Une nouvelle ''Histoire de Wallonie'' (II)

II. La longue naissance de la Wallonie de 1830 à fin 1944
31 October, 2023

Le sillon industriel wallon Haine-Sambre-Meuse-Vrsdre : les taches rouges, le long de ces voies d'eau correspondent aux anciens grands bassins wallons (carte de la Région wallonne).

La Wallonie a tout un passé préindustriel favorisé par des rivières au cours rapide, des gisements de fer, charbon, plomb, zinc, calcaire (nécessaire à la fabrication de la chaux), l'abondance de bois surexploité et qui a entraîné la déforestation de l'Ardenne, l'adaptation se faisant en faveur du bois par l'exploitation du charbon, ce qui va poser les problèmes que l'on sait et dont on a pris conscience bien après l'extinction de l'extraction du charbon.

Les industries rurales au XVIe siècle en Wallonie mosane. <br />Croix = forges. Pyramides = forge, marteau, affinerie. <br />Localités : au sud de la Meuse : Dinant et Durbuy ; le long du fleuve : Namur, Huy, Liège<br />Source: https://books.openedition.org/pumi/9616

La métallurgie est située dans les vallées de l'Ardenne, du Condroz, de l'Entre-Sambre-et-Meuse, le façonnage est actif dans les villes : Tournai, Mons, Dinant, Namur, Huy, Liège.Il y a aussi la tannerie et la draperie à Arlon, Gembloux, Thuin, Marche-en-Famenne. Après vient aussi le verre et le papier, la céramique : « L'activité préindustrielle était donc nettement moins centralisée qu'elle ne l'était au XXesiècle. C'est tout le pays wallon qui extrayait, modifiait, façonnait, fabriquait et exportait, et non trois ou quatre bassins délimités. » (p. 157). Arrive alors la vapeur qui entraînant bien d'autres facteurs, va faire de la Wallonie la première puissance industrielle au monde en termes relatifs et parfois la deuxième même en chiffres absolus. Ces premières lignes du chapitre « Une puissance industrielle » ramasse en quelques lignes une synthèse tout à fait pertinente et éclairante. Le chapitre suivant qui parle de l'émigration wallonne dans le monde est pour une grande partie lié au chapitre dont nous venons de rendre compte : immigration wallonne en Suède principalement.

« Entre nationalisme belgiciste et prédominance politique flamande (1830-1914) »

On sait que jusqu'en 1848 il n'y avait pas de partis politiques au sens que nous leur donnons aujourd'hui. C'est la période de l'unionisme. Elle se clôt en 1847 par la formation d'un cabinet libéral homogène conséquence de la constitution d'un parti libéral en 1846. Les libéraux vont dominer de ce fait jusqu'en 1884, à l'exception des années 1870-1878. Déjà alors, sous le suffrage censitaire qui n'accorde le droit de vote qu'à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie, le résultat des élections en Flandre et en Wallonie s'opposent de manière radicale. C'est un fait majeur dont on n'a pas pris conscience tout de suite et qui, encore aujourd'hui, n'est pas toujours bien compris. A la différence linguistique ou culturelle se superpose une opposition sans doute plus importante encore ou qui renforce l'autre clivage.

La Wallonie en grève en 1886. L'agitation naît à Liège, se propage à Charleroi puis au Centre et au Borinage. Elle se situe aussi dans certaines régions rurales. Les troupes de la répression, l'armée, se déploient à partir de plusieurs points du pays.

Le livre consacre aussi plusieurs pages aux évènements de 1886 qu'on a parfois baptisé du nom de jacquerie ouvrière et qui concerne surtout le sillon industriel mais pas seulement. Jean Puissant a montré que ces évènements révèlent un autre clivage mais intérieur cette fois sinon à la classe ouvrière du moins à celle-ci organisée dans le POB, récemment fondé, dirigé par des Bruxellois et des Flamands. Ils sont moins confrontés à la violence des luttes sociales en Wallonie et peu portés à user de l'arme sans cesse utilisée dans les bassins wallons, soit la grève qui va faire rêver de l'arme de la grève générale le plus souvent enracinée dans le pays wallon. Les Wallons, principalement vont s'en servir plusieurs fois : celle de 1886 a les aspects d'une grève générale comme celles plus conduites de 1883, 1902, 1913, 1932, 1936 (elle largement unitaire au point de vue belge), 1950 et 1960-1961, acmé de la force de la classe ouvrière qui débouchera sur l'autonomie de la Wallonie. Non pas immédiatement comme l'aurait voulu André Renard et les mandataires socialistes wallons réunis à Saint-Servais au cours de la grève, mais au fil de réformes de l'État successives. Et qui coïncide aussi avec le déclin de ce prolétariat que Jean Alexandre disait « armé ».

