, mettre au pas les holdings et les banques, poursuivre le décumul, revoir certaines privatisations.» [Le Peuple du 15/6/94]. Pour Luc Delfosse, la mouvance régionaliste d'Happart au sein du PS représente la «gauche gueularde» par opposition à la «gauche intellectuelle» [Le Soir du 16/6/94].

Guy Daloze qualifie les déclarations d'Happart de «tentative de prise du pouvoir démago-populiste du clan happartiste» [La Libre Belgique du 16/6/94 juin], de «double jeu grossier», de «stratégie wallingante»... Claude Demelenne, déclare comme en écho que le résultat de Happart est «la victoire inquiétante du populisme et de la démagogie» (La Lanterne du 17 /6/94). Arrêtons-nous une seconde après ce premier déferlement et répétons qu'il n'est pas dans notre esprit de transformer Happart en martyr ni de prendre nécessairement son parti. Mais dire que la victoire électorale d'Happart est la victoire dont parle Claude Demelenne, c' est surprenant au lendemain du choix fait par des électeurs wallons réfléchis et avertis puisqu'ils n'ont jamais cédé jusqu'ici aux sirènes de l'extrême-droite à laquelle les qualificatifs de Claude Demelenne nous semblent plutôt renvoyer.

«Plus dangereux que l'extrême-droite»

Qu'à cela ne tienne, on va y venir à l' «extrême-droite». Comme Philippe Moureaux (mais, lui, échappera aux reproches de populisme), revendique aussi un PS plus à gauche, l'Interrégionale de la FGTB s'en réjouit, le 16 juin visant à soutenir la fois Ph. Moureaux et J. Happart ce qui serait surprenant de la part de syndicalistes si Happart était réellement ce que l'on en dit. François Perin va aller plus loin et parler d'extrême-droite: «José Happart est dangereux. La démagogie de ce populiste de gauche est le plus grand danger qui menace la démocratie.» [L'Echo de la Bourse du 16/6/94] . Il est clair que François Perin s'insurge aussi contre les idées régionalistes d'Happart et qu'il y voit une analogie avec les thèses du manifeste wallon qu'il combat depuis sa publication. J-P. Stroobants et Bénédicte Vaes parlèrent, eux, plus modérément du «simplisme» d'Happart, de ses réponses «rudimentaires» à des problèmes «complexes» [Le Soir du 15/6/94].

«Robin des bois et Spartacus»

C'est alors que rebondit, en toute cette discussion ce que Jacques Hislaire appelait en 1984 la «bataille» et que F. Denis nomma «lutte fratricide» en septembre 1989: «Le recordman de voix juge raisonnable un schisme entre les PS wallon et bruxellois, lorgne le leadership wallon et promet qu'il "rasera gratis". Récusant tant l'étiquette de Spartacus que celle de Robin des Fourons, José Happart s'adjuge pourtant un label de la même eau.» [Le Soir du 20/6/94]. En éditorial, J-P. Stroobants écrit du discours de J.H.: «Ce message-là, qui n'hésite pas à se dire rêveur et révolutionnaire, passe probablement bien mieux que les propos policés et réformistes des gestionnaires. Egrené face à la caméra, il mêle ce qu'il faut de démagogie, de préoccupation pour les "petites gens" et d'idées résolument compréhensibles de tous.» [Le Soir du 20/6/94]

«Le PTB de Wallonie»

Bénédicte Vaes, l'excellente journaliste «sociale» du «Soir», commente les propositions progressistes d'Happart: «Il promet de porter à 30.000 F toutes les petites pensions - sans pouvoir chiffrer le coût de sa promesse -, d'augmenter le pouvoir d'achat des petits revenus, de réduire le temps de travail de 35 à 30 heures, puis à 25, en maintenant le pouvoir d'achat. Comment finance-t-on cela? En " prenant l'argent là où il est ": il n'y a qu'à augmenter le précompte mobilier à 25 % et exiger que la Suisse et le Luxembourg lèvent le secret bancaire. A peu de choses près, c'est le programme des maoïstes du parti du travail de Belgique (PTB)... Happart, lui, ce serait plutôt le Parti du travail de Wallonie.» [Le Soir du 20/6/94]. On a parfois fait remarquer que, à travers ses convictions sincères de gauche, Bénédicte Vaes défendait aussi une certaine conception de l'unité du pays non pas incompatible avec celles-ci mais quand même oublieuse de certaines traditions de la FGTB wallonne que l'échec du renardisme n'invalide pas. La lecture des articles anti-happartistes de B. Vaes s'éclaire à la lecture du livre qu'elle publiera quelques mois plus tard avec Claude Demelenne.

