Le "semi-colonialisme" au Québec

Poèmes - Speak White/Speak What- Loi C-20
Toudi mensuel n°38-39, mai 2001

Situation «Semi-coloniale» est le terme utilisé par Jean Lacouture (De Gaulle, Tome 3. Le souverain, Seuil, Paris, 1986 p.515), en vue de caractériser la singularité du Québec descendant des Français vaincus en 1760 (prise de Montréal et Québec par les Anglais), cependant intégrés dans un État plus ou moins confédéral, obtenant ainsi, avec la démocratie, le droit de se gouverner. Mais, en même temps, soumis à un Canada anglais dont la langue gagne à Montréal (où le français reste cependant majoritaire), aux ukases de la loi C-20 votée par la Chambre des Communes canadienne l’an passé.

Lacouture justifie aussi l’expression utilisée le 24 juillet 1967 par de Gaulle juste avant le fameux «Vive le Québec libre!» parlant d’ une atmosphère «semblable à celle de la Libération», mot qui choqua les Anglais qui se crurent assimilés aux Allemands de Paris en 1944, alors que l’on visait l’émotion inouïe d’un peuple soulevé par une vague venue du fond de l’Histoire

Dans les années 60, la poétesse québécoise Michèle Lalonde écrivit Speak White (allusion au slogan anglo-saxon considérant le français comme inférieur à l’instar des Noirs américains), auquel répond dans les années 90, le poème d’un immigrant italien au Québec, cependant rallié à la cause du souverainisme.

Ces deux poèmes, en leur alternance, disent la fine complexité du débat québécois.

«Octobre 1970» ce sont les événements manipulés par Ottawa et le Premier Ministre Trudeau (québécois francophone mais unitariste canadien), qui crut réduire les indépendantistes du Québec en faisant agir la «loi sur les mesures de guerre» («loi martiale»). Et en emprisonnant des centaines de militants. Six ans plus tard le PQ de René Lévesque prenait le pouvoir. Michel Tremblay en tira le film Les Ordres.

La revue annuelle TOUDI (n° 1) a déjà publié ce texte, une longue interview posthume de René Lévesque et une analyse de P. Leboutte en 1987.

La Loi C-20 met en cause un Québec même majoritairement acquis à l’indépendance.

TOUDI

SPEAK WHITE

Speak white

il est si beau de vous entendre

parler de Paradise Lost

ou du profil gracieux et anonyme qui tremble

dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue

mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue

parlez avec l'accent de Milton et Byron et

Shelley et Keats

speak white

et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse

que les chants rauques de nos ancêtres

et le chagrin de Nelligan

speak white

parlez de choses et d'autres

parlez-nous de la Grande Charte

ou du monument à Lincoln

du charme gris de la Tamise

de l'eau rose du Potomac

parlez-nous de vos traditions

nous sommes un peuple peu brillant

mais fort capable d'apprécier

toute l'importance des crumpets

ou du Boston Tea Party

mais quand vous really speak white

quand vous get down to brass tacks

pour parler du gracious living

et parler du standard de vie

et de la Grande Société

un peu plus fort alors speak white

haussez vos voix de contremaîtres

nous sommes un peu durs d'oreille

nous vivons trop près des machines

et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud

qu'on vous entende

de Saint-Henri à Saint-Domingue

oui quelle admirable langue

pour embaucher

donner des ordres

fixer l'heure de la mort à l'ouvrage

et de la pause qui rafraîchit

et ravigote le dollar

speak white

tell us that God is a great big shot

and that we're paid to trust him

speak white

parlez-nous production profits et pourcentages

speak white

c'est une langue riche

pour acheter

mais pour se vendre

mais pour se vendre à perte d'âme

mais pour se vendre

ah!