Mais avant d'en arriver là, il a fallu encore d'autres étapes. Ce chapitre montre très bien l'évolution du mouvement wallon partant d'un anti-flamingantisme rêvant encore d'une Belgique entièrement francophone jusqu'aux Congrès wallons de Liège de 1905 et surtout de 1912, ce dernier dominé par la personnalité de Jules Destrée qui usant du terme « séparation » (sous-entendu « administrative »), finit par émettre le vœu que « la Wallonie soit séparée de la Flandre ». Le contexte politique avait servi cette radicalisation. Libéraux et socialistes réunis en cartel avaient espéré que les élections allaient leur donner la chance de briser la prédominance catholique fortement appuyée sur la Flandre très majoritairement acquise aux catholiques. Il n'en fut rien et (avant même la grève générale plus organisée de 1913), au lendemain des élections des grèves avaient éclaté un peu partout. Les troubles à Liège faisaient même trois morts.

La Lettre au roi de Destrée en première page du journal liégeois L'EXPRESS : " Sire, il n'y a pas de Belges "

Première et Deuxième guerres mondiales

Première guerre mondiale et entre-deux guerres

Comment l'armée belge (n') a (pas) défendu la Wallonie en 1914 : on peut lire sur la carte la ligne (rencontrant un point rouge), où l'Assemblée wallonne voulait défendre la frontière à l'rest.

Histoire de Wallonie hésite à dire que la Première guerre mondiale renforce le sentiment national belge, car la chose est surtout vraie pour la Wallonie et Bruxelles moins pour la Flandre qui voit se renforcer le sentiment nationaliste flamand, né du refus de toute modification du régime linguistique de l'armée par le roi Albert. L'attachement à ce roi s'écrit surtout en français et les personnalités dont la mémoire est entretenue dans l'entre-deux-guerres sont, de manière frappante-mais qui a peu frappé-, presque seulement francophone [....]. Alors que, autre paradoxe que souligne bien ce livre, la stratégie militaire de l'État belge, hormis les forts de Liège et Namur (qui retarderont l'avance de l'armée allemande alors que la vitesse de celle-ci est une condition de son succès initial qui sera un échec), implique l'abandon de tout le territoire wallon, ce qui sera également le cas en 1940. La fin de la guerre est l'occasion d'une ouverture démocratique avec l'instauration du suffrage universel pur et simple, mais seulement masculin. Dans le mouvement wallon, singulièrement dans l'Assemblée wallonne, parlement officieux de la Wallonie, le retour au rêve d'une Belgique francophone, rêve abandonné par la majorité du mouvement wallon dès 1905, provoque la démission de Jules Destrée.

Il est intéressant de noter pour ce qui va suivre, soit le fameux Compromis des Belges obtenu au sein du parti socialiste et accepté par les autres formations traditionnelles, qu'il s'agit d'une initiative à laquelle les histoires de Belgique n'accordent pas toujours l'intérêt qu'elle représente. C'est sous l'impulsion de Jules Destrée et de Kamiel Huysmans les socialistes l'ont adopté. Le texte prône l'unilinguisme régional pour la Flandre et la Wallonie et le bilinguisme à Bruxelles. En outre il fixe les frontières des régions, chose capitale qui rendra possible le passage à l'État fédéral (un État, fédéré, est par définition un territoire délimité, une population qui y vit, un gouvernement qui le gouverne). Dehousse et Truffaut déposent aussi un projet de fédéralisme qui s'accorde au cadre du compromis et prévoit un droit de regard sur la politique étrangère des entités fédérées. Cela s'explique par le rejet par les Wallons de la politique de neutralité adoptée en 1936 par le roi et le gouvernement.