«Il n'est pas socialiste»

Happart n'est pas socialiste, pense Jean Gayetot, ancien président de l'Interrégionale wallonne de la FGTB [Le Soir du 23/6/94]. Et il n'est pas non plus fédéraliste comme André Renard qui, lui, souhaitait le fédéralisme pour résoudre les problèmes économiques wallons. Happart, c'est du «national-populisme», estime Jean Gayetot (ce qui fait songer au «national-socialisme» d'avant-guerre dont fut crédité Renard par VDB en 1961: voir plus loin). Un lecteur évoque, à propos d'Happart: «un petit chancelier teuton [qui] promettait déjà, dans les années trente, de bons revenus, une automobile et des vacances annuelles à tous les ménages allemands» [Le Soir du 24/6/94]. Une lectrice, bruxelloise elle aussi, parle de Happart comme d'un «bonhomme que ses électeurs ont sorti de sa glaise»[Le Soir du 24/6/94].

«Un sous-Keynes de bistrot»

Pour G.Haarscher, «José Happart incarne une sorte de sous-Keynes de bistrot (...) Voici que l'anti-intellectualisme est de retour: le culte happartiste des simplifications aberrantes s'identifie à une drogue éminemment dangereuse (...) N'existe-t-il d'autre choix pour la gauche qu'entre le cynisme affairiste, le dogmatisme idéologique et la roublardise insipide du discours happartiste?» [Le Vif du 24 /6/94].

«Un petit-bourgeois nationaliste»

Le journal La Gauche se prête aux mêmes discours (mais avec une nuance importante qui sera signalée): «Exploitant agricole, José Happart ne s'est jamais émancipé d'une conception petite-bourgeoise de la société. Vous ne l'entendrez jamais dénoncer le patronat en tant que classe sociale exploiteuse. L'ennemi, pour lui, est pour ainsi dire extérieur au peuple: ce sont les représentants de la grande finance et les multinationales. "Patrons du terroir, dormez en paix!". Le journal s'en prend aussi au nationalisme d'Happart: «Le nationalisme est le vrai fil conducteur de la pensée et du combat de José Happart. Il a toujours mis tous les Flamands dans le même sac et collé l'étiquette fasciste dessus (...) Le nationalisme va toujours de pair avec le culte de la personnalité. José Happart fait dans le genre modeste, n'empêche qu'il se présente comme incarnant l'âme de son peuple, l'intérêt wallon comme il dit...» [La Gauche du 29/6/94]. Le même journal pense aussi qu'Happart n'aime pas les intellectuels... Enfin, Alain Tondeur ajoute encore, dans les mêmes colonnes, que les hommes de l'appareil au PS finiront par se dire que «la lutte contre Happart n'est possible que sur le terrain où le Fouronnais s'est engagé. Gageons que certains parmi ceux qui lui reprochent son populisme sont capables de faire mieux que lui en matière de concessions au racisme et à l'idéologie sécuritaire.» La Gauche n'appartient pas à l'establishment francophone belge que nous dénonçons dans ce dossier. Mais il est quand même intéressant de la voir envahie par les mêmes thèmes, même si elle les traite d'un tout autre point de vue.

«La dérision»

Royer représente le roi Albert II demandant au chien Tobbak de porter un arrêté royal dans les Fourons pendant que lui-même vibrera aux exploits des Diables rouges [Le Soir du 29/6/94]. On peut remarquer en passant cette figure du roi exhibée en surplomb de la classe politique tant flamande que wallonne. On verra aussi plus loin les deux dessins de Royer sur les maladies mentales de R. Collignon et Van Cau. Certes, l'humour de Royer est décapant. Mais n'évite-t-il pas certaines cibles? Ou, s'il ne les évite pas, ne les traite-t-il pas malgré tout au sein d'un discours renvoyant à l'establishment francophone?