speak white

big deal

mais pour vous dire

l'éternité d'un jour de grève

pour raconter

une vie de peuple-concierge

mais pour rentrer chez nous le soir

à l'heure où le soleil s'en vient crever au-dessus des

ruelles

mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui

chaque jour de nos vies à l'est de vos empires

rien ne vaut une langue à jurons

notre parlure pas très propre

tachée de cambouis et d'huile

speak white

soyez à l'aise dans vos mots

nous sommes un peuple rancunier

mais ne reprochons à personne

d'avoir le monopole

de la correction de langage

dans la langue douce de Shakespeare

avec l'accent de Longfellow

parlez un français pur et atrocement blanc

comme au Viet-Nam au Congo

parlez un allemand impeccable

une étoile jaune entre les dents

parlez russe parlez rappel à l'ordre parlez répression

speak white

c'est une langue universelle

nous sommes nés pour la comprendre

avec ses mots lacrymogènes

avec ses mots matraques

speak white

tell us again about Freedom and Democracy

nous savons que liberté est un mot noir

comme la misère est nègre

et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger

ou de Little Rock

speak white

de Westminster à Washington relayez-vous

speak white comme à Wall Street

white comme à Watts

be civilized

et comprenez notre parler de circonstance

quand vous nous demandez poliment

how do you do

et nous entendez vous répondre

we're doing all right

we're doing fine

we

are not alone

nous savons

que nous ne sommes pas seuls.

Michèle Lalonde

SPEAK WHAT

Il est si beau de vous entendre parler

de La Romance du vin

et de L'Homme rapaillé

d'imaginer vos coureurs des bois

des poèmes dans leurs carquois

nous sommes cent peuples venus de loin

partager vos rêves et vos hivers

nous avions les mots de Montale et de Neruda

le souffle de l'Ouralle rythme des haïkaï

speak what now

nos parents ne comprennent déjà plus nos enfants

nous sommes étrangers à la colère de Félix

et au spleen de Nelligan

parlez-nous de votre Charte

de la beauté vermeille de vos automnes

du funeste octobre

et aussi du Noblet

nous sommes sensibles aux pas cadencés

aux esprits cadenassés

speak what

comment parlez-vous dans vos salons huppés

vous souvenez-vous du vacarme des usines

and of the voice des contremaîtres

you sound like them more and more

speak what now

que personne ne vous comprend

ni à St-Henri ni à Montréal-Nord

nous y parlons la langue du silence

et de l'impuissance

speak what

«productions, profits, et pourcentages»

parlez-nous d'autres choses

des enfants que nous aurons ensemble

du jardin que nous leur ferons

délestez-vous des traîtres et du cilice

imposez-nous votre langue

nous vous raconterons la guerre, la torture et la misère

nous dirons notre trépas avec vos mots

pour que vous ne mourriez pas

et vous parlerons

avec notre verbe bâtard

et nos accents fêlés

du Cambodge et du Salvador

du Chili et de la Roumanie

de la Molise et du Péloponnèse

jusqu'à notre dernier regard

speak what

nous sommes cent peuples venus de loin

pour vous dire que nous n'êtes pas seuls.

Marco Micone

PROJET DE LOI C-20

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :

2e session, 36e législature, 48 Elizabeth II, 1999 Chambre des communes du Canada

1. (1) Dans les trente jours suivant le dépôt à l'assemblée législative d'une province, ou toute autre communication officielle, par le gouvernement de cette province, du texte de la question qu'il entend soumettre à ses électeurs dans le cadre d'un référendum sur un projet de sécession de la province du Canada, la Chambre des communes examine la question et détermine, par résolution, si la question est claire.

[Examen de la question par les Communes]

(2) S'il coïncide, en tout ou en partie, avec la tenue d'une élection générale des députés à la Chambre des communes, le délai mentionné au paragraphe (1) est prorogé de quarante jours.

[Prorogation du délai ]

(3) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes détermine si la question permettrait à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant.

