Le financement différencié : la fin de l'exclusion scolaire ?
La fin d'une hypocrisie
A ce jour a toujours prévalu le principe (et certains partis politiques en avaient même fait un slogan) selon lequel un enfant égale un enfant. Si personne n'avait de doute sur l'inexactitude de cette affirmation d'un point de vie pédagogique, les subventions dégagées par les élèves d'un établissement scolaire consacraient ce principe.
Ainsi, un élève, quel qu'il soit, quelle que soit son origine socioculturelle, engrangeait pour l'école qui l'accueille une certaine somme dépendant exclusivement du niveau d'études. Actuellement, puisqu'il faut bien parler chiffres : 221 euros en maternelle, 255 au primaire et 479 au secondaire (subvention annuelle). Le refinancement de la Communauté française et les Accords dits de la St-Boniface permettront, d'ici à 2010, de passer progressivement à 320 et 370 euros en maternelle, 390 et 451 au primaire et 570 et 659 au secondaire, cette fourchette consacrant justement le principe du financement différentié. Un enfant, pour faire court, entraînant une subvention supérieure à celle d'un enfant dit favorisé s'il est issu de milieux socioculturellement défavorisés. Les critères étant ceux utilisés pour la discrimination positive. A savoir : la prise en compte de l'indice socio-économique sur base du quartier de résidence de l'élève, des critères objectivés par le niveau des études des parents, de leurs revenus, etc. La moyenne des indices des élèves fournissant l'indice de l'école en fonction de quoi la niveau de subvention sera déterminé. Ce mécanisme laisse d'ailleurs dubitatif Régis DOHOGNE (FIC) qui « ne demande qu'à être rassuré » (in LE SOIR du 13/01/2004).
En un mot, l'application d'un vieux concept marxiste : à chacun selon ses besoins. C'est donc bien, avec ce projet, à la fin d'une hypocrisie que l'on assiste.
Un principe qui fait l'unanimité, mais...
A tout seigneur, tout honneur : c'est aux ECOLOS que l'on doit l'idée d'un financement différentié. Objectif : « contribuer - le mot est à retenir - à la lutte contre l'échec en donnant d'avantage de moyens aux écoles et en agissant au cœur du système scolaire » (in Site du Ministre de l'Enfance). L'idée avait déjà trouvé un écho avec les discriminations positives dont j'ai eu à parler dans un TOUDI antérieur.
Mais dès l'apparition de la discrimination positive, certaines organisations dont celle à l'intérieur de laquelle je milite mettaient en avant la perversité du système initié par Mme ONKELINX et la nécessité d'en venir à un système de subventionnement basé sur les besoins individuels des élèves plutôt que sur des critères d'homogénéité. La discrimination, qui devait n'être, dans l'idée, que temporaire a pris très vite des allures de définitive. Et elle n'a cesse de s'amplifier. D'ailleurs, insiste le Ministre, il n'y a pas lieu de confondre discrimination positive et différentiation. Pour lui, le « mécanisme des discriminations positives » se « maintient complémentairement » ( in Site du Ministre de l'Enfance, op.cit) dans la mesure où ce mécanisme apporte avant tout, non de l'argent, mais de l'encadrement supplémentaire.
Si le financement différentié agrée aujourd'hui les acteurs de terrain, PO et praticiens, il ne faudrait pas pour autant se voiler la face comme le souligne très justement, dans LE SOIR op.cit., Michel VRANCKEN (CGSP) : « On fait un pas vers la justice sociale. Mais c'est un petit pas ».
Le financement différencié : LA solution ?
Si la différenciation, pour reprendre les termes mêmes du Ministre, permet à « l'égalité » de perdre « son statut de position de départ pour devenir l'objectif à atteindre » ( in Site du Ministre de l'Enfance,op.cit), il n'en faut pas moins rester les deux pieds sur terre et éviter comme il le fait de parler de « révolution ».
L'exclusion scolaire,en effet, ne se résume ni à un problème statistique (il compare volontiers les écarts apparus dans les résultats d'une enquête portant sur la lecture entre la Communauté française et la Finlande) ni seulement à un problème de financement. Certes, cela compte car l'école doit pallier souvent aux « manques » à caractère pédagogique engendré par la précarité sociale : livres, documentation, visites de musées, informatique, etc... Et cela a un coût pour les écoles qui n'ont pas toujours facile à régler la note. Mais l'exclusion scolaire touche de près à tous les autres paramètres de l'exclusion sociale : l'habitat, la santé, l'emploi, la mobilité, la consommation y compris socioculturelle.
Des politiques qui sont largement éclatées entre les différents niveaux de pouvoir (fédéral, communautaire et régional) sont initiées. Mais dans le meilleur des cas elles sont croisées, le plus souvent elles sont non coordonnées. Or, tous ces paramètres de la pauvreté sont liés, cumulés même. Vouloir traiter l'un d'eux sans s'en prendre aux autres, c'est comme vouloir vider un océan à la cuillère. C'est ce que fait aujourd'hui la Communauté française avec le concept du financement différentié. Si un élève dit défavorisé amène dans l'établissement qui le reçoit un bonus financier, est-ce pour autant que son problème de précarité va être résolu ? Que son logement va changer et qu'il n'aura plus à faire ses devoirs sur un coin de table de cuisine? Qu'il pourra mieux soigner sa scoliose qui lui a été signalée lors de la visite médicale? Que ses parents ne seront plus allocataires sociaux et qu'ils pourront lui payer la revue scolaire indispensable? Qu'il aura internet à la maison ? Etc ? Non, bien entendu. De plus, inciter financièrement les écoles élitistes à garder ou accueillir des enfants en difficultés socioculturelles sera-ce suffisamment convainquant pour elles ? On peut en douter dans la mesure où ces écoles ont des moyens de financement autrement plus conséquents. Les parents précarisés sachant que leurs enfants « rapportent plus » seront-ils tentés de les inscrire dans des écoles plus huppées que celles de leur quartier ? Improbable, car la mobilité a un coût.
Et pour conclure provisoirement
Le concept du financement différentié a le mérite d'exister. Il constitue un progrès. Mais il ne faut pas se leurrer : l'école n'a pas les moyens de faire contrepoids à tous les problèmes engendrés par une société très inégalitaire. Elle ne peut qu'y apporter sa très modeste contribution. La lutte contre la pauvreté est un combat qui fait appel à des concepts beaucoup généraux. L'oublier serait vite déchanter. Si l'on veut tendre vers des politiques coordonnées, il n'y a pas trente-six solutions : il faut régionaliser toutes les compétences aujourd'hui éclatées entre les différents niveaux de pouvoir. Il y va de l'intérêt de tous et de la Wallonie en particulier.