Parallèlement à ses déclarations socialistes, Happart entreprit de mener aussi l'offensive sur la question des Fourons. Le cinéaste André Delvaux, déjà au courant des déclarations confédéralistes de Luc Van den Brande, déclare: «Je vois les offensives politiques autour de Happart et de Van den Brande comme une dérision dans notre pays. Mais, dès l'instant où la dérision se répand, elle s'appelle autrement: cela devient une norme. Et progressivement, une forme d'obligation.» [La Libre Belgique du 11/7/94]. Il est à remarquer que si, avec quelques intellectuels wallons, nous avons écrit à la même époque une «carte blanche» que Le Soir accueillit avec fair-play, sur ces controverses sur la question nationale ou sur les rapports Bruxelles-Wallonie, il y a un certain type d'intellectuels auxquels fait appel la presse francophone dominante. La dérive de Jean-Jacques Andrien à partir de 1983 jusqu'à Australia ne s'explique pas autrement. Dans les colonnes de cette même presse, les coulisses de l'institution cinématographique, Andrien fut l'objet de pressions inouïes. Nous y reviendrons au chapitre VII.

«Un terrorisme intellectuel suspect»

Happart tentera ensuite de relancer (non sans succès) la problématique communautaire. Cette tentative est vouée à l'échec par les journaux bruxellois [Le Soir, des 27, 28 et 29/6/94), qui évoquent même, comme La Libre Belgique, le jour où Happart sera éliminé des Fourons en raison du futur droit de vote des citoyens hollandais au scrutin communal. Tout en rappelant «le comportement borné et intolérant de bon nombre de politiques flamands», dans cette question des Fourons, J-P. Stroobants pense que l'attitude d'Happart et le soutien que lui accorde J-M. Dehousse relèvent du «terrorisme intellectuel (...) suspect» [Le Soir du 5/7/94] et que si, finalement, le PS soutient Happart dans cette affaire, c'est surtout pour faire pression sur le CVP en songeant aux «affaires» (celle d'INUSOP vient de rebondir) et au budget.

«Insupportable»

Guy Duplat propose une conclusion à tout ceci dans un éditorial. Parlant des déclarations de Luc Van den Brande, il se demande s'il faut «croire à un simple coup de soleil estival» ou à «un prurit belgo-belge» Il poursuit: «La Flandre s'était irritée des coups de griffe de José Happart; qu'elle comprenne que les francophones n'apprécient pas plus les discours séparatistes de Luc Van den Brande.» Il poursuit: «Si Luc Van den Brande veut aussi augmenter sa popularité en Flandre, qu'il sache qu'il favorise aussi celle de José Happart en Wallonie (...) Nous ne voulons pas nous laisser entraîner dans le jeu des surenchères. Ni celles des happartistes ni, bien entendu, celles des mouvements les plus flamingants. Mais s'ils ne veulent pas se faire marcher sur les pieds, les francophones doivent savoir que ces fièvres régulières sont, à terme, très menaçantes.(...) Le premier enjeu est l'avenir de la Sécurité sociale. Nous avons donné tous les chiffres des dépenses, ceux favorables à la Flandre, comme ceux favorables aux francophones (...) La Sécu n'est qu'un prétexte. Cette Flandre-là veut aussi régionaliser la fiscalité et la dette, donc dépecer l'Etat fédéral. Il n'y aura pas de francophones pour la suivre...» [Le Soir du 13/7/94]. Cet éditorial est intéressant car, tout en s'opposant radicalement aux Wallons dans le conflit wallo-bruxellois ou centre-périphérie, Guy Duplat tient à maintenir ce qui est depuis toujours la ligne de conduite de son journal: certes, défendre les francophones mais dans le cadre de l'unité belge mieux assurée par le cadre de la Communauté française qui empêche au fond la Wallonie d'accéder à un type de pouvoir complet (culture, économie, politique), menaçant pour l'unité belge et pour un journal qui, d'ailleurs légitimement se veut avant tout bruxellois, régionalement parlé [pour tout ceci on consultera avec intérêt Désiré Denuit, Un siècle d'histoire, supplément au journal Le Soir du 17/12/87]. En mai 1990 à la question de savoir si la référence à la Communauté française (controversée disait déjà l'interviewer de l'époque) signifiait un engagement envers cette institution, Guy Duplat répondait ceci: «Nous nous référons ici à notre langue, qui est, à nos yeux, une chose très importante. Mais nous ne nous limitons pas à la langue: ce qui nous intéresse, c'est l'avenir social, politique et culturel de la Wallonie et de Bruxelles (comme de Liège ou de Charleroi pour préciser ma pensée). Nous ne plaidons pas du tout pour que la Wallonie et Bruxelles se fondent l'une dans l'autre. Par ailleurs, Le Soir est un journal ancré à Bruxelles et nous n'abandonnons pas cet ancrage. Mais, cependant, nous voudrions être aussi le premier quotidien de la Wallonie et ce sera plus simple de l'être quand nous aurons nos équipes partout en Wallonie. Nous serons plus attentifs à tout ce qui bouge dans la société wallonne.» [Wallonie Nouvelle, mai 1990]. Ce langage semble démentir un attachement trop étroit à la Communauté française. Il participe du refus de fusionner Communauté française et Région wallonne, ce qui, à l'époque, va à l'encontre des voeux du PSC et du PRL. Mais, en même temps, Guy Duplat se réfère quand même d'abord à la langue française, affirme (ce n'est pas à critiquer) l'intérêt premier pour Bruxelles, tout en mettant cette ville dans une série qui comprend les autres villes de Wallonie cette fois, ce qui est une façon courante de dissimuler que le problème central n'est pas la rivalité entre quelques villes, mais entre la Wallonie et «Bruxelles», «Bruxelles» non plus comme ville en soi (si nous pouvons ainsi nous exprimer), mais Bruxelles comme siège de la domination sur la Wallonie au coeur d'une structure à la fois matérielle (routes, chemins de fer, concentration financière et symbolique: tout ce que nous décrivons ici).