Misère au Borinage, un film-culte de réputation mondiale

Au plan économique et social, face à la crise de 1929, contrairement aux gouvernements catholiques-libéraux précédents, le gouvernement tripartite de Van Zeeland adopte en 1936 une politique du même type que le New deal de Roosevelt. C'est l'année du Front populaire en France, d'une grève générale (tous syndicats réunis, Flandre et Wallonie), en faveur de revendications du même type, dont les congés payés. C'est l'année aussi du triomphe de Léon Degrelle a la tête de Rex qui évoluera rapidement vers le fascisme pur et dur et qui sera combattu par le mouvement wallon. Les catholiques se scindent en une aile flamande qui dit son nom) et une aile catholique wallonne (qui s'en abstient).

Deuxième guerre mondiale, résistance et collaboration

Cette Histoire de Wallonie me semble dire un peu trop vite que la frontière belgo-luxembourgeoise était laissée sans défense le 10 mai. Jusqu'à cette date la 1ère Division de chasseurs ardennais, division d'élite et entièrement motorisée stationnait tout le long de la frontière du Grand-Duché. Tous les éléments de cette unité ne furent pas touchés par l'ordre de repli qui lui fut donné en raison des accords secrets entre les états-majors français et belges. Les deux compagnies demeurées à Chabrehez et à Bodange parvinrent à arrêter les deux colonnes de blindés allemands jusqu'à la nuit (à Chabrehez) et toute la journée (à Bodange), qui allaient percer le front à Sedan et Leffe-Houx-Dinant, percée qui signifia dès le 13 ou 14 mai la défaite de la France.La revue Toudi amontré par ailleurs quelle a été la combativité des régiments flamands et wallons (divisés depuis 1938) [....], lors de la bataille réelle que livra l'armée belge en 1940. avec le nom des grandes unités flamandes (6 sur 9), qui soit se rendirent en masse (4 et 16, se rendirent assez vite ou désertèrent (12 et 13), reculèrent devant les Allemands porteurs de drapeaux blancs (9) ou, pour l'une d'entre elles, s'avéra inapte au combat (14) . Voir Régiments flamands et wallons en mai 1940.

La statue de l'hubris de Léopold III à Courtrai, commémorant son commandement de l'armée à la bataille de la Lys alors qu'il désirait déjà capituler, le 25 mai, après 15 jours de combat.

Il n'indique pas qu'Hitler avait ordonné de ne pas bombarder les villes flamandes. Ce sont Tournai et Nivelles qui subirent les plus lourdes destructions. Léopold III est d'avis, dès les débuts de la bataille de la Lys de capituler sans condition contre l'avis de son gouvernement. Celui-ci le jour même de la capitulation délie de leur serment ceux qui lui ont juré fidélité. Très caractéristique du déni de l'histoire dans ce pays, une statue géante s'élève à Courtrai sur les lieux mêmes du combat exaltant le patriotisme du roi. Celui-ci va rencontrer Hitler et, malgré sa promesse de partager le sort des prisonniers de guerre, se marier. Cette Histoire de Wallonie ne le dit pas mais on peut, avec François André, parler non pas de collaboration de sa part mais selon une typologie établie par Philippe Burrin, parler d' « accommodement », l'attitude qui précède l'engagement dans la collaboration : voir D'un château l'autre, Léopold III de Wijnendaele à Laeken, en attendant Argenteuil... .

La Résistanceest plus forte en Wallonie qu'en Flandre : les sabotages par arrondissement du 1-1-1943 au 9-9-1944. Sur la base des rapports de la gendarmerie


La collaboration politique en Flandre est importante mais « moins que les capacités de la population flamande à s'accommoder à l'ordre allemand »(p. 235). En Wallonie, elle est déconnectée de la population. L'effort de résistance en Wallonie est plus intense en Wallonie et cela se fonde sur plusieurs indicateurs « malgré les différentes tentatives pour en minimiser la portée » (p. 236). L'idée wallonne se fortifie dans la Résistance avec, Wallonie libre , le Rassemblement socialiste et démocratique , wallonl i (qui deviendra Rénovation wallonne). C'est aussi en 1943 qu'est créée l'Association pour le progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, et jeté les bases du Conseil économique wallon. La Division SS Wallonie porte ce nom sans avoir aucun buts proprement wallons et elle est composée de Wallons mais aussi de Russes blancs, d'anciens franquistes, de Flamands francophones. Pour la Wallonie les malheurs de la guerre ne se terminent pas avec la libération de Bruxelles puisque, fin 1944, les V1 et les V2 font 2000 morts à Liège et environ 2500 civils périssent dans l'offensive allemande des Ardennes à l'hiver 44.


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