Manifeste pour la culture wallonne (1983)
Nous, signataires de ce texte, femmes et hommes, auteurs, musiciens, cinéastes, acteurs, chanteurs, peintres, écrivains, animateurs, scientifiques, journalistes, historiens,... souhaitons affirmer notre véritable appartenance: NOUS SOMMES ET NOUS NOUS SENTONS ÊTRE DE WALLONIE.
La Wallonie est confrontée, au travers d'une crise économique violente, à tous ceux qui contestent sa réalité et ses possibilités d'avenir. Avec tous les Wallons, il nous revient de faire face à ces menaces en affirmant dans le même mouvement notre unité et notre autonomie. Unité, autonomie: l'une ne saurait aller sans l'autre lorsqu'il s'agit d'une Région que l'histoire et les rapports de dépendance ont morcelée et parfois durablement divisée. De Tournai à Verviers, d'Arlon à Wavre, c'est un seul et même territoire qui va donner contour et profil à l'ensemble qu'il forme. La Wallonie entend désormais exister sur la carte des Etats comme entité propre.
Nous existons, nous voulons retrouver ce qui nous appartient, nous voulons vivre ensemble, dans les conditions qui nous conviennent. De ce point de vue, ceux qui, ici même, en appellent au peuple wallon savent fort bien que nos luttes présentes sont d'abord économiques. L'exemple de la sidérurgie est dans tous les esprits. Nous entendons être aux côtés de ceux qui mènent ce combat. NOUS CROYONS POURTANT QUE L' ACCESSION DE LA WALLONIE A SA PERSONNALITÉ DE PEUPLE ET À SA MATURITÉ POLITIQUE N'AURA PAS LIEU SI UN PROJET CULTUREL NE VA PAS DE PAIR AVEC LE PROJET ÉCONOMIQUE.
Les créateurs que nous sommes se reconnaissent dans une image positive de la Wallonie et de son peuple. Cette image qui nous identifie, nous entendons la représenter, la refléter, la réfléchir. Elle est liée à un long passé fait d'oeuvres et de produits mais aussi jalonné de combats et d'actes de résistance. Sans renoncer à ce patrimoine qui fonde notre identité, nous voulons aujourd'hui construire une Wallonie moderne qui renoue avec l'Histoire et la conscience de soi, qui renoue aussi avec ses paysages, ses manières d'être et ses symboles.
Nous de Wallonie, travaillons à des oeuvres et à des analyses où notre Région se désigne et s'exprime naturellement. Artistes, intellectuels, animateurs, nous avons choisi d'être ici et d'y rester. La Wallonie doit avoir ses propres centres de production et de diffusion cinématographiques, un théâtre avec ses scènes et ses compagnies, une littérature avec sa presse et ses éditeurs; nous voulons des structures pour la musique et la chanson, la peinture et l'architecture, la sculpture et la BD...; nous voulons encore que les entreprises d'action culturelle disséminées sur tout le territoire soient véritablement reconnues et soutenues.
Nous en avons assez de l'incivisme ordinaire qui culpabilise les Wallons et paralyse leurs énergies.
Il y a, dit-on, chez les Wallons un penchant à la timidité sceptique et moqueuse qui les préserve avec bonheur du racisme et de ce qu'il peut y avoir de borné dans certain nationalisme. Notre projet culturel n'est entaché ni de nationalisme étroit, ni de racisme. Il est simplement lié au refus des tutelles économiques, politiques, ou culturelles qui nous étouffent et risquent de nous précipiter dans le déclin. Tout peuple aujourd'hui est fier de ses oeuvres et se bat pour les faire reconnaître, voire les imposer contre les produits standard des multinationales et du kitsch culturel.
Il revient à l'école d'établir le contact entre les jeunes et la culture wallonne. Peuple amnésique, nous avons trop négligé notre histoire. Peuple passif, nous laissons étouffer notre culture sous les produits du village planétaire. Ce qui vaut pour l'art vaut tout autant pour l'invention technologique et la recherche scientifique. Une nouvelle génération entre en scène. Donnons-lui toute occasion de prendre, d'apprendre et d'agir.
Mais l'avenir de la culture wallonne est affaire de pouvoirs et de ressources. Il faut construire et gérer.
A cet égard, nous ne pensons pas que la Communauté Française de Belgique nous représente et nous définit véritablement; celle-ci nous semble une notion hybride et artificielle qui n'est de nulle part. La Communauté Française de Belgique aggrave la dépendance culturelle des Wallons par rapport à des centres qui leur sont extérieurs. Elle ne peut que réduire le pays wallon à une province culturelle francophonie.
C'est d'ailleurs le bon sens: on n'imagine pas une entité politique choisissant sa capitale en dehors de son territoire. Or les décisions de politique culturelle sont prises de Bruxelles et les moyens financiers dans les domaines du théâtre, du cinéma, de la littérature sont concentrés dans la capitale. Nous avons pour capitale une ville qui n'est pas wallonne et qui ne souhaite pas se reconnaître comme appartenant à la communauté wallonne.