[Facteurs à considérer]

(4) Pour l'application du paragraphe (3), la question référendaire ne permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada dans les cas suivants :

[Absence d'expression claire de la volonté ]

a) elle porte essentiellement sur un mandat de négocier sans requérir de la population de la province qu'elle déclare sans détour si elle veut que la province cesse de faire partie du Canada;

b) elle offre, en plus de la sécession de la province du Canada, d'autres possibilités, notamment un accord politique ou économique avec le Canada, qui rendent ambiguë l'expression de la volonté de la population de la province quant à savoir si celle-ci devrait cesser de faire partie du Canada.

(5) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes tient compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province dont le gouvernement propose la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.

[Avis à considérer]

(6) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation sur les conditions auxquelles une province pourrait cesser de faire partie du Canada si la Chambre des communes conclut, conformément au présent article, que la question référendaire n'est pas claire et, par conséquent, ne permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada.

[Aucune négociation en cas d'ambiguïté de la question]

2. (1) Dans le cas où le gouvernement d'une province, après la tenue d'un référendum sur un projet de sécession de celle-ci du Canada, cherche à engager des négociations sur les conditions auxquelles la province pourrait cesser de faire partie du Canada, la Chambre des communes, sauf si elle a conclu conformément à l'article 1 que la question référendaire n'était pas claire, procède à un examen et, par résolution, détermine si, dans les circonstances, une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada.

[Volonté claire d'effectuer la sécession: examen par les Communes]

(2) Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes prend en considération:

[Facteurs à considérer]

a) l'importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la proposition de sécession;

b) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum;

c) tous autres facteurs ou circonstances qu'elle estime pertinents.

(3) Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes tient compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province dont le gouvernement a proposé la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.

[Avis à considérer]

(4) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation sur les conditions auxquelles la province pourrait cesser de faire partie du Canada, à moins que la Chambre des communes ne conclue, conformément au présent article, qu'une majorité claire de la population de cette province a déclaré clairement qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada.

[Négociations seulement en cas de volonté claire]

3. (1) Il est entendu qu'il n'existe aucun droit, au titre de la Constitution du Canada, d'effectuer unilatéralement la sécession d'une province du Canada et que, par conséquent, la sécession d'une province du Canada requerrait la modification de la Constitution du Canada, à l'issue de négociations auxquelles participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada.

[Modification constitutionnelle ]

(2) Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant sécession d'une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n'ait traité, dans le cadre de négociations, des conditions de sécession applicables dans les circonstances, notamment la répartition de l'actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités.

[Réserve]

(2) S'il coïncide, en tout ou en partie, avec la tenue d'une élection générale des députés à la Chambre des communes, le délai mentionné au paragraphe (1) est prorogé de quarante jours.

[Prorogation du délai]

(3) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes détermine si la question permettrait à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada et devienne un État indépendant.

[Facteurs à considérer]

(4) Pour l'application du paragraphe (3), la question référendaire ne permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement qu'elle veut que celle-ci cesse de faire partie du Canada dans les cas suivants :

[Absence d'expression claire de la volonté]

a) elle porte essentiellement sur un mandat de négocier sans requérir de la population de la province qu'elle déclare sans détour si elle veut que la province cesse de faire partie du Canada;

b) elle offre, en plus de la sécession de la province du Canada, d'autres possibilités, notamment un accord politique ou économique avec le Canada, qui rendent ambiguë l'expression de la volonté de la population de la province quant à savoir si celle-ci devrait cesser de faire partie du Canada.

(5) Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes tient compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province dont le gouvernement propose la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.

[Avis à considérer]

(6) Le gouvernement du Canada n'engage aucune négociation sur les conditions auxquelles une province pourrait cesser de faire partie du Canada si la Chambre des communes conclut, conformément au présent article, que la question référendaire n'est pas claire et, par conséquent, ne permettrait pas à la population de la province de déclarer clairement si elle veut ou non que celle-ci cesse de faire partie du Canada.

[Aucune négociation en cas d'ambiguïté de la question ]