Fortune de Baudouin Ier, rôle «médiateur» d'Albert II

Puisque nous avons plus particulièrement dépouillé les médias de cette période, il n'est pas inintéressant de voir ce qu'elle dit du roi Baudouin un an après sa mort et de son successeur après avoir attaqué Happart comme on l'a vu. Guy Duplat égratigne le roi dans son éditorial. Plus tard, en cette sorte de «récit médiatique» de l'après-élections européennes, il y aura l'anniversaire de la mort de Baudouin Ier, la retraite aux flambeaux organisée par La Libre Belgique, principalement, mais aussi l'hebdomadaire flamand Knack, et à laquelle participent 22.000 personnes. L'environnement médiatique francophone les fera passer pour «toute la Belgique». C'est ainsi que de nombreuses personnes l'ont reçu, adversaires, partisans ou indifférents. Manu Ruys parle, lui, d'une manifestation «nationaliste belge» [De Standaard du 6/8/94]. Peu avant que les «nationalistes flamands» manifestent à Dixmude, Bert Raes fixait leur proportion [à la RTBF le 27 août]: 0,6% de la Flandre, étrange sondage minimisant la force flamande sur des bases d'autant plus surprenantes que la même télé avait déclaré que quelques milliers de personnes en août 1993 représentaient toute la Belgique en août 93. Étrange sondage aussi puisque les plébiscites d'Happart aux élections européennes n'ont jamais été présentés comme tels, ni en 1984 ni en 1989 ni en 1994. Du moins directement car le lynchage médiatique dont il fit l'objet en juin-juillet 1994 indiquait bien la crainte qu'il suscitait dans les rangs belges francophones. On y ajoutera les tribunes de Claude Demelenne, chaque fois bien accueillies dans les journaux [notamment dans La Libre Belgique, septembre 94].