Nous sommes néanmoins conscients des problèmes spécifiques que doivent affronter les Bruxellois dans la Belgique d'aujourd'hui. Nous revendiquons pour Bruxelles un statut qui lui permette de se gérer de façon autonome de la même manière que la Flandre et la wallonie. Nous souhaitons l'alliance avec Bruxelles mais dans de nouvelles distributions institutionnelles QUI RESPECTENT LA COHÉRENCE ENTRE L'EXISTENCE POLITIQUE DE LA WALLONIE, SON PROJET ÉCONOMIQUE ET SA PRODUCTION CULTURELLE.
A Wallonie autonome, culture autonome. Nous voulons exister dans et par notre culture mais en symbiose avec un devenir social, politique et économique. Pour cela, nous voulons disposer de moyens propres à mettre en place une telle autonomie.
D'abord un pouvoir susceptible de définir et d'appliquer une politique.
Ensuite des ressources financières qui ne soient pas dérisoires (comme le sont aujourd'hui celles de l'Exécutif Régional Wallon).
Enfin une infrastructure d'outils et d'instances qui couvrent le territoire et reflètent sa diversité.
La culture wallonne est une culture minoritaire mais vivante, tolérante et pluraliste. Nous sommes conscients de nos particularismes locaux mais nous vivons le moment historique où nos diversités doivent être le creuset de nos forces. Sont de Wallonie sans réserve tout ceux qui vivent, travaillent dans l'espace wallon. Sont de Wallonie toutes les pensées et toutes les croyances respectueuses de l'homme, sans exclusive.
En tant que communauté simplement humaine, la Wallonie veut émerger dans une appropriation de soi qui sera ouverture au monde.
Liste des premiers signataires
Arbitol Maurice, Economiste; Aghion Jacques, Biologiste; André Paul, Ecrivain; Andrien Jean-Jacques, Cinéaste; Antaki Michel, Architecte-Urbaniste; Barbez Daniel, Auteur-Interprète; Baronheid Marc, Ecrivain; Bawin Bernadette, Sociologue; Beaucarne Julos, Chanteur; Blavier André; Bologne Maurice, Professeur honoraire; Bologne-Lemaire Aimée, Préfète honoraire; Bury Jacques, Professeur; Bya Joseph, Ecrivain; Cabay Guy, Musicien; Capiau Jean, Directeur de galerie; Chabot Jean-Pierre, Chanteur-Agent de développement; Chassard Jean-Pierre, Animateur-Formateur; Clara Alain, Licencié en histoire; Comès Didier, Dessinateur de B.D.; Daniel Alain, Réalisateur-TV; Denis Guy, Ecrivain; Dubois André-Joseph, Ecrivain; Dubois Jacques, Professeur de Lettres; Edeline Francis, Poéticien; Fautré René-Louis, Fonctionnaire; Fontaine José, Journaliste; Gassel Ita, Ethnologue; Génicot Léopold, Historien; Génicot Louis-Francis, Historien; Geoffroy Jean-Luc, Animateur; Gillain Bernard, Journaliste; Hainaux René, Comédien; Hartman, Chantal, Cinéaste; Haumont thierry, Ecrivain; Hausman René, Dessinateur; Hesbois Emile, Ecrivain-Animateur; Houben Steve, Musicien; Hourez Roland, Auteur dramatique, Imhauser Marcelle, Journaliste; Klinkenberg Jean-Marie, Professeur de Lettres; Lambert Gérard, Economiste; Lange André, Chercheur en communication de masse; Leboutte Patrick, Etudiant; Lefin Paul, Responsable d'associations dialectales; Lenaerts André, Comédien; Louvet Jean, Auteur dramatique; Martin Michel, Docteur en médecine; Meyer Paul, Cinéaste; Michel Thierry, Cinéaste; Minguet Philippe, Esthéticien; Mohimont Serge, Chanteur; Mounège Roger, Directeur de revue; Neys Robert, Journaliste; Nihoul Jacques, Ingénieur physicien; Noël Pierre, Animateur-Formateur; Orban Joseph, Ecrivain; Pireaux Christine, Cinéaste; Pirotte Jean, Historien; Quévit Michel, Socio-économiste; Ringlet Gabriel, Prêtre, chargé de cours; Romus André, Journaliste et peintre; Servais Jean-Claude, Auteur de B.D.; Simon Manu, Réalisateur Ciné/TV; Stas André, Pataphysicien; Tournemenne Jean-Marie, Peintre; Trinon Hadelin, Professeur; Vandevelde Charles, Architecte; Vandycke Yvon, Artiste peintre; Verdin José, Economiste; Verspeelt Liliane, Journaliste; Viatour Georges, Economiste; Voiturier Michel, Chroniqueur artisitique; Watrin Jean-Claude, Chanteur.