La figure du roi est comme le repoussoir de celle d'Happart, d'autant plus que celui-ci vient d'être à plusieurs reprises traîné dans la boue. J-P. Duchâteau, parle d'Albert II comme d'un Souverain et médiateur: «Exhortant ses compatriotes (...) à tout mettre en oeuvre pour faire réussir la Belgique fédérale, Albert II a très vite joint les actes à la parole et il a, pourrait-on dire familièrement, payé de sa personne. Certes, cette tâche est loin d'être achevée, mais le Roi paraît déjà bien armé si une crise, par exemple communautaire, devait à nouveau surgir; et on sait d'expérience qu'il ne faut, hélas, rien exclure. Bien sûr, quels que soient son prestige et son autorité, on ne prétendra pas qu'Albert II saura faire entendre raison aux boutefeux qui, par calcul politicien ou par haine de la Belgique, sont toujours prêts à exacerber les tensions, et à en susciter les motifs. Mais il devrait être capable d'amener tous les autres à rechercher, selon le voeu majoritaire de la population, les voies de l'entente réciproque et du compromis pacificateur.» [La Libre Belgique du 9/8/94]

Une logique «pas fondamentalement éloignée de l'extrême-droite»

A la fin du mois d'août, la revue Celsius [n° 3 juillet/août 1994], revue spécialisée dans l'analyse de l'extrême-droite, reprend à son compte les vues de l' «intellectuel contestataire» qu'est, selon cette publication, Claude Demelenne. Celui-ci affirme qu'Happart et les happartistes «épousent une logique qui n'est fondamentalement pas éloignée de celle de l'extrême-droite: celle du bouc émissaire. Si les choses vont mal en Wallonie, c'était d'abord la faute aux Flamands puis aux Bruxellois. Maintenant, c'est la faute aux intellectuels (...) Les maniaques du communautaire ont aussi favorisé la montée de l'extrême-droite. Il fallait faire la réforme de l'Etat, c'est incontestable. Mais en jouant trop sur cette corde-là, la gauche donnait l'impression aux gens de ne pas s'occuper des vrais problèmes.» Il faut citer cette phrase, encore polie de Claude Demelenne, puisque, nous l'avons dit dans l'introduction, en 1995, Philippe Moureaux franchira le pas et parlera d'Happartistes prenant les Bruxellois comme boucs émissaires à la manière dont les antisémites s'en prennent aux Juifs (voyez le chapitre VI).

Remarquons, toujours objectivement, qu'il est assez difficile de prétendre qu'Happart fasse des «intellectuels» le bouc émissaire chargé d'expliquer les ennuis de la Wallonie (même s'il n'est pas faux de dire qu'Happart n'aime pas les «intellectuels»). Il ne nous semble pas non plus que c'est ainsi que le député européen traite les Bruxellois. Quant aux Flamands, Happart ne fait que reprendre, au point de vue économique, des analyses aussi anciennes que celles du MPW dans les années 60 ou celles de Michel Quévit en 1978 et 1982. Enfin, pour ce qui est des Fourons, ce n'est évidemment pas par fantasme que l'on peut écrire que les Flamands y sont pour quelque chose, même si tous les Flamands - loin de là! -, n'épousent pas les thèses assez radicales de la classe politique du nord du pays. On aurait voulu que Claude Demelenne - que nous ne voulons pas contredire sur le fond, ce n'est pas l'objet de ce dossier - tienne quand même compte de ces données élémentaires, lui qui fut un militant RPW.

La Libre Belgique ira même jusqu'à se réjouir de la future défaite de José Happart en raison du droit de vote qui sera accordé en l'an 2000 aux Hollandais dans les Fourons, en tant que citoyens européens. A la même époque, un lecteur flamand écrivit: «Où se situent les Fourons? Au milieu de la province francophone de Liège. Quelle langue parle la grande majorité des habitants? Le français. Qui veulent-ils comme bourgmestre? Happart (...)? Les Kurdes, les Palestiniens, les Bosniaques, nous soutenons leur droit à avoir leur propre Etat. Mais les Wallons des Fourons qui parlent le français depuis longtemps, doivent, coûte que coûte devenir flamands (...) Flamingantisme fanatique et aveugle...» (Het Laaste Nieuws du 8/7/94). Nous n'évoquons pas cet extrait pour démontrer que la Flandre serait plus compréhensive à notre égard que les Belges francophones, mais parce que cette citation souligne le parti-pris (d'alors) de La Libre Belgique qui, pourtant, comme tout l'establishment francophone belge en était et en est resté toujours aux problèmes linguistiques si fortement mis en avant par Choisir l'avenir par exemple. De temps à autre, quand la défense des francophones risque de trop servir les thèses wallonnes comme à travers un Happart, on préfère oublier cette insistance sur le linguistique.